L’Anecdote
Journée d'études Jeunes chercheurs et chercheuses - Paris Nanterre)
Illustration: Robert Doisneau, Le Violoncelle sous la pluie, 1957
Date de tombée : 17 mars
Date de la journée : 1er juin
Selon le Trésor de la langue française, l’anecdote désigne un « petit fait historique survenu à un moment précis de l'existence d'un être, en marge des événements dominants et pour cette raison souvent peu connu ». L’importance de l’anecdote serait donc relative puisqu’on l’associe par définition à l’accidentel plutôt qu’au nécessaire. L’anecdote dès lors prend figure d’ornement, de décoration, de surplus ou encore de détour. Sujet transdisciplinaire, la notion d’anecdote a fait l’objet d’approches théoriques dans plusieurs domaines - historique, philosophique, artistique, narratologique, épistémologique. Quel que soit le champ d’études ou le type de création artistique, l’anecdote suscite à la fois intérêt et méfiance.
Formes de l’anecdote
L’anecdote constitue-t-elle une forme en soi, qui soit repérable et qualifiable ? On a plus souvent tendance à l’associer à certaines formes ou genres préexistants (chronique, nouvelle, gros plan, décor, détail sculpté ou peint…) mais elle peut également avoir une valeur illustrative et une fonction rhétorique : l’anecdote servirait alors d’exemplum.
La forme même de l’anecdote soulève la question de sa légitimité esthétique, même si la littérature peut également jouer de cette ambiguïté à des fins diverses. Le roman historique, par exemple, grâce à l’usage de l’anecdote, tisse une poétique de l’histoire qui lui est propre ; ainsi le Capitaine Fracasse réduit-il l’apparition du Roi à une scène anecdotique.
Du côté de l’autobiographie et des représentations de soi, elle constitue un point commun à tous les récits de souvenirs et de mémoires. Sa dimension ambivalente entre ornement narratif et ciment de la narration se fait ainsi sentir.
Enfin, il faudra confronter les formes strictement écrites de l’anecdote à d’autres formes artistiques ou médiatiques. Quelles différences existe-t-il entre l’anecdote en narration et l’anecdote en image : comment filme-t-on, photographie-t-on, dessine-t-on l’anecdote ?
Anecdote, récit et narration
« Vignette narrative, lancée dans une conversation, lue dans une biographie, épinglée en manchette d’un journal », Karine Abiven définit l’anecdote comme « un récit minimal, où l’on prétend à la véridicité tout en visant à produire un affect chez le récepteur ». Récit, détail, marginale ou centrale, l’anecdote fascine par son rapport au réel et par son caractère authentique. Comment se construit le récit de l’anecdote ? L’anecdote constitue-t-elle simplement le point de départ d’un récit (comme Flaubert, qui s’inspire d’un fait divers pour Madame Bovary), en est-elle au cœur ou motrice ? Le récit traite-t-il d’événements anecdotiques, en faisant de l’anecdote son sujet ? Que se passe-t-il lorsque l’anecdote fait irruption dans le récit et quels en sont les enjeux ? Rupture de la narrativité et de la temporalité (digression, pause, récits enchâssés), irruption d’un pan du réel dans un récit de fiction ou encore sollicitation du lecteur, de quoi l’anecdote est-elle le nom ?
Par ailleurs, si on a tendance à l’associer à d’autres formes d’écritures brèves préexistantes (nouvelles, chroniques, exempla), peut-on qualifier l’anecdote d’une forme littéraire à part entière, voire d’un exercice de style (Queneau) ? Est-elle repérable ? Comment se distingue-t-elle des autres formes d’écritures brèves ?
Anecdote et Histoire
Il s’agira de distinguer l’anecdote authentifiée de l’anecdote fausse, inventée ou transformée. La véracité de l’anecdote semble soumise à des critères de validation qui sont ceux de n’importe quel fait historique : sources, archives, corroboration, etc. Pourrait-on alors considérer que l’anecdote est à l’Histoire ce que le fait divers est à l’actualité ? Un événement peut-il être en soi anecdotique, ou bien est-ce qu’un fait devient anecdotique à partir du moment où il est traité, enregistré, raconté comme tel ? En d’autres termes, l’anecdote occupe une position paradoxale entre l’essentiel et l’accidentel. Ce qui soulève la question de son usage. En effet, dans quel but raconte-t-on des anecdotes ? Il faudrait alors s’intéresser aux idéologies ou aux stratégies qui sont à l'œuvre derrière l’usage de l’anecdote.
L’anecdote semble entretenir par ailleurs un rapport privilégié avec la question de l’intime : l’anecdote n’est pas généralité. Serait-elle alors à placer du côté d’une histoire des individus, des personnes, voire des personnalités - en tant qu’elle contribue à la façonner ? L’anecdote, puisqu’elle fait appel à une large part de subjectivité, dépend du point de vue selon lequel on l’envisage : ce qui est anecdotique pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre.
