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Vertus mnémoniques du théâtre (Rennes)

Vertus mnémoniques du théâtre (Rennes)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Anne Teulade)

Journée d’études organisée par le groupe Phi

Salle L201 Université Rennes 2, Campus Villejean

31 mars 2023


9h45 : Accueil et présentation de la journée : Anne Teulade

 Modération : Charline Pluvinet 

 10h : Claudine Le Blanc (Université Sorbonne Nouvelle / CERC)

« La mémoire de la saveur. De quoi se souvient-on dans le théâtre de Kalidasa ? »

10h40 : Marie-Cécile Schang-Norbelly (Université de Bretagne Sud / HCTI)

« Mémoire et création poétique dans l’opéra-comique des Lumières »

 11h20 : pause

11h35 : Audrey Giboux (Université Rennes 2 / CELLAM)

L’Aventurier et la cantatrice de Hofmannsthal, comédie d’inspiration casanovienne : de la nostalgie amoureuse à la quête d’une mémoire littéraire

12h15 : Claire Lechevalier (Université de Caen-Normandie / LASLAR) :

Mettre en jeu la mémoire de Troie : Heinrich Schliemann, Bruno Bayen, Antoine Vitez

 
Modération : Gaëlle Debeaux

14h30 : Véronique Lochert (Université de Haute Alsace / ILLE)

Mémoire, imagination, émotion : le théâtre intérieur de quelques spectatrices

15h10 : Anne Ducrey (Sorbonne Université / CRLC)

Discontinuités dramatiques et mémoire universelle dans le théâtre symboliste

15h50 : Zoé Schweitzer (Université Jean Monnet-Saint Étienne / IRHIM)

Hanokh Levin et le jeu des mémoires

 

ARGUMENTAIRE

Le théâtre est un art éphémère. La fiction scénique s’actualise le temps d’une représentation vouée à la disparition de sorte que les archives du théâtre sont trouées d’oublis et requièrent une méthodologie spécifique. 

Cet art qui ne prend forme que dans le présent entretient néanmoins un rapport multiforme au passé et à la mémoire. D’abord parce qu’il mobilise la mémoire de l’acteur et sollicite celle du spectateur : dans la subjectivité de ce dernier se superposent nombre de représentations passées de la même pièce qui en viennent à élaborer un « musée imaginaire » (Banu). Ensuite parce que les œuvres réactivent fréquemment un passé culturel ou factuel : de la tragédie grecque qui « réveille la mémoire des dieux » (Bouvier-Cavoret) ou réactive celle des guerres récentes contre les Perses au théâtre mémoriel contemporain, en passant par les pièces d’histoires récentes de la première modernité qui font état des guerres de religion, des conquêtes coloniales ou des procès de sorcières, le théâtre est hanté par le passé. 

La vocation mémorielle du théâtre contemporain est à présent bien défrichée : du théâtre problématisant la notion d’héritage et s’interrogeant sur les possibilités de convoquer la voix des oubliés jusqu’au théâtre documentaire, le corpus consacré aux traumatismes a engendré nombre de recherches et de projets. 

Le théâtre de mémoire ne se limite cependant pas à ces corpus mémoriels : le lien étroit du théâtre de Shakespeare à la mémoire a été souligné, les études diachroniques sur le spectre, figure du retour du passé : la vertu mnémonique du théâtre n’est pas seulement une problématique contemporaine, ni même seulement une efficience visant la convocation des traumatismes collectifs.  

Les affinités entre dispositif théâtral et activation de la mémoire sont manifestées dans les fameux « théâtres de la mémoire » renaissants. La mémoire étant conçue depuis l’Antiquité, comme un ensemble de « lieux mnémoniques », l’activité mnésique est favorisée par la visualisation d’espaces à compartiments. Si le théâtre de mémoire de Giulio Camillo prend plutôt la forme d’un grand meuble doté de tiroirs, le théâtre de la mémoire de Robert Fludd et John Willis se modèle sur le théâtre du Globe – sur un espace littéralement, et non plus métaphoriquement, scénique. Or la subtilité de ce modèle réside non seulement dans le potentiel mnémonique dont il dote l’espace scénique, mais également dans le travail de la mémoire qu’il suppose, par le lien entre le visible et le caché : les coulisses figurent la mémoire sollicitée et la fiction théâtrale implique plus que les événements mis en scène. Elle en appelle au souvenir du spectateur, à une extension fictionnelle, imaginaire de l’action.

Nous proposons donc, dans cette journée d’études, d’aborder les vertus mnémoniques du théâtre, sans nous limiter à sa vocation mémorielle. 

On pourra par exemple examiner comment l’intrigue et le dispositif théâtraux sont susceptibles de donner forme aux méandres de la mémoire ou de faire advenir le souvenir enfoui. À la différence du genre romanesque propice à l’exploration de l’intériorité, à l’entrelacement des temporalités et des points de vue, le théâtre doit en effet inventer des formes innovantes pour faire surgir la mémoire. Le fantôme n’est que l’une d’elles : il est aussi des scénarisations d’intrigues, des montages narratifs et des superpositions d’images aptes à modéliser le travail mnémonique. 

