
Les derniers vers du roman arthuriens: trajectoire d'un genre, anachronisme d'une forme. Soutenance Géraldine Toniutti (Lausanne)
Les derniers vers du roman arthurien: trajectoire d’un genre, anachronisme d’une forme
Soutenance de thèse de Madame Géraldine Toniutti, candidate au doctorat ès lettres.
Directrices de thèse:
- Madame Barbara Wahlen, Maître d'enseignement et de recherche, Fac. des lettres, Université de Lausanne
- Madame Catherine Croizy-Naquet, Professeure, Université de Paris III
Membres du jury:
- Monsieur Marc Escola, Professeur, Faculté des lettres, Université de Lausanne
- Madame Michelle Szkilnik, Professeure, Université de Paris III, France
- Monsieur Francis Gingras, Professeur, Université de Montréal, Canada
Jury présidé par Monsieur François Rosset, Professeur, Faculté des lettres, Université de Lausanne
La soutenance aura lieu le 28 juin à 15h, Université de Lausanne, auditoire 2024.La séance est publique.
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Notice bio-bibliographique
Géraldine Toniutti obtient une Maîtrise universitaire ès Lettres en 2014 à l'Université de Lausanne, en français moderne et français médiéval. Elle a rédigé à cette occasion un mémoire de maîtrise sur l'intertextualité dans Cristal et Clarie, texte en vers du XIIIe siècle. Cette étude est choisie pour être publiée dans la collection « Archipel Essais » de la Section de français, collection qui prime d'excellents mémoires.
Lors de son Master, elle effectue un semestre de spécialisation en études médiévales a l'Université de Paris 3, Sorbonne nouvelle.
Pour sa recherche doctorale, qu'elle commence en automne 2014, Géraldine Toniutti a bénéficié d'une bourse Doc.ch octroyée par le Fonds national suisse de la recherche. Cette bourse lui a permis de travailler pendant 4 ans sur le corpus des derniers romans arthuriens en vers. Ce projet est inscrit en cotutelle entre les universités de Paris 3 Sorbonne nouvelle et de Lausanne. Elle a ensuite été engagée en tant que MER2 suppléante à l'Université de Lausanne pour donner
des cours de littérature française et d'ancien français en Bachelor.
Géraldine Toniutti est l'auteur d'articles portant sur la littérature arthurienne tardive et la question du genre littéraire dans ce corpus.
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Résumé de la thèse:
Qu’implique le choix du vers dans le roman, à une époque où la prose s’est déjà imposée comme forme privilégiée du genre ?C’est à l’origine de la spécialisation générique des formes, prose/roman, vers/poésie, qui perdure jusqu’au xixesiècle que nous nous intéressons dans cette étude. La prose s’impose dès le début du xiiiesiècle dans le roman, en particulier à travers les proses du Graal. Avant cela, tout texte narratif s’écrit en vers. Le vers n’est pour autant pas subitement abandonné, mais coexiste largement dans le roman avec la prose dans la première moitié du xiiiesiècle. La fin du xiiiesiècle est en revanche une période de mutation ; l’écriture en vers résiste, mais est en décalage avec la forme irrémédiablement privilégiée. Le choix de forme, inévitablement, contraint et transforme le genre et sa définition.
La question des conséquences génériques qu’engendre un choix de forme se pose avec acuité dans les romans en vers de cette période, dans la mesure où leur forme est anachronique, et qu’elle engendre une façon particulière de traiter la matière. Ce rapport entre forme et genre est particulièrement clair dans le roman arthurien, dont la formalisation en vers ou en prose implique des perspectives différentes sur le monde raconté, sur la temporalité, sur les valeurs : on ne présente pas le mythe arthurien de façon identique selon la forme employée. Si la prose a pour horizon la fin des temps arthuriens, le vers se concentre sur l’apogée du règne d’Arthur et place ses récits dans une atemporalité qui empêche toute perspective eschatologique sur le monde fictif. Ces distinctions touchent la représentation du temps et sont chronotopiques, au sens où l’entend Mikhaïl Bakhtine ; le chronotope désigne la conjonction signifiante d’une temporalité et d’un espace, génératrice d’action.Notre étude retrace ces différences chronotopiques entre vers et prose.
