Séminaire de François Noudelmann et Bruno Clément "L'écriture de la pensée" : Io WATANABE (sur Camus) & Taiki IWANAGA (sur Beckett)
La prochaine séance de notre séminaire se tiendra le vendredi 18 novembre de 14:00 à 17:00 (heure de Paris, soit de 8:00 à 11:00 heure de New York).
Si cette séance dure un peu plus longtemps que d'ordinaire (3h au lieu de 2 habituellement), c'est que nous y entendrons deux intervenants, qui sont aussi deux doctorants :
Taiki IWANAGA, qui parlera de Beckett
et
Io WATANABE, qui présentera son travail de recherche sur Camus
Comme nos autres séances celle-ci sera hybride. Io et Taiki seront présents physiquement dans la salle de la Sorbonne située escalier I - I majuscule - 2e étage, bibliothèque du 19e siècle.
À celles qui ne le pourraient, à ceux qui en seraient empêchés, le lien que voici permettra de participer de loin, voire de très loin:
https://nyu.zoom.us/j/95532615978
NB Pour entrer dans l'enceinte de la Sorbonne, une invitation est nécessaire. On peut l'obtenir aurpès de bpe.clement@gmail.com
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Io WATANABE, "La révolte sémantique : la conception du langage chez Albert Camus"
Camus a laissé très peu de textes traitant de manière substantielle du concept de langage. Il affirme à maintes reprises que sa sensibilité est nourrie, non du langage, mais de sa relation au silence et aux silencieux (le naturel, l’animal, la mère quasi sourde...). Or son attachement au silence ne va pas sans son désir d’écrire ce silence et sa volonté d’inventer une écriture qui peut le rendre audible et palpable. Les réflexions de Camus sur ce couple silence/langage jouent un rôle central dans le cadre de sa pensée, revenant à plusieurs reprises au cours de l’élaboration de son œuvre. Pour le montrer, je voudrais revisiter l’une de ses notions clés, la « révolte », afin d’en dégager ce qu’on pourrait appeler une poétique de la suggestion. On ne peut exprimer en mots l'indicible (le silence) lui-même mais, en parlant, le langage fait sentir la présence (absence) de choses qui lui échappent. Il s’agit donc pour Camus de nourrir des sentiments de désaccord entre l’être et son expression pour parvenir à toucher, sinon à connaître, le réel en dehors de l’expression.
Io WATANABE est doctorant sous la direction de François Noudelmann. Dans sa thèse, il examine l’œuvre d’Albert Camus comme une réflexion sur le langage et analyse l’influence de Jean Paulhan, de Francis Ponge et de Brice Parain sur son œuvre. Deux articles issus de sa recherche doctorale sont parus : « Comment nommer le mal ? Politique et morale du langage chez Camus » dans la revue Albert Camus (Classiques Garnier, no. 25, 2022) ; « Camus et Brice Parain : un héritage des années 30 » dans la revue Présence d'Albert Camus (la Société des Études Camusiennes, no. 12, 2020).
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Taiki IWANAGA - L'œuvre et son double : l’allégorie dans l’œuvre de Samuel Beckett
Dans cette intervention, je tenterai d’éclaircir la structure symbolique de l’œuvre de Samuel Beckett à la lumière du concept d’allégorie. Le concept d’allégorie peut paraître difficilement applicable à l’œuvre beckettienne : l’allégorie, comprise comme étant soit une “métaphore prolongée” en tant que création, soit une lecture systématique en tant que mode herméneutique, traite l’œuvre et son “sens” parallèlement ; en revanche, Beckett est un auteur d’ « absurde » par excellence, ce qui signifirait que son œuvre est dénuée de sens.
Pourtant, les pensées modernes ayant renouvelé le concept, l’allégorie se présente désormais sous forme d’un lieu de bataille entre le moi et l’Autre. Aussi bien dans la création que dans la lecture, le moi s’efforce d’intégrer l’Autre dans son system narratif, tandis qu’au contraire, l’Autre peut toujours s’emparer de l’autonomie du premier. C’est dans cette relation allelophagique que l’allégorie s’inscrit, et ainsi elle est toujours susceptible d’une décomposition ironique.
Ainsi conçu, le concept d’allégorie s’avère totalement apte à l’analyse de l’œuvre beckettienne. En effet, Comment c’est de Beckett présente une telle relation allelophagique du moi et de l’Autre, de manière figurative et ironique. Si, comme Paul de Man l’évoque, le roman se trouve une forme dans laquelle sont combinées l’ironie et l’allégorie, Comment c’est n’est rien d’autre qu’un roman du roman. Dans cette perspective, le concept d’allégorie donne une base formelle à la lecture à la blanchotienne, qui voyait, depuis l’aube de la critique beckettienne, un méta-roman dans l’œuvre.
Taiki IWANAGA est doctorant de l’Université Paris 8 (littérature française). Il enseigne la langue japonaise à l’INALCO. Il prépare actuellement une thèse, intitulée L’œuvre et son double : l’ironie, l’allégorie et la traduction chez Samuel Beckett, dont cette intervention constituera une partie.