Questions de société
Lettre ouverte à nos amis des Universités (Acrimed 06/04/09)

Lettre ouverte à nos amis des Universités (Acrimed 06/04/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Lettre ouverte à nos amis des Universités

par Acrimed, 06/04/09

http://www.acrimed.org/article3115.html

L'article d'Acrimed « Le Monde et le mouvement universitaire »a, semble-t-il, rencontré un large écho parmi les acteurs del'université et de la recherche en lutte depuis de longues semaines :abondamment consulté sur notre site, mis en ligne sur de nombreuxautres, diffusé sur diverses listes, notamment à l'appui d'uneincisive, mais discutable « Charte de bonne conduite vis-à-vis dujournal Le Monde  » (rédigée par Jérôme Valluy) [1]. De là cette lettre ouverte… [Acrimed]

Lettre ouverte à nos amis des Universités

Mobilisés contre les « réformes » gouvernementales, vous êtesnombreux – étudiants, enseignants, chercheurs, personnelsadministratifs – à vous indigner de la façon dont la plupart des grandsmédias maltraitent votre action, vos positions et vos revendications.Nous partageons, évidemment, cette indignation.

Les chaînes de télévision et les stations de radio diffusent uneinformation raréfiée et anecdotique qui permet d'autant moins decomprendre les motifs et les objectifs de votre mouvement que cetteinformation est biaisée par une interrogation non sur la politique dugouvernement, mais sur son comportement et sa stratégie de« communication ». Quant à la presse écrite, politiquement divisée, laqualité de l'information qu'elle diffuse est généralementproportionnelle au soutien que tel ou tel journal vous accorde. Aussiest-ce Le Monde qui, parce qu'il entretient une réputationillusoire de « référence » et de « neutralité », s'attire les critiquesles plus vives ; des critiques qui prennent notamment appui sur unarticle publié sur le site de notre association : « Le Monde et le mouvement universitaire »

Nous ne prétendons nullement dicter le bon usage des articles quenous publions. Et si ceux-ci alimentent éventuellement des prises deposition que nous ne partageons pas ou pas complètement, au moinscontribuent-ils à ouvrir le débat. Ainsi, nous n'avons jamais demandéle boycott d'un quelconque média. Tout simplement parce que ce n'estpas tel média particulier qui est en question, mais bien l'ensemble dupaysage médiatique et du traitement des informations. C'est donc moinsd'une « Charte de bonne conduite vis-à-vis du journal Le Monde » dont nous avons besoin que d'une « Charte de bonne conduite à l'égard des médias ».

Une telle charte devrait reposer sur un triple engagement :

1. Pour une critique publique des médias

Au nom des exigences de la recherche, il est de bon ton, parminombre de chercheurs, particulièrement en sciences sociales, de teniren suspicion une critique des médias qui, sans déroger à des règles derigueur et d'exactitude, ne craint pas de transgresser les limites dela bienséance académique et de descendre dans l'arène : une critiquequi ne se protège pas en se bardant, au nom de la science (magiquementopposée à l'engagement politique), de précautions souvent plusopportunistes que méthodologiques.

Si certains d'entre vous appuient aujourd'hui cette critiquecorrosive - la nôtre, en l'occurrence - parce qu'elle concerne leurmouvement, pourquoi ne le font-ils pas à d'autres moments et à d'autrespropos ? Les enseignants-chercheurs sont dans la rue ? Fort bien. Et sila critique sociale et particulièrement la critique des médias ydescendaient aussi ? Cela ne nuirait en rien à la qualité despublications proprement scientifiques. A moins que le souci de larespectabilité académique et de la notoriété médiatique ne l'emportesur toute autre considération…

2. Pour d'autres relations avec les médias

Sous couvert de débat démocratique, il est admis comme allant de soique l'on doive se prêter à son simulacre, en occupant les strapontinsqui sont réservés aux contestataires dans les pages des tribunes libreset les médias audiovisuels.

N'existerait-il donc que cette alternative : le boycott impuissantou la participation complaisante ? Faut-il se résigner ou bien à setaire ou bien à accepter de s'exprimer à n'importe quel prix et dansn'importe quelles conditions ?

Par temps de mobilisations sociales, faut-il consentir, dansl'espoir illusoire de faire passer un message significatif en quelquessecondes, à se laisser traiter en simples passants pour« micros-trottoirs » ? Faut-il accepter, sous couvert de transparence,d'attribuer aux journalistes un droit d'ingérence sans limites dans lesdélibérations démocratiques d'un mouvement et un droit de sélection deses porte-paroles ? Et de façon plus générale, faut-il accepter dejouer les figurants dans des « talk-shows » dont les modalitésdésamorcent par avance toute possibilité de vrai débat ? Faut-ilcontribuer à vernir de légitimité démocratique des journaux quicombattent jour après jour les opinions et les savoirs que l'on chercheà partager ?

Plutôt que de se laisser séduire par des opportunités ponctuelles(quitte à se plaindre le lendemain de sa naïveté de la veille), voirede concourir dans la foire aux vanités individuelles, ne vaut-il pas mieux, amis des Universités, faire émerger un intellectuel collectifqui soumettrait les médias à son examen et saurait poser quelquesexigences des acteurs mobilisés et des chercheurs spécialisés avantd'intervenir dans les médias ; un intellectuel collectif quis'efforcerait de définir, avec les journalistes qui comprennent cettenécessité, les conditions de débats effectivement pluralistes ?

3. Pour d'autres médias

Au nom d'autres priorités ou d'urgences plus pressantes, la questiondes médias est souvent considérée comme subalterne ou, au gré desquestions sociales et politiques à l'ordre du jour, réduite à unproblème de choix entre les médias eux-mêmes.

Une critique conséquente des médias ne peut se borner à faire le trientre les « bons » médias qui soutiennent la contestation en cours etles « mauvais » qui la combattent, et préconiser le boycott desseconds… quand la plupart pourraient être mis en accusation en d'autresoccasions ou sur d'autres sujets. Boycotter Le Monde pour soutenir Libération ? Comme s'il ne s'agissait que de préférer un parti-pris à un autre… N'y aurait-il donc que cela à dire ou à faire ?

Qui ne voit que c'est l'ensemble de la couverture des questionssociales et des mobilisations qui, en tenant compte des différencesobservables entre les médias et selon les sujets, doit être contesté ?Question de cohérence, mais aussi de solidarité, du moins si l'on neveut pas s'en tenir à des critiques occasionnelles et sectorielles,voire corporatives.

Qui ne voit que c'est l'ensemble de l'ordre médiatique et desconditions d'activité des journalistes qui est en cause ? C'est cettequestion qui - avec les journalistes et leurs syndicats, avec lesmédias associatifs, avec les syndicats, les collectifs, lesassociations - doit être à l'ordre du jour. Une question politique,donc, au même titre que celle de l'avenir de la Recherche et del'Université.

Acrimed, le 6 avril 2009.