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X. Guilbert et B. Schwartz, Dorénavant a 30 ans

X. Guilbert et B. Schwartz, Dorénavant a 30 ans

Publié le par Nicolas Geneix

Xavier Guilbert et Barthélémy Schwartz, Dorénavant a 30 ans

Article paru sur le site "du9.org", 2015.

"Il y a dix ans, j’ignorais tout de Dorénavant. Ayant véritablement découvert la bande dessinée vers la fin des années 1990 (dans un rapport adulte, devenue lecture plutôt que divertissement), je n’ai rien connu de cette période alors déjà mythifiée du Futuropolis de Robial, dernière étape avant l’éclosion de la sphère indépendante telle qu’elle nous est familière aujourd’hui. Tout à l’exploration de ce qui se passait à l’époque (ici ou ailleurs), je ne me préoccupais guère de ce qu’il y avait pu y avoir avant — un « avant » qui nous était de toute façon décrit comme écrasé par la « bédé commerciale », et dont Circus et la collection « Vécu » étaient deux représentants emblématiques voués aux gémonies. Et puis il y eut l’Éprouvette, aussi intense que fulgurante. L’Éprouvette : somme, concentré, espace unique où se croisaient tant de voix singulières — actuelles, passées, inattendues. Brusquement, je découvrais ces revues aux noms d’une autre époque (STP, Controverse, Dorénavant), dont les textes surgissaient pour affirmer un engagement et une pertinence toujours actuels. A croire que cet « avant » désespérant avait également été une période riche d’un foisonnement critique aussi explosif qu’éphémère, et dont je n’avais jamais entendu parler. Mais l’Histoire se répète, et l’Éprouvette elle aussi a tiré sa révérence après trois numéros, et, pourrait-on dire, les choses sont rentrées dans l’ordre.

(...)

La bande dessinée n’a pas le statut du cinéma. Alors qu’il faut considérablement moins d’argent pour créer une bande dessinée qu’il n’en faut pour faire un film, les bédessinateurs se conduisent infantilement comme des cinéastes contraints de produire des misères alimentaires pour faire une œuvre d’auteur ; et les critiques les suivent. Pourtant, loin d’avoir le misérable statut du cinéma, la bande dessinée a presque déjà celui de l’art, mais ne le sait pas encore ; et les critiques l’ignorent.

(...)

Les véritables auteurs de bande dessinée vont devoir apprendre à s’affranchir des marchands en refusant le misérable statut des travailleurs, il leur en coûtera certainement plus de devoir travailler ailleurs pour faire ici de la bande dessinée, mais ce qu’ils créeront aura une qualité autre que les misères qui sont produites aujourd’hui. Les véritables auteurs véritablement modernes devront apprendre qu’il n’est pas utile d’agir avec les marchands autrement qu’en considération de ce qu’ils sont et de la tâche technique qu’ils remplissent ; à moins de sombrer dans la folie furieuse, ils n’entreprendront pas de dépendre inutilement des marchands. Tant que ce pas énergique n’aura pas été franchi, les auteurs pourront pleurer à leur aise, ils n’en seront que plus méprisables et d’autant plus méprisés.

Il est nécessaire aujourd’hui, pour qui veut faire quelque chose de véritablement moderne et pour qui veut dire véritablement quelque chose et comprendre le mouvement dans sa progression, de retrouver la mémoire historique, comprendre et assimiler ce qui a déjà été fait pour voir ce qui désormais doit être entrepris. Le travail remarquable des rééditions commencé ces toutes dernières années est d’autant plus utile que notre époque souffre d’être misérable ; il est donc bon de montrer les géniales trouvailles des anciens aux piteux contemporains, qui vivant dans l’illusion de l’absence de l’histoire dans ce domaine, croient trop volontiers qu’on peut commettre éternellement sans lasser, ce qui déjà hier était détestable.

Nul doute que les générations à venir, fortes d’avoir assimilé ce qui avait été l’apport des générations précédentes, aussi loin qu’on peut remonter dans le curieux vingtième siècle et l’extravagant dix-neuvième, et d’avoir compris ce qui devait à présent être dépassé, apporteront à leur époque des œuvres remarquables. Ces auteurs modernes seront. Ils devront pour cela être voyants, et après avoir vu l’histoire, devenir à leur tour historiques. Car pourquoi parler quand on peut se taire, et dire plus mal ce qui a déjà été dit ?"

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