Essai
Nouvelle parution
L. F. Földényi, Mélancolie. Essai sur l'âme occidentale

L. F. Földényi, Mélancolie. Essai sur l'âme occidentale

Publié le par Marc Escola

Mélancolie - Essai sur l'âme occidentale
Par Làszló F. Földényi

Natalia Zaremba-Huzsvai (Traducteur), Charles Zaremba (Traducteur)

Paru le: 10 janvier 2012
Editeur: Actes Sud
ISBN: 978-2-7427-9769-1
EAN: 9782742797691
Nb. de pages: 370 pages

Prix éditeur : 24,80€

      
La mélancolie, nous dit Laszlo F. Földényi, est une tonalité constante du tempérament de l’homme occidental, quels que soient les contextes idéologiques qui le baignent. Il y aurait donc un fond de mélancolie, un esprit mélancolique à l’oeuvre dans les soubresauts de la culture européenne.

Tour à tour marque des devins et des hommes d’exception de l’Antiquité, maladie mentale caractérisant l’insensé du Moyen Age, altération psychique du héros romantique plongé dans la tristesse et l’ennui ou du névrosé ordinaire qui court les rues de la vie moderne, cette figure singulière des maladies de l’âme n’en reste pas moins l’expression aiguë des profondes contradictions de l’identité humaine.

Cette affection - aubaine ou fatalité - traverse les époques en convoquant autour d’elle philosophie, médecine, esthétique, art, ce qui en fait le lieu par excellence où ne cesse de se poser et de se renouveler l’interrogation sur le sens de l’existence. C’est que la mélancolie a l’audace de dévoiler le ressort caché de la condition humaine : cette ambivalence inconfortable de l’homme écartelé entre son destin d’être fini et son désir d’infini, s’éprouvant avec un plaisir jouissif ou une souffrance accablante.

Mais toujours, vertigineusement, comme un moins que rien qui désire plus que tout. La mélancolie, c’est l’histoire de cette épreuve solitaire indépassable mais c’est aussi et surtout une épreuve décisive de lucidité, selon le pessimisme serein du philosophe, qui lui rend ici un brillant hommage.

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Dans Libération du 12/1/12, on pouvait lire cet article de R. Maggiori:

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De la dépression, on a toujours appréhension, parce que de façon chronique ou cyclique elle abat, tandis que pour la mélancolie demeure une certaine fascination. Longtemps, l’une a été l’autre pourtant, ou en a porté le nom. Mais la première a été progressivement happée par le discours médical, psychologique ou psychiatrique, quand la seconde s’en échappait, même momentanément, à certaines époques, pour s’entourer d’une mystérieuse aura, où s’embrouillent sentiments et élévations divines, souffrances, vagues à l’âme et extases, génies et démons, illuminations créatrices et désolations. Au point que, si le mot, issu des tréfonds de la culture grecque, a persisté, son concept s’est embrumé. Mais peut-être n’est-ce pas un hasard : si la mélancolie a rendu cotonneuses et floues les lignes de sa définition, c’est qu’elle a, tel le caméléon sur sa branche, mimé celles, tout aussi peu géométriques, de l’existence humaine, partagée entre lucidité et obscurité, élan vital et abattement, désir de l’infini et conscience de la finitude, et, ainsi, en est devenue comme la métaphore. Si bien qu’à vouloir l’identifier dans les textes des philosophes, les traités de divination, les poèmes romantiques ou les ouvrages de médecine, on ne sort pas de «chez soi», de la demeure de l’âme, comme si la mélancolie demandait à chacun de juger de sa position d’être humain «à la manière de Dieu», en traçant «une frontière stricte entre la négativité et la positivité», ou de façon «humaine, trop humaine», en se démenant dans l’ambiguïté et le clair-obscur.

La recherche de ce concept perdu, mais incandescent et aussi «parlant» qu’un vestige pour l’archéologue, est le fil rouge de Mélancolie - Essai sur l’âme humaine, du théoricien de l’art, dramaturge et philosophe hongrois László F. Földényi, dont on connaissait déjà en français Dostoïevski lit Hegel en Sibérie et fond en larmes (Libération du 17 janvier 2008).

