Édition de Marc Escola
Jeune étudiant fraîchement arrivé de Poitiers, Dorante est impatient de découvrir les joies de la capitale. Très vite, il tombe sous le charme d’une jeune femme, Clarice, qu’il croit se nommer Lucrèce, et auprès de laquelle il se vante d’exploits militaires imaginaires. Lorsque son père Géronte luipropose Clarice en mariage, Dorante, qui ignore toujours la véritable identité de la jeune fille, croit pouvoir se soustraire à cet engagement par un nouveau mensonge…
Dans cette suite vertigineuse de « menteries » greffées sur un quiproquo, Corneille explore la veine d’une comédie de bon ton, loin de la commedia dell’arte et de la farce, et célèbre, à travers son personnage d’affabulateur de génie, les joies de l’invention verbale et la magie de la parole théâtrale.
Dossier
• Petits mensonges entre honnêtes gens : la comédie selon Corneille
• Les menteurs cornéliens : mensonges en série
• Honnêtes mensonges : la morale du monde
• La vie comme un théâtre.
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Extrait de la Présentation :
Peut-on se risquer à croire l’auteur d’une pièce intitulée Le Menteur (1644, pour l’impression), quand il prend le ton du bonimenteur pour en faire la publicité ?
« Elle est toute spirituelle depuis le commencement jusqu’à la fin, et les incidents si justes et si gracieux, qu’il faut être, à mon avis, de bien mauvaise humeur pour n’en approuver pas la conduite, et n’en aimer pas la représentation. »
À regarder toutefois de plus près l’Avis au lecteur (1648) où figure cette tardive déclaration, il s’avère que Corneille vante ici moins sa production propre que la « spirituelle invention » – entendons : l’ingéniosité – de son modèle espagnol, La Verdad sospechosa, envers lequel il professe une « estime extraordinaire » et une constante admiration. Une décennie plus tard, dans l’Examen du Menteur rédigé pour la monumentale édition de son Théâtre (1660), Corneille ira jusqu’à affirmer : « je voudrais avoir donné les deux plus belles [pièces] que j’aie faites, et que [son sujet] fut de mon invention » ; l’on doit croire que l’auteur du Cid et de Cinna, dont la modestie n’était pas le fort, pèse alors chaque terme de cet exceptionnel hommage.
À l’issue d’une représentation du Menteur, le spectateur est peut-être davantage tenté de faire siennes les exclamations successives de ses principales protagonistes, Clarice et Lucrèce, dans l’avant-dernière scène de la pièce : « Je ne sais où j’en suis », « Je ne sais plus moi-même à mon tour où j’en suis » (V, 6). Si elle le met indéniablement de belle humeur, la comédie laisse son spectateur étourdi par le tourbillon des affabulations et mystifications qui l’ont emporté cinq actes durant, mal assuré de leur dissipation, et doutant finalement de chacune des répliques qui ont décidé d’un dénouement lui-même paradoxal. Car Corneille a conçu son Menteur comme une fête théâtrale, et il était si peu désireux d’en voir s’éteindre les lumières qu’il n’attendit pas deux ans pour lui donner une Suite (impr. 1645), en offrant à son héros Dorante cinq actes surnuméraires et une nouvelle carrière. […]