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Formes de vie à l’Est. Pensée et pratiques de la forme dans les cultures littéraires de l’Europe Centrale et Orientale

Formes de vie à l’Est. Pensée et pratiques de la forme dans les cultures littéraires de l’Europe Centrale et Orientale

Publié le par Marc Escola (Source : Adrian Tudurachi)

Appel à contribution pour le n° 4 / 2017 de Dacoromania litteraria

Formes de vie à l’Est

Pensée et pratiques de la forme dans les cultures littéraires de l’Europe Centrale et Orientale

 

Les « formes de vie » se trouvent aujourd’hui au cœur d’un projet ambitieux de réévaluation de l’engagement formel de l’art et de la littérature dans la perspective des formalités de l’existence. Retracer le style dans la vie et reconstituer sa dimension anthropologique, rapporter les formes aux conduites et aux gestes quotidiennes constitue la plus importante ressource contemporaine d’une pensée formaliste. La concentration récente des réflexions donne la mesure de ce champ d’interrogation : Giorgio Agamben, De la très haute pauvreté. Règles et formes de vie (2012) et Usage des corps (2016), Bruno Latour, Enquêtes sur les modes d'existence. Une anthropologie des modernes (2012), Marielle Macé, Styles. Critiques de nos formes de vie (2016) ou le collectif coordonné par Frédéric Worms et Marie Gil, La Vita Nova. La vie comme texte, l’écriture comme vie (2016). À cela s’ajoute un vaste programme de relecture de la pensée du XXe siècle, à commencer par les « techniques du corps » (Marcel Mauss) ou par la notion de Lebensform discutée par L. Wittgenstein, jusqu’au cours de Michel Foucault sur L’Herméneutique du sujet et aux « pratiques du quotidien » (Michel de Certeau). Il ne s’agit pourtant pas d’une nouvelle universalité, qui remplace la « structure » par une science de l’homme ou de la vie quotidienne. Les « formes de vie » stimulent, et cela de manière explicite, une attention au particularisme : elles apportent dans la compréhension de la dimension formelle une pensée du local et du mineur. Des formalités qui échappent à tout effort de rationalisation ou de généralisation, qui résistent à l’exploitation politique ou économique, qui s’opposent à la globalisation ou à la marchandisation. Le domaine des « formes de vie » est celui des existences parcellaires et dépendantes – et leur force, celle de concerner sous un seul regard plusieurs hypostases de la vulnérabilité collective, qu’il s’agisse de la rue, du quartier, de la périphérie ou de la colonie. En fait, dans la notion des « formes de vie » émerge une nouvelle herméneutique de la périphérie, qui offre une perspective inédite sur la dépendance et sur la diversité de ses manifestations ; qui, en outre, entraîne les formes de la littérature et des arts dans un débat éthique et politique la dimension sensible des pratiques culturelles.

Nous proposons pour le quatrième numéro de Dacoromania littéraria une focalisation sur un atelier régional des formes de vie, dans lequel la littérature, la pensée et l’éthique se tressent indissociablement : l’Europe de l’Est, comme un cadre de la pluralité des formes et de leur engagement dans la politique et dans la vie. Néanmoins, on ne veut pas se contenter à dresser l’inventaire pittoresque des conduites locales qui incarnent le style de l’européen récent et marginal : l’ancien communiste marqué par la nostalgie, le migrateur à la recherche d’une vie meilleure à l’Occident, le gitan nomade, le pauvre. Sous le titre « formes de vie à l’Est » on aimerait surtout réfléchir à la façon dans laquelle ces sociétés, caractérisées par la dépendance économique ou politique, par la précarité historique et par l’attachement profond et nationaliste à la communauté, s’investissent dans le formel de l’existence, dont elles nourrissent leurs expériences artistiques, littéraires ou réflexives.

On veut, tout d’abord, s’intéresser aux effets du totalitarisme. Car les contraintes des régimes communistes impliquent, à la fois, la réticence envers tout particularisme individuel ou communautaire, ainsi que le besoin de compenser rétrospectivement ce déficit de maniérisme dans l’existence par une transmutation globale du quotidien communiste en forme de vie. C’est ce qu’on a très vite nommé « ostalgie », pour qualifier la fascination de l’Allemagne de l’Est pour les petites présences familières de la vie sous le communisme. Si les sociétés de l’Est n’ont pas, à l’instar des sociétés occidentales, la mémoire d’une époque d’or des formes de vie, menacée par l’offensive de la globalisation et de la « société du spectacle », elles ont tendance de réinvestir stylistiquement, après coup, la biopolitique qui a nivelé leur quotidien. C’est un investissement dans les formalités de l’existence qu’il faut interroger du point de vue de la riche production littéraire qu’il a engendré (s’est avéré une recette de succès, occupant une place privilégiée entre les produits d’exportation culturelle de l’Est), mais aussi des dilemmes éthiques qu’il ouvre (concernant la fabrication d’une forme de vie nationale à partir d’un projet politique totalitaire, v. Boris Groys, The Total Art of Stalinism) ou du rapport de cette forme « totale » de la vie aux marginalités et aux enclaves communautaires (v. l’intérêt pour les existences menées à la périphérie de la société dans la série des physionomies marginales de Vasile Ernu, Bandiții [Les Bandits] et Sectanții [Les Sectaires]).