On pourra également s’interroger sur la manière dont le texte de théâtre ou sa mise en scène convoquent la mémoire du spectateur, de manière à doter le représenté d’un surplus de sens : l’activation de certaines images poétiques, la reprise intertextuelle ou la citation sont susceptibles de hanter le spectacle et de faire travailler l’interprétation au-delà même de l’action mise en scène – il en va ainsi dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare.  

Cette journée, qui résonne avec le programme d’agrégation Théâtres de l’amour et de la mémoire, s’inscrit dans le projet quadriennal du groupe Phi « Vertus et vanités de la littérature ». Il s’agira donc d’examiner dans quelle mesure le théâtre est doté de puissante vertus mnémoniques, mais aussi d’évoquer les éventuelles apories auxquelles l’art se heurte. 

 

Bibliographie indicative 

 
Amiel Vincent et Farcy Gérard-Denis (dir.), Mémoire en éveil. Archives en création. Le point de vue du théâtre et du cinéma, Vic La Gardiole, L’Entretemps éditions, 2006. (articles de Didier Plassard, « La scène peut-elle être un lieu de mémoire ? » et Georges Banu, « L’oubli et “la forme de l’absence” »).

Banu Georges, Les Mémoires du théâtre. Essai, Arles, Actes Sud, coll. « Le temps du théâtre », 2005 [1987].

Beddows Joël, Frappier Louise (dir.), Histoire et mémoire au théâtre : perspectives contemporaines, Québec, Presses de l’université Laval, 2016.

Berthoz Alain, Scheid John (dir.), Les Arts de la mémoire et les images mentales, Paris, Collège de France, 2018. (articles de Ruth Webb « La Galerie de tableaux de Philostrate : vision, mémoire et espace » et Lina Bolzoni, « Théâtre de mémoire à la renaissance : poèmes et galeries de peinture »).

Biet, Christian et Mesnard, Philippe (dir.), Témoigner entre histoire et mémoire/Testimony between History and Memory, « Violences radicales en scène », 121, 2015/2, p. 46-107.

Bouvier Cavoret Anne (dir.), Théâtre et mémoire : actes du colloque international organisé par le Laboratoire Théâtre, langages et sociétés, Avignon, les 17, 18 et 19 novembre 1999, Paris, Ophrys, 2002.

Denizot, Marion (dir.), Les Oublis de l’histoire du théâtre, dossier de la Revue d’Histoire du Théâtre, 270, 2016. (notamment l’introduction « L’histoire du théâtre au prisme de l’oubli »). 

Dubosquet Lairys Françoise (dir.), Les Failles de la mémoire : théâtre, cinéma, poésie et roman, les mots contre l’oubli, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016. (articles de Sophie Lucet, « Les dramaturgies de la Shoah ou l’envers des images » et Alice Vennemann, « La voix comme voie du souvenir »).

Hähnel-Mesnard Carola, Liénard-Yeterian Marie et Marinas Cristina (dir.), Culture et mémoire. Représentations contemporaines de la mémoire dans les espaces mémoriels, les arts du visuel, la littérature et le théâtre, Palaiseau, Les éditions de l’école Polytechnique, 2008, « Représentations théâtrales de la mémoire », p. 475-520. 
(Leila Adham, « Mémoire et poétique de la spectralité. Le fantôme comme figure de lutte contre l’oubli », Annick Asso, « Le témoignage comme mode de représentation de la Shoah au théâtre », Carole Guidicelli, « le théâtre documentaire. Pour la constitution d’une mémoire commune ? »).

Hiscock Andrew, Perkins Wilder Lina, The Routledge Handbook of Shakespeare and Memory, Routledge, 2018.

Lavocat Françoise et Lecercle François (dir.), Dramaturgies de l’ombre, Rennes, PUR, 2005. 

Ligier-Degauque Isabelle et Teulade Anne (dir.), La Mémoire de la blessure au théâtre. Mise en fiction et interrogation du traumatisme de la Renaissance au XXIe siècle, Rennes, PUR, 2018. 

Lees-Jeffries Hester, Shakespeare and Memory, Oxford, Oxford University Press, 2013.

Perkins-Wilder, Lina, Shakespeare’s Memory Theatre. Recollection, Properties and Character, Cambridge, Cambridge University Press, 2010. (notamment l’introduction : « Staging Memory »).

Sarrazac, Jean-Pierre, Naugrette, Catherine et Banu, Georges (dir.), Le Geste de témoigner. Un dispositif pour le théâtre, Études théâtrales, 51-52, 2011.

Sullivan Garrett A., Memory and Forgetting in English Renaissance Drama. Shakespeare, Marlowe, Webster, Cambridge University Press, 2005.

Teulade, Anne, Le Théâtre de l’interprétation. L’histoire immédiate en scène, Paris, Classiques Garnier, 2021. 

Vigeant, Louise, « Théâtre de la mémoire, mémoire du théâtre », Jeu, n°50, 1989, p. 200-205.

Yates Frances, L’Art de la mémoire, trad. D. Arasse, Paris, Gallimard, 1994. (notamment p. 367-394 : « Le théâtre de mémoire de Fludd et le Globe Theatre »)