Dans les romans arthuriens en vers de la fin du xiiiesiècle, l’anachronisme de la forme choisie est conjointe à un mode de présentation de l’univers déjà supplanté par celui de la prose. Les auteurs doivent tenir compte des innovations diégétiques de la prose, tout en respectant les codes du roman arthurien en vers dans lequel ils inscrivent leurs œuvres. L’étude des derniers romans en vers doit ainsi rendre compte de certaines contaminations de la prose au vers, mais aussi des différences entre vers et prose, voire des incompatibilités profondes entre ces deux façons de représenter en roman la matière arthurienne. Ces relations entre vers et prose informent l’épuisement de la production arthurienne en vers du xiiieau xivesiècle, qui illustre plus généralement l’abandon du vers au profit de la prose dans le genre romanesque français. Étudier les derniers représentants du roman arthurien en vers invite à historiciser les emplois attribués au vers et à la prose au cours des siècles.
Notre corpus d’étude comprend toute œuvre arthurienne en vers depuis les années 1260, c’est-à-dire : Claris et Laris, Floriant et Florete, Rigomer, Biaudouz, Escanoret Melyador. La définition d’une date précise pour constituer un corpus relève certes d’une part d’arbitraire, surtout pour la période médiévale, au vu de la difficile datation des œuvres. Il nous semble néanmoins percevoir un changement à partir de ces années, qui se précise tout au long de la fin du xiiiesiècle : les romans arthuriens en vers développent une esthétique commune que l’on pourrait qualifier de « tardive ». La notion de tardivité inscrit historiquement les textes par rapport aux romans arthuriens en vers qui les précèdent. Les œuvres tardives ne sont pas seulement celles qui continuent un genre à succès, mais celles qui terminent le genre, sont les témoins de son achèvement. Leur intérêt est dès lors symétrique à celui que l’on peut porter aux précurseurs, car leur étude permet de retracer l’histoire d’une réception, le début et la fin d’un genre. Judith Schlanger, qui s’emploie à définir la notion de « précurseur », souligne qu’il n’y a pas d’antonyme à ce terme, pour désigner « l’accomplisseur ou l’épanouisseur, bref l’absolu dont le précurseur est le relatif »[1]. C’est par opposition avec la notion de précurseur que nous conceptualisons celle de tardivité, non pas pour qualifier l’« épanouisseur », mais le « finisseur », celui qui serait l’inverse du pionnier, une sorte de retardataire. En introduisant la notion de tardivité, nous entendons relativiser l’idée d’inertie qui irait de pair avec la reproduction du modèle précurseur : les textes tardifs interviennent bien à la fin d’une tradition, au contraire du précurseur qui annonce, anticipe et prépare, mais la redynamisent pas divers moyens narratifs. Leur statut relève de la contingence : au fond, leurs innovations auraient très bien pu donner lieu à une nouvelle tradition qui aurait pu les faire passer de tardifs à précurseurs.
La tardivité a partie liée avec l’anachronisme, entendu comme un « état de décalage entre le moment où un événement se produit et celui où il aurait dû se produire »[2] : le choix formel du vers est déphasé, il ne convient plus aux nouvelles tendances du roman qui favorise la prose. Le vers, dès la fin du xiiiesiècle, est anachronique, dans la mesure où il est déjà en passe d’obsolescence. Cet anachronisme fait des œuvres tardives des survivances, voire des résurgences, dont il s’agit de décrire les mécanismes communs et les enjeux pour l’histoire littéraire et culturelle. Le choix de forme entraîne d’autres choix, génériques, qui définissent le roman arthurien en vers par rapport à celui en prose. C’est cette conjonction entre une forme et une façon de représenter l’univers arthurien qui s’éteint progressivement, extinction que permettent de retracer les romans en vers tardifs, corpus entre mutation et survivance. Partant de ce rapport historique entre précurseur et tardif, nous prenons le parti que l’extinction n’est pas moins intéressante que l’origine.
