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Les cordes vibrantes de l’art. La relation esthétique comme résonance (Paris, Fondation Singer-Polignac)

Les cordes vibrantes de l’art. La relation esthétique comme résonance (Paris, Fondation Singer-Polignac)

Publié le par Marc Escola (Source : Nathalie Kremer)

Colloque international

« Les cordes vibrantes de l’art. La relation esthétique comme résonance »

organisé par Nathalie Kremer, Sarah Nancy, Aurélie Foglia

(Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)

Fondation Singer-Polignac (Paris, 16e)

13 & 14 juin 2018

 

Programme

Mercredi 13 juin 2018

9h00 – 9h30 : Accueil et inscriptions

9h30 – 9h50 : Ouverture du colloque

Laurent Creton, Président du Conseil Académique et Vice-Président de la Commission de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

Michel Magnien, Directeur de l’Équipe de Recherches « Formes et idées de la Renaissance aux Lumières » de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

9h50 – 10h15 : Introduction par Nathalie Kremer

Première séance. La résonance, entre corps et métaphore

Présidente de la séance : Baldine Saint-Girons (Université de Paris Nanterre et Institut Universitaire de France)

10h15 – 10h45 : Herman Parret (Professeur émérite de l’Université de Leuven) :

La vibration dans l’histoire de l’esthétique

10h45 – 11h00 : Pause

11h00 – 11h30 : Theodora Psychoyou (Sorbonne Université) :

De l’harmonia mundi à la primitive énergie : matérialités physiques et enjeux esthétiques de la résonance dans la pensée musicale, du xviie au xviiie siècle

11h30 – 12h00 : Raphaëlle Legrand (Sorbonne Université) :

Cordes, corps et accords : polysémie du mot « corde » dans l’univers théorique de Jean-Philippe Rameau

12h00 – 12h30 : Henri Scepi (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3) :

Les avatars de la lyre dans la poésie du XIXe siècle : anatomie d’un corps décomposé

12h30 – 13h00 : Débat

13h00 – 14h00 : Déjeuner

Deuxième séance. Relations résonantes

Présidente de la séance : Lise Forment (Université de Pau et des Pays de l’Adour)

14h00 – 14h30 : Vincent Jouve (Université de Reims) :

« Ce qui résonne en moi » ou la vérité de la lecture

14h30 – 15h00 : Claude Reichler (Professeur émérite de l’Université de Lausanne) :

Réverbération et résonance dans la sculpture, ou quand l’artiste est à la fois il et tu

15h00 – 15h30 : Hélène Merlin-Kajman (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3) :

Vibrer à nouveau. Trauma et littérature

15h30 – 16h00 : Débat

16h00 – 16h15 : Pause

16h15 – 16h45 : Jean-Luc Nancy (Professeur émérite de l’Université de Strasbourg) :

Résonances. Dialogue avec Sarah Nancy

16h45 – 17h15 : Débat

Fin de la première journée.

 

Jeudi 14 juin 2018

9h15-9h30 : Accueil et inscriptions

Troisième séance. D’un art à l’autre : la vibration des œuvres

Présidente de la séance : Clotilde Thouret (Université de Lorraine)

9h30 – 10h00 : Stefania Caliandro (École supérieure d’art des Pyrénées – site Pau Tarbes) :

La vibration au tournant du XXe siècle et l’émergence de cette notion dans l’art

10h00 – 10h30 : Arnaud Buchs (Université de Lausanne) :

Voir la musique : Baudelaire, Verlaine et Mallarmé en synesthésies

10h30 – 11h00 : Débat

11h00 – 11h15 : Pause

Quatrième séance. Vibrations créatrices : entre énergie et enthousiasme

Présidente de la séance : Aurélie Foglia (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)

11h15 – 11h45 : Jean-Michel Maulpoix (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3) :

Le cœur dans les cordes

11h45 – 12h15 : Dominique Rabaté (Université Paris Diderot) :

« Je suis gong ». Résonance du poème chez Henri Michaux

12h15 – 12h45 : Débat

13h00 – 14h00 : Déjeuner

Cinquième séance. Pour un paradigme musical ?

