Séminaire "L'écriture de la pensée"
La prochaine séance aura lieu
Vendredi 16 décembre 2022
de 14:00 à 16:00 (attention, horaire inhabituel)
L'invitée sera la philosophe Antonia SOULEZ
Comme toutes nos séances désormais celle-ci sera hybride. Vous pourrez nous rejoindre physiquement à la Sorbonne (Escalier I, 2e étage, salle de la bibliothèque du 19e siècle, entrée par la rue de la Sorbonne, la rue Saint-Jacques ou la rue Cujas) ; et virtuellement par zoom en activant ce lien :
https://nyu.zoom.us/j/96220488987
Si vous voulez nous rejoindre en Sorbonne il vous faudra présenter à l'entrée une invitation (que vous pouvez demander à bpe.clement@gmail.com)
Antonia Soulez: "Philosopher comme composer des formes sonores en mouvement "
Comment lire "la philosophie ne devrait véritablement que "dichten" " ? (Wittgenstein, Remarque Mêlée 1933-34).
(Le problème de l'articulation entre Dichtung et clarification conceptuelle)
Etant donné que 1-Les théories sont inséparables de leur expression linguistique, et que la pensée et le son sont, dans un langage emprunté à Saussure, comme le recto et le verso de la même matérialité signifiante, et enfin qu’il n’y a pas de pensée sans langage, 2- Que le langage au service de l’expression d’un contenu n’est donc pas que le véhicule de la pensée mais aussi 3 - que le philosophe est tout sauf, en principe, un poète,
la question qui se pose à nous est la suivante : comment caractériser le style de pensée du philosophe du point de vue des trois dimensions qui faisant du langage, cet « organe qui donne forme au contenu de la pensée » assure « l’incorporation » comme dans un moule fait pour elle, de la pensée « dans la forme de laquelle la matière du monde phénoménal est coulée » (Humboldt cité par Husserl dans sa 4e Recherche).
Elle me paraît tout dire de ce qui est important pour caractériser, indépendamment de telle ou telle philosophie, phénoménologique ou autre, l’idée d’un « style » articulé à l’expression de la pensée dans le matériau qu’elle se crée – soit, comme la décrit le linguiste Humboldt - une langue de sons allant de l’oreille aux lèvres et retour - et dont la plasticité avère les multiples façons dont « l’animal langage », cet « animal de mots » comme l’appelle Valéry, manifeste qu’il vit.
Mon développement part d’un problème qui relève d’un certain « retard de la Raison sur elle-même » dans le processus de l’auto-exposition de la philosophie chez Kant qui complique l’idée d’un style adéquat pour l’écriture de la clarification conceptuelle (J-L. Nancy, Logodaedalus). Il en résulte une mise en crise de l’articulation entre "Dichtung et clarification » sous l’aspect de l’écriture de cette prose qu’est la philosophie. Placée entre esthétique et formalisme, la philosophie n’est pas qu’une activité d’interprétation de la science (G. Granger), mais tournée vers la littéralité de la signification des énoncés dans des jeux orientés vers l’invention de formes nouvelles, elle s’écarte de la littérature dont on voudrait que l’écriture reste attachée à la connaissance (J. Bouveresse). Le schème de « l’âme comparé à un livre » (le Philèbe) est mis à mal.
Prenant en compte l’importance du motif en philosophie, à côté de l’activité conceptuelle, mais aussi la fonction modulatoire du « mouvement de pensée » de Gestalt en Gestalt (ou pattern), je propose l’idée d’un style compositionnel éclairé par la musique qui sort du cadre de l’articulation due à la lecture de la question kantienne du style de la clarification conceptuelle qui chercherait comme un juste équilibre entre Dichtung (composition de jeux) et Darstellung (présentation conceptuelle).
Bibliographie relative à l’intervention :
- Adorno: Quasi une Fantasia, chapitre final, sur la musique informelle
- voir les écrits de W. von Humboldt et sur Humboldt : Ole Hansen-Love (Vrin, 1972),
- H. Meschonnic, La pensée dans la langue (la philosophie hors de soi), PUV, 1995
- Mélanges à René Sherer, réunis par Constantin Irodotou, v. mon propre article en ce volume.
- Gilles G. Granger: La philosophie du style, et le dernier chapitre de Formes opérations et objets, Vrin
-J-L. Nancy Le discours de la syncope, Logodaedalus (Aubier, 1976)
- M. Polanyi The Tacit Dimension, Univ. Chicago Press, 1966
- A. Soulez : Comment écrivent les philosophes, Kimè 2003.
