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Fragments d’Amériques (Ottawa)

Fragments d’Amériques (Ottawa)

Publié le par Marc Escola (Source : Pierre-Luc Landry)

Fragments d’Amériques

Colloque multidisciplinaire

Université d’Ottawa et Université Carleton

Ottawa, Canada

Lundi 19 et mardi 20 octobre 2015

 

Le fragment, recontextualisation et enjeux artistico-littéraires

Issu de frangere (« briser », en latin), le mot fragment renvoie aux « morceaux », aux « éclats », voire aux « dépouilles » d’un objet brisé. La brièveté du fragment, son trait principal, vient tout d’abord de cette nature intrinsèquement concise et dépouillée qui l’oblige à saisir en peu de mots le phénomène dont il trace les contours essentiels. Appréhender dès lors la nature brève et éclatée tout à la fois du fragment permet de mieux mettre en perspective son essor moderne qui se plaît à souligner le caractère « nomade » et « hybride » sous-jacent à sa démarche. Dans cette optique, notre colloque sera en mesure de mieux comprendre la portée autant esthétique qu’épistémologique du phénomène. Notre intérêt intègre bien entendu pour la plupart des œuvres et des auteurs consacrés par la critique (Montaigne dont les Essais peuvent à certains égards être revisités en fonction de la problématique du fragment, Pascal, Nietzsche et Barthes, notamment); néanmoins, il s’ouvre surtout sur les Amériques en fonction de textes et de pratiques artistiques qui seront convoqués pour leurs capacités à traduire certains enjeux rattachés notamment à l’altérité, à la mixité, aux déplacements, etc. Une herméneutique du discours fragmentaire sera ainsi mise en place afin de dégager les lignes de fracture entre les pratiques artistiques et littéraires canoniques et l’émergence de nouvelles formes hybrides, par exemple. Ainsi, les paroles autant littéraires qu’artistiques qui ouvrent la voie à une nouvelle mise en perspective du fragment dans son rapport à l’espace américain seront particulièrement convoquées. Dans le champ artistique visuel, le fragment s’impose en France dès le début du XXe siècle dans une esthétique du collage; les peintres cubistes recyclent différents morceaux de papier et des matériaux étrangers qu’ils déplacent de leur contexte premier pour les incorporer dans des tableaux mettant à mal l’espace pictural traditionnel. Les futuristes, les dadas et les artistes surréalistes avaient préalablement ouvert la voie à l’insertion d’éléments fragmentaires dans leurs collages, leurs cadavres exquis et leurs poèmes créés à partir d’un assemblage aléatoire de titres découpés dans les journaux. Ces techniques permettent ainsi la rencontre de territoires fragmentés dans une sorte de « continuum du discontinu » (pour reprendre les termes de Patrick Imbert). Les pratiques artistico-littéraires en général peuvent être revisitées et repensées à la lumière d’une synergie entre la dépouille, l’intensité, le nomadisme et l’hybridité. Depuis l’aube de la pensée présocratique (Anaximandre, Héraclite, Parménide, Zénon, Démocrite), le fragment souffle sur nous ces éclats de feu qu’il faut toujours reprendre à nos frais.

 

Les Amériques et le fragment

Le fragment serait donc indissociable du chaos du nouveau, une problématique décisive dans le contexte des Amériques où il faut s’accoutumer à l’imprévisibilité, au désordre, à la discontinuité et à la rencontre « On the Road » (Kerouak), qui deviennent des moteurs créateurs de nouveautés. Principalement, ce colloque propose de penser notre rapport aux Amériques à partir, à travers et via la notion de fragment. Nous souhaitons réfléchir à la pluralité fragmentaire de ces Amériques qui sont trop souvent avalées par le géant étatsunien, à qui l’on attribue l’américanité de manière abusive, c’est le moins qu’on puisse dire. Le fragment peut-il nous aider à mieux comprendre les différentes cultures américaines, dont le territoire et l’expression sont verrouillés par leurs relations conflictuelles avec les États-Unis? Dans cette optique, il est nécessaire de faire une grande place dans nos réflexions aux Autochtones du Nord comme du Sud, aux Premières nations, aux Métis et aux Inuits, ainsi qu’aux peuples précolombiens, dont les voix échappent à l’acculturation du multiculturalisme. De plus, nous souhaitons réfléchir à la manière dont le fragment nous permet d’aller vers l’impensé, vers ce qui est pétrifié par le stéréotype. Par ce colloque, nous voulons poser des questions pertinentes qui ne reproduisent pas la parole qui s’auto-engendre. Nous passons par le fragment et par les Amériques pour réfléchir à notre monde, à nos mondes, aux Amériques qu’il est encore possible, aujourd’hui, de cerner.

 

Perspectives

Le colloque voudrait interroger autant que possible la notion de fragment en littérature, en arts visuels, au cinéma, au théâtre, dans la pensée politique et dans la philosophie. Cet événement, certes scientifique, cherche à être convivial, à l’échelle humaine, et mise d’abord et avant tout sur l’échange et l’expérience intellectuelle. Nous accordons dans nos réflexions une très grande importance à la création et nous accueillerons avec un immense intérêt les propositions de communications qui sortent des sentiers battus, qui intègrent à la fois la recherche et la création, qui souhaitent partager des réflexions en cours ou des réalisations artistiques. Ainsi, il est possible de proposer des communications au sens plus « traditionnel » du terme, ainsi que des projections de films, des happenings d’art, des textes de création qui seront performés sur place, des réflexions sur l’espace poreux au fragment, etc.

