Trames, tables, échiquiers… S’intéresser à la poésie à la lettre, c’est rencontrer, du IVe siècle jusqu’à nos jours, un ensemble de carrés de signes pour le moins spectaculaires. Eloges de l’empereur, rêves sur la croix, nomenclatures fantasmées… Tout se passe comme si cette mise au carré de l’écriture laissait percer un idéal : l’avènement d’un ordre, réunissant en une forme parfaite, éternelle, le poème et son inscription graphique.
À l’épreuve, la perfection en tous sens du carré favorise pourtant une étrange propension : à élargir les directions de lecture, d’écriture. On connaît assez les carrés magiques dont les chiffres s’additionnent de toutes les manières. Le carré de lettres, de ce point de vue, peut aussi bien se situer à l’aboutissement d’un affolement du sens et d’une poésie des mots, des signes se recomposant sans cesse. Le carré ? Et pourtant il tourne.
Car il s’agit bien de retrouver les grandes figures régulatrices de la cosmologie, des calendriers ; mais pour les relire, les redistribuer ou plutôt : les remettre en mouvement et en jeu. La poésie, si elle jette sur la feuille de merveilleuses constellations habitables, n’a de cesse de rendre au ciel étoilé ses infinies possibilités de lecture. Peut-être aussi parce qu’elle commence dans la mise en demeure du médium même dans lequel elle est engagée. Qu’elle interroge fondamentalement la découpe des mots, et par la même occasion, du monde, la suspend un instant, lui fait perdre toute évidence.
De Trithème à Tristan Tzara, de Maurice Scève à Jacques Roubaud, de Jean-Edouard Du Monin à Ghérasim Luca, de Raban Maur à Michèle Métail, courent ainsi des fils qui, de siècles en siècles, dessinent une véritable continuité. Lire ces auteurs, les confronter avec les philosophes, les kabbalistes ou les linguistes de leurs temps, c’est retrouver le temps long de la poésie comme un de ses horizons inexpugnables : le rêve d’une langue qui bougerait si vite, si constamment, qu’elle continuerait à parler mais sans figer la moindre découpe. Une langue infiniment labile, en perpétuelle restructuration ; un rêve de langue, peut-être, au revers de ce que fait toute langue – mais à même de nous rendre à la relance indéfinie du partage du monde.
Ainsi que dans Critique un article d'Arnaud Welfringer…
Lire sur Fabula le début de l'ouvrage…
—
Sommaire : Table des principaux personnages
1 Optatianus Pophyrius – Venance Fortunat 2 Raban Maur 3 Gerbert d’Aurillac 4 Iacobus Nicholai de Dacia 5 Grands Rhétoriqueurs 6 Grands Rhétoriqueurs 7 Gratien du Pont 8 Maurice Scève 9 L’abbé Trithème 10 Jean Dorat – Guy Le Fèvre de la Boderie 11 Blaise de Vigenère 12 Jean-Édouard du Monin 13 Etienne Jodelle – Jean de Sponde – Pierre de Marbeuf 14 Baroques allemands 15 Le Sieur de Neufgermain 16 Le père Du Cerceau 17 Jean-Marie Chassaignon 18 Charles Coqueley de Chaussepierre 19 Gérard de Nerval 20 Nicolas Cirier 21 Stéphane Mallarmé 22 Guillaume Apollinaire – Pierre Albert-Birot 23 Pierre Reverdy 24 Tristan Derème 25 Tristan Tzara 26 Raymond Roussel 27 Robert Desnos – Michel Leiris 28 Ghérasim Luca 29 Henri Chopin – Ilse et Pierre Garnier 30 Raymond Queneau 31 Jacques Roubaud 32 Georges Perec 33 Denis Roche 34 Michèle Métail 35 Suzanne Doppelt 36 Jacques Sivan Luc Bénazet
Bibliographie
—
On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :
"L’écriture au carré", par Jacques Demarcq (en ligne le 18 mars 2023).
Voici un curieux livre, rempli d’images, s’adressant aux curieux, « amoureux de cartes et d’estampes ». Les amateurs de poésie ont lu Mallarmé, Apollinaire, Queneau… voire Maurice Scève. Mais l’antique Porphyrius, le médiéval Raban Maur, le renaissant Blaise de Vigenère, la contemporaine Michèle Métail, en général absents des anthologies, qui les commente ? Beaucoup d’autres figurent dans la « table des principaux personnages » de La lettre au carré. Poésie et permutations.