La reconnaissance d’une esthétique de la tardivité commune à ces textes les inscrit dans la trajectoire historique du roman arthurien en les opposant au caractère précurseur des œuvres de Chrétien de Troyes, dont nous décrivons le canon pour le confronter à la tardivité. Cette opposition donne paradoxalement un statut primordial aux œuvres tardives, car elle les présente comme un corpus symétrique et dès lors fondamental du point de vue de l’histoire littéraire. Leur étude rend compte d’une extinction, elle autopsie un genre dont on peut dater le dernier représentant. Cette autopsie est enrichie par la diversité qu’offrent les textes tardifs au cours de la période étudiée. Les derniers romans arthuriens en vers partagent un certain nombre de traits communs que notre travail a dégagés, mais ils se scindent en deux catégories qui traduisent un rapport particulier à la tradition versifiée. L’écriture tardive se décline en deux modalités : la secondarité ou la résurgence. À la première catégorie appartiennent Claris et Laris, Floriant et Floreteet Rigomer, qui sont aussi les plus anciens textes du corpus. Les innovations de ces textes sont incontestables, de même que le parti qu’ils tirent des romans en prose. Néanmoins, ils se montrent plus attachés à l’écriture précurseur qu’Escanor et Melyador. PourClaris et Lariset Rigomer, cela se manifeste par la propension des auteurs à manier la parodie et à poursuivre la veine anti-romanesque. Comme l’écrit Francis Gingras, « le roman se pense très tôt en termes de contraste et d’opposition avec les romans antérieurs »[3]. C’est ce que font les auteurs de Claris et Lariset Rigomer,en reconduisant la distance critique qu’instauraient déjà Raoul de Houdenc, Renaut de Beaujeu ou l’auteur de Hunbaut[4]dans la première moitié du xiiiesiècle. Le rire nourrit ces romans et rend patente la dette de Claris et Lariset Rigomerenvers ces « antiromans ». Quant à Floriant et Florete, sa secondarité s’exprime par l’importance de l’intertextualité dans ce texte : l’auteur pratique la citation d’œuvres antérieures et la réécriture, celle de l’épisode de la recreantised’Erec et Enidemettant particulièrement en évidence cette filiation, de même que sa parenté avec Cligés. Le rapport au genre de ces trois textes, envisagé dans sa dimension historique, est celui de la survivance.
Les compositions de Girart d’Amiens et de Jean Froissart instaurent une rupture plus nette. La parodie intervient très peu et le rire n’est pas ce qui définit en premier lieu l’effet que produisent Escanoret Melyador. Plus que des survivances, ces deux romans se présentent comme des résurgences d’un genre et d’une forme dont la fin est déjà irrémédiablement consacrée. À presque un siècle d’un intervalle l’un de l’autre, ces auteurs font renaître ponctuellement une façon de raconter l’univers arthurien, contrainte par la forme, avec la conscience du caractère irréversible de l’avènement de la prose au détriment du vers dans le roman. Les deux derniers romans arthuriens en vers prennent acte du destin du vers narratif et rendent compte de la mutation des représentations.
Le roman de Biaudouzse distingue au sein de cette production : composé pour accueillir, comme un récit encadrant, les œuvres morales de Robert de Blois, il est une sorte d’hapax. Plus survivance que résurgence, Biaudouzprofite de plusieurs esthétiques. Il peut paraître étonnant que son auteur choisisse une forme anachronique dans le but de promouvoir sa propre production. Outre le plaisir évident qu’apporte encore ce type de récit à cette époque, ce choix s’explique sans doute, là encore, par la forme, et les incompatibilités entre vers et prose au sein du manuscrit : les œuvres morales de Robert de Blois sont en vers et ne pourraient donc être intégrées dans un cadre en prose sans voir leur statut générique se transformer, sans passer pour des insertions lyriques, étant établi que la forme affecte toujours d’une façon ou d’une autre le genre littéraire. Le chronotope du roman arthurien en vers garantit en plus une atmosphère joyeuse et le récit d’une aventure unique qui favorise la transmission d’un enseignement, ce que ne pourrait offrir le chronotope de la prose. Biaudouzest bien marginal par rapport aux autres romans tardifs. Néanmoins, son étude élargit la restitution de l’esthétique tardive avec profit : c’est par son statut second, par sa position tardive, que le roman arthurien en vers peut se prêter à un tel exercice de récit encadrant et remplir d’autres objectifs.
Si le roman arthurien en vers peut servir de telles ambitions et se réinventer à tel point, c’est qu’il est jugé éculé et que Biaudouzintervient bien au crépuscule de la trajectoire du genre. Cette œuvre atypique a donc tout à fait sa place au sein du corpus des romans tardifs. La date retenue de 1260, quoique relevant de l’arbitraire, nous semble bien représenter un moment charnière dans l’histoire littéraire. Toutes les œuvres composées postérieurement à cette date – pour autant que l’on puisse se fier aux datations que nous avons retenues – font corpus, sont marquées par une cohérence qui est celle de la tardivité. L’inscription des textes tardifs dans l’histoire littéraire est double : esthétique d’abord, puisqu’ils donnent l’occasion de tracer la trajectoire d’un genre finissant ; formelle ensuite, puisqu’ils permettent de réfléchir à l’histoire des formes et de leurs usages.