 

Ce colloque souhaite participer à l’élaboration contemporaine de ce que nous pourrions qualifier de « nouvelle épistémologie », ces savoirs qui se construisent à travers la cohabitation de disciplines opposées et contradictoires, dans un même projet. Ce nouveau rapport à la connaissance se nourrit de sources disparates et produit un monstre, un hybride, tributaire autant de l’épistémè européenne que des expériences des « Nouveaux Mondes » américains, érigés sur des bases autochtones et judéo-chrétiennes à la fois, nourris par les nombreuses cultures importées en terre d’Amérique par les gens venus des cinq continents. Il nous semble que l’université peut être le lieu par excellence de l’expression de la création et de la pensée articulée, d’une nouvelle intellectualité qui se nourrit du fragment et qui utilise celui-ci pour se construire; cette intuition est à la base de l’événement que nous organisons.

 

Quelques exemples de sujets et de problématiques

La liste que nous dressons ici n’a rien d’exhaustif et ne vise pas à limiter la portée des propositions. Le programme du colloque sera construit à partir des propositions retenues, et les axes thématiques qui organiseront les deux journées seront donc dégagés à la lumière des intérêts de recherche et des pratiques artistiques de nos collaborateurs.

  • Les arts et la pensée en mutation : comment le fragment résiste-t-il à la catégorisation? Aux stéréotypes? Comment peut-on réfléchir aux cultures mutantes, dans lesquelles les frontières identitaires s’estompent, par exemple? On cherchera à voir de quelle manière le fragment peut participer à ces mutations ou nous aider à les comprendre, ou encore comment les dépouilles de différentes « essences » qui se rencontrent permettent de penser les mutations identitaires à partir de la notion de fragment.
  • La décolonisation dans les Amériques : plusieurs perspectives intellectuelles et initiatives artistiques contemporaines proposent de renouer le dialogue entre peuples autochtones, peuples issus de l’esclavage et populations d’ascendance européenne. Au même moment, des voix autochtones ou afro-caribéennes s’élèvent et se font entendre pour revendiquer l’indépendance culturelle, sinon politique. L’art et la pensée issus des mouvements de décolonisation nomment-ils autrement le territoire américain? Participent-ils d’une certaine forme de réécriture de l’histoire de l’Amérique, sous des perspectives nouvelles que la notion de fragment pourrait éclairer?
  • Raconter ou montrer les Amériques : de nombreuses pratiques littéraires et artistiques tentent de raconter ou de montrer une partie de l’expérience américaine; on pourra les étudier pour la vision du continent américain qu’elles proposent. Le fragment est-il constitutif de ces productions artistiques? En délaissant de plus en plus les grands récits fondateurs pour se consacrer à des prises de paroles plus personnelles, parfois intimistes, ces nouvelles pratiques s’opposent-elles au « great american novel » tant convoité ou tentent-elles plutôt d’y participer à leur manière?
  • Le plurilinguisme américain : l’espace américain est dominé par quatre langues européennes qui entrent constamment en relation et s’interpénètrent dans les discours, qu’ils soient quotidiens ou littéraires et artistiques. À ce melting pot s’ajoutent également toutes les langues américaines, parlées depuis la Terre de Feu jusqu’à l’Alaska. Encore faut-il mentionner les autres langues qui sont parlées par de nombreuses communautés issues de l’immigration plus récente. Ce plurilinguisme n’est sans doute pas une spécificité américaine, mais collabore-t-il tout de même à l’identité multiple et fragmentaire d’un continent qui se dit dans plusieurs langues à la fois, au sein de discours et d’œuvres polyglottes? Ainsi s’intéressera-t-on à la poésie, au cinéma, au roman, à la chanson, par exemple, qui repensent les frontières linguistiques.
  • Littérature et arts visuels : On pourra se demander comment le fragment entre dans l’univers pictural dans l’espace américain, et quels rapports peuvent être établis entre texte et image dans une esthétique fragmentaire. Existe-t-il des stylistiques propres au fragment? La création artistique peut-elle en gérer la dynamique et les nouveaux défis que celui-ci engendre? Comment l’auteur-artiste ou l’artiste-assembleur lie/lit les fragments de nature différente?

 

Modalités de soumission

Les propositions de communication, d’un maximum de 350 mots, doivent parvenir à l’adresse pierre-luc.landry@uOttawa.ca avant le 1er août 2015 à 16 h (heure avancée de l’Est, GMT-4).

Les propositions doivent être accompagnées d’une notice bibliographique de 150 mots, tout au plus, précisant l’institution d’attache et les plus récentes réalisations, ainsi que les coordonnées complètes des intervenants.

Le colloque aura lieu à Ottawa, et se tiendra en français. Veuillez noter que nous ne pouvons nous engager à rembourser les frais de déplacement et d’hébergement. Les communications présentées dans le cadre du colloque seront publiées.

 

Comité organisateur :

Daniel Castillo Durante (Université d’Ottawa)

Morgan Faulkner (Université Carleton)

Pierre-Luc Landry (Université d’Ottawa/Collège militaire royal du Canada)

Valérie Mandia (Université d’Ottawa)