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Grandeur de Marx. Deleuze matérialiste (Namur, Belgique)

Grandeur de Marx. Deleuze matérialiste (Namur, Belgique)

Publié le par Marc Escola (Source : Vivien Giet)

Grandeur de Marx. Deleuze matérialiste

Université de Namur, 24 mars 2022, 9h-17h

Journée d'étude organisée par Vivien Giet et Jean-Baptiste Vuillerod

Grandeur de Marx, le dernier projet de livre de Gilles Deleuze, n’a pas vu le jour. Que cette partie de l’œuvre reste pour toujours en suspens produit chez ses lecteurs à la fois une impression de frustration et des tentatives imaginaires pour établir de quoi elle eut été faite. Elle nous laisse aussi, à nous aujourd’hui, la double tâche d’interpréter cette relation énigmatique de Deleuze au marxisme et d’interroger ce qui, dans cette relation, nous permet de penser notre époque.

On ne peut s’empêcher de constater, même parmi les marxistes les moins orthodoxes, une méfiance à l’égard du matérialisme de Deleuze (voir par exemple Jameson, 2010). S’il s’agissait d’un simple point aveugle de la part des lecteurs de Marx, sans doute n’y aurait-il là rien à penser. Mais malgré le fait que Deleuze commente abondamment Le Capital, en particulier avec Félix Guattari dans les deux tomes de Capitalisme et schizophrénie (Deleuze et Guattari, 1972 ; 1980), son rapport à Marx reste difficile à cerner et à clarifier.  En 1962, dans Nietzsche et la philosophie, Deleuze discutait de manière critique la pensée marxienne (Deleuze, 1962). Ensuite, à partir de Différence et répétition (Deleuze, 1969), la référence à Marx fait l’objet d’une appropriation positive (à travers Althusser, notamment) qui persistera dans l’œuvre ultérieure.

Pour autant, lorsque Deleuze affirme que, avec Guattari, ils « sont restés marxistes » (Deleuze, 1990 : 232), dans un entretien avec Toni Negri au printemps 1990, il le fait en introduisant une série d’écarts : le passage d’une analyse des « contradictions » à une analyse des « lignes de fuite » ; d’une interprétation des groupes politiques et sociaux en termes de « classes » à une interprétation en termes de « minorités » (233). L’attachement au marxisme est alors présenté comme le maintien d’une philosophie politique « centrée sur l’analyse du capitalisme et ses développements ». Le développement du capitalisme se caractérise en particulier par la tendance de celui-ci à repousser activement ses propres limites, comme cela est posée de L’Anti-Œdipe à Qu’est-ce que la philosophie ?. C’est d’ailleurs dans cette perspective que Negri lui-même continue aujourd’hui à se référer à Deleuze pour penser l’histoire du capitalisme et les possibilités politiques du présent (Negri, 2021). Mais les nuances et les déplacements que Deleuze opère avec Guattari dans le programme de Marx et des divers courants marxistes explique que certains y aient trouvé un « oubli de Marx » (Garo, 2011 : 218) qui autorise une insistance sur les points de rupture plutôt que sur les éléments de continuité (DeLanda, 2010).

Une telle indécision constitutive, et non contingente, de la relation entre Deleuze et Marx ouvre dès lors de nombreuses directions de recherche. On pourra, entre autres, s’appuyer sur les études qui portent sur le matérialisme sui generis propre à Capitalisme et schizophrénie (Dhruv 2009 ; Sibertin-Blanc 2010, 2013; de Landa 2010 ; Ferreyra 2010 ; Thoburn 2003). À leur suite, les rapports à l’histoire et à la politique du point de vue matérialiste ont fait l’objet de quelques travaux (Méjat, 2012 ; Actuel Marx, 2012). Plusieurs travaux ont également été attentifs à la question économique et aux enjeux de résistance politique qui traversent les ouvrages sur le cinéma (Deleuze, 1982, 1985 ; Szendy, 2017). Certains ont cherché, à actualiser une pensée deleuzienne des dynamiques et de la violence du capitalisme contemporain (Alliez et Lazzarato, 2016). Enfin, on peut encore citer la voie de l’anthropologie matérialiste et de l’écologie pour lesquelles le travail de Deleuze et de Guattari est un outil précieux (Viveiros de Castro, 2009).