Présidente de la séance : Cécile Leblanc (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)

14h00 – 14h30 : Carla Zecher (The Renaissance Society of America) :

Un amateur de luth à l’écoute du Levant : les cordes vibrantes dans les écrits de Pierre Belon du Mans

14h30 – 15h00 : Veronica Stange Estay (Nouveau Collège d’Études Politiques et Université Paris Lumières) :

Musiques sans sons, sons sans musique : l’« esthétique de la résonance » à l’épreuve de l’art contemporain

15h – 15h30 : Baldine Saint-Girons (Université de Paris Nanterre et Institut Universitaire de France) :

L’instant du sublime et la submersion vibratoire

15h30 – 16h00 : Débat

16h00 – 16h15 : Pause

16h15 – 16h30 : Conclusion du colloque par les organisatrices

 

19h30 : Introduction au concert de clavecin par Sarah Nancy

20h00 : Concert de clavecin par Justin Taylor

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Présentation du programme et résumés des communications

Première séance. La résonance, entre corps et métaphore

Cette session interrogera le sens philosophique, musicologique et poétique de l’expression « cordes vibrantes ». On se penchera sur les phénomènes proprement physiques de la vibration comme tressaillement dans l’art ou comme effet produit par l’art : vibration des sons, résonance des cordes de l’instrument de musique (lyre, clavecin, orgue, harpe), vibration des nerfs et fibres du spectateur, tremblement de la main de l’artiste… Traditionnelle métaphore poétique, l’expression de « cordes vibrantes » ne permet-elle pas de concevoir l’émotion esthétique comme une vibration musicale ?

Herman Parret (Professeur émérite de l’Université de Leuven) : La vibration dans l’histoire de l’esthétique

Importance de l’isotopie musicale pour une détermination adéquate de la faculté humaine produisant l’expérience esthétique.

La vibration et ses parasynonymes (tressaillement, etc.).

Les philosophies de la vibration, essentiellement Kant, Herder et Diderot.

Les instruments musicaux et leurs cordes iconisant la production du sentiment du beau et du sublime dans l’âme.

La vibration dans le paragone des arts – les couleurs vibrantes en peinture, la vibration du marbre en sculpture.

Le corps vibrant – intérceptivité et extéroceptivité. 

Synesthésies à base de vibration; polysémies où la vibration, base haptique du sentiment de vie, fusionne avec la sensitivité multi-sensorielle.

Theodora Psychoyou (Sorbonne Université) : De l’harmonia mundi à la primitive énergie : matérialités physiques et enjeux esthétiques de la résonance dans la pensée musicale, du xviie au xviiie siècle

Cette intervention abordera la question des cordes vibrantes du point de vue du discours théorique et de son évolution, autrement dit de l’héritage du contexte quadrivial pour la musique, autour du principe de l’universalité des proportions (et des ses enjeux esthétiques) vers la matérialité, le mécanisme et le problème de la subjectivité de la perception (Mersenne-Descartes-Claude Perrault-Millet de Chales-Sauveur-Rameau). Tout au long du siècle qui sépare Mersenne de Rameau, de nombreux travaux dans le domaine des sciences, de la musique et de la philosophie ont cherché à préciser la nature physique du phénomène sonore dans tous ses aspects ; les cordes vibrantes sont le lieu privilégié de diverses approches expérimentales et empiriques. Un des principaux enjeux de ces travaux pour l’art musical est de chercher, dans le phénomène vibratoire, des éléments de nature à définir l’esthétique de l’écoute de façon objective, fondement nécessaire à tout discours normatif. Or, le processus de la perception comporte une part fondamentalement subjective, par delà un certain nombre de conventions. Il s’agit donc de gérer cette articulation entre objectivité (des principes scientifiques du son) et subjectivité (de la perception de celui-ci) dans la mise en place d’une nouvelle esthétique.

Raphaëlle Legrand (Sorbonne Université) : Cordes, corps et accords : polysémie du mot « corde » dans l’univers théorique de Jean-Philippe Rameau

Le mot corde peut désigner, dans la théorie musicale de l’époque de Rameau, aussi bien le boyau vibrant d’un instrument de musique que la longueur divisible du monocorde permettant de calculer les intervalles. Les cordes d’un mode sont encore l’équivalent de ce que les harmonistes nomment aujourd’hui les degrés d’une tonalité, sur lesquels construire des accords et à partir desquels moduler. Partant des expériences sur le monocorde, dans le Traité de l’harmonie (1722), se passionnant ensuite pour les expériences de physique sur la corde vibrante (Génération harmonique, 1737), Rameau élargit la notion de corde (le terme est quasi-absent du Code de musique pratique, 1760) à celle de corps sonore, source de tous les accords, et dont la corde frémissante qui produit la série des sons harmoniques reste le paradigme.

