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L’œil et le théâtre : la question du regard au tournant du XIX-XXe siècle sur les scènes européennes (approches croisées études théâtrales/ études visuelles)

L’œil et le théâtre : la question du regard au tournant du XIX-XXe siècle sur les scènes européennes (approches croisées études théâtrales/ études visuelles)

Publié le par Cécilia Galindo (Source : Mireille Losco-Lena)

Colloque organisé par Florence Baillet (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, CEREG), Mireille Losco-Lena (Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, Passages XX-XXI) et Arnaud Rykner (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, IRET), en partenariat avec la Région Ile-de-France, la Maison Heinrich Heine et le Théâtre de l’Odéon.

Traduction en simultané français-allemand et allemand-français

 

L’art théâtral au tournant du xix-xxe siècle se caractérise par une « poussée du regard[1] » : une profusion de visualités se déploie sur les scènes, avec un goût prononcé pour les effets spectaculaires, dans les pièces représentées comme dans les spectacles, lesquels relèvent par ailleurs d’une grande variété de formes (revues, opérettes, fééries, pantomimes, cirque, etc.…[2]). Ce phénomène peut s’observer à l’échelle européenne, dans les capitales telles Paris, Londres, Berlin, Vienne, etc.[3], qui se caractérisent en effet par une effervescence du « voir », au sein des théâtres tout comme dans l’environnement de ces derniers, si l’on songe, entre autres exemples, aux vitrines des grands magasins se développant à ce moment-là, aux journaux illustrés ou encore aux Expositions universelles. L’année 1895, qui consacra l’avènement à la fois de l’image-mouvement, avec l’invention du cinéma des frères Lumière, et celui de l’imagerie médicale, grâce à la découverte des rayons X par Röntgen[4], paraît à cet égard emblématique de telles évolutions, même si ces dernières affleurent dès le début du XIXe siècle.

 

Nous ne pouvons pas faire le tour de la question en relevant simplement, ainsi que nous venons de l’esquisser, les différentes facettes d’une accentuation croissante de la dimension visuelle sur les scènes européennes. Dans le cadre de ce colloque, nous nous proposons de déplacer la perspective : nous souhaitons en effet considérer que la « poussée du regard » qui affecte le théâtre au XIXe siècle et dont le tournant du XIX-XXe siècle constitue un climax, se manifeste non seulement par l’hypertrophie du visuel, par un changement quantitatif relatif au nombre des images et au développement du spectaculaire, mais aussi par des mutations qualitatives et l’émergence d’autres façons de regarder. Autrement dit, « non seulement les gens voient plus qu’avant, mais ils voient également d’une autre manière ou bien l’on voit leur vision d’une autre manière[5] ». Il s’agira par conséquent de se demander dans quelle mesure de nouvelles modalités du regard émergent dont l’art théâtral, dans ce qu’il donne à voir ou non sur la scène, dans la manière dont il noue le dicible et le visible, en relation avec le spectateur, constitue un lieu privilégié à la fois de développement, d’observation, de mise en abyme et de questionnement. Le théâtre, notamment avec l’avènement de la mise en scène au cours du XIXe siècle, serait alors à relier à une histoire culturelle de la perception. Un fil pourrait d’ailleurs être tiré du XIXe siècle jusqu’au théâtre immédiatement contemporain : dans quelle mesure les pratiques scéniques d’aujourd’hui, qui se montrent souvent hantées par la dimension visuelle, démultipliant les images sur la scène et interrogeant le regard du spectateur (y compris par le biais de dispositifs immersifs), se font-elles les héritières de cette « poussée du regard » survenue il y a maintenant plus d’un siècle ?