On vise ensuite la longue histoire nationaliste de la réflexion sur les formes. Par leur acte fondateur, ces « cultures nationales », créées ou réinventées au XIXe siècle, se sont appuyées sur la transformation des mœurs et des habitudes en art : les littératures « mineures » de l’Europe de l’Est ont compensé l’absence des patrimoines littéraires multiséculaires par la mise en œuvre des formalités de l’existence, par la réfiguration esthétique d’une composante éthique. Dans cet espace, l’action culturelle noue – presque naturellement – l’esthétique des œuvres, les pratiques ethniques de la vie et la politique de la légitimation nationale. On peut se demander si ce conditionnement culturel ne stimule l’intérêt, indissociablement réflexif et politique, pour les formes : c’est dans cette perspective qu’on peut aborder l’engagement systématique, récurrent, dans le projet d’un « style national », qui, à son tour, a justifié une singulière attention aux formes de la vie, de la langue ou de la culture. Aussi, dans plusieurs cultures de l’Europe Centrale et de l’Est a-t-on vu se déployer entre les deux guerres des « philosophies de la stylistique nationale », capables de mobiliser et de détourner politiquement les ressources de la pensée modale du début du siècle (v. par exemple la relecture des œuvres de Simmel, Riegl, Worringer ou Dvorak dans des contextes nationalistes ou le développement de plusieurs écoles de pensée particulièrement sensibles à la dimension morphologique des faits de l’esprit, à ne rappeler que le Cercle linguistique de Prague).

Enfin, on voudrait interroger les rythmes historiques de changement des « formes de vie », la succession des entrées et des sorties, les adaptations incomplètes et les abandons. Qu’est-ce qui mobilise sur le plan de la vie cette importation maladroite du modèle de l’ « homme nouveau », promu par la propagande communiste et illustré dans une production romanesque aussi riche que stéréotypée, une vita nova artificielle et rejetée par le corps social ? Ou encore, comment cerner la nouveauté du nationalisme comme forme de vie, source d’émotions publiques et privées inédites, éprouvées avec tant de maladresse et d’hésitations par les gens du XIXe siècle ? Il faut donc situer dans un espace culturel cette sensibilité au déséquilibre et à l’alternance rapide des modèles de vie, à la nouveauté et à l’impropriété, dans laquelle Marielle Macé voyait dans son dernier livre la particularité de toute installation dans une forme. Au fond, c’est toujours un écrivain de l’Est, Franz Kafka, qui a le plus marqué dans la culture occidentale le thème du devenir et de l’alternance des régimes de vie.

 

Modalités de soumission :

On attend les propositions d’articles (4000 signes, espaces compris) accompagnées d’une bio-bibliographie, jusqu’à 30 juin 2017, à l’adresse adrian.tudurachi@gmail.com. Les propositions envoyées seront soumises au conseil de rédaction, qui décidera de l’acceptation.

Les articles entiers (25000-50000 signes) seront envoyés jusqu’au 15 octobre 2017 (consignes de présentation des manuscrits sur le site de la revue : http://www.dacoromanialitteraria.inst- puscariu.ro/). La décision de publication sera prise après l'évaluation externe et communiquée jusqu’au 30 novembre 2016.

 

Calendrier :

Date limite de soumission des propositions (4000 signes, espaces compris) : 30 juin 2017

Notification d'acceptation des propositions : 15 juillet 2017

Remise des textes complets (50000 signes maximum, espaces compris) : 15 octobre 2017

Décision finale de publication : 30 novembre 2017

 

Responsables du dossier :

Angelo Mitchievici (angelo_mitchievici@yahoo.com), Professeur dr., Faculté des Lettres, Université « Ovidius », Constanța.

Adrian Tudurachi (adrian.tudurachi@gmail.com), Chercheur dr., Institut de Linguistique et d'Histoire Littéraire « Sextil Pușcariu », Cluj-Napoca.