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Conflits et décalages de langage

Conflits et décalages de langage

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Laferrière Aude)

Journée d’étude : Conflits et décalages de langage

 

            « Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne », disait Colette. L’écrivain, selon une vue topique, serait celui qui fait de l’inédit avec du déjà-dit, de l’inouï avec le langage commun. Ce n’est pas ici la conception traditionnelle du style comme écart que nous souhaitons revisiter (cette notion nous semble convoquer trop systématiquement l’idée discutable de norme) mais les voies prises pour susciter le sentiment du décalage que nous voudrions parcourir.

Quel est ce mouvement, ce jeu au sens mécanique du terme, introduit dans le langage ?

Il s’agit avant tout d’identifier les types de décalages et conflits, cerner leurs causes, leur fonctionnement et les effets qu’ils créent.

 

            Réfléchir aux conflits et aux décalages de langage sur le plan linguistique et stylistique nécessite tout d’abord de revenir aux définitions essentielles de ces termes, pour mieux comprendre leurs enjeux et les rapports qui peuvent s’établir entre eux.

            Parmi les acceptions du terme de conflit données par Le Petit Robert, nous retiendrons les deux suivantes : un conflit consiste dans la « rencontre d’éléments, de sentiments contraires qui s’opposent », et, d’un point de vue psychologique, dans l’« action simultanée de motivations incompatibles ». Ce sont les deux adjectifs contraires et incompatibles, convoqués par ces définitions, qui retiennent particulièrement l’attention dans une perspective linguistique, et la figure de l’oxymore semble s’imposer comme parangon de la notion de conflit dans ce domaine. L’incompatibilité s’y joue sur le plan sémantique, et l’étude du fonctionnement, des incarnations possibles de l’oxymore ainsi que de ses effets constitue l’une des pistes de réflexion les plus immédiates suscitées par cet intitulé.

Mais le conflit de langage peut également se situer dans d’autres champs que le champ lexical (sans l’exclure néanmoins) : celui de la syntaxe, où peut s’engager l’étude de certaines figures de construction (comme l’antonomase ou l’hypallage) mais aussi du jeu sur l’emploi des temps et des aspects verbaux ; celui des différents niveaux de langue, susceptibles d’être coprésents dans un même texte ou dans un même discours ; celui de la versification classique, qui implique la mise en valeur, par l’accent, de certains mots de la chaîne verbale, indépendamment du référent (et parfois contre lui) construit par cette chaîne.

            Les deux notions de conflit et de décalage semblent être liées par une relation de degré : puisque le décalage se définit comme « le fait de déplacer un peu de la position normale », comme un « écart » et un « manque de correspondance entre deux choses, deux faits » (Le Petit Robert), on peut dire que le point extrême vers lequel il tend est le conflit. Ainsi pourra-t-on parler, au sujet des niveaux de langage, aussi bien de décalage que de conflit, selon l’appréciation que l’on fait de la rencontre.

            Mais ce qui compte davantage dans ces éléments de définition et ouvre d’autres voies, c’est sans doute  la locution adverbiale un peu : plutôt qu’en termes de choc, le décalage nous semble devoir être envisagé en termes d’infléchissement, pour une raison ou pour une autre, de la chaîne verbale. On pourra réfléchir par exemple au détournement d’un modèle littéraire, par la reprise de certains éléments doublée d’un principe de variation ; s’il s’agit par ce biais parodique de critiquer le modèle, on le voit, le décalage nourrit la polémique et le conflit entre conceptions littéraires.

            Le texte peut aussi élaborer ses propres codes et instaurer soudain un décalage, non pas cette fois par rapport à un modèle, mais par rapport à lui-même, dans un esprit ludique.

            Enfin, le décalage peut s’entendre dans un sens beaucoup plus matériel et visuel : par une disposition décalée des mots sur la page, ou par l’usage de l’italique, typographie décalée par rapport au caractère droit, l’écrivain peut nourrir la polysémie d’un texte ou provoquer des sortes de sous-lectures en chargeant les mots d’un nouveau potentiel.

            La journée d’étude « Conflits et décalages de langage » réunit professeurs, maîtres de conférences et doctorants, dans une diversité de profils et d’approches qui semble répondre idéalement à l’ouverture du sujet lui-même, sans évidemment prétendre à l’exhaustivité. Les principaux genres littéraires y seront abordés, en tant que corpus unique ou de façon transversale ; et aux intitulés plus techniques et théoriques au sujet de l’aspect verbal, de l’antonomase, de l’incise ou de la métaphore, s’associeront des études consacrées à un fonctionnement possible du conflit et du décalage chez un auteur particulier, comme ce sera le cas pour Balzac, Marivaux ou le poète américain James Merrill.

Programme

9h30. Accueil des participants

 

9h45. Introduction

 

10h. Nicolas Laurent (ENS Lyon) : « Antonomase de nom commun et décalage dénominatif »

10h45. Sarah Legrain (Université Paris-Sorbonne) : « Décalages dans le marivaudage : de l'alliance de mots à la réplique sur le mot »

11h15. Laurent Gosselin (Université de Rouen) : « Conflits et mécanismes de résolution dans le domaine aspectuo-temporel : applications à la rhétorique des pointes »

12h. Pause

14h. Aude Laferrière (Université Paris-Sorbonne) : « “C’est affreux, pâlit-il, s’enfuit-il, tomba-t-il […] : on peut être heurté par l’illogisme de telles incises” (Le Bon usage) : Heurts et malheurs de l’incise »

14h30. Habib Gharbi (Université Paris-Sorbonne) : « Le conflit dans la similitude et la métaphore »

15h. Joëlle Gardes (Université Paris-Sorbonne) : « Le rôle des conflits dans les figures de rhétorique »
 

15h45. Pause

 

16h. Laélia Veron (ENS Lyon) : « La parole spirituelle comme outil agonistique dans Balzac »

16h30. Marc Durain (Université Paris-Sorbonne) : « Décalage et duplicité : étude des notes de bas de page dans trois poèmes de James Merrill »

17h00. Clôture de la journée

 

Journée organisée avec le soutien financier de l’École doctorale V « Concepts et langages » et de l’équipe d’accueil « Sens, Texte, Informatique, Histoire » (EA 4509) de l'Université Paris-Sorbonne.