Henri Scepi (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) : Les avatars de la lyre dans la poésie du XIXe siècle : anatomie d’un corps décomposé

La communication se propose d’examiner quelques-unes des figurations de la lyre et de ses diverses incarnations dans le discours poétique au XIXe siècle (de Chateaubriand à Mallarmé). Plus spécifiquement, il s’agira de s’interroger sur le recours à la métaphore musicale employée comme un interprétant privilégié de la fonction poétique, et plus largement du paradigme poésie dans un climat de redéfinition programmatique et de réévaluation critique. C’est donc à la croisée d’une poétique continuée des formes et d’une anthropologie conjointe de la voix et de l’écoute que se situe l’objet de notre réflexion.

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Deuxième séance. Relations résonantes

La métaphore de la « corde vibrante » permettrait de caractériser la relation esthétique pour désigner à la fois l’emprise, l’intérêt qu’exerce une œuvre sur son spectateur, et l’incitation de celle-ci à infléchir le sens ou les sensations reçues vers une réception comme recréation libre de l’art. On s’interrogera sur les effets de l’art pensés en termes de résonance : empathie, sympathie, catharsis, immersion… De quelle manière se propage la résonance ? Quel type de collectif peut construire la résonance ? Dans quelle mesure les émotions ressenties peuvent-elles rejaillir sur l’œuvre elle-même comme principe de co-création ?

Vincent Jouve (Université de Reims) : « Ce qui résonne en moi » ou la vérité de la lecture

L’enjeu de cet exposé sera d’examiner ce qui se joue exactement dans le phénomène de résonance : qu’est-ce qui fait qu’un texte résonne en nous ? qu’en déduire sur ce qu’il nous apporte et sur la façon dont nous interagissons avec lui ? Pour répondre à ces questions, on se penchera, d’une part, sur les aspects réputés positifs de la résonance et, d’autre part, sur ce que le phénomène peut contenir de chausse-trappes et d’illusions. Pour finir, on tentera de penser dialectiquement les deux aspects de la résonance en montrant en quoi cette expérience est une composante fondamentale de la communication artistique et littéraire.

Claude Reichler (Professeur émérite de l’Université de Lausanne) : Réverbération et résonance dans la sculpture, ou quand l’artiste est à la fois il et tu

Je cherche à cheminer avec les artistes plutôt qu’à écrire sur eux. Allant jusqu’au bout de cette démarche, j’ai consacré le plus souvent mes textes à des artistes dont je suis proche par la géographie (les paysages), l’éthique, l’esthétique. En ébranlant la séparation entre subjectif et objectif, je mets en opposition plusieurs dimensions : la proximité et la globalisation, la sensibilité et l’analyse, l’identification et la distance. Ces choix répondent au désir de faire œuvre littéraire et non pas académique ; ils sont en accord avec la notion de résonance telle qu’elle est présentée dans la 3ème partie des axes du colloque.

Par sa matérialité et son emprise sur l’espace, la sculpture présente des formes particulières de résonances et de réverbérations. Je voudrais chercher à ressaisir mon expérience dans quelques textes écrits avec des sculpteurs. Je prendrai pour témoins des textes écrits par des écrivains (Michel Leiris, Jean Genet, Jacques Dupin) sur Alberto Giacometti, en tentant d’éclairer les effets différents – de résonance et de réverbération – qu’exerce l’œuvre sculptée sur l’écriture.

Hélène Merlin-Kajman (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3) : Vibrer à nouveau : trauma et littérature

À partir de notre expérience de lectrice et d’écrivain, nous confronterons la métaphorique musicale, ou du moins sonore, et la métaphorique visuelle pour voir s’il est possible de leur trouver un point d’articulation à partir duquel penser l’effet des textes littéraires, cela notamment pour interroger le rapport entre trauma et littérature.

Jean-Luc Nancy (Professeur émérite de l’Université de Strasbourg) : Résonances. Dialogue avec Sarah Nancy

« Dès qu’il se produit une résonance, il se passe aussi une certaine signifiance.

– Donc la résonance est condition du sens – mais faut-il distinguer des degrés de résonance ? Ou tout n’est-il pas déjà re-son ?

– Le sens, en tout cas, résonne car il n’est jamais “pour un seul” comme dit Bataille.

– Quel est cet autre ? Le mur qui renvoie le son, le sujet qui écoute ? »

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Troisième séance. D’un art à l’autre : la vibration des œuvres

La peinture, la littérature, la sculpture, la musique produisent-elles le même type de vibration émotive, et comment ces formes d’art sollicitent-elles les différents sens auxquels elles sont traditionnellement rattachées ? Il s’agira dans cette séance de décloisonner les rapports entre formes d’art et effets sensitifs particuliers : Peut-on goûter un poème ? Voir une musique ? Entendre un tableau ? Dans cette perspective, on s’interrogera également sur la synesthésie elle-même en tant que forme possible de résonance.