 

Les études visuelles, qui se sont développées notamment depuis la fin du XXe siècle (avec la proclamation conjointe de l’historien de l’art allemand Gottfried Boehm et de son homologue américain William J.T. Mitchell, en 1994, d’un « tournant iconique » dans le champ de la recherche[6]), se sont déjà penchées sur le regard dans ses différentes dimensions, offrant des pistes et des matériaux qui méritent d’être croisés avec les approches des études théâtrales. On peut mentionner, entre autres ouvrages désormais « classiques », L’Art de l’observateur – Vision et modernité au xixe siècle de Jonathan Crary, qui montre comment, au cours du xixe siècle, la vision change de paradigme et n’est plus conçue à la manière d’un « système optique neutre se contentant de transmettre des impressions » mais s’ancre désormais dans la subjectivité physique de l’observateur, nécessitant la prise en compte de sa « densité charnelle »[7] ; ou encore les travaux de Georges Didi-Huberman (par exemple son livre Ce que nous voyons, ce qui nous regarde[8]), qui propose, de manière différente, dans une perspective plus phénoménologique, de reconsidérer l’histoire de l’art en insistant sur la part du corps et du tactile dans le regard, ce dont ont pu déjà s’emparer des chercheurs en études théâtrales[9]. Dans le cadre de notre colloque, nous souhaitons par conséquent faire fructifier les échanges entre études théâtrales et études visuelles, voire essayer d’adopter de surcroît (autant que possible) une posture réflexive, afin d’interroger davantage, sur le plan théorique, leurs apports et leurs positionnements respectifs.

 

[1] Philippe Hamon, Imageries – Littérature et image au XIXème siècle, Paris, José Corti, 2001, p. 7.

[2] Cf. Isabelle Moindrot (dir.), Le Spectaculaire dans les arts de la scène. Du Romantisme à la Belle Epoque, Paris, CNRS, 2006.

[3] Christophe Charle, Théâtres en capitales – Naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne, Paris, Albin Michel, 2008.

[4] Monique Sicard, L’Année 1895 – L’image écartelée entre voir et savoir, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 1994.

[5] Wolfgang Kemp, « Sehsucht : Die Engführung », in : Uta Brandes (dir.), Sehsucht. Über die Veränderung der visuellen Wahrnehmung, Göttingen, Seidl, 1995, p. 54.

[6] Gottfried Boehm, Was ist ein Bild ?, Munich, Fink, 1994 ; William J.T. Mitchell, Picture Theory: Essays on Verbal and Visual Representation, Chicago, University of Chicago Press, 1994.

[7] Jonathan Crary, L’art de l’observateur – Vision et modernité au 19ème siècle, traduit de l’anglais par Frédéric Maurin, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1994, pp. 107-112.

[8] Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Minuit, 1992.

[9] On songe en particulier aux travaux d’Arnaud Rykner ou encore à ceux de Kati Röttger et Alexander Jackob.

 

Programme

 

Le jeudi 9 avril à la Maison Heinrich Heine

Cité universitaire internationale, 27C Boulevard Jourdan, 75014 Paris.

 

9H : Accueil par la directrice de la Maison Heinrich Heine et par les directeurs des équipes de recherche (CEREG, IRET, Passages XX-XXI)

9H15 : Introduction : Le theatron à l’heure des études visuelles (Florence Baillet, Mireille Losco, Arnaud Rykner).

Session 1, présidée par Jean-Louis Besson (Université Paris Ouest Nanterre, Etudes théâtrales) : La poussée du regard. Enjeux historiques et théoriques.

9H30-10H : Kati Röttger (Université d’Amsterdam / Pays-Bas, Etudes théâtrales) : « Zur Patho(s)genese des Blicks im Melodrama des 19. Jahrhunderts. »

10H-10H30 : Olivier Bara (Université de Lyon, Etudes littéraires) : « Spectacles oculaires et plaisir des yeux : les nouvelles émotions visuelles du spectateur dans le premier XIXe siècle. »

10H30-11H : Discussion.

11H-11H30 : Pause.

11H30-12H : Ulrike Haß (Université de Bochum / Allemagne, Etudes théâtrales): « Auszug aus dem Panoptikum – Entfaltung der Opsis und Krise der Sichtbarkeit. »

12H-12H30 : Stéphane Tralongo (Université de Lausanne / Suisse, Etudes cinématographiques) : « Promenades monnayées, spectacles éclatés. Configurations du regard dans l’espace architectural du music-hall. »

12H30-13H : Discussion.

Session 2, présidée par Catherine Treilhou-Balaudé (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Etudes théâtrales) : Nouveaux dispositifs de regard : théâtre et nouvelles images.

