Questions de société
Doit-on diriger une université comme France-télécom ? AutonomeSup - 10/12/10

Doit-on diriger une université comme France-télécom ? AutonomeSup - 10/12/10

Publié le par Bérenger Boulay (Source : autonomeSup)

Editorial du bulletin n°133 d'AutonomeSup:

DOIT-ON DIRIGER UNE UNIVERSITÉ COMMEFRANCE-TÉLÉCOM ?

Par Jean-Louis CHARLET

Lors du grandmouvement de 2009, j'ai eu l'occasion de nouer de nombreux contacts avec desjournalistes et parfois de dialoguer, plus ou moins facilement, avec eux. Lepoint de départ de mon éditorial m'est donné par un échange assez viteinterrompu avec le responsable des questions d'éducation, en particulieruniversitaires, d'un grand quotidien du soir. Ce dernier me disait en substance: « Je comprends votre position sur la place de la recherche dansl'enseignement supérieur, sur le statut des personnels universitaires et sur laqualité des diplômes. Mais il y a un manque dans votre discours : AutonomeSupne parle jamais de la nécessité de gérer l'université comme uneentreprise ». Il ajouta même : « Je ne comprends pas qu'une telleévidence, depuis les analyses de C. Allègre, ne soit pas intégrée à votreréflexion ».

Ma réponsefut brutale : AutonomeSup ne se laisse pas dicter sa conduite ou ses prisesde position par le prêt à penser du politiquement correct ! Et siprécisément nous n'avons jamais envisagé une gestion "managériale" del'Université, c'est bien parce que pour nous l'université n'est pas uneentreprise et ne saurait être dirigée comme telle. J'ajoute que moninterlocuteur, pourtant spécialiste des questions universitaires et ayantexercé, avant de passer dans le journalisme, des responsabilités dans larecherche universitaire, me paraît n'avoir rien compris au mouvement de fond,au-delà des clivages syndicaux, qui soulevait alors l'Université : descollègues de toutes opinions (et rassemblés peut-être pour la première foisdans un vaste mouvement de défense de l'Université et des universitaires)criaient précisément leur refus de voir l'Université assimilée à uneentreprise, les présidents à des PDG et les universitaires à des employés deces PDG : les universitaires sont l'Université.

Le vice majeur de la loi LRU, quiaurait pu suivre une autre voie si le pouvoir actuel avait retenu lesamendements votés par le Sénat et n'avait pas, dans un débat à la sauvette,imposé une disposition électorale aussi inique qu'aberrante, est précisémentd'avoir dépossédé les universitaires de l'université. Et la premièrerédaction du décret statutaire des universitaires tendait à les dépouiller deleur statut national. D'où l'explosion à laquelle les hommes politiquesauraient dû s'attendre. N'en déplaise à certains, c'est grâce à AutonomeSup quele texte définitif du décret respecte un équilibre entre l'autonomie desuniversités et l'indépendance des universitaires garantie par un statutnational et par le Conseil National des Universités. Mais cet équilibre, nousl'avions déjà dit lors des négociations, est fragile : il faut que toutes lesparties le respectent !

Or on assiste à un effort de reconquête de lapart des présidents : le statut que nous avons obtenu limite leurs pouvoirs quitendaient à devenir quasi féodaux. Au nom d'une direction managériale commecelle d'une entreprise, ils voulaient avoir la haute main sur les nominations,les promotions, les primes, la modulation des services... Bref, ils voulaientêtre des PDG (sans d'ailleurs les limitations du pouvoir des PDG qui peuventêtre remerciés par les conseils d'administration). Aujourd'hui, on constate quede nombreux présidents n'ont pas compris le mouvement de 2009 et ils cherchent,en biaisant avec le statut des universitaires, voire en le violant, à reprendrecertains des pouvoirs qui leur avaient été promis, mais que nous avions pu leurarracher lors des négociations sur le décret statutaire.