Stefania Caliandro (École supérieure d’art des Pyrénées – Pau Tarbes) : La vibration au tournant du XXe siècle et l’émergence de cette notion dans l’art

L’étude des écrits de Vassily Kandinsky et de Paul Klee nous incite à considérer l’apport des réflexions sur la musique, ainsi que l’influence de la pensée morphologique de Goethe. Intéressé à la science de son époque, Goethe avait contribué à la diffusion, en dehors du domaine physique, des expériences d’Ernst Chladni sur les figures acoustiques. Une relecture attentive de Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier permettra de définir dans quel sens Kandinsky théorise l’idée de vibration comme une notion esthétique et de saisir comment, selon lui, la dimension spirituelle (Seelenvibration ou vibration de l’âme) s’ancre directement dans le corps (Nervenvibration) pour atteindre un sentir interne ou intériorisé (innere Vibration) des sensations provenant de divers organes sensoriels. Les textes de Kandinsky à cette époque amènent à voir comment, dans son esthétique, la vibration se lie strictement à la sensation (Gefühl) et à l’expérience éprouvée (Gefühlserfahrungen). Ses réflexions sur les effets résultant de différents sens, qu’il s’agisse de poly-sensorialité ou de synesthésie, révèlent également la proximité assez étroite qu’il décèle entre vibration et résonance.

Arnaud Buchs (Université de Lausanne) : Voir la musique : Baudelaire, Verlaine et Mallarmé en synesthésies

La musique est une interlocutrice privilégiée de la poésie dès Baudelaire. Wagner joue notamment le rôle de modèle absolu avec lequel les poètes chercheront à rivaliser, et pour cela, ils vont notamment s’appuyer sur une figure de style particulière, la synesthésie. En me concentrant sur quelques exemples tirés de Baudelaire, Verlaine et Mallarmé, j’essaierai de montrer comment poésie et musique peuvent entrer en résonance et faire vibrer une nouvelle forme artistique.

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Quatrième séance. Vibrations créatrices : entre énergie et enthousiasme

Il s’agira ici de revisiter les théories de la création artistique, en interrogeant la traditionnelle théorie de l’inspiration poétique comme enthousiasme ou énergie sous l’angle de la résonance de l’œuvre. Quel est le rapport entre intention artistique et vibration créatrice ? Plus largement, la résonance est-elle la condition de la création ?

Jean-Michel Maulpoix (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) : Le cœur dans les cordes

Cors, cordis, dit le latin pour nommer le cœur… Cela n’a en apparence rien à avoir avec le mot « corde » (corda, en latin) et cependant la poésie n’a pas manqué, au moins depuis le romantisme, de rapprocher ces deux termes, ne fût-ce qu’en raison de leur proximité avec les motifs lyriques de l’accord ou de la concorde… J’observerai d’un peu plus près ces curieuses cordes du cœur et cette poétique de l’accord ou de la discorde dans les parages de Baudelaire et jusqu’où elle voudra bien me conduire…

Dominique Rabaté (Université Paris Diderot) : « Je suis gong ». Résonance du poème chez Henri Michaux

« je suis gong et ouate et chant neigeux ». Ce vers de Henri Michaux à la fin du poème « Gong » (Mes propriétés) indique un certain régime de la métaphore en régime de diction lyrique. Il offre, après la lyre, la cloche même fêlée, un nouvel instrument pour évoquer le pouvoir de résonance du poème, mais il montre aussi la multiplication des identités projectives ainsi produites, ainsi définies provisoirement. Je prendrai donc Michaux comme centre d’une réflexion sur les mécanismes de « dégel intérieur » et de « décristallisation » (deux mots essentiels d’un passage magnifique des Émanglons sur la contagion des émotions), sur l’ambivalence (entre paroi trop dure et écoulement liquide) de ce qui assure la médiation entre dedans et dehors.

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Cinquième séance. Pour un paradigme musical ?

Dans quelle mesure la relation esthétique est-elle redevable à l’ordre de l’écoute ? Le sublime peut-il s’entendre ? Qu’a apporté et que peut encore apporter le paradigme musical pour penser l’ensemble des productions artistiques, dès lors que sont envisagées la création, l’interprétation et la réception comme des vibrations et des recréations résonantes ?

