Édition
Nouvelle parution
Lamartine, Raphaël (éd. A. Loiseleur, Folio)

Lamartine, Raphaël (éd. A. Loiseleur, Folio)

Publié le par Marc Escola

Raphaël - Pages de la vingtième année
Alphonse de Lamartine

Aurélie Loiseleur (Annotateur)

Paru le : 06/06/2011
Editeur : Gallimard (Editions)
Collection : Folio Classique
ISBN : 978-2-07-039955-0
EAN : 9782070399550
Nb. de pages : 336 pages

Prix éditeur : 6,80€


Raphaël, second roman d'amour de Lamartine après Graziella (dont le succès ne se dément pas) garde des zones d'intensité et de mystère qui refont vibrer une grande voix du Romantisme.

Raphaël est le nom que Lamartine donne, un peu plus de trente ans après, à l'amant qu'il a été. Pour accroître la confusion entre vérité et fiction, Julie Charles, héroïne du « Lac » qui fut le plus célèbre poème du XIXe siècle français, garde son prénom. Tissu de mensonges, son récit ? Notre double chronologie, en annexe, se charge de mesurer la transposition des faits en fiction. Lamartine reste fidèle ici à la vérité la plus essentielle : que « Tout dise : ils ont aimé » (« Le Lac »).
D'avoir baigné dans sa matière lumineuse, d'avoir connu cette grâce douloureuse de la présence et de sa privation, le Lamartine vieillissant qui écrit là son Werther, en reste à jamais extasié. Le paysage lui-même devient habité. La Savoie aura toujours un visage, celui de Julie. Cela suffit à faire un monde, centré sur deux êtres qui vont puiser de l'épaisseur dans leur souffrance. Ce roman court est un poème copieux.

Le recueil des Méditations est là, latent. La poésie reste aussi en-dessous, hymne et chant funèbre. Le lac, par exemple, est omniprésent, cadre, spectacle mais aussi musique, espace clos, temps contenu, déroulement d'idylle ; pour les contemporains de Lamartine et pour nous, ce livre est un récit poétique. Rappel d'idylle, glose d'un poème, le roman autobiographique de Raphaël revient sur les lieux du « Lac » et remonte vers l'origine de la poésie lamartinienne : la genèse d'une âme, sa renaissance par l'amour, accompagnent la réinvention intime de la littérature.

Cette dernière ne s'élabore pas dans des considérations théoriques, mais dans le saisissement de la vie même. Grâce à cette édition critique, la seule dans le commerce, nous souhaitons redonner vie à ce roman, et aussi à son auteur, dont nous déplorons l'injuste effacement.

* * *

Dans Libération datée du 07/07/2011, on pouvait lire un article consacré à cette édition, ainsi qu'à celle du Voyage en Orient:


Lamartine, miroir d'Orient

Voyage endeuillé du romantique

Par PHILIPPE LANÇON

Dans l'Orient désert quel devint mon génie… En 1832, Alphonse de Lamartine, 42 ans, affrète à Marseille un bateau pour s'y rendre. Il a perdu aux élections, sa fille unique Julia est très malade, elle a 10 ans, il se sent au bout du rouleau. L'Orient, c'est alors le Grand Voyage de l'âme et du corps, un retour aux sources de l'humanité et, fantasmatiquement, aux siennes propres : Alphonse aime croire qu'il a des ancêtres nommés «Allamartine».

Son livre, publié en 1835, est une auberge espagnole, descriptions de paysages et de rencontres où apparaissent des poèmes, des méditations, des analyses politiques sur la colonisation souhaitable, la Grèce qu'il n'aime pas, la Palestine et le Liban qui l'attirent, la Serbie (nommée Servie) qu'il admire : «Le Servien rappelle le Suisse des petits cantons, où les moeurs pures et patriarcales sont en harmonie parfaites sur la figure du pasteur, avec la liberté qui fait l'homme, et le courage calme qui fait le héros […] L'histoire de ce peuple devrait se chanter et non s'écrire.»

Gaze. Le livre aura de mauvaises critiques, un grand succès. Il l'écrit vite et l'introduit en disant : «Les notes que j'ai consenti à donner ici au lecteur, […] je les livre à regret ; elles ne sont bonnes à rien qu'à mes souvenirs ; elles n'étaient destinées qu'à moi seul. Il n'y a là ni science, ni histoire, ni géographie, ni moeurs.» Il y a la coulée tiède d'un regard sur un monde, une gaze brusquement déchirée et recousue, comme un patchwork, par le drame central qui détermine l'aventure : la mort de Julia, à Beyrouth, le 7 décembre 1832, dans les bras de son père.

