Séminaire doctoral 2023-2024
Tensions dans le contemporain III : comment (ne pas) être de son temps ?
Organisé par : Juliette Drigny, Chantal Lapeyre et Jean-François Puff (UMR 9022 Héritages)
L’année 2023-2024, le séminaire poursuit son analyse des différentes modalités de tension dans le contemporain, dans la double perspective de la cartographie partielle d’un champ conflictuel, et d’une approche des problématiques inhérentes aux processus de création. Des enseignants-chercheurs, des écrivains, des artistes sont invités à échanger et des travaux issus des recherches menés par les doctorants sont présentés.
Programme (les séances ont lieu aux Chênes II, en salle des thèses ou en Tour 33, de 17 h à 19 h)
- 12 octobre 2023 : Le document, l'archive, définitions, usages. Christian Hottin (EUR Humanités, création, patrimoine – UMR Héritages) : "Archives de l'archiviste, archives de l'historien. Réflexions tirées de la pratique". Daniel Jablonski (doctorant UMR) : "Stranger than fiction : la création face à la documentation"
- 16 novembre : Créer l’archive et le document. Amos Fergombé (UPHF) : « Sur Alain Platel ». Heiata Julienne (doctorant Université Bordeaux Montaigne) et Anna Lévy (doctorante Université Bordeaux Montaigne) : « Les transcripteurs. Un public au cœur de la scène » (sur le Générateur).
14 décembre 2023 : Entretien avec Grégoire Bouillier, écrivain.
- 25 janvier 2024 : Pratiques d’auteur-e-s. Ariel Spiegler (poète) : « Une expérience de poésie-documentaire in situ ». Mathieu Simonet (écrivain, doctorant CY) : « Frontières ».
- 29 février 2024 : Performance et écriture, aller et retour. Louise Hervé (artiste, doctorante UMR) : « Écrire la performance ». Jean-François Puff (CY, UMR Héritages) : « L’ethnologue en performance. Éléments pour un projet de recherche-création ».
- 28 mars : Mémoires performées. Juliette Drigny (CY, UMR Héritages) « Pièces perdues ». Raísa França Bastos et Augusto de Alencar « Chanter Charlemagne ».
25 avril 2024 : Entretien avec Philippe Artières, historien, écrivain.
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Présentation :
Qu’est-ce qu’une tension ?
État d’une matière, comme on parle de la tension propre à une corde de violon, pour qu’elle soit apte à produire la résonance voulue, c’est aussi une force apparaissant à la surface de séparation entre deux liquides non miscibles, ou une différence de potentiel entre les deux pôles d’un ensemble, ou encore l’écho d’un équilibre précaire, d’un désaccord potentiel dans les relations, entraînant des risques de conflit, de crise, de rupture. Ce mot de tension introduit l’écart, le différentiel, l’antagoniste, le polémique, la distance, la séparation.
Pourquoi ce concept est-il particulièrement opératoire pour appréhender le contemporain ? Il ne préjuge d’abord en rien d’un contenu, mais s’inquiète de la dynamique impulsée par les logiques qui le traversent. Il restitue ensuite au contemporain une valeur de champ, agi par des forces contradictoires, en lieu et place d’une hétérogénéité non-conflictuelle, d’une simple diversité d’éléments juxtaposés. Il s’agira de ne pas manquer le dynamisme portant ces relations, d’envisager sa productivité.
Prenant la suite des recherches menées au cours des deux années passées dans le champ de la poésie et du poétique, notre séminaire s’attachera à présent à appréhender différents modes de tension dans le contemporain, à différents niveaux du travail de création, autour de deux questions centrales, intimement liées l’une à l’autre : le document et l’archive, le temps dans l’expérience contemporaine. Enfin ce séminaire se donne toujours pour objectif de penser l’articulation de la théorie et de la pratique, particulièrement centrale dans le cas des doctorants en littérature ou en art, qui mobilisent documents et archives et s’inscrivent, de fait, dans une certaine pensée du temps.
Penser/créer le document, l’archive/les archives
L’invention formelle caractérisant les avant-gardes historiques et leur poursuite néo-avant-gardiste a eu pour conséquence un soupçon jeté sur la possibilité d’identifier des objets, renvoyée à une forme d’essentialisme et de hiérarchisation des savoirs. Ce constat qui guidait les investigations du séminaire dans son premier temps a une pertinence certaine en ce qui concerne certaines orientations de la littérature contemporaine, requise à maints égards, comme d’autres pratiques artistiques contemporaines d’ailleurs, par la question de l’archive, du document, l’une et l’autre mobilisés dans des processus de création. De plus, écrivains ou artistes, et peut-être avec une intensité particulière dans la période contemporaine, produisent à leur tour des documents et de (ou des) archive(s) – par exemple dans le champ de la performance, de son écriture, expérience essentiellement polysémique qui vise tant le geste de composition en amont que le geste de capitalisation – en aval. Mais, parce que la mobilisation des documents et des archives qui en témoignent est une pratique elle-même en tension par le sens et les valeurs, parfois antagonistes, qui leur sont conférées, peut-être est-il à présent nécessaire de repenser à nouveaux frais ces ressources, de les redéfinir pour en préciser la nature : qu’est-ce qui, dans ces pratiques contemporaines, fait document, fait archive ? Quels en sont les modes de production spécifiques ? Dans quel contexte précis ? Ce questionnement permettra de cartographier la provenance des matériaux, les réseaux d’intentionnalité qui ont présidé à l’élaboration documentaire ou archivistique, leurs usages parfois contradictoires, pour parvenir à les penser dans leur effectivité esthétique.