Carla Zecher (The Renaissance Society of America) : Un amateur de luth à l’écoute du Levant : les cordes vibrantes dans les écrits de Pierre Belon du Mans

Dans le récit de voyage du naturaliste Pierre Belon du Mans (Les observations de plusieurs singularitez et choses memorables trouvées en […] pays estranges, 1553) nous trouvons les premières descriptions en langue française de certaines pratiques musicales levantines. Ainsi des expériences acoustiques éphémères devaient se concrétiser sur la page écrite, pour être réimaginées par le lecteur—dont l’oreille était à la fois d’époque et unique. Cette intervention interrogera les stratégies utilisées par Belon du Mans (homme de science mais aussi, apparemment, luthiste) pour communiquer des musiques « exotiques » aux lecteurs français. Dans quelle mesure, à la Renaissance, la tentative de rendre compte d’une résonance musicale à ceux qui ne l’avaient pas expérimentée supposait-elle une oreille esthétique ?

Veronica Stange Estay (Nouveau Collège d’Études Politiques, Université Paris Lumières) : Musiques sans sons, sons sans musique : l’« esthétique de la résonance » à l’épreuve de l’art contemporain

Il est bien connu que, du Romantisme au Symbolisme, la musique s’est érigée en modèle des autres arts, aussi bien du point de vue l’œuvre considérée comme un tout de signification que de la relation esthétique qu’elle implique. À partir d’une vision esthétisée du monde, Novalis explicitait cette poétique et cette herméneutique fondées sur les effets esthésiques des sons musicaux : « la Nature est une harpe éolienne, c’est un instrument musical, dont la voix fait vibrer en nous des cordes plus hautes… ; notre âme doit être air, parce qu’elle entend la musique et s’y plaît […] » Dans la création artistique, il s’agissait donc de reconnaître la prégnance du signifiant (poétique, pictural) et de recréer par des moyens divers l’ouverture sémantique et l’immédiateté de l’éprouvé sensible alors associés à la musique instrumentale et tonale. Si ce principe reste valable pour certaines créations de l’art abstrait, au cours du XXe siècle la mise en question du concept même de « musique » accompagne et complexifie l’interrogation concernant sa possible transversalité. C’est aux avatars de ce modèle, dès lors éclaté, que nous nous intéresserons. Dans l’art contemporain, l’approfondissement de la musicalité des différents arts est associé à un questionnement radical de la musicalité de la musique elle-même. La signification et l’expérience musicale transcendent alors la tonalité, l’atonalité, et même le sonore, en aboutissant à une inconcevable musique sans sons – comme dans la « musique conceptuelle » de Duchamp – ou à l’orchestration de sons sans musique au sens strict du terme – comme dans la « musique d’ameublement » de John Cage. Dans ce cadre, qu’en est-il des métaphores comme celle de la « résonance » ou de la « vibration » pour expliquer la création et la réception de l’œuvre artistique ? Doit-on conclure qu’elles appartiennent à une épistémè révolue, ou bien est-il possible de les repenser pour accueillir les esthétiques, voire les anti-esthétiques, propres à l’art contemporain ?

Baldine Saint-Girons (Université de Paris Nanterre, Institut universitaire de France) : L’instant du sublime et la submersion vibratoire

« C’était un de ces moments ineffables où l’on sent en soi quelque chose qui s’endort et quelque chose qui s’éveille », écrit Victor Hugo. L’instant du sublime est à la lisière entre deux mondes. Un mouvement se déclenche à des profondeurs obscures ; nous ne savons pas ce qui se passe et nous hésitons : faut-il n’en pas tenir compte pour mieux vaquer à nos occupations quotidiennes, ou bien suspendre tout, boire le monde, écouter ? Mais alors ne risquons-nous pas de nous laisser submerger par l’océan des couleurs et des sons qui menace doucement de nous emporter ? Que signifie le sentiment d’un nouvel enjeu, d’une nouvelle exigence qui surgit ? Même s’il existe un sublime sec et solaire, le sublime le plus haut est porté par un pathos intense, comme l’affirmait Longin. Il remue les fibres les plus sensibles de notre être. C’est bien notre existence, notre présence à autrui et au monde, qui est en cause. Couper les cordes de la lyre, ce serait s’effondrer dans le néant. Mais s’appliquer à les laisser vibrer détache d’une autre manière de soi.

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Présentation des participants

(par ordre alphabétique)

Arnaud Buchs enseigne la langue et la littérature françaises à l’Université de Lausanne. Spécialiste de théorie littéraire, de poésie et du rapport littérature – esthétique, il a publié plusieurs ouvrages sur Yves Bonnefoy, Diderot et Baudelaire. Il s’intéresse en particulier à « l’invention » du réel à l’époque de la Modernité.

