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Appels à contributions
Aux frontières de l’humain : esclavage et monstruosité

Aux frontières de l’humain : esclavage et monstruosité

Publié le par Université de Lausanne (Source : Cécile Gauthier)

Appel à contribution pour un numéro à paraître de La revue d’études culturelles, Université de Bourgogne :

 

« Aux frontières de l’humain : esclavage et monstruosité »

 

S’il suscite le rejet, voire la peur, la figure du monstre, défi à la raison et à la norme, révélateur des hantises d’une époque, a aussi souvent fasciné, obligeant l’homme à repousser les limites du pensable et du possible, sur le plan esthétique comme philosophique. Symbole d’une humanité souffrante ou incarnation du droit à la différence, il peut donc aussi forcer la sympathie, soit par ses formes extravagantes qui mettent plaisamment à l’épreuve l’imagination créatrice, soit en vertu de l’archétype associant à la laideur physique la beauté morale. Pour ce qui est de l’esclavage, les monstres et monstruosités qu’il génère sont en revanche bien à ranger du côté de la barbarie, ce qu’éclaire la fréquence de la métaphore associant l’esclavagisme à un monstre dans la rhétorique abolitionniste nord-américaine, ainsi dans cette citation de l’ancien esclave Frederick Douglass à la veille de la Guerre de Sécession : « Slavery is everywhere the pet monster of American people » (discours Slavery and the Irrepressible Conflict , 1860). L'esclavage est monstre domestique en somme, et l'image en miroir de ceux qui l'ont créé, qualifiés pour leur part de « Black Frankenstein ». La monstruosité morale de ce système aberrant, contre-nature, provoque en effet la déshumanisation de ses « acteurs » : les esclaves, certes, mais aussi les maîtres, selon le lieu commun anti-esclavagiste qui veut que le système soit un poison source de perversion pour tous ceux qui s’abaissent à y participer. Nous nous proposons donc d’étudier la manière dont l’esclavage devient une fabrique du monstre, et ce en adoptant une perspective historique large, prenant en compte la totalité de l’espace atlantique, sans se limiter aux seuls Etats-Unis. Les pistes suivantes pourront être privilégiées :

 

  • Ce que l’esclavage fait à l’esclave, et à l’esclavagiste : la fabrique du monstre

 

Une analyse du système esclavagiste devrait permettre de montrer comment il génère du monstrueux, à des échelles et sur des plans divers : corps monstrueux (par ex. corps mutilés des esclaves, corps démoniaques des maîtres), comportements monstrueux (actes de violence extrême, destruction des liens familiaux, viols, traite d’êtres humains…)

On s’interrogera à cet égard sur la définition de la monstruosité ; et sur la façon dont le système, par le défi qu’il lance à la raison et à la morale, oblige à réévaluer le sens de certains gestes : par exemple l’infanticide par les mères esclaves, qui peut être compris comme ultime geste de care.    

On pourra également adopter l’angle d’étude de la monstruosité pour mener une analyse politique des discours (excédant le seul discours littéraire) portant sur l’esclavage et l’exposé du système esclavagiste.

 

  • Etre ou ne pas être homme : sortir de l’humanité ou (re)devenir humain

 

On s’interrogera sur les représentations des esclaves, la déshumanisation à laquelle ils sont soumis, les stratégies de résistance déployées pour réaffirmer leur humanité. Mais les processus de déshumanisation concernent aussi les maîtres, comme le montre la démonstration fréquente de l’humanité des esclaves aux dépens de l’inhumanité des maîtres.

Florence Gauthier (dans Monstre et imaginaire social. Approches historiques, sous la direction d’Anna Caiozzo et Anne-Emmanuelle Demartini, Créaphis éditions, 2008) explique comment, depuis la Renaissance, la confrontation des Européens à la question de l’esclavage conduisait à déplacer les lignes, selon une anthropologie opposant non plus civilisation et barbarie, mais liberté et esclavage. La réflexion est donc de nature anthropologique, relative à la détermination des critères de l’humanité et à la possibilité de poser un cadre commun pour envisager l’humanité comme une totalité. On pourra se demander si ce cadre commun conduit à réintroduire une pluralité excédant la polarité entre maîtres et esclaves, laquelle s’appuie justement sur une idéologie racialiste mettant à mal l’idée d’humanité.  

 

  • Poétiques de la monstruosité : poétiques de l’excès ou de l’indicible? 

 

On étudiera les modalités de traduction de cette monstruosité dans les arts (littérature, cinéma, arts plastiques, arts visuels). La métaphore, déjà évoquée, ou l’allégorie, sont des figures récurrentes, mobilisées notamment dans le discours argumentatif dénonçant l’esclavage, mais d’autres pistes doivent être poursuivies : on pourra étudier le motif de la métamorphose, décisif dans ce passage des frontières entre l’humain, l’inhumain et le monstrueux ; s’interroger sur les limites (éthiques et esthétiques) du représentable, le lien entre monstruosité et horreur, ou folie, et sur le choix du spectaculaire, ou au contraire son refus qui peut conduire à une stratégie de déplacement, à un recours à l’implicite, à l’ellipse.

 

Les propositions, d’environ 400 mots, sont à renvoyer pour le 15 juin 2016, aux adresses suivantes :

Cécile Gauthier (Université de Reims Champagne-Ardenne) : cmfgauthier@gmail.com

Flora Valadié (Université de Bourgogne) : fvaladie@gmail.com

 

Les articles, de 30 000 signes maximum (notes comprises), seront à rendre pour le 1er février 2017.