Ce qui est inquiétant, c'est que le Ministère,qui devrait garantir l'équilibre assuré par le décret, ne réagit guère, malgrénos mises en garde, aux atteintes au statut national que l'on constate dans detrop nombreuses universités. Pourtant, si la préoccupation de nos dirigeantsest bien la qualité (je n'ose dire l'excellence tant le mot est aujourd'huigalvaudé par l'emploi qu'on en fait à tort et à travers) de l'Université pourpromouvoir une recherche française à la pointe de la connaissance et une bonneformation des cadres dont notre pays a besoin, ils doivent savoir qu' il n'ya pas d'université de qualité sans motivation des universitaires qui sont,rappelons-le encore une fois, l'Université. Or, même dans les entreprises,on ne saurait diriger les êtres humains comme on gère des stocks ou desmatériels. Par l'exemple de France-Télécom, on a vu à quoi pouvaient conduirecertains modes de gestion des personnels : désespoir pour des salariés, imagede marque ternie pour l'entreprise (donc, même au plan de la rentabilité,l'absence d'humanité ne paie pas !). Certaines entreprises l'ont compriset changent leur manière de faire. Qu'on renonce à cette abominable expressionde  « ressources humaines » : les humains ne sont pas desressources, des objets, des matières premières comme le fer, le pétrole, ou lecharbon. Il faut un chef du personnel pour diriger des personnes, non un« directeur des ressources humaines ».

Pour en revenir à l'Université, oui il fautune bonne gestion : l'argent public doit être utilisé à bon escient etl'économie est une qualité. Mais ce souci légitime de bonne gestion ne doit pasconduire à l'inhumanité. Or, dans la loi LRU telle qu'elle a été votée et dansla politique actuellement menée de regroupement inconsidéré des universités, ona l'impression que le but recherché est moins d'améliorer la recherche etl'enseignement universitaires que d'atteindre les plus gros regroupementspossibles, comme si ce qui est énorme était en soi meilleur ! On sembleregrouper pour regrouper, en espérant que si le nombre d'universités diminue defaçon drastique elles seront mieux gérées et en faisant le calcul qu'endéléguant à un petit chef local bien payé (le président), les pleins pouvoirs,celui-ci se chargera de mettre au pas les universitaires... et le Ministèren'aura pas à le faire lui-même ! Un récent rapport sur les PRES a montré quecette réforme n'avait produit aucune économie. Et quelle économie (au sensnoble du terme) peut-on attendre d'une fusion entre les universités de Reims etd'Amiens ? Oui, certains regroupements d'universités s'imposent et nousn'avons pas approuvé la politique inconsidérée qui a multiplié les petitscentres universitaires. Mais, inversement, des ensembles trop gros nonseulement n'amélioreront pas le fonctionnement universitaires et n'entraînerontaucune économie, mais ils paralyseront la recherche et l'enseignement enmultipliant les niveaux d'administration et en déshumanisant l'université.Actuellement, dans la plupart des universités, on connaît trois niveaux dedécision : le département, l'UFR et les conseils et services centraux. Si oncrée une université gigantesque, on est contraint soit de multiplier lesniveaux de gestion (un niveau campus entre le niveau central et les UFR ; desniveaux intermédiaires entre le département et l'UFR si cette dernière est sigrosse qu'elle perd toute cohérence scientifique ou pédagogique ; des sectionssi les départements deviennent monstrueux). Bref, des universités trop grossesexigeront des niveaux d'administration si nombreux ou si éloignés desuniversitaires qu'on perdra à remplir de la paperasse ou à sauter les obstaclesadministratifs l'énergie qu'on devrait consacrer à l'enseignement et à larecherche ! Un audit indépendant des PRES et des universités regroupées ousur le point de l'être s'impose : c'est une des revendications d'AutonomeSup.