Professeure de théorie de l’art à École supérieure d’art des Pyrénées, Stefania Caliandro a enseigné, coordonné des activités et mené ses recherches dans des universités européennes – Strasbourg, Aarhus, Louvain (KUL), Fribourg en Suisse – et extra-européennes – Canada, Mexique et Brésil. Elle a contribué à l’organisation de rencontres et d’expositions d’art contemporain (musées SMAK à Gand et Massey à Tarbes) et, en 2017, a été invité dans le centre Naturbilder de l’Université d’Hambourg avec une bourse de Fondation Gerda-Henkel.

Aurélie Foglia est maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. Elle s’est d’abord tournée, parmi d’autres travaux, vers le premier romantisme français (L’Harmonie selon Lamartine : utopie d’un lieu commun, Champion, 2005). Ses études récentes portent sur la poésie du XIXe au XXIe siècles. Elle est l’auteure d’un 128 consacré à l’Histoire littéraire du XIXe siècle (Armand Colin, 2014) ainsi que de plusieurs éditions critiques (de Lamartine, Les Méditations poétiques, Livre de Poche, 2006, et Raphaël, Gallimard, 2011, ainsi que Delphine de Mme de Staël, 2017). Elle est membre du conseil de rédaction de la revue Romantisme.

Lise Forment est maîtresse de conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (ALTER), où elle enseigne la littérature française du XVIIe siècle. Co-directrice du mouvement Transitions fondé par Hélène Merlin-Kajman (www.mouvement-transitions.fr), elle s’intéresse en particulier aux querelles littéraires et aux débats liés à la transmission des textes classiques. En plus de sa thèse de doctorat (L’invention du post-classicisme de Barthes à Racine. L’idée de littérature dans les querelles entre Anciens et Modernes, Sorbonne Nouvelle, 2015), plusieurs de ses travaux abordent cette problématique de la transhistoricité de la littérature, notamment deux publications récentes sur Esther et Athalie (dans Agrégation de Lettres 2018, dir. J.-M. Gouvard, Ellipses, 2017, et dans Autres regards sur Esther et Athalie, dir. Fr. Poulet et G. Peureux, Atlande, 2018), et un article dans lequel la transhistoricité est pensée en termes de résonance : « Barthes, Sans Corneille : les “résons” politiques d’un silence critique », dans Appropriations de Corneille, dir. M. Dufour-Maître (à paraître aux PURH).

Vincent Jouve est professeur de littérature française à l’Université de Reims. Chercheur en théorie de la littérature, il a publié de nombreux travaux dans les domaines de la poétique, de la narratologie et des théories de la lecture. Dans le cadre du CRIMEL (Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Modèles Esthétiques et Littéraires), équipe d’accueil de l'Université de Reims, il dirige l’axe de recherche sur la lecture littéraire.

Nathalie Kremer est maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. Spécialiste de la poétique et de l’esthétique du XVIIIe siècle, elle a publié Préliminaires à la théorie esthétique du XVIIIe siècle (Kimé, 2008), Vraisemblance et représentation au XVIIIe siècle (Honoré Champion, 2011), Le Roman véritable. Stratégies préfacielles au XVIIIe siècle (avec Jan Herman et Mladen Kozul, Voltaire Foundation, 2008), Diderot devant Kandinsky. Pour une lecture anachronique de la critique d’art (Passage d’encres, coll. « Trace(s) », 2013 – rééd. 2015) et Traverser la peinture. Diderot – Baudelaire (à paraître aux éditions Brill en septembre 2018).

Cécile Leblanc est maître de conférences à la Sorbonne-Nouvelle - Paris 3. Habilitée à diriger des recherches, elle est spécialiste des rapports de la musique et de la littérature à la fin du XIXe siècle (Wagnérisme et création, Champion, 2005, participation à l’Encyclopédie Wagner, Actes Sud, 2010 ; 1913-2013 : le wagnérisme dans tous ses états aux Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2016). Elle a publié Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Henri Mondor chez Gallimard en 2013, et se consacre depuis quelques années aux savoirs musicaux de Proust, à l’importance majeure de la critique musicale dans son œuvre, et plus généralement à la mise en mots de la musique dans La Recherche. Son Proust écrivain de la musique, l’allégresse du compositeur a paru en mai 2017 aux éditions Brepols.

Raphaëlle Legrand est professeure de musicologie à Sorbonne Université. Spécialiste de l’opéra et de l’opéra-comique en France au XVIIIe siècle, elle travaille notamment sur Jean-Philippe Rameau et sur l’activité des musiciennes à l’époque des Lumières. Elle a publié Regards sur l’opéra-comique, Trois siècles de vie théâtrale (CNRS Editions, 2002, en collaboration avec Nicole Wild) et Rameau et le pouvoir de l’harmonie (Cité de la Musique, 2007).

