
Diverse et unifiante : La réécriture arthurienne de Jacques Roubaud. Soutenance de Leticia Ding (dir. J.-C. Mühlethaler & Lucy O’Meara, Lausanne)
Université de Lausanne – University of Kent
Diverse et unifiante : La réécriture arthurienne de Jacques Roubaud
Soutenance de thèse de Madame Leticia Ding, candidate au doctorat ès lettres.
Directeur·trice·s de thèse :
- Monsieur Jean-Claude Mühlethaler, Professeur honoraire, Faculté des lettres, UNIL
- Madame Lucy O’Meara, Senior Lecturer, University of Kent, Royaume-Uni
Membres du jury :
- Monsieur Alain Corbellari, Professeur, Faculté des lettres, UNIL
- Monsieur Larry Duffy, Senior Lecturer, University of Kent, Royaume-Uni
- Madame Nathalie Koble, Maître de conférences, ENS Paris, France
Jury présidé par Madame Dominique Kunz Westerhoff, Professeure, Faculté des lettres, UNIL
La soutenance aura lieu mercredi 29 janvier 2020 (17h15 – 20h00) – Anthropole 2024.
La séance est publique.
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Notice bio-bibliographique :
Leticia Ding obtient une Maîtrise universitaire ès Lettres en 2011 à l’Université de Lausanne, en français moderne et histoire, avec une spécialisation en « communication et culture du Moyen-Âge à l’aube des temps modernes ». Elle a rédigé à cette occasion un mémoire consacré aux émotions dans la nouvelle de la fin du Moyen Âge, en particulier la colère dans le Décaméron de Boccace, Les Cent nouvelles nouvelles et L’Héptaméron de Marguerite de Navarre.
Son Master accompli, elle obtient, en 2011, une bourse pour le poste de lectrice de français à l’Université de Kent, à Canterbury en Angleterre. Elle y restera trois ans où elle dispensera des cours de français langue étrangère et elle commencera sa thèse en cotutelle entre Lausanne et Kent.
Depuis août 2014, Leticia Ding travaille à la section de français de l’Université de Lausanne en tant qu’assistante diplômée. Elle donne des enseignements en littérature médiévale française.
Leticia Ding est l’auteure d’articles portant sur la réécriture et les effets d’intertextualité dans l’œuvre de Jacques Roubaud. Depuis 2017, elle fait partie du comité scientifique du programme doctoral en études médiévales de la CUSO.
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Résumé de la thèse :
Cette thèse traite de la réécriture de la légende du Graal dans cinq textes de Jacques Roubaud : Graal Théâtre, Graal fiction, Le Roi Arthur au temps des chevaliers et des enchanteurs, Le Chevalier Silence et La Langue des enfants.[i] Ce corpus aux genres hétéroclites (théâtre, roman, conte pour enfants, essai) a comme point commun de départ le chronotope arthurien.[ii] En réécrivant l’histoire d’Arthur conformément aux mécanismes de création littéraire du XIIe et XIIIe siècle, tout en insérant cette légende dans une œuvre moderne, Roubaud bâtit un pont entre ces deux temporalités permettant dans un premier temps d’illustrer par la fiction les caractéristiques de la poétique médiévale ; et dans un second temps, cette illustration nous amène à réfléchir sur les procédés de création modernes.
La réécriture, démarche créatrice par excellence du Moyen Âge selon Daniel Poirion,[iii] est réinvestie par Roubaud qui se place dans la lignée directe de Chrétien de Troyes et des continuateurs médiévaux de la légende arthurienne. L’auteur moderne réutilise la matière léguée et l’agence en imitant la méthode d’entrelacement du Lancelot analysée par Ferdinand Lot.[iv] Il arrive ainsi avec Florence Delay, dans Graal Théâtre, à recréer l’ensemble du cycle allant des origines bibliques du saint Vase à la chute du Royaume de Logres. Ce nouveau cycle, dont la diégèse se situe dans un espace et une temporalité médiévalisants, parvient toutefois à actualiser la légende en adéquation aux valeurs culturelles et sociales d’un lecteur actuel, à travers un jeu où l’anachronisme est roi.
Si cette recréation permet de saisir les démarches principales du geste de réécriture, elle incite à prendre en considération la pratique du recyclage culturel défini par Walter Moser comme « la réutilisation d’un matériau culturel déjà disponible dans une nouvelle pratique, quelque différents que soient par ailleurs les matériaux et les pratiques en question quant à leur étendue, leur forme et leur domaine ».[v] La réécriture peut, certes, se comprendre comme une des pratiques du recyclage qui se caractérise par l’écriture. Toutefois, la différence entre les deux termes se situe essentiellement selon le contexte dans lequel ils sont utilisés. La réécriture est l’apanage des médiévistes, elle permet de qualifier l’écriture médiévale, tandis que le recyclage est une conception moderne et surtout postmoderne de la production culturelle. Ces deux notions s’articulent de la façon suivante dans l’œuvre de Roubaud et en particulier dans Graal Théâtre : les différents épisodes qui composent la légende arthurienne sont réécrits, mais l’ensemble de la légende est recyclé dans la mesure où Roubaud la réintroduit dans un nouveau cycle de création.
