Questions de société
CNRS : réforme, plan stratégique, évaluation (blog de S. Huet 07/07/09)

CNRS : réforme, plan stratégique, évaluation (blog de S. Huet 07/07/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Sur le blog de Sylvestre Huet:

CNRS : réforme, plan stratégique, évaluation

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/07/cnrs-r%C3%A9forme-plan-strat%C3%A9gique-%C3%A9valuation.html

Que va devenir le Cnrs ? Un ensemble de textes récemment publiés permet de répondre - à tout le moins de réfléchir - à cette question.

Son contrat avec l'Etat pour les cinq prochaines années, voté par le Conseil d'Administration dans des conditions rocambolesques.

Son plan stratégique qui lui voit beaucoup plus loin à l'horizon 2020.

La lettre que Catherine Bréchignac et Arnold Migus viennent d'envoyer à son personnel.

L'avis du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie sur sa réforme... qui insiste sur le rôle du Comité national.

et un texte (reproduit ci dessous) signé par Gilles Boëtsch, anthropobiologiste, président de son Conseil Scientifique, Rémy Mosseri, physicien, président du Conseil Scientifique du département Mathématiques, Physique, Planète et Univers, etPhilippe Walter, biologiste, président de laConférence des présidents de section du Comité National de la RechercheScientifique, qui traite de la question de l'évaluation et met en causel'AERES.

Cet ensemble de textes montre que, comme l'Universitéet en lien avec les réformes qui s'y déroulent, la recherche publiquese transforme. Nicolas Sarkozy en a fait l'un des objectifs majeurs de son quinquennat et Valérie Pécresse a pour l'instant tenu cet objectif, modulo quelques concessions aux contestataires.

L'appréciation de cette politiqueet de ce que ses contestataires ont obtenu fait débat. Les termes decombat employés par les protagonistes ont pu tromper sur les contenusréels des politiques, des réformes, des concessions. La thèse du"démantèlement" de la recherche publique reste en suspens, mais enrevanche, il y a clairement un programme de vaste ampleur visant à sa "réorientation"en fonction d'objectifs économiques, et par un mode de gestion dusystème le mettant sous contrainte, limitant le degré de liberté desscientifiques au profit soit de la recherche finalisée, soit d'uninterventionisme accru du politique dans la recherche de base parl'intermédiaire d'instances - ANR, AERES - nommées à 100% et nonréunissant élus des scientifiques et nommés par les directions et lepouvoir politique.

Que cette vision, cette réorganisationsoit efficace ou non en termes de production scientifique et même devalorisation mérite bien sûr débat. Mais il est clair que même si legouvernement voulait aller plus loin dans le découpage du Cnrs enInstituts, même s'il recule pas à pas sur la proportion du "blanc" dansles programmes de l'ANR et donc ouvre de nouvelles plages de liberté,même si la capacité d'initiative financière et donc scientifique duCnrs, de ses laboratoires reste corseté, on est très loin de la mise àmort de l'organisme telle que la rêvait la bande à Devaquet en 1986.

La réaffirmation que les UMR et donc la double tutelle scientifique -locale par l'université et nationale par le Cnrs - demeurent la clef devoute du système constitue l'essentiel tant c'est là que se jouel'avenir de la recherche. Quelle part de cette situation manifestementdifférente des amibtions initiales ou des visées de conseillers de laPrésidence, doit être revendiquée par les contestataires, lessyndicats, certains membres du cabinet de Valérie Pécresse ou laministre elle même... cela reste à déterminer. Mais le résultat est là.

Ledébut du texte reproduit ci-dessous illustre ce débat, sa suite montrequ'il ne va pas s'arrêter en traitant en détail de la question del'évaluation. Bonne lecture...

