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Images, imagination,imaginaire - 22e Symposium International de phénoménologie (Perugia)

Images, imagination,imaginaire - 22e Symposium International de phénoménologie (Perugia)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Emmanuel Alloa)

 Images, Imagination, Imaginaires

XXIIe Symposium International en Phénoménologie, Perugia 2–6 juillet 2018

 

Pour sa XXIIe édition, le Symposium International en Phénoménologie aura pour thème la question des images, des imaginaires que celles-ci façonnent et du rôle tenu par l’imagination. Faisant le pari d’une imagination originairement créatrice (par opposition à une imagination reproductive), il s’agira d’explorer les potentialités critiques qui s’ouvrent chaque fois que l’on se figure ce qui est, ce qui n’est pas ou pas encore ou ce qui pourrait être autrement.

Les images jouent un rôle de plus en plus important dans nos existences individuelles et sociales. Qu’il s’agisse d’images mentales ou matérielles, statiques ou en mouvement, qu’elles résident au fond de nos archives privées ou se déploient sur de larges écrans dans l’espace public, les images possèdent une force incomparable pour faire passer un message, susciter des affects et générer des réponses. C’est précisément en raison de ce pouvoir d’agir sur ceux et celles qui les regardent, parfois même contre leur gré, que la philosophie et la théologie ont considéré les images avec un scepticisme non dissimulé, bannissant largement celles-ci de l’Olympe du savoir véritable. Au sein de la pensée moderne, la phénoménologie s’inscrit dans le courant de ces traditions philosophiques et poétiques qui ont mis l’accent sur l’imagination comme vecteur décisif pour la vie humaine. Comprendre comment fonctionnent les images, c’est comprendre comment se constitue un horizon de sens partagé. Au-delà d’une ontologie traditionnelle, qui voit dans les apparences imaginaires des forces du leurre qui éloignent de la vérité, il s’agit de réhabiliter la fonction épistémologique des images dans la production du savoir.

La réflexion phénoménologique sur les images est multiple. Husserl lui-même joue sur un double tableau : par sa « critique de la théorie des images », il entend dénoncer le représentationnalisme qui fait de la conscience une camera obscura peuplée de copies imparfaites représentant le monde extérieur, mais en même temps, il réhabilite les images et la phantasia comme autant de manière pour se référer directement aux choses et aux êtres absents. En tant qu’espace de variation, de fiction et du « comme-si », la phantasia représente selon Husserl « l’élément vital de la phénoménologie ». Bien d’autres phénoménologues ont prolongé les pistes ouvertes par Husserl (Sartre, Heidegger, Merleau-Ponty, Maldiney, Richir), construisant des passerelles vers la psychanalyse (Freud, Lacan), la psychopathologie (Binswanger), la poétique (Bachelard), le mysticisme (Corbin), l’esthétique libidinale (Lyotard), l’étude des métaphores (Ricoeur) ou des utopies politiques (Lefort, Castoriadis).

Or si Merleau-Ponty a raison d’affirmer qu’il y a une « texture imaginaire du réel », alors, plutôt que de concevoir l’imagination comme une façon de s’évader de la réalité, cela voudrait dire au contraire que c’est grâce à l’imagination qu’il y a un monde pour nous. S’il n’y a pas de monde sans que celui-ci soit imaginé, inversement, la face du monde elle-même est donc modifiée par les façons dont celui-ci est envisagé. Bref, l’imagination est ce qui entre sur scène chaque fois que les choses pourraient aller autrement, d’où le lien intime entre l’imagination et une conscience spécifiquement moderne de la contingence. De la fonction du miroir comme formateur de la fonction du Je (Lacan) à la mise en forme de relations intersubjectives à travers les images de soi et des autres, il n’y a qu’un pas. Si nous suivons l’idée de Castoriadis sur l’« imaginaire radical », les sociétés elles-mêmes ne sont rien que des institutions imaginaires, imprégnées d’imaginaires sociaux qui renvoient vers un régime de sens simultanément constituant et constitué. Ces enquêtes sur l’imaginaire social pointent vers l’idée d’un pouvoir démocratique organisé autour d’un « centre vide » (Lefort) qui ne pourra jamais trouver de fondement définitif, d’un signifiant vide qui demande d’être constamment réapproprié.

En mettant en rapport les ressources qu’offrent la phénoménologie et d’autres courants philosophiques avec des pratiques et des engagements de type empirique, l’objectif du Symposium de 2018 est de mettre à l’épreuve le potentiel critique des images, dans leur rapport à l’imagination et aux imaginaires. Parmi les questions qui pourront être affrontées (la liste n’est pas exhaustive) : quelle est la relation entre l’image et la preuve (épistémique, juridique) ? Quelle est la relation entre image et histoire : les images peuvent-elles figurer des absences ou même des traumas ? Qui et quoi est exposé par le système mass-médiatique, et quelles formes de vies restent dans le hors-champ ?Quels sont les les régimes (racialisés, genrés) de représentation et comment les défaire ? Comment les images sont-elles employées pour documenter l’injustice et la violence, réclamer des droits bafoués ou pour organiser des mouvements contestataires ? Comment l’argument théologique de l’ « irreprésentable » est-il invoqué aujourd’hui, avec la montée de nouveaux fanatismes et d’intolérance religieuse ? Quel est le rôle de l’image, de l’imagination et de l’imaginaire dans la formation des sociétés et des communautés ? Comment est-ce que les cultures du texte et la notion de critique qui leur est associée se trouvent remises en question par la domination de plus en plus marquée d’une forme visuelle de culture ? Quelle est la validité d’un « imaginaire global », et comment celui-ci a-t-il été contesté par des traditions (géopolitiques ou ethnoculturelles) alternatives qui méritent une attention renouvelée ? En outre, et à l’orée de nouvelles catastrophes écologiques, comment représenter le scénario de la fin du monde ? Comment l’imagination de futurs alternatifs peut-il être opposée à des scénarios préventifs, qui gouvernent plus que jamais notre présent ? Confronter l’héritage phénoménologique avec le monde contemporain suppose de se demander dans quelle mesure les promesses que la modernité associait à l’imagination créatrice peuvent encore s’appliquer aujourd’hui, eu égard aux images générées par les machines et la visualité automatisée. Quels usages émancipatoires peut-on faire des images, contre toute forme de stéréotype et contre les rationalités calculatrices ? Quel est le rôle des stratégies artistiques dans tout cela ? Entre épistémologie et théorie du sujet, esthétique et politique, le domaine des images inaugure ainsi un vaste champ d’interrogations sur la fondation de la modernité et les futurs possibles qui s’ouvrent en pointillé.

 

En présence de: Pietro Montani, Jean-Christophe Goddard, Françoise Dastur, Fabio Ciaramelli, Chiara Bottici, Thomas Telio, Paola Marrati, Philippe Van Haute, Andrew Benjamin, Javier Bassas Vila, Marie-Aude Baronian, Malik Diagne, Delia Popa, Alice Serra, Eliane Escoubas, Hagi Kenaan, Nader el-Bizri, Kristupas Sabolius, James Burton, Rajiv Kaushik, Michael Newman, Marcia Sá Cavalcante, Sylvano Santini, Lorenzo Vinciguerra, Yountae An, Giovanna Borradori, et de nombreux autres.