À l’heure où se pose de manière urgente la question de la mobilisation des citoyens et des décideurs face au changement climatique, la réponse médiatique passe souvent par la diffusion de travaux en sciences naturelles, dont on a pu montrer qu’ils étaient peu propices à une prise de conscience, quand ils n’entrainaient pas un sentiment d’impuissance et d’écoanxiété (Global environnemtal Change, Volume 80, Mai 2023). Les recherches portées par les spécialistes du vivant dépeignent des conséquences à grande échelle mais n’ont pas pour objet d’en montrer les conséquences psychosociales et peinent à mobiliser quand elles ne créent pas un sentiment de peur contre-productif. En effet, comme le rappellent les chercheurs Marie-Elodie Perga et Fabrizio Butera dans un article de Libération (11 mai 2023) : « la peur n’est un levier pour l’action que si vous proposez des solutions » ; « L’appel à la peur peut amener les gens à changer de comportement à condition de donner les moyens pour gérer l’anxiété et le danger ».
En revanche, le monde de la culture, et celui de la littérature en particulier, peut le relayer et ainsi aider à construire un autre discours sur notre relation à la planète. La langue poétique, tout particulièrement, peut apporter au langage des émotions et des images qui ne passent pas par le langage rationnel. De même si les récits fictionnels, en créant des univers dans lesquels le lecteur peut se projeter, ne se sont pas privés d’évoquer les désastres écologiques, ils les accompagnent souvent d’un cheminement humain qui peut stimuler des énergies et des bonnes volontés. De nombreux récits créent des univers apocalyptiques glaçants mais d’autres montrent aussi des voies de résilience individuelles et collectives qui peuvent offrir un horizon au public.
Notre colloque rassemblera des chercheurs de différents pays afin de réfléchir à nos représentations et à leurs évolutions. Notre objectif sera d’étudier la question des représentations de la crise écologique « entre fin du monde et résilience » sous-divers angles littéraires, dans une perspective résolument comparatiste autant au plan historique que mondial. La littérature de jeunesse, par sa visée pédagogique et citoyenne, sera partie intégrante du projet. Nous observerons en particulier la question sous :
1. Sa dimension stylistique : quels mots et quelles images pour représenter l’environnement, la relation des hommes et des femmes au monde qui les entoure ? Comment dire les affects que sa dégradation provoque ?
2. Sa dimension générique pour déterminer les genres littéraires privilégiés qui intègrent les questions environnementales (poésie, voyages littéraires, science-fiction, contre-utopie…) et pour voir la mise en mots et en récit de ces questionnements (la question environnementale est-elle un cadre narratif, une péripétie ? Quels aspects de la crise environnementale sont abordés ? par quels procédés narratifs ou figuratifs ? sur quels ressorts émotionnels et quels engagements axiologiques mettent-ils en place ?) ;
3. Sa dimension actancielle pour repérer le traitement des personnages (quelle place accorde-t-on aux personnages ? Sont-ils actifs ou passifs face à l’évènement ; quels types de personnages ou de créatures vivantes sont mises en scène) ;
4. Sa réception, via ses effets littéraires et les procédés mis en œuvre (privilégie-t-elle un sentiment d’urgence ou de peur ? ou crée-t-elle, (par quels moyens ?) une mobilisation ?
Ce colloque sera le point de départ d’une série de rencontres et de collaborations qui s’étendront sur toute l’année 2024-2025. Elles associeront chercheurs en littérature, en sciences humaines (sociologues, anthropologues, linguistes) et scientifiques avec la collaboration du Biolab Néméton, une association grenobloise de vulgarisation et de médiation scientifiques. Elles s’accompagneront d’ateliers d’écriture ouverts tout particulièrement aux étudiants de l’UGA dans une démarche de recherche- création, pour participer au développement d’un imaginaire à même de penser le changement climatique sans être forcément dystopique.
Pistes bibliographiques
Même si Ronsard au XVIe siècle s’en prenait déjà, dans une élégie célèbre, aux bûcherons abattant la forêt de Gastine, c’est à la fin du XXe siècle et au début du XXIe qu’est véritablement apparue une prise de conscience de l’impact humain sur l’environnement. Les auteurs s’en emparent dans leurs œuvres pour exprimer leurs émotions, leur révolte et appeler à un sursaut citoyen.
La critique s’oriente dans une analyse de cette thématique depuis les années 1960, et surtout à partir des années 1990, où le développement de l’écopoétique, – s’occupant avant tout de la textualité des récits – (Schoentjes 2015, Posthumus 2016) et de l’écocritique, – plus engagée politiquement et enrichie par le point de vue d’autres disciplines – (Buell 1995, Iovino 2006, Suberchicot 2012) ont accompagné une découverte plus globale des effets néfastes du développement humain et la mise au jour du concept d’Anthropocène. Les recherches de N. Scaffai (2018) portent ce questionnement jusqu’au cœur de la langue poétique dont les images et les figures permettent une expression inattendue des rapports de l’homme à son monde. Dans le domaine narratif, les travaux du collectif dirigé par C. Salabé (2013), par exemple, mettent en avant la notion de « lieu matériel » (luogo materiale) au cœur de l’écosystème naturel comme de l’imaginaire littéraire. Cette notion est aussi au cœur des recherches de X. Garnier (2022) sur les littératures africaines où l’écopoétique se double d’une dénonciation de l’exploitation économique. En parallèle, la pop-culture (Chelebourg 2012) et surtout la littérature de jeunesse (Prince et Thiltges 2018) ont aussi fait l’objet de recherches sous cet angle : le colloque Littérature de jeunesse et écologie qui s’est tenu à l’Université Grenoble-Alpes en 2022 montrait l’importance de l’empowerment des enfants dans des œuvres où ils devenaient acteurs, riches d’agentivité, face à des adultes souvent présentés comme passifs.
En 2021, la revue Fabula-LhT avait suscité une réflexion sur « l’écologie littéraire » qui avait culminé en numéro spécial en ligne, Écopoétique pour des temps extrêmes dans lequel Jean-Christophe Cavallin avait rappelé l’urgence pour le discours littéraire de « s’enrôler dans la praxis », appelant comme Jean- Paul Sartre à « une littérature des situations extrêmes. » (Situations de l’écrivain en 1947). Il enjoignait ainsi les chercheurs à « penser ensemble l’axe politique et l’axe poétologique – régime de la prescription et régime de la description. »
Le présent colloque veut se situer dans cette perspective en questionnant les représentations du désastre écologique et d’une possible résilience dans la littérature poétique et narrative francophone ou internationale. Les organisatrices sont intéressées par toutes les communications sur des œuvres littéraires (francophones ou internationales), tant pour les plus jeunes que pour les adultes, qui véhiculent un message écologiste, dans une perspective stylistique ou narrative.