Non, l'Université ne doit pas être géréecomme une entreprise. Tout en évitant les morcellements injustifiés, elle doitconserver une taille et des structures humaines et permettre auxuniversitaires, dans le respect de leur indépendance, de développer leur espritde recherche et d'innovation. Il n'y a pas d'innovation sans liberté !Ecraser les universitaires sous les mammouths administratifs ne peut conduirequ'à la sclérose ou à la mort de l'université française. Quant aux présidentsdes universités, qu'ils n'oublient pas qu'ils sont des universitaires et qu'ilsdoivent se comporter à l'égard de leurs collègues non comme des PDGomnipotents, mais comme des primi inter pares.

Aix-en-Provence, le 10 décembre 2010

Jean-Louis CHARLET

Président d'AutonomeSup

charlet@mmsh.univ-aix.fr

(Editorial du bulletin n°133 d'AutonomeSup, sous presse)

Faut-il « gérerl'université comme une entreprise » ? Une mise au point du pôleéducation du Monde

Les journalistes du Monde en charge des questionsd'éducation et des questions universitaires défendent-ils l'idéequ'il faut « gérer l'université comme une entreprise » ?Et de cette « nécessité » qui serait pour eux une« évidence » peut-on en déduire la position du journal ?Par-delà les incompréhensions qui ont notoirement opposé en 2009 notrequotidien à une partie des universitaires, la réponse à ces deux questions estclairement négative : ce n'est pas la position du Monde.

Pourtant, dans son éditorial du bulletin n°133 dusyndicat Autonome Sup, intitulé « Doit-on diriger une université commeFrance-Télécom ? » et mis en ligne le 12 décembre 2010 sur le siteFabula, le président de ce syndicat, Jean-Louis Charlet, laisse très nettemententendre le contraire. Voici ce qu'il écrit :

“ Lors du grand mouvement de 2009, j'ai eul'occasion de nouer de nombreux contacts avec des journalistes et parfois dedialoguer, plus ou moins facilement, avec eux. Le point de départ de monéditorial m'est donné par un échange assez vite interrompu avec le responsabledes questions d'éducation, en particulier universitaires, d'un grand quotidiendu soir. Ce dernier me disait en substance : « Je comprends votre positionsur la place de la recherche dans l'enseignement supérieur, sur le statut despersonnels universitaires et sur la qualité des diplômes. Mais il y a un manquedans votre discours : AutonomeSup ne parle jamais de la nécessité de gérerl'université comme une entreprise ». Il ajouta même : « Je necomprends pas qu'une telle évidence, depuis les analyses de C. Allègre, ne soitpas intégrée à votre réflexion ». “

Jean Louis Charlet ajoute que sa réponse « futbrutale » : AutonomeSup,indique-t-il en caractères gras, « ne se laisse pas dicter sa conduite ouses prises de position par le prêt à penser du politiquementcorrect ! ».

La publication puis la mise enligne de ce texte nous obligent à faire la mise au point suivante :

Aucun des journalistes du quotidienayant eu à traiter en 2009 de l'actualité universitaire ne se reconnaîtdans les propos cités par M. Charlet « en substance » et néanmoinsentre guillemets. De plus, nous ignorons totalement qui peut être ce« responsable des questions d'éducation, enparticulier universitaires » dont M. Charlet, dans son texte, suggèrequ'il serait représentatif de la position du journal. Nousn'entendons pas polémiquer avec M. Charlet sur la réalité de laconversation dont il fait état ni même connaître le nom du confrère auquelil prête de tels propos. Nous voulons souligner le fait, très simple, que nousne nous reconnaissons pas dans ces propos et que nous ne voyons pas quid'autre pourrait les avoir tenus. Cela devrait suffire, et c'est cequi nous importe, à écarter l'idée - totalement inexacte –qu'ils seraient représentatifs du Monde.

Les journalistes membres du pôle éducation du Monde

Maryline Baumard (responsable du pôle éducation depuismars 2009) ; Christian Bonrepaux ; Luc Cédelle ; AurélieCollas ; Benoît Floc'h ; Philippe Jacqué.