Essai
Nouvelle parution
Jacques Wagner, Parler des livres, changer la langue au XVIIIe siècle

Jacques Wagner, Parler des livres, changer la langue au XVIIIe siècle

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne

D'après le Journal Encyclopédique de Pierre Rousseau (1756-1785) et le Journal Littéraire, des sciences et des arts de l'abbé Grosier (1756-1785)

Faire d'une revue littéraire du XVIIIe siècle un objet d'étude qui ne la réduise pas à une source d’informations historiques ou bibliographiques, mais lui accorderait, en dépit de tous les défauts structurels de ce type d’écrit, les valeurs de cohérence et de style qui font l’attrait d’une œuvre littéraire, est-il envisageable ? Le Journal Encyclopédique (1756-1785) se prêtait à l’exercice par sa longévité et ses ambitions intellectuelles. Son inventeur, Pierre Rousseau (de Toulouse), avait une conception claire de son travail : diffuser le savoir pour former l’« honnête homme » de la modernité. Sous sa plume se répandait la nouvelle langue des Lumières modérées, éclairant et légitimant le désir de jouir des bienfaits de la raison et des plaisirs de la vie, en évitant les pièges de la guerre théologique, des préjugés nationaux et des égoïsmes « particuliers ». Son moyen le plus efficace fut de recourir à la rédaction d’extraits commentés d’ouvrages nouveaux, selon une méthode aussi maîtrisée que possible. Il parvint, sans trop de défaillances, à ne pas tomber dans les défauts de la satire acerbe ou de la partialité virulente dont l’abbé Grosier, à l’instar de son ami Fréron, fit sa spécialité au cours de sa seule année (1779) à la tête du Journal de littérature, des sciences et des arts.

Pierre Rousseau aura-t-il réussi à décontenancer le mépris de ceux qui, avec Voltaire, ne voyaient dans les journalistes littéraires que « moucherons et chenilles » parasitant « fleurs et fruits » du jardin des Lettres ?

Sommaire

Introduction générale : comment et pourquoi parler des livres
– Présentation du Journal Encyclopédique et de son auteur, Pierre Rousseau
– Les contraintes juridiques d'un périodique
– Contexte historique (politique, social et religieux)
– Objectifs et pratiques culturelles
– Conduite et enjeux de notre réflexion

Partie 1 : Du genre périodique au XVIIIe siècle

– Extension du domaine journalistique

Extension historique : les périodiques comme moniteurs du goût
Extension scientifique : les périodiques comme objets de recherche

– L'étude du périodique littéraire et de son principal outil : l'extrait

Le genre périodique
L'extrait : la forme privilégiée d'un outil pédagogique et pratique
Droits et devoirs des rédacteurs d’extraits

– Les audaces « libérales » de P. Rousseau

Le refus des « privilèges »
Diversité et tolérance
Un attrait maîtrisé des nouveautés

Partie 2 : Le milieu de la parole : les bruits de la guerre

– Prélude : une guerre universelle

La divergence des goûts et la guerre des goûts
L’affrontement des individus
Le fléau des violences

– Le milieu de la parole : la guerre des intérêts ou la « crise des Lettres »

Une impossible paix
L’utopie chimérique d’un asile
L’espace agité de la cité

– Les passions religieuses

La présence de la censure
Les effets de la censure

– Les hostilités civiles

Les plaintes contre les journaux
Les répliques des journalistes
La question des nouveautés : une politique de blocage

– La situation du Journal de P. Rousseau

L’éloge du mouvement
L’affaire Palissot
Un entre-deux contraignant

– Un milieu européen perturbé

Le paradoxe rousseauiste de l’intelligence : barbarie et savoirs
La défense de l’esprit moderne
Les livres contre la frivolité et la morosité

– Conclusion : la crise des lettres et les réponses de P. Rousseau

L’Europe entre empêchements et commerce des esprits
La résistance, sans naïveté, d’un rêveur de paix
L’ami des hommes et son expression par extrait

Partie 3 : Le lieu de la parole : le genre de l’extrait

– Un lieu trouble

Les visées du genre extractif
Deux modèles énonciatifs opposés

– Un lieu double : deux pratiques en tension

Le type savant avec discussions
Le type critique avec analyse
Bilan : l’extrait entre l’objet (le livre) et le sujet (le lecteur)

Partie 4 : Le lieu de la parole : l’extrait « critique ». L’exemple de l’abbé Grosier dans le Journal de littérature, des arts et des sciences (1779)

– Les procédés rhétoriques

Les références culturelles contemporaines
L’interpellation au style direct
La fiction : la puissance de l’irréel du présent et du passé

– Cas exemplaires (Lamarck, Buffon, d’Alembert et Diderot)

Le cas de la Flore française de Lamarck
La belle science hétérodoxe de Buffon : les Époques de la Nature
Les « Philosophes » (d’Alembert et Diderot) auscultés par l’abbé Grosier

– Une rhétorique de l’emportement

Un enthousiasme raisonné
Une stratégie de harcèlement
Une modernité en détestation ou le regret d’un paradigme perdu
Bilan : un Monde corrompu et un Verbe absolu

Partie 5 : Le lieu de la parole : l’extrait « philosophique » dans le Journal Encyclopédique

– Prélude : entre le sourire et les cris

Un périodique accordé à l’esprit d’innovation
Une modernité remaniée
Comment lire les ouvrages traditionalistes ?

– De la métaphysique : un attrait paradoxal

L’attrait du grand goût
Une présence limitée par l’utile : l’esprit et/ou la matière ?
Le grand goût illustré par la Métaphysique
Une métaphysique « philosophique » entre Locke et Leibnitz

– Lire la métaphysique : l’abbé Lelarge de Lignac et son Témoignage du sens intime

Prélude : Lignac et sa lignée spiritualiste
Un comportement énonciatif inédit
L’originalité du double fond dans le Sens intime de l’abbé de Lignac

Partie 6 : De la religion et des faits historiques

– Le choix du biais historique

La haute valeur de la science historique
La matière religieuse et sa mise en forme historiographique

– Histoire et miracles ou le retour caché à l’apologétique

Le cas de la Légion fulminante
Mythe antique et récits bibliques
Bilan : matière religieuse et approche scientifique

– Histoire ecclésiastique : les papes, l’union de la religion et de la sociabilité

Prélude : comment parler de l’institution romaine
Éloge de Clément XIV (en 1775)
Éloge de Benoît XIV (en 1783), ou l’amplification des mêmes fantasmes
Conclusion : une harmonie souhaitée

Conclusion générale : les engagements du cœur et de l’esprit, entre idéal et réalité
– L’impatience des limites
– L’infini de la pensée
– Le bonheur par les agréments de la paix

Bibliographie
Index des noms