(Ne pas) être de son temps
En tension entre individuel et collectif, dans la mesure où ces démarches de création supposent un ou des collectifs repérables à différentes échelles, ces pratiques reposent aussi sur une tension entre passé et présent. Peut-être cette passion du réel, que traduit la mobilisation du document et de l’archive et qui aboutit, comme en sciences humaines, à la construction de données devenant à leur tour des matériaux activés dans les processus de création, recouvre-t-elle en effet, sinon une autre passion, du moins une autre question, celle du temps, question dont les enjeux ne sont pas moins passionnels. De fait, par l’usage qu’ils font du document et de l’archive, ou par leur constitution, écrivains et artistes produisent des configurations temporelles singulières, inédites. L’un et l’autre ouvrent l’empan temporel, le démultiplient dans la phase de l’appropriation comme dans celle de la création. Le fait est patent dans la démarche qui consiste à se saisir de documents pour raconter une histoire du passé, mais aussi, et plus largement, dans toute démarche de création qui, produisant à son tour une inscription quelle qu’elle soit, l’ouvre à l’horizon du temps à venir. C’est cette singulière pensée du temps, impliquée (et d’abord au sens étymologique du terme - implicare : plier dans, entortiller, emmêler) dans ces pratiques documentaires et archivistiques que nous voudrions expliquer – analyser et cartographier, supposant qu’elles pourraient peut-être permettre d’approcher une autre définition encore du contemporain.
Articulation entre pratique et théorie dans les écritures et les arts contemporains
Une attention particulière sera portée, au cours du séminaire, aux gestes de création qui s’allient à la théorisation et à une dimension réflexive, comme c’est le cas dans nombre de pratiques dites de « recherche-création ». Le séminaire s’intéressera ainsi aux processus de création s’appuyant sur la collecte et l’analyse de supports archivistiques ou documentaires, ainsi que sur leur production au terme de l’investigation menant à la création telles qu’elles se déploient spécifiquement en recherche-création. La visée sera là encore d’examiner quelles connaissances extérieures à elles-mêmes les œuvres ont produites, Comment ces oeuvres lestent-elles leurs outils de sens et d’enjeux nouveaux ? L'approche de ces démarches, de leurs écueils et de leurs réussites, devrait nous aider à cerner la nature parfois énigmatique de certaines créations contemporaines.
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Bibliographie indicative :
Isabelle Barbéris (dir.), L’archive dans les arts vivants – Performance, danse, théâtre, Presses universitaires de Rennes, 2015
Janig Bégog, Nathalie Boulouch et Elvan Zabunyan, La Performance – entre archives et pratiques contemporaines, Presses universitaires de Rennes, 2015
Anne Bénichou (éd.), Ouvrir le document – Enjeux et pratiques de la documentation dans les arts visuels contemporains, Les Presses du réel, 2011
Aline Caillet et Frédéric Pouillaude (dir.), Un art documentaire – Enjeux esthétiques, politiques et éthiques, Presses universitaires de Rennes, 2020
Sylvie Coëllier (dir.), La Performance, encore, Presses universitaires de Rennes, 2016
Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête – Portrait de l’écrivain contemporain en enquêteur, Corti, 2019
Jacques Derrida, Mal d’archive, Galilée, 1995
Georges Didi-Huberman, Devant le temps, Les Editions de Minuit, 2000
François Hartog, Régimes d’historicité – Présentisme et expériences du temps, Points, 2015
Irina Kirschberg et Alexandre Robert (dir.), Faire l’art – Analyser les processus de création artistique, « Logiques sociales », L’Harmattan, 2016
Laurent Olivier, Le sombre abîme du temps – Mémoire et archéologie, Seuil, 2008
Frédéric Pouillaude, Représentations factuelles, Les Editions du Cerf, 2020
Carole Talon-Hugon, L’artiste en habits de chercheur, PUF, 2021
Dominique Viart, « Les littératures de terrain », Les Littératures de terrain | Viart | Revue critique de fixxion française contemporaine (revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org)