Le bateau du départ ramènera seul en France, Lamartine et sa femme rentrant quelques mois plus tard, le petit corps embaumé. Il s'appelle l'Alceste. A son bord, l'écrivain avait mis en partant sa vie, dont 500 livres. Le voyage a duré un peu plus d'un an. La mort de Julia l'a raccourci : il renonce à visiter l'Egypte. L'expédition lui a coûté 100 000 francs, une somme énorme. C'est un prince romantique qui voyage, c'est un homme en deuil et ruiné qui rentre. Il écrit ce Voyage, en même temps que Jocelyn, pour oublier son chagrin et pour se désendetter.

«Images». C'est le deuxième des quatre grands itinéraires littéraires en Orient du XIXe siècle. Le premier est, comme toujours, celui de Chateaubriand, le grand ouvreur des territoires géographiques, mythologiques, sensibles. Il l'a effectué en 1806-1807, ça lui a coûté 50 000 francs. Le livre, Itinéraire de Paris à Jérusalem, date de 1811. Chateaubriand aussi prétendait ne rien publier : «Je n'ai point fait de voyage pour écrire […]. J'allais chercher des images, voilà tout.» Le troisième voyage, nettement moins princier, est celui de Nerval en 1843. Il publie une série d'articles, sous un nom ou un autre, et reconstitue le tout, comme on rêve, pour le publier en 1851. Comme toujours chez Nerval, le naturel des digressions passe par une refondation de la chronologie. Il commence où finit Lamartine : «Mais débarrassons-nous de ce bagage de souvenirs antiques et de rêveries religieuses où conduisent si invinciblement l'aspect des lieux et le mélange de ces populations.»

Le dernier voyage est celui que Flaubert le décapant effectue, de 1849 à 1851, avec son ami Maxime du Camp. Là encore, pas de livre prévu au départ, mais, cette fois, pas de livre non plus à l'arrivée : des carnets, aujourd'hui connus sous le titre de Voyage en Orient.

Fermeté. La publication du livre de Lamartine, introuvable, dans la même collection «Folio classique» que les trois autres, manquait à ce quatuor où, d'Athènes au Caire en passant par Damas, Beyrouth et Jérusalem, se lisent les grandes étapes de la sensibilité du siècle : puissance de vision chez Chateaubriand, humour et naturel d'une réalité mise au rêve chez Nerval, fermeté ironique et physique du regard de Flaubert qui écrit : «J'aime par-dessus tout la phrase nerveuse, substantielle, claire, au muscle saillant, à la peau bistrée : j'aime les phrases mâles et non les phrases femelles comme celles de Lamartine.» Il le traite d'«avaleur de clair de lune», et non de sabres, «aussi incapable de saisir l'action par les cornes que les sentiments par la plastique».

La phrase de Lamartine ne mord ni les lieux ni les hommes. Elle les coule et les égalise dans une atmosphère aquatique, sans obstacle, où le vague du trait extérieur est caressé, comme un lévrier (il en avait et leur parlait), par la mélodie intérieure. Sa voix est celle de son premier amour, Julie, décrite en 1849 dans son roman autobiographique, Raphaël  : une «vibration un peu fébrile, languissante, douce et cependant prodigieusement sonore». Son Orient est un miroir liquide, intime et prophétique. Il voyage dans le paysage, dans les ruines, selon les principes de Raphaël : «Il y a des sites, des climats, des saisons, des heures, des circonstances extérieures tellement en harmonie avec certaines impressions du coeur, que la nature semble faire partie de l'âme et l'âme, de la nature, et que si vous séparez la scène du drame et le drame de la scène, la scène se décolore et le sentiment s'évanouit.»

Le drame, comme on l'a vu, est la mort de Julia. Elle est à peine racontée, mais infuse tout le texte. Un passage saisissant est l'arrivée à Saint-Jean-d'Acre, dans le chapitre intitulé «Gethsemani ou la mort de Julia».

«Chacals». Un long poème biblique et intime l'introduit, puis Lamartine décrit les lieux ravagés par la guerre et le typhus : «Nous commencions à apercevoir des ossements d'hommes, de chevaux, de chameaux, roulés sur la grève et blanchissant au soleil, lavés par l'écume des vagues. A chaque pas, ces débris amoncelés se multipliaient à nos yeux. Bientôt toute la lisière, entre la terre et les falaises, en parut couverte, et le bruit des pas de nos chevaux faisait partir à tout moment des bandes de chiens sauvages, de hideux chacals, et d'oiseaux de proie, occupés depuis deux mois à ronger les reste d'un horrible festin que le canon d'Ibrahim et d'Abdallahleur avait fait.» Excès d'adjectifs, certes ; banalité d'expression, sans doute ; mais quel rythme, quelle musique. Il ne les a jamais perdus. Ecoutez, dans Raphaël, la première vision que le narrateur a de Julie : «Elle se croyait seule. Je pus la contempler sans être vu. Il n'y avait entre elle et moi que la distance d'une vingtaine de pas et le rideau d'une treille dégarnie de pampres par les premiers froids.» Cette mince treille guettée par l'hiver qui sépare l'écrivain du monde, c'est son timbre.