Historiciser les derniers romans arthuriens en vers revient à les confronter aux romans en prose, mais aussi à la tradition dont ils sont les successeurs. Le défi que doit relever un auteur de roman arthurien en vers à la fin du xiiiesiècle est de composer avec une tradition qui comprend non seulement Chrétien de Troyes et ses « épigones », mais également les textes en prose, en supposant à leurs lecteurs une mémoire des versions en prose. Ainsi, les personnages clés du roman en prose font leur apparition dans le roman tardif, mais ils sont conditionnés par l’idéologie propre au vers qui exclut tout pathos : Gaheriet et Agravain sont de simples chevaliers, Merlin est un homme sauvage omniscient que les chevaliers croisent ponctuellement au détour d’une aventure unique, Morgane est une fée maternelle qui élève Floriant puis l’accueille dans un Avalon dans lequel le récit peut s’immiscer et qui accueillera un jour indéterminé le roi Arthur blessé. Plus que des anticipations, le roman tardif adresse des clins d’œil à l’attention du lecteur averti, mais jamais il n’invite directement à penser une continuité chronologique et tragique avec les parties du cycle du Lancelot-Graal. De même, Mordred, dans Claris et Laris, se démarque au sein de la Table Ronde par ses mesquineries, anticipant en cela sa trahison dans la Mort Artu, mais ses actions sont toujours l’objet de la dérision : il ne devient pas un chevalier sympathique dans les romans tardifs, mais la désapprobation des valeurs qu’il incarne se manifeste par le ridicule, la moquerie, l’avilissement comique, et non par la réprobation moralisante de ses méfaits.
L’univers de fiction est forcément affecté par ces transferts : en plus de l’intervention de personnages exclusifs à la prose ou du moins à l’historiographie, Arthur reprend ponctuellement son rôle de dux bellorumet les personnages ne se scindent plus entre les bons et les méchants. L’effet en est transformé : c’est un monde contrasté qui est proposé au lecteur, nourri des divers visages que prend le roi Arthur dans les différentes productions qui le mettent en scène, ce qui infléchit nécessairement la fonction qu’il remplit au sein des textes et explique ses apparitions marginales dans l’œuvre la plus tardive – Melyador. Seule demeure inchangée l’atmosphère joyeuse propre au vers.
Il en résulte des textes à la croisée de deux esthétiques, celle du vers et celle de la prose. De l’écriture en vers, les romans tardifs conservent la forme et surtout l’idéologie insouciante. Le chronotope demeure inchangé, mais l’esquisse d’une temporalité linéaire, par la mort d’Escanor, par l’évocation du retrait d’Arthur en Avalon dans Floriant et Florete, par la description de la guerre contre les Romains dans Claris et Laris, démontre la tentation que représente la linéarité de la prose. De la prose, ces romans héritent aussi une façon particulière de construire le récit et de suggérer l’existence d’un monde de fiction foisonnant et infini : ainsi de Melyador, qui donne les prémices d’un cycle en se référant à d’autres romans arthuriens et en invitant à la continuation par l’inachèvement de l’histoire de Sagremor. L’influence de la prose se manifeste surtout par la structure et les techniques narratives adoptées, l’entrelacement, la surenchère, la tendance à l’explicite. Imiter l’écriture de la prose, c’est tenter de redynamiser un genre et une forme en perte de vitesse, en flattant les goûts du lecteur par des stratégies narratives qui ont déjà porté leurs fruits, ont su toucher le public.
Le fait même que l’on puisse différencier sur plusieurs plans le roman arthurien en vers et celui en prose, comme nous le faisons au cours de l’étude, prouve qu’il s’agit de catégories distinctes, et, partant, que le domaine arthurien est soumis aux lois de la généricité. Le critère de la forme ne suffit pas à lui seul à opposer roman arthurien en vers et roman arthurien en prose ; d’autres éléments fondamentaux de distinction interviennent, conditionnés par le choix de forme. Ces éléments relèvent de la généricité. Le corpus des derniers romans arthuriens en vers se révèle un terrain propice à l’étude du concept de genre littéraire pour la période médiévale : il permet de réfléchir aux conséquences de la forme sur le genre, par les relations entretenues avec les romans en prose qui précèdent. Ces relations concernent à la fois l’importation de procédés narratifs, car les derniers romans arthuriens en vers s’inspirent des structures qu’elle privilégie, mais aussi l’impossibilité de transposer tel quel le récit arthurien d’une forme à l’autre. L’effet de la forme sur le genre explique en dernier lieu le tournant historique que représente la spécialisation lyrique du vers et l’abandon du vers narratif dans le roman. Notre recherche adopte donc la double perspective de l’histoire et de la théorie littéraire : que fait le choix anachronique de la forme du vers au genre du roman arthurien, à une époque où la prose s’est déjà imposée dans le genre romanesque français ?
