Essai
Nouvelle parution
Cl. Dupont, Jaurès, ce que dit un philosophe à la cité

Cl. Dupont, Jaurès, ce que dit un philosophe à la cité

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Marie-Pierre Ciric)

Claude Dupont, Jaurès, ce que dit un philosophe à la cité

Paris : Les Belles Lettres, 2010.

EAN 9782251443850

Présentation de l'éditeur :

On entend beaucoup parler de Jaurès. Mais le connaît-on ?
On connaît l'homme politique. Il fut d'abord un philosophe, condisciple de Bergson, et sa thèse sur La réalité du monde sensible est une oeuvre marquante. Historien magistral de la Révolution française, il fut aussi un éditorialiste percutant et un critique littéraire avisé. Socialiste, il fut le chantre de la liberté individuelle, haïssant fonctionnarisme et bureaucratie. Pacifiste, il mettait la science militaire au niveau des autres sciences. Anticlérical, il affirmait que le socialisme serait une « révolution religieuse ».
En lisant Jaurès, ces pages qu'anime un souffle puissant et que colore un humour parfois cinglant, on rencontre les problèmes qui restent les nôtres : la guerre ou la paix, le mode d'organisation de la société, mais aussi le rôle de l'école, la décentralisation, l'aménagement du territoire, le devenir du monde rural et du commerce, et même les délocalisations d'entreprises ainsi que le travail dominical.

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"Jaurès. Ce que dit un philosophe à la cité" : Jaurès, encore et toujours LE MONDE | 14.04.10 |

Jaurès est à la mode. Editorialement parlant, du moins. Aucun homme politique, en effet, n'a vu ses textes aussi souvent republiés au cours des dernières années. Chez Fayard d'abord, où Gilles Candar et Madeleine Rebérioux (1920-2005) ont inauguré en 2000 une édition de ses Oeuvres en dix-huit volumes (le cinquième, consacré aux années de jeunesse, a paru en 2009). Mais aussi chez d'autres éditeurs, comme Le Cherche Midi, qui a publié un beau recueil de textes à l'occasion du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat (Laïcité et République sociale, 2005) ; ou Privat, qui, pour le 150e anniversaire de la naissance de Jaurès, a rassemblé les 1 300 articles publiés par celui-ci dans le quotidien La Dépêche de Toulouse entre 1887 et 1914 (Jaurès et La Dépêche, 2009).

35326566343963613461326136336430 Pourquoi un tel engouement ? Les mauvaises langues y verront sans doute un symptôme de la crise que traverse le socialisme français. En période de doute, la référence aux grands ancêtres a une vertu réconfortante. Quand on ne sait où l'on va, il est toujours rassurant de se rappeler d'où l'on vient. On peut toutefois faire une analyse moins cynique, et considérer qu'il est possible de continuer à lire Jaurès pour la simple raison que ses réflexions demeurent singulièrement pertinentes. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire l'anthologie que vient de publier Claude Dupont.

Voyez par exemple ce que le député du Tarn écrivait en 1889 dans La Dépêche : la grande industrie "appartient aux actionnaires, elle est dirigée par des conseils d'administration, c'est-à-dire par des conseils de capitaux". Or, ajoutait-il, "tous ceux qui sont pris sans fortune dans cet immense engrenage (...) ne peuvent avoir l'espérance, quelles que soient leur ardeur, leur intelligence, leur expérience, d'arriver à la direction suprême" des grandes entreprises.

Jaurès considérait qu'il s'agissait là d'un "problème national". A ses yeux, une société ne saurait supporter que, "sur tous les chemins (du travail), se dresse comme un obstacle infranchissable la puissance brute du capital anonyme". Frappée de "désenchantement", une telle société risque en effet d'être "secouée par des réveils de convoitise et de démagogie". Et de perdre, "avec le respect du travail considéré désormais comme l'esclavage indéfini, le respect d'elle-même et de la vie".

Clairvoyant, Jaurès l'était également quand il évoquait la tendance des "grands industriels français à fonder à l'étranger des établissements rivaux des nôtres". Le mot "délocalisation" n'était pas prononcé, mais la chose, elle, était parfaitement décrite. "Il y a là une expropriation évidente de la main-d'oeuvre française, et si, au moment où nos capitaux vont stimuler, au loin, contre nous, la concurrence universelle, nous n'accroissions pas aussi notre force interne de production, il y aurait rupture d'équilibre : notre pays, serait, si l'on me passe la comparaison, comme un homme qui se penche trop au-dehors et qui risque de tomber par la fenêtre."

Clemenceau, qui ne renonçait jamais à un bon mot, dit un jour : "On reconnaît tout de suite un discours de Jaurès : tous les verbes y sont au futur." Il entendait ainsi se moquer du doux rêveur qu'était à ses yeux le fondateur de L'Humanité. Mais, comme le rappellent les textes sélectionnés ici, Jaurès ne fut pas que le chantre de l'avenir radieux. Il fut aussi le prophète des horizons ténébreux.

JAURÈS. CE QUE DIT UN PHILOSOPHE À LA CITÉ. Textes choisis et introduits par Claude Dupont. Les Belles Lettres, 302 pages, 17 euros.


Thomas WiederArticle paru dans l'édition du 15.04.10