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L'indicible en littérature jeunesse. Cycle de conférences (Luxembourg)

L'indicible en littérature jeunesse. Cycle de conférences (Luxembourg)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Sébastian Thiltges)

L'indicible en littérature jeunesse

L’indicible, dans le dictionnaire, est ce « qui ne peut être dit, traduit par des mots, à cause de son caractère intense, étrange, extraordinaire1. » L’indicible, comme l’ineffable2, interroge la mise en mots de ce que l’on ne conçoit que difficilement par la pensée, tant l’émotion et l’affect submergent la perception même de l’expérience vécue. Partant de ces définitions, le choix de l’indicible comme sujet d’un cycle de conférences sur la littérature jeunesse souligne d’emblée la contradiction que nombre de penseurs et d’écrivains n’ont cessé d’essayer de démêler : comment écrire si ce n’est dire ce qui justement résiste au langage et à la parole, par défaut de mots (justes) pour l’exprimer ?
La question est doublement pertinente quand on s’adresse à l’infans, étymologiquement « celui qui ne parle pas3». La littérature jeunesse rejoint ce topos de l’indicible, profondément ancré dans la création littéraire à l’aune de la modernité, à savoir l’épreuve de la faillite du langage et l’épuisement de la parole. Au XXe siècle, cette crise du langage s’actualise de manière tragique dans l’impossibilité de rendre compte des horreurs de l’Holocauste4. Or, il semble que la littérature s’adressant aux jeunes lecteurs a de tout temps pris en charge les thèmes que la société des adultes choisit – souvent par dépit – de passer sous silence. Aujourd’hui encore, nombre de tabous et de récits d’exclusion, tus par crainte ou par pudeur, agitent les discours dans et autour des collections jeunesse, posant la question de l’indicible comme caractéristique définitoire de l’écriture et de la lecture de ces livres. Il convient corolairement d’étudier, d’un point de vue sociolittéraire, dans quelle mesure les censures sociétales impactent choix éditoriaux, scripturaux et didactiques.
Comment alors articuler la question de l’indicible au double principe de la littérature jeunesse : didactique quand elle est conçue comme accompagnement d’un processus d’individuation et d’appropriation5 ; poétique par l’invention de formes littéraires, d’images, d’imaginaires, de langages secrets6 et de stratégies narratives spécifiques. Si « le paradoxe des livres engagés [est-qu’] ils dégagent leur lecteur de tout engagement parce qu’ils font taire le langage7 », comment l’oeuvre peut-elle choisir de « [se taire] sur les sujets qu’elle semble traiter8 » ? La littérature jeunesse peut-elle alors, elle aussi, se faire « parole muette9 » ? Peut-elle choisir de ne pas dire ?

 

Programme

20/02 Introduction : « La littérature jeunesse ou comment dire le monde ? » (Tonia Raus & Sébastian Thiltges)
27/02 « Peut-on tout dire aux enfants ? » (Nathalie Prince, Le Mans Université)
05/03 « Déchets radioactifs : comment parler aux générations futures ? » (Sébastian Thiltges, Université du Luxembourg)
12/03 Reprise (Tonia Raus & Sébastian Thiltges)
19/03 « L’écrire pour le dire » (Luc Tartar, auteur dramatique)
26/03 « The Silence of Trauma in Suzanne Collins’s The Hunger Games Trilogy » (Mylène Branco, Université du Luxembourg)
02/04 « When unspeakable is spelled LGBTIQ+ » (Sandy Artuso, Université du Luxembourg)
09/04 « He who must not be named » (Agnès Prüm, Université du Luxembourg)
23/04 « Une littérature sous surveillance : analyse de cas de censure et d’autocensure » (Daniel Delbrassine, Université de Liège)
30/04 « Philosopher avec les enfants à partir de la littérature de jeunesse » (Edwige Chirouter, Université de Nantes)
07/05 « La Shoah en album, entre impensable, invisibilité et transmission » (Éléonore Hamaide-Jager, Université d’Artois)
14/05 « La colonisation dans la littérature de jeunesse contemporaine : de l’impensé à l’indicible » (Élodie Malanda, Université Paris 3)
28/05 Bilan et discussion (Tonia Raus & Sébastian Thiltges)

 

 

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1 « Indicible », Trésor de la langue française informatisé, http://www.atilf.fr/tlfi, consulté le 27/11/2019.
2 Selon Vladimir Jankélévitch, l’indicible renvoie à l’inaptitude du langage à dire une chose effroyable, tandis que l’ineffable constate la faillite du langage à rendre compte d’un trop-plein de signification. (La Mort, Paris, Flammarion, 1977, p. 82-84). Voir aussi David Le Breton, Du silence, Paris, Métailié, 1997, p. 200-201.
3 Au sujet de l’infans comme « concept essentiel pour penser l’idée même de littérature », voir Jean-François Lyotard, Lectures d’enfance, Paris, Galilée, 1991, p. 8-9.
4 Voir la célèbre formule d’Adorno sur la barbarie du poème après Auschwitz ou encore George Steiner, Language and Silence : Essays on Language, Literature, and the Inhuman, Yale University Press, 1998. Voir aussi Lydia Kokkola, « The unspeakable : Children’s fiction and the Holocaust », dans Roger D. Sell (éd.), Children’s Literature as Communication, Amsterdam, John Benjamins Publishing Company, 2002, p. 213-233.
5 Véronique Castellotti, Pour une didactique de l’appropriation, diversité, compréhension, relation, Paris, Éditions Didier, 2017.
6 Voir Marie-José Fourtanier et Marine Grosbois, « L’indicible en littérature de jeunesse contemporaine : comment dire par un langage secret la famille, la solitude et la peur ? », dans Gilles Béhétoguy et al. (dir.), Idéologie(s) et roman pour la jeunesse au
XXIe siècle, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2015, p. 91-101.
7 Serge Martin, Poétique de la voix en littérature de jeunesse, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 289.
8 Anne Cauquelin, « Temps du silence », dans Lucien Sfez (dir.), Dictionnaire critique de la communication, Paris, PUF, 1993, p. 167.
9 Jacques Rancière, La Parole muette. Essai sur les contradictions de la littérature, Paris, Hachette, 2011.