Écrivain et universitaire, Jean-Michel Maulpoix a concentré l’essentiel de ses travaux critiques à la poétique du lyrisme moderne et contemporain. Il a notamment publié « Du lyrisme » aux éditions José Corti.

Hélène Merlin-Kajman est professeure de littérature française (XVIIe siècle) à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 et écrivaine. Ses premiers travaux portent sur la notion de public au XVIIe siècle, qu’elle a étudiée dans toutes ses ramifications notamment à travers les querelles littéraires du XVIIe, dont la querelle du Cid (Public et littérature en France au XVIIe siècle, Belles Lettres, 1994 ; L’Absolutisme dans les Lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, Champion, 2000 ; L’Excentricité académique. Institution, littérature, société, Paris Les Belles Lettres, 2001). Elle s’intéresse en outre à la théorie de la littérature et de la culture, et aux problèmes contemporains d’éducation et d’enseignement. Elle a créé le mouvement et le site Transitions (www.mouvement-transitions.fr). Derniers ouvrages parus : La Langue est-elle fasciste. Langue, pouvoir, enseignement ? (Seuil, 2003) ; Lire dans la gueule du loup. Essai sur une zone à défendre, la littérature (Gallimard, 2016) ; L’Animal ensorcelé. Traumatismes, littérature, transitionnalité (Ithaque, 2016).

Professeur émérite de l’Université de Strasbourg – ancien professeur invité des universités de Berkeley, San Diego, Berlin, Palerme, et d’autres – Jean-Luc Nancy est l’auteur de nombreux livres traduits en plusieurs langues. Parmi les derniers livres parus : Sexistence (Galilée), Signaux sensibles avec Jérôme Lèbre (Bayard). À paraître : Exclu le Juif en nous (Galilée), L’Etreinte peintre avec Miquel Barcelo (Galilée).

Sarah Nancy est maîtresse de conférences en littérature française du XVIIe siècle à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Elle travaille sur la voix aux XVIIe et XVIIIe siècles – ses pratiques (éloquence, théâtre, chant…), ses effets, ses représentations, notamment ses représentations genrées, et s’appuie pour cela sur sa propre pratique du chant lyrique. Elle a publié La voix féminine et le plaisir de l’écoute aux XVIIe et XVIIIe siècles en France (Classiques Garnier, 2012). Récemment, elle a collaboré à l’Anthologie de l’écoute musicale de l’Antiquité au XIXe siècle (éd. Musica Ficta et Philharmonie de Paris, 2018) et a dirigé, avec Julia Gros de Gasquet, La Voix du public. Manifestations sonores des spectateurs et spectatrices en France aux XVIIe et XVIIIe siècles (Presses Universitaires de Rennes, 2018). Elle est membre du mouvement Transitions (mouvement-transitions.fr).

Herman Parret est professeur émérite de philosophie du langage et d’esthétique à l’Université de Leuven. Il a également enseigné aux Pays-Bas, en France, en Italie, dans les pays latino-américains et aux États-Unis. Auteur d’une quinzaine de monographies, ses écrits portent sur la pragmatique linguistique et philosophique, la sémiotique textuelle et visuelle, l’épistémologie de la linguistique, l’esthétique philosophique et la théorie de l’art. Parmi ses dernières publications (parues en 2018) : Une Sémiotique des traces. Trois leçons sur la mémoire et l’oubli (Lambert-Lucas), Structurer. Progrès sémiotiques en épistémologie et en esthétique (Academia) et La Main et la matière. Jalons exemplaires d’une haptologie de l’œuvre d’art (Hermann).

Théodora Psychoyou est maîtresse de conférences en musicologie à Sorbonne Université et membre de l’Institut de Recherche en Musicologie. Ses travaux portent sur le discours sur la musique aux xviie et début du xviiie siècle, sur l’économie des sources musicales et théoriques, et sur la musique religieuse au xviie siècle. Ses projets actuels concernent la réception de l’héritage antique dans la pensée musicale, la querelle des Anciens et de Modernes en musique et ses ramifications, enfin le rapport entre musique et science au xviie siècle.

Ancien élève de l’ENS, Dominique Rabaté est professeur de littérature française du XXe siècle à l’Université Paris Diderot. Membre senior de l’Institut Universitaire de France, il a écrit de nombreux livres : sur des Forêts, Quignard, NDiaye, sur le roman et le récit au vingtième siècle, ou le sujet lyrique. Derniers titres parus : chez Corti, Gestes lyriques en 2013, en 2015 Désirs de disparaître chez Tangence au Québec. À paraitre en 2018 chez Corti : La Passion de l'impossible. Une histoire du récit au XXe siècle.