Notre recherche théorique sur la notion de genre et sur la catégorie que représente le roman arthurien est étayée par la prise en compte de textes que nous nommons « para-arthuriens ». Ces textes se situent aux limites du genre, tout comme les romans tardifs, qui transforment plusieurs codes. Au lieu d’infléchir la structure canonique, comme le font les romans tardifs, ces romans para-arthuriens transgressent d’autres postes de définition du canon arthurien. Cristal et Clarieet Blandin de Cornouaillesont par exemple tout de romans arthuriens en vers, mais ne mentionnent pas le roi Arthur ni aucun personnage de cet univers. À l’inverse, Brun de la Montagnefait apparaître le roi Arthur, mais la forme de la composition, en laisses d’alexandrins, freine l’identification générique. Ces cas limites approfondissent l’étude du genre avec l’idée de participation, par opposition à celle d’appartenance : ces textes participent du genre arthurien, par leur point d’ancrage et de dialogue avec l’un ou l’autre critère de la généricité arthurienne.
Ces pistes successives permettent d’envisager l’évolution du roman arthurien en vers comme une trajectoire non pas linéaire (apogée – déclin), mais dynamisée par les multiples influences qui le nourrissent. L’extinction ne s’explique pas en ce sens par l’incompétence des auteurs, la reproduction sèche de structures narratives éculées ou le désintérêt du public pour la veine arthurienne. L’étude montre qu’il faut plutôt la comprendre comme la rencontre de conjonctures défavorables au roman arthurien en vers, le rapport de moins en moins intuitif à la forme versifiée en premier lieu. La trajectoire du roman arthurien en vers, à l’aune de ses derniers représentants, est indissociable de l’essor des œuvres en prose, si bien que l’on peut dire, avec Richard Trachsler, que les romans tardifs « obéissent sans doute aussi à une autre esthétique, qui n’est ni celle des écrits en prose, ni certainement celle des récits en vers, mais qui se situe, comme celle d’Escanor, quelque part à cheval entre les deux et qui reste à définir »[5]. C’est à cette tâche que nous nous sommes attelée pour cette étude.
[1]Judith Schlanger, « Le précurseur », in Le Temps des œuvres. Mémoire et préfiguration, dir. Jacques Neefs, Saint-Denis, PUV, 2001, p. 21.
[2]Frédérique Fleck, « Anachroni(sm)e : mise au point sur les notions d’anachronisme et d’anachronie », Fabula, Atelier Fabula, 2011, http://www.fabula.org/atelier.php?Anachronisme_et_anachronie. Nous ne retenons pas le sème d’« erreur » ni le sens péjoratif que peut prendre ce terme.
[3]Francis Gingras, « Roman contre roman dans l’organisation du manuscrit du Vatican, Regina Latina 1725 », in La mise en recueil des textes médiévaux, dir. Xavier Leroux, La Garde, Université du Sud Toulon-Var (« Babel », 16), 2007, p. 61-80, p. 11.
[4]Ce court roman rend fort bien compte d’un rapport paradoxal à Chrétien de Troyes : il en mentionne le nom en prologue pour aussitôt s’en distancier et se placer en opposition du maître champenois, par des phénomènes de reprise et de détournement. L’auteur se présente ainsi non comme un clerc, mais comme un ménestrel, classe que condamnait Chrétien de Troyes dans son prologue à Erec et Enide. Voir à ce sujet l’article de Michelle Szkilnik, « Un exercice de style au xiiiesiècle : Hunbaut », Romance Philology, 54, 2000, p. 29-42.
[5]Richard Trachsler, « De la Prose au Vers. Le cas de Dynadan dans l’Escanorde Girart d’Amiens », in Actes du xxeCongrès de la Société Internationale de Linguistique et Philologie Romanes, Université de Zurich, 6-11 avril 1992, Tübingen ; Basel, Francke, 1993, p. 410.