Anecdote et Savoirs
L’anecdote entretient également des rapports conflictuels avec le savoir. Associée à une simple description de faits « sans dégager la portée de ce qui est relaté » (TLFI), l’anecdote semble satisfaire un simple désir de curiosité et s’opposer à la constitution d’un savoir critique, issu d’une prise de distance à l’égard des faits bruts. Comme l’affirme Gaston Bachelard : « en multipliant les occasions de la curiosité, loin de favoriser la culture scientifique, on l'entrave. On remplace la connaissance par l'admiration, les idées par les images » (La Formation de l’esprit scientifique). L’anecdote est-elle uniquement un obstacle au savoir ou peut-elle aussi être à son service ? Il semblerait que l’anecdote plaisante et frappante ait tendance à se substituer au savoir : ainsi, si beaucoup connaissent l’anecdote de la pomme de Newton, peu maîtrisent le système de l’attraction gravitationnelle.
Autant de pistes de réflexion pour interroger et déterminer les enjeux de l’anecdote que nous nous proposons d’explorer. Toutes les propositions sont les bienvenues, quelle que soit la discipline.
Quelques pistes de réflexion :
- Rôle et valeurs de l’anecdote dans le récit
- Histoire et anecdote(s)
- Filmer, peindre, représenter l’anecdote ou l’anecdotique
- Plaisir et ambiguïtés de l’anecdote (anecdotes “croustillantes” et voyeurisme, captatio benevolentiae du public)
- Opposition (caricaturale ?) entre un savoir scientifique et un savoir populaire
- Anecdote et vulgarisation des savoirs
- Stabilité et transformation de l’anecdote
- Sociologie de l’anecdote
Exemples indicatifs :
Cinéma :
- Rencontre(s) au cinéma
- Personnages et anecdotes
- Parole documentaire
- L’arrière-plan
- Filmer le hasard
Histoire :
- Citations de grands hommes et grandes femmes
- Fragments de vie, morts incongrues
- La face drôle de l’Histoire
Littérature :
- Récits contemporains et faits divers
- Récits mythologiques et anecdotes
- Annie Ernaux et le récit de l’anecdotique
- Voltaire et la fabrique de l’anecdote
- Nouvelles de Maupassant
- Proust et le Contre Sainte Beuve
- Exercices de style de Queneau ou poèmes de Prévert
Photographie et Peinture :
- Doisneau et la construction de l’anecdote visuelle
- Robert Capa et la photographie témoignage
- Vivian Maier et l’instantané
- Photographie humaniste
- Le photoreportage
- Peinture de genre
(D’autres domaines pourront être explorés)
Bibliographie indicative
- Abiven, Karine, L'anecdote ou La fabrique du petit fait vrai : de Tallemant des Réaux à Voltaire, 1650-1750, Paris, Classiques Garnier, 2015.
- Abiven, Karine, « Un genre de discours miniature : pour un modèle de l’anecdote », Pratiques, 157-158 | 2013, 119-132.
- Adam, Jean-Michel, Genres de récits, Narrativité et généricité des textes, L’Harmattan, 2011.
- Adam, Jean-Michel, Lugrin Gilles. « Variations des ancrages énonciatifs et fictionalisation d'une anecdote d'Albert Camus » In: Langue française, n°128, 2000. L'ancrage énonciatif des récits de fiction. pp. 96-112
- Geneviève Bouzinac, Camille Esmein-Sarrazin, Gaël Rideau et al. (dir.), L'anecdote entre littérature et histoire : À l'époque moderne, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2015.
- Nicolas, Cronk, « Le pet de Voltaire » In : La figure du philosophe dans les lettres anglaises et françaises, Nanterre : Presses universitaires de Paris Nanterre, 2010
- Hara, Taichi. « Poétique de l'anecdote. Mallarmé et le poème en prose », Romantisme, vol. 146, no. 4, 2009, pp. 113-124.
- Hénin, Emmanuelle, Lecercle, François, Wajeman, Lise, (dir.), La théorie subreptice. Les anecdotes dans la théorie de l’art (XVI-XVIIIe siècles), Turnhout, Brepols, coll. « Théorie de l'art/Art Theory (1400-1800) », 2012.
- Kreplak,Yaël, « Façons de parler : l’anecdote comme approche de l’œuvre », Marges, 13 | 2011, 91-106.
- Montandon, Alain, « L’anecdote », in Les formes brèves, Classiques Garnier, 2018, p.115-135
- Thibault-Koza, Nicole, Entre le roman et l'histoire : l'esthétique de l'anecdote au XVIIIe siècle, Sylvain Menant (dir.), 1986
- Guez, Stéphanie Shoshana, L'anecdote proustienne : enjeux narratifs et esthétiques, Classiques Garnier, 2013
Modalités de réponse
Cet appel à contributions est prioritairement ouvert aux jeunes chercheur-e-s (doctorant-e-s, jeunes docteur-e-s) quel que soit leur domaine de recherche. Chaque communication durera approximativement 25 minutes, et sera suivie d'un temps d'échange et de questions. Les propositions de communication d’une longueur maximale de 2500 signes (espaces comprises), auxquelles pourra s’ajouter une bibliographie indicative, sont à envoyer à l’adresse anecdote.nanterre@gmail.com et s'accompagneront d'une courte présentation.
Les propositions sont à envoyer pour le 17 mars 2023 (réponse le 21 mars).
Comité organisateur (doctorants du CSLF):
- Sophie Bros
- Joao Da Rocha
- Julie Chabroux-Richin
- Legros-Lefèvre Lou
- Jeanne Meslin
- Morgane Pernet
- Benoît Petiet