14H30-15H : Alexander Jackob (Université d’Amsterdam / Pays-Bas, Etudes théâtrales) : « Was bleibt – Unvollendet. Aby Warburgs Mnemosyne Atlas und das Erbe des theatralen Zuschauerblicks. »

15H-15H30 : Cosimo Chiarelli (Université Lyon 2, Etudes visuelles) : « Performances du regard. Les scrapbooks d’Edward Gordon Craig entre espaces ré-créatifs et processus de création. »

15H30-16H : Discussion.

16H-16H30 : Pause.

16H30-17H : Nic Leonhardt (Université de Munich / Allemagne, Etudes théâtrales) : « Durch Blicke im Bild: Stereoskopie und Theater um 1900 »

17H-17H30 Guisy Pisano (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Etudes visuelles) : « La scène intermédiale au tournant du xix-xxe siècle. »

17H30-18H : Discussion.

 

Le vendredi 10 avril, à l’Odéon Théâtre de l’Europe

Salon Roger Blin, Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, 75006 Paris.

 

Session 3, présidée par Olivier Bara (Université de Lyon 2, Etudes littéraires) : Les limites du regard : pulsion scopique, licite et interdit (1ère partie)

10H30-11H : Patrick Désile (CNRS, Etudes visuelles) : « Ce qui doit être vu, veut être vu et les négations correspondantes - Pratiques du regard et du spectacle, 1892-1912. »

11H-11H30 : Arnaud Rykner (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelles, Etudes théâtrales/ Etudes visuelles) : « Voir au travers et au-delà. Nouveaux paradigmes téichoscopiques, de la toile métallique aux rayons X. »

11H30-12H : Discussion.

Session 3, présidée par Olivier Bara (Université de Lyon 2, Etudes littéraires) : Les limites du regard : pulsion scopique, licite et interdit (2ème partie).

13H30-14H : Romain Piana (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelles, Etudes théâtrales) : « Paris-voyeur : les dispositifs spectaculaires érotiques dans la revue. »

14H-14H30 : Florence Baillet (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelles, Etudes germaniques) : « Velours, peau et peluche : le toucher des yeux en scène à la fin du XIXème siècle. »

14H30-15H : Discussion.

15H-15H30 : Pause.

Session 4, présidée par Ulrike Haß (Université de Bochum, Etudes théâtrales) : L’Œil clinique.

15H30-16H : Mireille Losco-Lena (ENSATT, Etudes théâtrales) : « La dimension clinique de la mise en scène : clivages des expériences du regard au tournant 1900. »

16H-16H30 : Anne Pellois (ENS Lyon, Etudes théâtrales) : « Faire voir le fond de l’âme : techniques de jeu fin de siècle. »

16H30-17H : Emmanuelle André (Université Denis Diderot – Paris VII, Etudes cinématographiques) : « Changements de vue et emprise territoriale : le XIXe siècle aujourd’hui. »

17H-17H45 : Discussion.

 

Le samedi 11 avril, à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle (Institut du Monde anglophone)

Grand Amphithéâtre, 5, rue de l’Ecole de médecine, 75006 Paris.

 

Session 5, présidée par Catherine Naugrette (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Etudes théâtrales) : Regards d'à côté: aux confins du visible.

9H30-10H : Pierre Longuenesse (Université d’Artois, Etudes théâtrales) : « De l’épique à l’unheimlich, de la distance à l’empathie : Le ‘regard aveugle’ dans le théâtre de W.B. Yeats. »

10H-10H30 : Sophie Lucet (Université Paris Diderot, Etudes théâtrales) : « Les fantômes de la Révolution. » 

10H30-11H : Discussion

11H-11H30 : Pause

11H30-12H : Ariane Martinez (Université de Grenoble, Etudes théâtrales) : « Dérouter le regard : les frères Hanlon-Lees ou le saccage du visible. »

12H-12H30 : Kerstin Hausbei (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Etudes germaniques) : « Le pouvoir de l'image : sur l'auto-réflexivité de certaines pantomimes de Hugo von Hofmannsthal. »

12H30-13H : Discussion et clôture du colloque.