
Patrick Charaudeau
Qu'est-ce que le français ? Mythes et réalités
Paris, Classiques Garnier, coll. « Domaines linguistiques », n° 26, 2025
On dit que le français est universel, qu’il est envahi par l’anglais, qu’il faut réformer son orthographe. On dit aussi qu’il discrimine, qu’il faut en modifier les formes d’expression. Quelle est la part de mythe et de réalité qui s’attache à la langue française ? C’est ce que cet opuscule tente d’élucider.
Extraits :
La préoccupation de ces époques passées, ainsi que du temps présent, est double : réglementer l’écriture par souci politique et humaniste. Par souci politique, le pouvoir cherchant à assurer et maintenir la cohésion nationale sous couvert de souveraineté en se souvenant de la devise sacrée de bien des pays d’Europe : « Une langue, un peuple, une nation ». Mais aussi par souci humaniste en permettant au plus grand nombre de se reconnaître dans un « bien parler » pour « bien se comprendre ». Ainsi les grammairiens se sont-ils employés, via l’école, à dire ce que devait être un « français correct » en instituant des règles qui n’ont rien de juridique, mais qui, par la force de l'institution scolaire, dit La Norme. La langue légitime (politique et humaniste) sera donc la langue de l’école : « Le souci de la langue est une forme de devoir à la fois moral et social lié aux progrès de la connaissance et du maintien de la paix, ou tout du moins de l’“accord” entre les hommes. » (Gilles Siouffi, Le langage de la grammaire », 2007).
Parfois, il ne s’agit pas d’erreur à proprement parler mais de discussion sur l’étymologie. Ainsi de persiffler, que l’Académie française recommande d’écrire avec deux ff considérant qu’il s’agit d’un dérivé de siffler, bien qu’un ouvrage, Le Siècle du persiflage, justifie un f simple au motif que le mot ferait référence à un dénommé Persiflés, héros d’une petite parodie du début du XVIIIᵉ siècle, à partir de quoi aurait été formé persiflage, comme on dit marivaudage. L’étymologie a de ces tours !
Les expressions « restructuration d’entreprise », « réduction du personnel », « plan social » ou « plan de modernisation » ne peuvent remplacer la notion de licenciement, car elles ne font que masquer l’action, dramatique pour les intéressés, qui en est le résultat, à savoir une rupture de contrat qui laisse les employés sans travail. De même, « agent (de service) commercial (de bord) » ne peut remplacer la notion de contrôle, car c’est masquer sa véritable fonction qui consiste à contrôler et éventuellement sanctionner les voyageurs. La formule « geste commercial » est ambiguë, parce qu’elle peut être interprétée de façon positive lorsqu'il s’agit de réparer l’erreur d’une société ou d’une entreprise, de façon négative, et même contradictoire, si elle veut masquer un « pot de vin ». Quant à « travailleurs issus de l'immigration » pour éviter de dire immigrés ou migrants, il ne permet pas de distinguer les différentes catégories d’immigrés, les persécutés politiques, les réfugiés économiques ou de guerre, les demandeurs d’asile, les personnes en détresse, les êtres humains en déshérence, etc.
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Existe également en version reliée - EAN 9782406182849 - au prix de 72 EUR.