L’objectif de ce colloque sera précisément d’explorer ce champ, de faire fonctionner la machine Deleuze/Marx. Dans cette perspective, on attendra aussi bien des exégèses et des commentaires textuels précis (sur la dialectique, la notion de production, la répétition dans l’histoire, la lecture des Grundrisse, les aller-retour avec le (post-)opéraïsme, etc.) que des propositions matérialistes originales pour éclairer des situations économiques et politiques (crise du capitalisme et néolibéralisme, théorie de la monnaie et de l’échange, société de contrôle, psychanalyse matérialiste, luttes minoritaires, fascisme, territoires et écologie, etc.).

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Programme de la journée :

9h Accueil des participant.e.s
9h15 Introduction : Jean-Baptiste Vuillerod (UNamur)

9h30-10h15 : Anne Sauvagnargues (Université Paris Nanterre) : "Vers un matérialisme gazeux. Marx, l'individu, l'histoire"
10h15-11h : Antoine Janvier (ULiège) : "Marx, Deleuze et la répétition historique"

11h-11h30 : pause

11h30-12h15 : Vivien Giet (FNRS/UNamur/U. Paris 8) : "Machination minoritaire et refus. Autour du fragment sur les machines" 

12h15-14h : repas

14h-14h45 : Loreline Courret (Université de Paris 8) : "De Marx à Deleuze : contrarier le réalisme"
14h45 - 15h30 : Camille Chamois (Université Paris Nanterre) : "L'œil humain. Perception et socialisation dans Instincts et institutions"

15h30-16h : pause

16h-16h45 : Éric Alliez (Université de Paris 8) : "Marx et la philosophie de Deleuze - et de Guattari"

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Bibliograhie indicative préalable :

·      « Deleuze/Guattari », Actuel Marx, no. 52, 2012.

·      Alliez E., Les Temps capitaux, Tome 1, Récits de la conquête du temps, Paris, Éditions du Cerf, 1991.

·      Alliez E., Lazzarato M., Guerre et capital, Paris, Éditions Amsterdam, 2016.

·      DeLanda M., Deleuze, History and Science, New York, Atropos, 2010.

·      Deleuze G., Nietzsche et la philosophie, Paris, Puf, 1962.

·      Deleuze G., Différence et répétition, Paris, Puf, 1968.

·      Deleuze G., Guattari F., L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie tome 1, Paris, Minuit, 1972.

·      Deleuze G., Guattari F.,  Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie tome 2, Paris, Minuit, 1980.

·      Deleuze G., Cinema 1. L’image-mouvement, Paris, Minuit, 1982.

·      Deleuze G., Cinema 2. L’image-temps, Paris, Minuit, 1985.

·      Deleuze G., Pourparlers, Paris, Minuit, 1990.
Dhruv J. (ed.), “Deleuze and Marx”, Deleuze Studies, Volume 3/29, Edinburgh University Press, 2009.

·      Ferreyra J., L'ontologie du capitalisme chez Gilles Deleuze, Paris, L’Harmattan, 2010.

·      Garo I., Foucault, Deleuze, Althusser & Marx, Paris, Demopolis, 2011.

·      Jameson F., Valences of the Dialectic, Verso, Londres, 2010.

·      Méjat G., « Gilles Deleuze et Félix Guattari lecteurs de Marx : l'inspiration marxiste de la conception du désir développée dans l'Anti-Œdipe », Philosophique, no. 15, 2012, URL: http://journals.openedition.org/philosophique/693.

·      Negri A., « Deleuze-Spinoza : un devenir politique », Archives de philosophie, 2021/3, p. 51-63.

·      Sibertin-Blanc G., Deleuze et l’Anti-Œdipe. La production du désir, Paris, Puf, 2010.

·      Sibertin-Blanc G., Politique et État chez Deleuze et Guattari. Essai sur le matérialisme historico-machinique, Paris, Puf, 2013.

·      Szendy P., Le supermarché du visible, Paris, Minuit, 2017.

·      Thoburn N., Deleuze, Marx and Politics, New York: Routledge, 2003.
Marx K., Le Capital, Paris, Éditions Sociales, 2016.

·      Viveiros de Castro E., Métaphysiques cannibales, Paris, PUF, 2009.