- Mathilde Villespir La pensée a-t-elle un style ? (PUV)
-Wittgenstein: Tractatus Logico-philosophicus (trad. Granger) , 4.112, 4.115 (et sur Wittgenstein : G.-G. Granger, dans son Wittgenstein, chez Seghers; Br. McGuinness (Approaches to Wittgenstein, Routledge, 2006), Remarque Mêlée sur "comprendre la musique", 1948 (titre angl. Culture and Value, trans. P. Winch, Blackwell).
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Antonia Soulez, est Professeure émérite de philosophie à l’Université Paris 8.
1 - Philosophie
Auteur d’une thèse d’état sur Un projet de grammaire philosophique chez Platon (PUF, 1991) elle s’est tournée vers la philosophie contemporaine du langage. Elle a introduit au début des années 1980 en France les textes fondateurs du Cercle de Vienne (Manifeste du Cercle de Vienne, reed. chez Vrin, 2010) et s’intéresse tout particulièrement aux années de transition de Wittgenstein qu’elle explore dans Le tournant grammatical de Wittgenstein, PUF 2003. Auteur en 2003 chez Kimè de Comment écrivent les philosophes ? Coordinatrice avec Jan Sebestik en 1994 des Cahiers de Philosophie du langage (L’Harmattan), elle mène des activités triple-partenariales d’échanges pour jeunes chercheurs avec différents centres d’archives (Bergen, Innsbruck, Vienne). Elle réédite également en 2015 les Dictées de Wittgenstein à Waismann (collab. G. Baker), et en 2020 les Fondements philosophiques de la physique de R. Carnap (co-trad. J-M. Luccioni).
De 2001 à 2004 elle codirige le Collège International de philosophie, puis obtient une délégation au CNRS pour écrire l’ouvrage sur Helmholtz.
Responsable de séminaires en association avec Horacio Vaggione compositeur-directeur du CICM à Paris 8, elle poursuit des activités de séminaires en philosophie du langage. Enfin, auteur de Détrôner l’Etre, Wittgenstein un antiphilosophe ? (Lambert-Lucas 2016), elle dirige un numéro de la Revue de Métaphysique et de Morale n°4, 2019 sur « Plier le modèle au réel, Wittgenstein en transition ».
2- Orientation vers la musique :
Depuis 2006 ses recherches et séminaires se concentrent sur l’autonomie du musical, en collaboration avec Horadcio Vaggione, Makis Solomos et J-M. Chouvel. Elle publie Du son à la musique, Mach, Helmholtz, Dahlhaus ( en coll. P. Bailhache, et C. Vautrin, Vrin, en 2011 ; puis Au fil du motif, autour de Wittgenstein et la musique, 2012, date à laquelle elle se voit confier la direction d’une collection de philosophie et musique chez Delatour-France.
Elle est invitée à différents évènements (notamment à l’IRCAM) articulés à la musique, et travaille régulièrement avec des instrumentistes.
Par ailleurs, elle tisse depuis quelques années des collaborations avec Stefano Oliva (Professeur à l’Université Roma Tre) sur « musique et langage » autour de la musique contemporaine.
Elle-même pianiste (comme amateur) elle a l’expérience de la musique d’ensemble et travaille le piano depuis l’enfance. Elle pratique la musique en suivant des leçons d’entretien avec le pianiste américain Jay Gottlieb et découvre avec lui le répertoire contemporain.
Ils participent ensemble à plusieurs interviews dans l’émission « Entendre comme je l’aime, » dirigée par François Noudelmann sur France Culture.
3- Orientation vers les recherches sur le son :
Après avoir travaillé en collaboration avec le département de musique de l’université de Paris 8- St Denis, créé par Daniel Charles, elle a publié un volume de ses Cahiers de recherches sur Crises de l’harmonie réunissant les Actes d’une Journée de DEA en 2007.
L’ouvrage Manières de faire des sons coord. avec Horacio Vaggione parut chez Hermann, pratiquement la même année que l’ouvrage qu’elle dirigea sur la dissonance chez Helmholtz.
Elle se tourne plus spécifiquement vers la question du son avec Les philosophes et les sons paru chez Delatour-France, en 2021. Ce dernier ouvrage réunit des études qui proviennent de conférences délivrées notamment sur Scriabine, Steve Reich, George Crumb, L’école de Princeton (Milton Babbitt …), G. Ligeti.
Elle est par ailleurs poète. En tant que poète elle a publié dans la revue Po&sie dir. Michel Deguy, dans plusieurs numéros, ainsi que le volume Timbres, chez M. Batut d’Haussy (ed. d’Ecarts) puis dans « Quatuor » la collection dir. J-M. Chouvel, chez Delatour-France.
On trouvera une bibliographie complète des travaux d’Antonia Soulez sur son site Web: antoniasoulez.fr