A propos de l'évaluation de la recherche
Le mois de juin 2009 a été riche d'événements importantspour le CNRS, avec la mise au vote d'un contrat d'objectifs et lapréparation du nouveau du décret fondant l'organisme. Le gouvernement,jeu politique aidant, déclare que s'il a fait quelques concessions, iln'a pas varié sur l'essentiel de ses projets. Ce constat est d'ailleurspartagé, sans satisfaction, par une partie de la communautéscientifique. Mais il serait négatif pour l'avenir de gommer quelquesinfléchissements importants, que nous rappellerons brièvement avantd'aborder le sujet de l'évaluation scientifique, qui focaliseaujourd'hui une incompréhension croissante.
 Une première visionerronée du dispositif de recherche français a conduit le pouvoirpolitique à vouloir lier un recentrage souhaité sur les universités audémantèlement du CNRS. Or, un partenariat croissant entre ce dernier etles universités s'effectue aujourd'hui au sein d'Unités Mixtes deRecherches (UMR) CNRS-Université. Et si le discours officiel estmaintenant celui d'un soutien aux UMR, cela n'a pas toujours été lecas. Aux premiers mois de la mise en place de la loi LRU, legouvernement, encouragé par quelques présidents d'université, voulaitun abandon immédiat de la co-tutelle des organismes de recherche. Il afallu un très large mouvement de contestation, en particulier dedirecteurs de laboratoires et de personnalités scientifiques, pour quele ministère fasse machine arrière et admette le principe éprouvé de laco-tutelle scientifique des laboratoires.
La volonté de démantèlement du CNRS a pris d'autres formes :projets de diminution à terme de l'emploi scientifique stable ou bienencore visant à l'amputer des sciences biologique et de l'informatique.Là aussi une opposition largement majoritaire du milieu scientifique asemblé aboutir à des évolutions partielles des positions ministériellesdepuis 3 mois; mais il nous reviendra en particulier de vérifier encontinu que les nouvelles « Alliances » mises en place joueronteffectivement le rôle souhaité de coordination des différentsopérateurs de recherche, et pas de coins pour in fine éclater le CNRS.

Concentrons-nous sur une autre erreur de nos gouvernants, relative au processus d'évaluation menéen particulier par le comité national de la recherche scientifique (CN)auquel nous appartenons. Et corrigeons tout d'abord deux inexactitudesqui diffusent jusque dans les discours présidentiels (serait-il malconseillé ?). Non, le CN n'est pas une instance simplement élective,mais comprend en son sein un nombre significatif de membres nommés parles tutelles (un tiers pour les sections disciplinaires et la moitiépour les conseils scientifiques, en particulier des chercheursétrangers). Non, le CN n'est pas une instance « interne » au CNRS : labase électorale des ses membres élus (près de 60000 personnes) comprendune majorité de personnels hors CNRS. D'ailleurs, lors du précédentmandat du CN (de 2004 à 2008), environ la moitié des présidents dessections du CN étaient des professeurs d'université.

Le CN a une mission d'évaluation de la recherche dans lesdomaines couverts par le CNRS. Il examine l'activité scientifique deschercheurs, les demandes de promotions, les embauches (en formation dejury), donne des avis sur le devenir des unités de recherche, etconseille les directions de l'organisme sur tout point d'intérêtscientifique.
L'apparition récente d'une agence d'évaluation, l'AERES, dont lespectre d'intervention est plus large, sème aujourd'hui le trouble.Pour conforter la montée en puissance de l'AERES, le gouvernement asupprimé le mot « évaluation » du projet de nouveau décret sur le CNRS(sur la version du texte portée à notre connaissance à ce jour) auniveau des « missions » de l'organisme, et n'a semble-t-il pas acceptéà ce jour de le réintroduire ne serait-ce que comme un des « outils »qu'il peut mettre en oeuvre pour remplir ses missions. Pourtant, dans uncourrier récent, la Ministre défend cette suppression de l'évaluation,dans l'énoncé des missions du CNRS, « parce qu'elle ne peut êtreconsidérée comme une fin en soi, mais plutôt comme un outil au servicede l'excellence de la recherche conduite par cet organisme». Ce pointmériterait au moins d'avoir une traduction dans le nouveau décret.Notons par ailleurs que le Conseil supérieur de la recherche et de latechnologie a donné un avis le 29 juin 2009, exprimé à l'unanimité, surle projet de décret, et préconise de réintroduire l'évaluation auniveau des missions de l'organisme, et, sur la question plus précise del'évaluation des unités, au même titre que ce qui existe dans le décretde l'INSERM de mars 2009, d'y inscrire que les sections du comiténational « participent à l'évaluation périodique de l'activité desunités de recherche qui relèvent de leur secteur ».