Chercheur et écrivain, professeur émérite à l’université de Lausanne et professeur invité dans plusieurs pays, Claude Reichler s’est consacré d’abord à la critique littéraire dans le mouvement de dépassement du poststructuralisme. Il travaille maintenant, dans une perspective d’histoire de la culture, sur la théorie et l’histoire du paysage. Une orientation vers les images et un intérêt pour le travail des plasticiens contemporains sont présents depuis toujours dans son œuvre.

Baldine Saint Girons est philosophe et écrivain d’art. Sa thèse d’État, Fiat lux – Une philosophie du sublime, a reçu le prix international d’esthétique Morpurgo-Tagliabue. Elle a été commissaire de plusieurs expositions et est l’auteur des Monstres du sublime, du Sublime de l’antiquité à nos jours, des Marges de la nuit, ou encore de L’acte esthétique et du Pouvoir esthétique. On lui doit aussi des livres consacrés à des artistes déterminés, tels Eric Bourret, Christian Gardair, Maurice Maillard, Andoche Praudel ou Gérard Traquandi.

Henri Scepi est professeur de littérature française du 19e siècle à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 et directeur du Centre de Recherches sur les Poétiques du 19e (CRP19 EA 3423). Domaines de recherches : poésie de la seconde moitié du 19e siècle, en particulier Jules Laforgue ; genres et formes rhétoriques au 19e siècle ; approches des relations du texte et de l’image au 19e et au 20e siècle ; écritures narratives (du conte au roman) dans la seconde moitié du 19e. Derniers ouvrages publiés : Jean Cassou, Trente-trois sonnets composés au secret (dossier, notes et introduction), Gallimard, coll. Folioplus, 2016 ; Rimbaud/Verlaine : un concert d’enfers, en collaboration avec Yann Frémy et Solenn Dupas, Gallimard, coll. Quarto, 2017 ; Michel Strogoff et autres romans, en coll. Avec  J.L. Steinmetz, H.-H. Huet et J.-R. Dahan, Gallimard, La Pléiade, 2017.

Veronica Stange Estay est docteure en littérature française. Entre esthétique et sémiotique, ses travaux portent sur la transversalité des arts, autour du concept de « musicalité ». Elle est auteure des livres Sens et musicalité. Les voix secrètes du symbolisme (Classiques Garnier, 2014) et La musique hors d’elle-même. Le paradigme musical et l’art contemporain (Classiques Garnier, à paraître), ainsi que de plusieurs articles portant sur la migration des formes esthétiques du XIXe siècle à nos jours.

Clotilde Thouret est professeure de littérature comparée à l’Université de Lorraine (Nancy). Elle travaille sur le théâtre européen de la première modernité et sur ses échanges avec la société. Elle étudie notamment la représentation dramatique du sujet, la mise en scène des questions morales et politiques et les modalités de la réception. Ces dernières années, elle a co-dirigé avec François Lecercle un projet sur les controverses (« La haine du théâtre », Labex OBVIL) ; son livre sur les défenses du théâtre (Le Théâtre réinventé. La défense de la scène dans l’Europe de la première modernité) paraîtra aux PUR en 2018. Elle a publié Seul en scène. Le monologue dans le théâtre de la première modernité (Genève, Droz, 2010) et dirigé plusieurs collectifs, dont Corps et interprétation (XVIe-XVIIIe siècles) (Amsterdam-New York, Rodopi, 2012) avec Lise Wajeman, La Ruse en scène. Poétiques et politiques de la tromperie (XVIe-XVIIIe siècles), Comparatismes en Sorbonne, n° 3, 2012, avec Anne Duprat, et Le Dramaturge sur un plateau. Quand l’auteur dramatique devient personnage (XVIe-XXIe siècles) qui paraîtra en 2018 chez Classiques Garnier.

Carla Zecher est directrice exécutive de la Renaissance Society of America, une société savante avec 5000 membres à l’échelle mondiale. Elle est l’auteur de Sounding Objects: Musical Instruments, Poetry, and Art in Renaissance France (2007) et co-éditrice, avec Gordon Sayre et Shannon Dawdy, de Jean-François-Benjamin Dumont de Montigny, Regards sur le monde atlantique (2008) et The Memoir of Lieutenant Dumont, 1715-1747: A Sojourner in the French Atlantic (2012). Ses recherches actuelles portent sur les descriptions de la musique dans les récits de voyage des seizième et dix-septième siècles.