
Si Hergé a souvent conçu l’élaboration de sa création autour de diptyques célèbres (Le secret de la Licorne & Le trésor de Rackham le Rouge ou Objectif Lune & On a marché sur la Lune), il nous paraît évident que les trois derniers albums de la série sont les trois piliers d’un seul et même projet, que nous pourrions intituler ainsi : En finir avec Tintin.
Ainsi, dans Les Bijoux de la Castafiore, Hergé ridiculise Tintin et sa propension maladive de faire de son prochain le coupable potentiel de mauvaises actions, dès que son prochain peut lui permettre de ne pas se remettre question… Dans Vol 714 pour Sydney, Hergé explique à Tintin que le voyage le plus important est celui que doit accomplir la pensée et que toutes ses gesticulations passées à travers le monde ne lui auront pas permis de se rapprocher d’une spiritualité apaisante… Et dans Tintin et les Picaros, Hergé fait admettre à son héros que les gentils et les méchants sont finalement des êtres interchangeables.
Pourquoi un nouveau survol d’une aventure de Tintin ? Pour partir à la découverte de la véritable destination de l’album Vol 714 pour Sydney... Et indiquer enfin à quel endroit précis de l’album l’inconscient de Hergé est allé placer ce nombre devenu mythique pour des lecteurs de 7 à 77 ans : le 714.
Les affinités de Hergé pour l’ésotérisme, l’occultisme et les symboles cachés ne sont plus à démontrer. La passion du créateur de Tintin pour la radiesthésie se révèle sans détour à travers le personnage de Tournesol. Certains ont même cherché à imposer l'idée que le créateur de Tintin aurait été un adepte de la franc-maçonnerie en additionnant des chiffres (7+1+4...) ou en inversant le sens des lettres de certains mots... Mais laissons tout cela de côté. Car si l’œuvre de Hergé mérite plus qu’une simple lecture, c’est-à-dire une véritable plongée dans ses arcanes, ce n’est pas pour y chercher avec obstination des influences mythologiques, ou des indices déposés à l’attention de quelques initiés.
Relire les albums conçus par Hergé, après celui qui lui a permis de mieux vivre avec ses névroses (Tintin au Tibet), en s’accordant une liberté totale d’interprétation, et en négligeant tout ce qui a déjà été dit et écrit, c’est se donner le droit et la possibilité de se rapprocher du privilège que les créateurs, qu’ils soient littéraires, mélomanes, statuaires ou picturaux, espèrent vivre un jour de leur vie : celui qui fait de l’initiateur d’une création le spectateur de son propre travail, ou plus précisément, lorsque le produit de la pensée acquiert une telle autonomie qu’il devient évident que l’artiste est le jouet de son œuvre.
Lire les Aventures de Tintin en allant chercher, derrière le décor parfait dessiné par Hergé, la vérité qui profite de la réalité pour avancer masquée... C'est faire un voyage à l'intérieur de soi, de son enfance et de son projet intime. Hergé s'est servi de son art pour apprendre à se connaître, à mieux vivre avec ses névroses et enfin atteindre la rive d'en face : celle de l'apaisement. Cet essai est donc un manuel de survie en milieu hostile, un guide au contenu inédit vers moins de regrets et plus de sérénité, un bréviaire qui passionnera les amateurs de Tintin et étonnera les néophytes du 9e art qui pourront se convaincre qu'un artiste de génie, quel que soit son art, est un compagnon de route complaisant, quand on sait l'aborder d'un point de vue amical et parfois provoquant...