Refuser l'idée qu'à côté d'une part utile d'évaluation «externe », ponctuelle et a posteriori, un organisme qui se veut vivantet réactif, doive impérativement et en continu, se livrer à un travaild'élaboration de politique scientifique, qui impose une évaluation plusinterne de la recherche telle qu'elle se mène, est vraiment une erreurmajeure. Vouloir réduire à ce point la qualité de fonctionnement duCNRS, n'est-ce pas là signer une fois de plus une méfiance à l'égard dumonde de la recherche, si clairement manifestée par le discoursprésidentiel du 22 janvier dernier, et qui avait soulevé uneréprobation générale. La question pourrait se poser d'ailleurs à uneuniversité qui voudrait se doter d'un service interne d'évaluation encontinu qui lui permette de voir où elle va. Le gouvernementchercherait-il alors à le lui interdire, sous prétexte que c'est «l'évaluation tous les quatre ans par l'AERES qui doit être l'alpha etl'oméga du suivi des universités » ?

Au passage nous contestons la réalité de l'indépendanceautoproclamée de l'AERES, dont tous les responsables sont nommés par lepouvoir politique, et qui se réserve le droit de récrire, le caséchéant, les rapports produits par les scientifiques en charge desexpertises.

Comparons un instant l'évaluation des laboratoires et celledes chercheurs. Les « comités de visite » des UMR, source tous lesquatre ans du rapport AERES, ne sont pas une invention de cettedernière. Pour la plupart des disciplines, ils existaient avant, etleur composition n'était pas fixée par le CN, bien que celui-ci y fûtmieux représenté, en particulier là où les aspects pluridisciplinairesle rendaient utile. De leur côté, les chercheurs remplissent un rapportannuel d'activité et leur activité est examinée par le comité nationaltous les deux ans et pour chaque demande de promotion. Si l'examen del'activité d'un laboratoire doit aussi mettre en évidence la présence,ou l'absence, de synergie entre ses personnels (comme dans tout systèmecomplexe, le tout ne se résume pas ici à la somme des parties), quiprétendrait que la qualité scientifique d'une unité de recherche n'estpas largement fonction de celle de ses personnels ? Or cetenrichissement mutuel de l'évaluation des personnels et de l'unité esten régression, alors même qu'il pourrait s'enrichir prochainement del'examen de l'activité scientifique des enseignants-chercheurs par leconseil national des universités. Si l'on ajoute que l'AERES aintroduit une étape nouvelle de notation, dont le principe et lesmodalités sont largement critiqués, on ne peut manquer de conclure queplutôt que d'enrichir un processus préexistant d'évaluation des UMR,l'AERES tend aujourd'hui à l'appauvrir.

 Il est donc bien tempsque la posture idéologique s'efface, qu'il soit reconnu au CNRS, dansson décret, la possibilité de recourir à tout type d'évaluation utile àl'accomplissement de ses missions, que le fonctionnement de l'AERESsoit sensiblement amélioré (nous avons des propositions), et que l'onadmette que cette évaluation ponctuelle ne peut résumer à elle seule unprocessus plus complexe, continu et global de l'évaluation de larecherche, qui associe organismes de recherche et structuresd'évaluation des scientifiques eux-mêmes. Cette question del'évaluation, parmi d'autres, a été largement débattue lors d'uneréunion plénière extraordinaire du Comité National le 10 juin 2009.

Gilles Boëtsch, anthropobiologiste, président du ConseilScientifique du CNRSRémy Mosseri, physicien, président du Conseil Scientifique dudépartement Mathématiques, Physique, Planète et Univers, du CNRSPhilippe Walter, biologiste, président de la Conférence des présidentsde section du Comité National de la Recherche ScientifiqueLe 7 juillet 2009