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La Grande Guerre des gens ordinaires, correspondances, récits, témoignages (Montpellier)

La Grande Guerre des gens ordinaires, correspondances, récits, témoignages (Montpellier)

Publié le par Romain Bionda (Source : Chantal Wionet)

La Grande Guerre des gens ordinaires, correspondances, récits, témoignages

Université Montpellier 3, site Saint Charles — 14-16 juin 2018

Le Centenaire de la Grande Guerre a suscité de vastes collectes d’archives. La plateforme Europeana 14-18 compte à présent près d’un million de ressources numérisées ; prévue pour durer quelques semaines, la Grande collecte a rencontré un tel succès qu’elle se poursuit encore, quatre ans après son lancement en novembre 2013. Des initiatives plus spécialisées ont rassemblé les correspondances des familles peu lettrées (projet Corpus 14, labellisé Mission Centenaire), ou encore les testaments de soldats (projet Testaments de guerre des Poilus parisiens : 1914-1918). En 2018, la Révolution numérique met à disposition des chercheurs et du grand public un trésor d’archives jusqu’ici inaccessibles (projet Cendari, Feldpost, Letters from the First World War 1916-1918, par exemple).

On peut dès lors faire l’hypothèse que le Centenaire marque un tournant qui ne tient pas seulement à la symbolique des dates. Les archives inédites qui ont été découvertes débordent désormais le patrimoine privé, familial : elles deviennent un bien commun (Roynette, Siouffi, Steuckardt, 2017) ; et leur publicisation revêt un caractère de nouveauté singulier lorsqu’elles émanent de ces « gens ordinaires », mis en lumière à partir des années soixante par la vogue des récits de vie comme par les recherches anthropologiques et sociologiques (Bourdieu, 1993), linguistiques ou littéraires. Parfois nommés « les anonymes », « les sans-grade » (Descamps, 2005) – voire les « sans » tout court (Guilhaumou, 1998) –, ces « gens ordinaires » sont d’abord catégorisés par ce qu’ils ne sont pas : l’élite ; à défaut d’être définis, ils ont bénéficié de l’attention des historiens (par exemple, Caffarena, 2005 ; Cazals, 2003, 2013, Rousseau, 2011), des sociolinguistes et analystes de discours (Branca-Rosoff, 1994 ; Martineau, 2012 ; Rutten, Van der Wal, 2014 ; Steuckardt, 2015), ou encore des écrivains, qui, comme Pierre Michon avec ses Vies minuscules, Annie Ernaux ou Jean Echenoz - pour la seule littérature française contemporaine - en ont esquissé, après Barbusse, Céline ou Giono, la représentation littéraire.

Que nous apprennent alors les écrits, désormais aisément accessibles, des gens ordinaires de la Grande Guerre ? Quelles sont leurs spécificités, dans leur appropriation de la langue et des genres discursifs, mais aussi dans le témoignage qu’ils donnent de l’événement ? En quoi diffèrent-ils de ceux des élites lettrées (Allorant & Résal, 2014) ? En quoi leur ressemblent-ils (Vidal Naquet, 2014) ? Modifient-ils aujourd’hui notre perception de l’événement ? Comment contribuent-ils à construire, pour les nouvelles générations, la mémoire de la Grande Guerre ? Dans quelle mesure dessinent-ils une autre histoire de la langue française ?

Écritures du « quotidien » (de Certeau, 1980), du « for privé » (projet Les écrits du for privé, de la fin du Moyen Âge à 1914, et Bardet, Ruggiu, 2014), de l’intime (projets First Person Writings in European Context ; Letters as Loot), de la subjectivité, des émotions, constructions et reconstructions langagières du souvenir, de la mémoire, des histoires et de l’Histoire : autant de pistes pour entrer dans ces textes, et interroger cette qualité d’« ordinaire » dont les guillemets signalent l’approximation. « Le monde de la vie quotidienne s’offre […] à la fois comme un ordre centré (« normal »), où l’attendu domine, et comme un système à la marge, où il y a toujours place pour de l’inattendu : c’est-à-dire que tradition et innovation y sont en confrontation permanente. De ce point de vue, le quotidien, ce n’est pas exactement la même chose que l’ordinaire, c’est-à-dire un ensemble systématique de pratiques soumises à des régularités figées : le quotidien est en effet exposé en permanence au risque de l’irrégularité, qui, sans transition, le fait basculer dans l’extraordinaire » (Macherey, 2005) :  dans quelle mesure la pratique quotidienne de l’écrit pendant la première guerre mondiale nous donne t elle à voir les puissances de l’irrégularité ou le basculement dans l’extraordinaire ? 

Écritures du passé, ces archives composent un instantané, source d’informations pour la didactique de l’écrit et l’histoire de son enseignement (Prost, 1968 ; Bishop 2006 ; Chervel 1992, 2006 ; David, 2011 ; Doquet 2012 ; Garcia Debanc, 2016 ; Plane, 2016) : quelles sont leurs caractéristiques linguistiques et scripturales ? Que disent-elles de l’enseignement de l’écriture et des usages particuliers de l’écrit en temps de guerre (Fraenkel, Mbodj, 2010) ? 

Ces écrits rendent compte de la Grande Guerre, par le biais, non pas de l’histoire hors du commun des héros, mais de l’histoire du commun des hommes et des femmes. À côté des documents historiques et des récits de fiction travaillés dans les classes, en français comme en histoire (Masseron 1991 ; Reuter, 2007 ; Jaubert et alii, 2014), comment sont ou pourraient être exploités ces écrits d’archives, à l’école, au collège ou au lycée ? En quoi l’étude de ces écritures épistolaire, diaristique, autobiographique peut-elle enrichir le regard des élèves sur les questions de genres, d’énonciation, de structuration textuelle, de lexique ou de supports de l’écriture ? En quoi ces écrits des gens ordinaires de la Grande Guerre suscitent-ils chez les élèves une appréhension spécifique de l’écriture, de la langue et du passé ? Selon quelles transversalités et pour quelles finalités ?

Ce colloque prend pour objet d’étude les carnets de guerre, journaux intimes, correspondances, testaments etc., laissés par les femmes, les hommes, les enfants « ordinaires » pris dans la tourmente de la guerre, mais aussi les mémoires et récits laissés, au-delà de 1918, par ou sur eux, témoignant a posteriori de la vie d’après, décrivant l’expérience quotidienne, le parcours du deuil, la reconstruction. Il s’interroge aussi sur les traces laissées par ces archives dans les récits collectifs.

Partant d’un matériau langagier, il s’adresse à tous les analystes du texte – linguistes, littéraires, historiens –, aux spécialistes des archives et des humanités numériques, relais essentiels pour la transmission contemporaine de ces documents, et, conjointement, aux didacticiens, qui prennent appui sur ces nouveaux vecteurs de transmission pour faire mémoire de la Grande Guerre.

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