"Toute mon adolescence, j'ai entendu parler des personnages d'À la recherche du temps perdu, persuadée qu'ils étaient des cousins que je n'avais pas encore rencontrés. À la maison, les répliques de Charlus, les vacheries de la duchesse de Guermantes se confondaient avec les bons mots entendus à table, sans solution de continuité entre fiction et réalité. Car le monde révolu où j'ai grandi était encore celui de Proust, qui avait connu mes arrière-grands-parents, dont les noms figurent dans son roman.
J'ai fini, vers l'âge de vingt ans, par lire la Recherche. Et là, ma vie à changé. Proust savait mieux que moi ce que je traversais. il me montrait à quel point l'aristocratie est un univers de formes vides. Avant même ma rupture avec ma propre famille, il m'offrait une méditation sur l'exil intérieur vécu par celles et ceux qui s'écartent des normes sociales et sexuelles.
Proust ne m'a pas seulement décillée sur mon milieu d'origine. Il m'a constituée comme sujet, lectrice active de ma propre vie, en me révélant le pouvoir d'émancipation de la littérature, qui est aussi un pouvoir de consolation et de réconciliation avec le Temps."
Historienne, écrivaine, professeure de littérature à l’Université de Californie à Los Angeles, Laure Murat est l’autrice, entre autres, de La Maison du docteur Blanche, prix Goncourt de la biographie (Lattès, 2001), Une révolution sexuelle ? (Stock, 2018), et Qui annule quoi ? (Seuil, 2022).
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un articles sur cet ouvrage :
"Proust double-face", par Cécile Dutheil de la Rochère (en ligne le 27 septembre 2023).
De Los Angeles où elle vit, cité horizontale, l’essayiste Laure Murat a imposé sa voix dans son pays d’origine, la France. L’a-t-elle imposée dans son « milieu », si attaché à la verticalité ? Il y a des chances que non. Un milieu est un ensemble d’éléments qui conditionnent des êtres humains qui se reconnaissent et se protègent. Quand cet ensemble se nomme aristocratie, il abhorre l’idée qu’on vienne l’ausculter, surtout de l’intérieur. Le péché a un nom : trahison. Proust, roman familial est donc une double trahison puisque Laure Murat ausculte les siens à travers le prisme du grand écrivain qui les a sublimés tout en les rabaissant.
Lire aussi le billet de P. Assouline sur son blog larepubliquedeslivres…