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...la double articulation, on en crève !Repenser le signifiant

...la double articulation, on en crève !Repenser le signifiant

Publié le par Université de Lausanne (Source : Federico Bravo)


...la double articulation, on en crève !
Repenser le signifiant

Contact : Federico.Bravo@u-bordeaux-montaigne.fr

Les dictionnaires des sciences du langage n’en démordent pas : le morphème est la plus petite unité signifiante de la chaîne parlée. Au-delà de la vérité qu’elles dénoncent ou qu’elles occultent, on doit à certaines formalisations d’être fondatrices par les perspectives de discussion qu’elles ouvrent et par les questionnements et les nuancements qu’elles suscitent. Dans la quête des constituants ultimes – moléculaires – du langage, l’hypothèse de la double articulation se veut une réponse économique et rassurante à la question de la compositionnalité du signe. Platon en fait la découverte à ses dépens lorsque, acculé à l’aporie qui le conduit à sans cesse rapporter les mots à d’autres mots, il postule, pour faire face au prévisible tarissement de la dérivation sémiotique, de descendre d’un cran dans l’analyse vers les unités minimales de la chaîne, à savoir les syllabes et, au-delà, les consonnes et les voyelles : γράμματα καὶ συλλαβαί. Saussure lui-même la revendique à sa manière lorsque, pour illustrer la motivation relative du signe, il recourt à l’exemple du mot poirier qui, dit-il, « rappelle le mot simple poire et dont le suffixe -ier fait penser à cerisier, pommier ». Seulement voilà, en recherchant, pour les opposer à ces exemples, d’autres noms d’arbre inanalysables qui, eux, seraient complètement immotivés et qui ne feraient penser à aucun autre mot, Saussure se prend les pieds dans les rets de l’analogie et convoque le plus déroutant des contrexemples : « pour frêne, chêne, etc., rien de semblable » affirme-t-il, faisant preuve d’une déconcertante surdité à l’égard du signifiant. Car il y a tout à parier que le martien fraîchement arrivé sur notre planète à qui Chomsky fait dire que tous les terriens parlent la même langue ne comprendrait pas pourquoi le découpage de ceris-ier, pomm-ier est plus licite que celui que donne à voir la mise en facteur de fr-êne, ch-êne. C’est encore Ferdinand de Saussure qui, dans un tout autre registre, fait voler le mot en éclats et, avec lui, les deux postulats programmatiques énoncés dans son Cours – l’arbitraire du signe et sa linéarité –, en mettant au jour des structures subliminales ensevelies dans les vers saturniens, issues de la dissémination syllabique de signifiants onomastiques que le lecteur est invité à recolliger en une seule impression : avant d’être une autre façon de faire parler le texte, l’hypothèse de l’anagramme se lit comme une autre façon d’appréhender le mot, une autre façon d’entrer dans une pensée. Cette pensée – chaque civilisation élabore la sienne – est une concevabilité du monde, où se loge l’intraduisible des langues. La confrontation avec des modèles structurellement éloignés du nôtre est un exercice salutaire qui, obviant à l’ethnocentrisme, nous rappelle avant tout combien notre appréhension du langage est sous la dépendance de la langue à travers laquelle nous le décrivons. Tel est le constat dressé par Lacan lorsque, à propos du mot en chinois, il satirise : « Alors la double articulation, elle est marrante, là. C’est drôle qu’on ne se souvienne pas qu’il y a une langue comme ça [...] Je veux bien que tout ce que je dis soit une connerie, mais qu’on m’explique ! ». Qu’on s’éloigne des modèles issus des langues vocales et les interrogations affleureront : que nous dit la langue des signes de la double articulation du langage ? quelles en sont les unités constitutives ? comment le signe y est-il pensé ? Au-delà de la comparaison entre systèmes radicalement différents et au-delà de la controverse qui conduira Lacan à proclamer : « ...la double articulation, on en crève ! », la psychanalyse sait depuis longtemps ce que la linguistique a longtemps ignoré. Sans se soucier le moins du monde de la « grammaticalité » de ses analyses, le psychanalyste traque le sens jusque dans les interstices de la parole, à la jointure des mots, à l’intérieur ou à la lisière des morphèmes. Comme l’écoute poétique avec laquelle elle est souvent mise en parallèle, l’écoute en égal suspens du psychanalyste fait œuvre de déliaison dans l’ordre de la parole, brisant la chaîne sémiotique en blocs de signification qui s’aimantent, se repoussent, se diffractent et font advenir à la conscience des contenus symboliques cryptés. Quant au discours poétique, la rime comme la simple allitération ne sont, sur le plan procédural, que des re-segmentations mettant en lumière la capacité du langage à éditer de nouveaux formants justiciables d’une sémiologie. Le langage devient alors, selon la formule consacrée, un gigantesque jeu de mots aux multiples articulations (qu’André Martinet n’en dénombre que deux importe peu) où, à tous les étages de l’édifice sémiotique et à la croisée du syntagmatique et du paradigmatique, chaque coupure fournit support à de nouvelles segmentations. Plus généralement, le texte se construit comme une suite de variants et d’invariants combinatoires, au nombre desquels certains agglomérats sémiotiques où le discours s’intersecte lui-même donnent à voir, à travers son maillage réticulaire, le travail de textualisation. Une autre frontérisation de la chaîne discursive s’avère alors possible dont l’analyse textométrique pourrait, par la mise en œuvre d’algorithmes de factorisation spécifiques, explorer la viabilité. Des paradigmes expérimentaux, comme les phénomènes d’amorçage décrits en psychologie cognitive, livrent à leur tour de précieux renseignements sur l’organisation du lexique mental et sur ses bases neuronales : l’observation des mécanismes d’accès au lexique (que la récupération du lemme soit réussie ou dysfonctionnelle comme c’est le cas des mots dits « sur le bout de la langue ») ou, dans un domaine connexe, celle des processus d’acquisition de la lecture (le débat autour des méthodes d’apprentissage – globale, syllabique – participe de cette même problématique) mettent en cause et souvent à mal l’alternative rigide responsable du désert sémiotique réputé séparer le morphème du phonème. À l’intersection des deux, l’hypothèse du submorphème promue par la linguistique du signifiant représente l’une des dernières tentatives de modéliser le signe en dépassant ce clivage structural.

