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L’échec dans la culture imprimée et audiovisuelle anglophone (Cannes)

L’échec dans la culture imprimée et audiovisuelle anglophone (Cannes)

Publié le par Marc Escola (Source : isabelle Licari-Guillaume)

L’échec dans la culture imprimée et audiovisuelle anglophone

6-7 juin 2024, Cannes

Organisation :

Karine Hildenbrand (MCF, Université Côte d’Azur), Nicolas Labarre (PU, Université Bordeaux Montaigne) et Isabelle Licari-Guillaume (MCF, Université Côte d’Azur).

Il n’est pas rare que l’échec soit présenté sous un jour positif, comme une forme d’épreuve permettant aux auteurs de se comprendre mieux ; J.K. Rowling, dans un discours à Harvard en 2008, affirmait que c’est après avoir touché le fond qu’elle avait pu se reconstruire. Dans ces cas, l’échec joue un rôle dans la construction de la posture de l’auteur (Meizoz) et s’intègre dans un récit :  il est l’épreuve campbellienne avant le triomphe final que constitue le livre. Mais qu’en est-il des véritables échecs sous toutes leurs formes, depuis les projets maudits incapables de trouver leur public, jusqu’aux productions ennuyeuses et médiocres, dont il ne reste qu’un « gâchis de papier » (Rokk) ou d’images ? Nous nous intéressons à ces livres, bandes dessinées, magazines, jeux vidéo, films ou séries qui constituent les rebuts illégitimes et déclassés de la culture moderne.

L’échec, comme la beauté, a une dimension subjective, et dans certains cas, c’est l’intensité du battage médiatique autour des œuvres qui produit ce sentiment. La presse avait fait ses choux gras du tournage de Cléopâtre (1963) de l’histoire d’amour scandaleuse entre Taylor et Burton jusqu’aux changements de réalisateurs et d’acteurs ; le film, la production la plus coûteuse de l’époque, a quasi ruiné la 20th Century Fox. Les attentes des spectateurs ont été déçues, les critiques mitigées, et les studios se sont détournés des films épiques à gros budget. Vingt ans après avoir créé The Dark Knight Returns, l’un des récits de superhéros les plus canoniques (Beaty et Woo, 57), Frank Miller est revenu au personnage pour écrire All Star Batman and Robin the Boy Wonder (2005-2008), avec le dessinateur vedette Jim Lee. Le projet s’est révélé désastreux sur pratiquement tous les fronts (à l’exception peut-être des dessins de Lee), et la série, jugée « illisible » par la critique, est restée inachevée. Cet échec retentissant a néanmoins donné naissance à une œuvre tristement célèbre — infamous — mémorable et, même plaisante pour certains lecteurs, précisément en raison de son incapacité à se conformer aux attentes. Les jeux vidéo offrent eux aussi leur lot d’échecs mémorables, servant tantôt de mise en garde contre les tendances du secteur (Anthem, Bioware, 2019), tantôt de point de départ à un récit de rédemption (No Man’s Sky, Hello Games, 2016).

Dans une culture où l’évaluation est omniprésente, les échecs exceptionnels ont quelque chose de touchant ; lorsqu’un livre, un magazine ou une bande dessinée quitte les eaux tièdes du médiocre pour entrer dans le cercle fermé des véritables catastrophes. Au cinéma, ces œuvres en sont venues à former un canon sous-culturel à part entière, celui des films Z, des nanars, du camp, avec ses propres rituels, comme les Razzie Awards. Des tendances similaires existent dans la culture de l’écrit : les Bad Sex Awards célèbrent ainsi les manquements au bon goût les plus retentissants dans les scènes érotiques de roman. 

Certains échecs commerciaux ne sont pas imputables au contenu de l’œuvre elle-même, mais au contexte dans lequel elle a été publiée. En 2007, DC comics lance Minx, une collection destinée aux adolescentes et visant à leur offrir une alternative aux mangas, nommant à sa tête Karen Berger et Shelly Bond, deux éditrices à succès aux références irréprochables. Pourtant, les livres Minx ont été un échec retentissant. Les analyses a posteriori ont révélé que de nombreuses librairies les avaient rangé dans la catégorie « bandes dessinées » plutôt qu’au rayon « jeunes adultes » fréquenté par leur public cible. Les modèles de distribution, de promotion et de marketing jouent bien un rôle essentiel dans le succès ou l’échec des livres et des magazines. En outre, Howard Becker a montré que les différents acteurs impliqués dans la création d’un film peuvent avoir des objectifs divers et même contradictoires, qui permet de comprendre comment « des films atteignent un degré de médiocrité qu'aucune considération strictement commerciale ne peut justifier seule » (p. 108).