Une des particularités de la réécriture et du recyclage de Roubaud se marque par l’adaptation du cycle en pièces de théâtre. La transposition dramaturgique de la légende laisse place à une double réception, celle du lecteur et celle du spectateur. Elle vient, dès lors, compléter l’illustration des caractéristiques de la poétique médiévale dans la mesure où le théâtre permet de retransmettre une oralité, faisant ainsi écho à la vocalité du texte médiéval étudiée par Paul Zumthor.[vi] La recherche de la voix dans les textes est également l’enjeu des adaptations arthuriennes faites pour la jeunesse, en particulier Le Roi Arthur au temps des chevaliers et des enchanteurs dans lequel l’auteur réhabilite la parole du conteur.[vii]
Enfin, la réécriture roubaldienne ne se limite pas uniquement à la reprise d’hypotextes médiévaux, mais se caractérise également par un processus d’autoréécriture établissant alors un réseau et des liens intratextuels entre les œuvres de l’auteur. L’œuvre roubaldienne s’émancipe des sources médiévales, mais reproduit sur elle-même le même travail que les médiévaux appliquaient sur les textes du Moyen Âge. L’œuvre acquiert une autonomie et rend compte d’une autoréflexion sur les mécanismes de compositions littéraire médiévaux. À cela s’ajoute un discours théorique sur ces pratiques littéraires qui s’entrelace à la fiction. L’œuvre en plus d’être autoréflexive devient dès lors autodiscursive. Cependant, cette coprésence entre fiction et théorie au sein d’un même récit n’est pas en désaccord avec la poétique médiévale. Comme tend à le démontrer Todorov, le récit médiéval, en particulier La Quête du Saint-Graal, contient sa propre glose. Le récit relate une aventure terrestre qui est généralement reprise et réinterprétée, mais cette fois avec une orientation céleste. Le récit est ainsi double juxtaposant le texte et le méta-texte. Il offre à la fois un sens littéral et allégorique de l’aventure.[viii] Roubaud présente aussi un récit double, à l’exception qu’il substitue la lecture allégorique de l’aventure par sa lecture théorique.
Si l’écriture roubaldienne apparaît, dans un premier temps, étrange et originale, elle rend compte d’une rigoureuse étude des mécanismes d’écriture des textes médiévaux pour en restituer une brillante et fidèle imitation. Dans un second temps, l’écriture de Roubaud tend à rapprocher l’altérité de la littérature médiévale des pratiques actuelles de création ; démontrant que ces dernières sont davantage le résultat d’une renaissance que d’une pure invention, tout comme l’étaient déjà les
[i] Jacques Roubaud et Florence Delay, Graal Théâtre (Paris : Gallimard, 2005) ; Jacques Roubaud, Graal fiction (Paris : Gallimard, 1978) ; Jacques Roubaud, Le Roi Arthur au temps des chevaliers et des enchanteurs (Paris : Hachette, 1983) ; Jacques Roubaud, Le Chevalier Silence (Paris : Gallimard, 1997) ; Jacques Roubaud, « La Langue de enfants », La Main de Singe, 11 & 12 (1994), 15-22.
[ii] Emmanuèle Baumgartner, Le Récit médiéval, XIIe et XIIIe siècle (Paris : Hachette Supérieur, 1995), p. 43.
[iii] Daniel Poirion, « Écriture et ré-écriture au Moyen Âge », Littérature, 41 (1981), p. 109-118.
[iv] Ferdinand Lot, Étude sur le Lancelot en prose (Paris : Champion, 1918).
[v] Walter Moser, « Recyclages culturels. Élaboration d’une problématique », in La recherche littéraire : objets méthodes, dir. par Claude Duchet et Stéphane Vachon (Montréal : XYZ, 1998), 519-532, p. 519.
[vi] Paul Zumthor, La Lettre et la voix (Paris : Seuil, 1987).
[vii] Voir Hans-Heino Ewers, « La littérature de jeunesse entre le roman et art de la narration », trad. par Yves Chevrel, Revue de littérature comparée, 304 (2002), 421-430.
[viii] Tzvetan Todorov, Poétique de la prose (Paris : Seuil, 1978 [1971]), p. 59-80.