Penser / repenser la segmentation de la chaîne signifiante, telle est la problématique que ce colloque entend soumettre au questionnement scientifique en mettant la double articulation du langage à l’épreuve de disciplines aussi diverses que la linguistique, la sémiotique, la poétique, la psychanalyse, la textométrie, la  didactique, les neurosciences, la cognition, la philosophie ou encore les sciences de la communication.


Jeudi 31 mars (matin)

9h00  Accueil des participants et ouverture du colloque

9h30-10h15  Conférence inaugurale. 

 Louis-Jean CALVET (Université d’Aix-Marseille), L’interprétation du signifiant, Du roman policier à la police de la langue.

10h15 Débat et pause

Président de séance : Louis-Jean CALVET

10h45-11h15  Laurent DANON-BOILEAU (Université René Descartes Paris-V, Société Psychanalytique de Paris), La parole en séance : une double désarticulation ?

11h15-11h45  Federico BRAVO (Université Bordeaux Montaigne), Entendre / Faire entendre le signifiant.

11h45 Débat

Jeudi 31 mars (après-midi)

Président de Séance : John JOSEPH

14h30-15h00  Guy CORNILLAC (Université Savoie Mont Blanc), Le signifiant : pour comprendre ce qui ne se voit pas

15h00-15h30  Jean-Michel ADAM (Université de Lausanne), Place des liages du signifiant dans une théorie des opérations de textualisation.

15h30 Débat et pause

Président de Séance : Philippe WILLEMART

16h00-16h30  Alain RABATEL (Université Claude-Bernard Lyon 1), La double articulation au défi du texte.

16h30-17h00  Maria Caterina MANES GALLO (Université Bordeaux Montaigne), La gestuelle des mains dans l’interaction verbale finalisée : le sens qui échappe au verbe.

17h00-17h30  Mariella CAUSA (Université Bordeaux Montaigne), Langue(s) et discours dans l’enseignement/apprentissage des/en langues : double articulation ou double tension ?

18h00 Débat 

Vendredi 1er avril (matin)

Président de Séance : Guy CORNILLAC

9h00-9h30  Philippe WILLEMART (Universidade de São Paulo), Repenser le signifiant avec le Saussure de 1891.

9h30-10h00  Michel BERNARD (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3), Statistiques textuelles : que compte-t-on, au juste ?

10h00 Débat et pause

Président de Séance : Jean-Michel ADAM

10h30-11h00  John E. JOSEPH (University of Edinburgh), Le dernier signifiant de Ferdinand de Saussure.

11h00-11h30  Marko PAJEVIC (Tartu Ülikool), Penser la signifiance : pour une pensée poétique.

11h30-12h00  Claudia MEJÍA QUIJANO (Universidad de Antioquia), L'œuvre linguistique de Ferdinand de Saussure : à la recherche de l'unité de parole.

12h00 Débat et clôture


COMITÉ SCIENTIFIQUE :

Marc ANGENOT, Professeur, Chaire James McgGill d’Étude du Discours Social, Chaire Perelman de Philosophie du Droit, de Rhétorique et d’Histoire des Idées, ULB, McGill University, Montréal (Canada). Marc ARABYAN, Directeur éditorial des Éditions Lambert-Lucas, Professeur honoraire de linguistique, Université de Limoges. Didier BOTTINEAU, Chargé de recherches CNRS Section 34 – Sciences du langage – Laboratoire ICAR École Normale Supérieure de Lyon. Federico BRAVO, Professeur de linguistique & sémiotique, Directeur du Groupe de Recherche Interdisciplinaire d’Analyse Littérale, Université Bordeaux Montaigne. Daniele GAMBARARA, Professeur de Philosophie du Langage, Président du Cercle F. de Saussure (Genève), Directeur des Cahiers Ferdinand de Saussure, Universitá della Calabria (Italie). Véronique MAGRI-MOURGUES, Professeur de Langue et stylistique françaises, Université Nice Sophia Antipolis. Claude MULLER, Professeur émérite de linguistique (spécialité : syntaxe et sémantique), Université Bordeaux Montaigne. Pierre-Yves OUDEYER, Directeur de recherche – robotique, intelligence artificielle – Institut Français de Recherche en Informatique et Automatisation/IFRIA, Paris.