Suspension. L’aventure débute bien sûr en Grèce. Mais, dès la première indication, on est désorienté : pour «voir» la mélancolie, il faudrait en saisir l’origine cosmique, la chercher dans la… «conjonction particulière du vent, du relief, de la saison, des points cardinaux, voire des planètes et des étoiles». C’est que l’homme est une part organique de l’univers. Aussi y a-t-il mélancolie, selon Hippocrate, lorsque se produit une sorte de «déraillement», ou de rupture d’équilibre entre l’agencement du microcosme qu’est l’individu et celui du macrocosme : alors «le désordre s’installe et la personne concernée n’obéit plus aux lois inséparables de l’univers et de son destin». Le mélancolique est hors du monde et hors de lui, en suspension, ou plus précisément en extase. Ce désordre, le patron des médecins le situe aussi dans le corps de l’être humain : la mélancolie est la maladie des humeurs, qui survient lorsque l’une d’elles, la bile noire, est en excès ou ne se mélange pas aux trois autres, la bile jaune, le sang et la lymphe (ou phlegme), provoquant ainsi «maux de tête, lèpre, pathologies du foie et des entrailles».

Pourquoi, dans ce cas, Aristote la rattache-t-il à l’excellence, et affirme que «les hommes qui se sont illustrés dans la philosophie, la politique, la poésie ou les arts sont tous des mélancoliques» ? Parce que cette excellence est celle de l’esprit d’êtres supérieurs, qui sont supérieurs en tant qu’ils sont capables de fixer la lumière aveuglante du destin et d’accepter de celui-ci l’«inexorable accomplissement» - ce qui ne crée ni joie ni désespoir, mais, justement, mélancolie. Mais, comme Hippocrate, Aristote attribue aussi une origine physique à cet «état sublime», en soulignant l’influence de la température de la bile noire : quand elle s’échauffe, on est joyeux sans raison - d’où, précise Földényi, l’«apparentement antique» de la mélancolie à la manie - et, quand elle se refroidit, on devient triste et abattu. Chez le mélancolique, la température de l’atrabile est moyenne. «Puisqu’il est de type moyen, il est sain, et comme le chaud et le froid se mélangent correctement en lui, il dispose d’importantes capacités et peut accomplir des oeuvres remarquables», tels Ajax, Héraclès, Empédocle, Socrate ou Lysandre.

Chèvre. C’est en parcourant d’abord les sentiers de la mythologie que Földényi découvre les liens originels entre abattement et héroïsme, entre possession par une force qui atterre l’homme et possession par une énergie qui l’élève au ciel, autrement dit le rapport entre la mélancolie, la divination et sa soeur la folie. «La mélancolie permet à ceux qui en sont atteints de dépasser les limites ordinaires de l’existence humaine, de se soustraire aux exigences du quotidien», et ainsi de devenir, dit Héraclite, «des immortels mortels, des mortels immortels» qui «vivent leur mort et meurent leur vie» et, étant hors du temps, peuvent «voir» comment futur, présent et passé s’enchaînent. Mais la «traversée de toute la culture européenne» ne fait que commencer. Au Moyen Age, la mélancolie est maladie, acédie, paresse et tristesse, au plus profond desquelles «se trouve le péché», et que l’on soigne par la chair de vieux coq, l’eau du Nil, le lait de chèvre, la mélisse ou l’hellébore… A la Renaissance, elle témoigne d’une «santé exceptionnelle». A l’époque romantique, elle se mue en mode d’existence, avant de se faire prendre, «apprivoiser et spolier» par la médecine…

On laissera découvrir chaque étape du voyage, qui peu à peu fait se perdre derrière soi «la parenté d’étymologie et de destin» entre le devin (mantis) et le fou (manikos),«frère jumeau du mélancolique», et apercevoir les continents de la modernité où le «devin est un charlatan, le fou un malade mental et le mélancolique un dépressif». Mais qu’on ne s’y trompe pas. Mélancolie n’est pas un livre d’histoire mais de philosophie : la quête du «mal saturnien», si intimement tapi dans l’âme, y est un moyen pour excaver les antres les plus secrets de l’existence, aux prises avec ce qui, en même temps, lui donne et lui ôte sens. Søren Kierkegaard, rappelle László F. Földényi, distinguait une bonne et une mauvaise mélancolie : envahi par la bonne, «on perd ses illusions» mais «on se retrouve soi-même», alors que, en proie à la mauvaise, «on se perd soi-même avec ses illusions». Lucidité… mélancolique ?"