Parallèlement, l’échec commercial n’empêche pas certaines œuvres de connaître un succès critique ou populaire à long terme. L’accueil public et critique mitigé du Rocky Horror Picture Show (1975) ne l’a pas empêché de devenir un film culte, avec la plus longue durée d’exploitation continue de l’histoire du cinéma. Plan 9 from Outer Space (1957) est passé relativement inaperçu avant d’être qualifié de « pire film jamais réalisé » par Harry et Michael Medved, gagnant le statut de meilleur pire film de tous les temps. L’hommage de Tim Burton à son réalisateur, Ed Wood (1994), contribua à la renommée du film.

Nous invitons des propositions interrogeant le rôle de l’échec dans la culture imprimée et audiovisuelle anglophone, notamment les bandes dessinées, les livres pour enfants, les magazines, les romans, les jeux vidéo, les films et les séries. En particulier, nous aimerions explorer les nombreuses façons dont l’échec et la canonicité ne s’excluent pas mutuellement, ne serait-ce que parce que l’échec, tout comme le canon, est une notion discursive et hautement contingente. Nous accueillerons également avec plaisir les contributions qui abordent ces échecs d’un point de vue transnational.

Nous proposons les axes de réflexion suivants :

·       De la difficulté d’échouer : Qu’est-ce qui distingue les simples médiocrités des échecs complets ? Quels seuils une œuvre doit-elle franchir pour être identifiée comme un échec, et comment ces seuils sont-ils discursivement créés et maintenus ?

·       Apprendre de l’échec : comment les récits des éditeurs ou des producteurs rendent-ils compte des échecs et comment ces échecs affectent-ils les décisions ultérieures ? Ce processus d’apprentissage est-il le même pour les auteurs ? Les lecteurs et les spectateurs apprennent-ils eux-mêmes des échecs ?

·       Le plaisir de l’échec : pourquoi aimons-nous lire ou regarder des récits d’échec ? L’échec a-t-il une valeur pour les créateurs ? Dans quelle mesure pouvons-nous considérer les œuvres « cultes » comme des échecs ?

·       Échec et trash : si les deux notions présentent des similitudes, toutes les œuvres trash ne sont pas des échecs en soi ou pour le public auquel elles sont destinées. Même les genres peu recommandables et « trash », tels que l’horreur ou la pornographie, recèlent des succès et des échecs.

·       Au mauvais endroit, au mauvais moment : de mauvaises stratégies commerciales peuvent-elles compromettre le succès de bonnes œuvres ? Dans quels cas l’échec commercial contribue-t-il à la réputation de l’œuvre et quels sont les mécanismes qui permettent de dissocier le succès esthétique de l’échec commercial ?

·       Voués à l’échec : certains personnages, genres, thèmes et publics sont-ils plus susceptibles d’échouer que d’autres ? Comment expliquer l’existence des Bad Sex Awards en littérature, alors qu’il n’existe pas de prix similaire pour la plus mauvaise explication scientifique, par exemple ? Peut-on identifier des invariants dans les Razzie Awards récompensant le pire film d’une année donnée ?



Les propositions de communication, d’une longueur d’environ 300 mots, sont  à transmettre à isabelle.licari-guillaume@univ-cotedazur.fr, karine.hildenbrand@univ-cotedazur.fr et nicolas.labarre@u-bordeaux-montaigne au plus tard le 6 nov. 2023, accompagnées d’une notice bio-bibliographique.  

English version…

References

Beaty, Bart, and Benjamin Woo. The Greatest Comic Book of All Time: Symbolic Capital and the Field of American Comic Books. New York : Palgrave Macmillan, 2016.

Becker, Howard S. Art Worlds. Berkeley; Los Angeles : University of California Press, 1982.

Becker, Howard S. Les Mondes de l’Art. Paris : Flammarion, 1988.

Cartmell, I. Q. Hunter, H. Kaye, & I. Whelehan (Eds.), Trash Aesthetics: Popular Culture and its Audience. Film/Fiction 2. London : Pluto, 1997.

Glynn, Kevin. Tabloid Culture: Trash Taste, Popular Power, and the Transformation of American Television. Durham : Duke UP, 2000.

Meizoz, Jérôme. Postures littéraires. 1 : mises en scène moderne de l’auteur : essai. Genève : Slatkine, 2007.

Rokk. « Comic Book Review: Countdown to Final Crisis #23 ». Comic Book Revolution, Nov. 23, 2007. https://www.comicbookrevolution.com/comic-book-review-countdown-23/

Witek, Joseph. « If a Way to the Better There Be: Excellence, Mere Competence, and The Worst Comics Ever Made. » Image [&] Narrative 17, no. 4 : 2016.