Essai
Nouvelle parution
Gilles Ortlieb, Au Grand Miroir

Gilles Ortlieb, Au Grand Miroir

Publié le par Marc Escola

Préface d'Alexandre Postel

Suivi d'un entretien de l'auteur avec Thierry Bouchard

Ce volume est la reprise en édition de poche d’un livre paru en 2005 dans la collection de Jean-Bertrand Pontalis, « L’un et l’autre », aux éditions Gallimard.

Le titre fait référence à la chambre 39 de l’hôtel du Grand Miroir, dans la rue de la Montagne, à Bruxelles, que Baudelaire occupa à la toute fin de sa vie, de juillet 1864 à juillet 1866. Car ce à quoi Gilles Ortlieb a souhaité se confronter en écrivant cet essai, c’est à l’énigme que pose la vision d’un poète non pas dépossédé tout à fait de ses propres ressources d’imagination, mais sous l’emprise de deux aspirations contradictoires : la fuite (de Paris, du travail, de soi) et la recherche (de soi, d’un livre et, en définitive, de la mort).

Après s’être beaucoup documenté de façon à pouvoir étayer son texte de détails ininventables, il s’est donc proposé d’accompagner, avec les moyens du bord, les mois passés par Baudelaire en Belgique, de reprendre ligne à ligne le livre que l’auteur des Fleurs du mal avait projeté d’écrire pendant et sur son séjour, de localiser les quelques traces de son passage encore visibles ici et là, d’imaginer et de conjecturer, lorsqu’elles avaient disparu, ce qu’avait pu être son existence ; et de reformuler, encore et encore, la question suivante : « Comment expliquer qu’il ait laissé perdurer, jusqu’à une désarticulation mentale complète, une situation qui engendrait chez lui un tel mal-être, de telles frustrations ? » Il y a là un nœud existentiel qu’Ortlieb décortique avec l’empathie de qui semble avoir lui-même souffert de pareille procrastination. Il parvient, en tout cas, à restituer avec une précision quasi hypnotique, l’état d’esprit d’un Baudelaire confit dans son rejet, alors même qu’il avait d’abord espéré, en venant à Bruxelles, y trouver les ressources nécessaires à un sursaut dans sa vie d’écrivain.

Sans doute parce que « peu a changé en somme » et que lui-même a arpenté, inlassablement, cent quarante ans plus tard, les mêmes lieux, éprouvant parfois les mêmes vertiges : « la foule des dimanches matin ondoie au pied de la tour du Midi pour se frayer un chemin entre les vendeurs de tapis de voiture, de tabac de la Semois, de livres à colorier, d’assortiments de tournevis, et d’animaux en peluche fluorescente. De temps à autre, le sol, imperceptiblement, vibre au passage d’un train sur les talus ou d’un convoi souterrain, les odeurs de friture rivalisent avec des effluves de fleur d’oranger et de barbe à papa, et des filets d’urine stagnent dans les tunnels et les recoins pendant que des réfugiés d’Europe centrale au teint clair s’efforcent d’écouler à bas prix des poupées gigognes, des optiques russes, des vêtements militaires et autres butins de rapines. Dimanches à Bruxelles, l’ennui et le rien. »

Gilles Ortlieb est né au Maroc en 1953. Après des études aux « Langues O’ », des métiers divers et pas mal de voyages en Méditerranée, il se fixe en 1986 à Luxembourg, où il travaillera longtemps comme traducteur pour l’Union européenne. Son premier livre de proses est paru en 1991 aux éditions Le temps qu’il fait, dirigées par Georges Monti, et est suivi de nombreux autres ouvrages : récits, poèmes, essais (dont plusieurs dans la collection de J.-B. Pontalis, chez Gallimard) ou carnets (aux éditions Finitude, notamment). Dans tous ces livres, et jusqu’au récent Tombeau des anges (« L’un et l’autre », 2011), évocation minutieuse de la Lorraine sinistrée, Gilles Ortlieb s’affirme comme un « veilleur fraternel » en quête des menues épiphanies du quotidien. Un dossier lui a été consacré dans la revue Europe (n° 1115, mars 2022).