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Fabula-LhT : Musique et réflexivité de la littérature

Fabula-LhT : Musique et réflexivité de la littérature

Publié le par Romain Bionda

Appel à contributions pour un prochain numéro de la revue Fabula-LhT: littérature, histoire, théorie

Sous la direction d'Alain Corbellari et Augustin Voegele

La musique a été plus d’une fois utile aux écrivains pour réfléchir à leurs propres pratiques, subsumées depuis le XVIIIe siècle sous le label « littérature ». Or, cet usage de la musique comme d’un miroir où la littérature se contemplerait, ou plutôt contemplerait ses images, a connu tant de formes, qu’il semble aujourd’hui indispensable de tenter une mise au point.

Les points de clivage sont nombreux. L’hypothèse de l’identité entre littérature et musique, par exemple, a donné naissance à deux mythes complémentaires, l’un étiologique, l’autre eschatologique. D’un côté, Jean-Jacques Rousseau, notamment, a fantasmé « un langage de nature mélodique » qui aurait réuni les vertus de la musique et celles du « discours signifiant » (Martin, 2011, § 7), et son lointain continuateur, Claude Lévi-Strauss, a imaginé dans L’Homme nu (1971) une rencontre primordiale de la littérature et de la musique dans le mythe ; de l’autre, les romantiques allemands et leurs héritiers – dont le Mallarmé du « Sonnet en X » (1899) – ont rêvé à une fusion finale de la littérature et de la musique.

En outre, si souvent la comparaison entre littérature et musique a pour but d’opérer un rapprochement, voire d’affirmer une identité (d’où la longue histoire de l’ut musica poesis), parfois il s’agit au contraire de distinguer les deux arts : on songera entre autres aux méditations sur les pratiques du temps respectives de la musique et du roman dans La Montagne magique [Der Zauberberg] (1924) de Thomas Mann.

Par ailleurs, certaines écrivaines et écrivains (ou essayistes qui n’ont pas d’activité littéraire autre que théorique) tentent de définir la littérature par la comparaison avec la musique dans des textes à dimension essayistique situés explicitement dans les marges des œuvres (les leurs ou celles des autres), comme des commentaires à ambition définitoire, tandis que d’autres intègrent dans leurs œuvres mêmes cette dimension comparative. Parmi ces dernières et derniers, on peut faire une autre distinction encore : entre celles et ceux qui se réclament d’hypotextes musicaux – tel Anthony Burgess composant sa Symphonie Napoléon [Napoleon Symphony: A Novel in Four Movements] (1974) sur le modèle de l’Héroïque de Beethoven –, voire d’architextes empruntés à la musique – on pensera à la fugue dans Contrepoint [Point Counter Point] (1928) d’Aldous Huxley – ; et celles et ceux qui, comme le Thomas Mann du Docteur Faustus [Doktor Faustus] (1947), préfèrent, pour inviter la littérature à réfléchir à ce qu’elle est, placer face à face des figures de musiciennes et musiciens (voir Vincent-Arnaud et Sounac, 2016) et de femmes et hommes de lettres.

Les constats qui précèdent invitent à définir les axes suivants :

  • Une question de genre ?
    Certains genres sont-ils plus volontiers que d’autres l’objet de considérations réflexives s’appuyant sur une comparaison avec la musique ? On songe immédiatement à la poésie, et à ces propos de Roman Jakobson sur l’histoire des hiérarchies imaginaires entre les arts : « Pour le classicisme, ce sont les arts plastiques qui représentent l’expression […] la plus pure […] de l’art ; pour le romantisme c’est la musique, et pour le réalisme, la littérature. Le vers romantique est destiné à devenir chant » (Jakobson, [1934] 1977, p. 53). Pour Lévi-Strauss, toutefois, de la décomposition du mythe en deux branches – musique d’une part, récit d’autre part – naîtrait le roman, où il faudrait donc chercher la trace de ce divorce fondateur (Lévi-Strauss, 1971, p. 583). Sans oublier l’immense question de l’oralité littéraire (voir axes suivants).

  • De quelle musique parle-t-on ?
    Comparer à la musique une littérature conçue comme un art de la parole sonore ou une littérature conçue comme écriture silencieuse, cela est loin de revenir au même. Il faudrait donc esquisser une histoire de la réflexion définitoire sur la musique (et non uniquement sur la littérature) dans les productions littéraires qui prennent appui sur elle pour assouvir un désir réflexif de la littérature. On songera à André Gide et à ses Notes sur Chopin (1938), où « il fait de la musique l’objet d’une lecture silencieuse qu’appellerait plutôt la littérature » (Dziub, 2020, p. 111), afin de définir ce qui devrait être selon lui la valeur rectrice d’une esthétique littéraire transhistorique, à savoir la discrétion ; ou encore une fois à Jakobson, qui décrit la transformation de la musique en « euphonie » dans ses réflexions sur le « langage poétique » (Jakobson, [1921] 1977, p. 26).

  • Pour une histoire de l’équation littérarité = musicalité.
    L’axe précédent soulève aussi une question d’ordre historique. Les études portant sur cette idée, que la littérature serait d’autant plus littéraire qu’elle tendrait à se faire plus musicale, se sont beaucoup focalisées sur le moment romantique. C’est logique, puisqu’au temps des romantiques allemands, la définition de la littérature comme système autotélique s’accompagne par endroits de l’affirmation de l’identité entre le caractère littéraire d’un texte et sa musicalité : la nouvelle théorie musicale, construite par Wilhelm Heinrich Wackenroder, Ludwig Tieck, E.T.A. Hoffmann ou encore Novalis, est « en liaison avec une nouvelle idée du langage, celle d’un langage autonome ou musical » (Otabe, 2005, p. 24) qui serait le propre de la littérature. Mais il s’agit là d’un moment de cristallisation plus que d’un moment fondateur : aussi aimerions-nous l’intégrer dans une histoire beaucoup plus vaste, qui tiendrait autant compte des corpus antique, médiéval et « Ancien Régime » des arts poétiques, des arts de dicter et des arts de seconde rhétorique, que du corpus « contemporain » des « arts littéraires ».

  • Musique, réflexivité littéraire et autoréflexivité des œuvres.
    Certains discours à ambition définitoire qui s’appuient sur le comparant musical sont ouvertement et exclusivement paratextuels, tandis que d’autres sont strictement textuels : d’où une distinction capitale entre réflexivité littéraire – quand des penseurs s’occupant de littérature, en pratique ou en théorie, tentent de définir ce qu’elle est – et autoréflexivité des œuvres – quand une œuvre littéraire tente de se représenter elle-même, ou de figurer ce qu’est la littérature, par l’évocation d’œuvres musicales ou de figures de musiciens (ainsi dans Jean-Christophe (1904-1912) de Romain Rolland, dont le héros représente l’artiste idéal que le romancier voudrait avoir le courage d’être). Seulement, la situation n’est pas toujours si simple, certains développements théoriques pouvant constituer des îlots paratextuels au sein de textes romanesques par exemple. On voudrait donc se demander si la distinction entre réflexivité et autoréflexivité constitue (ou non) une ligne de partage pertinente entre différents usages du comparant musical par ceux qui tentent de définir la littérature.

On attend de préférence, plutôt que des études de cas trop ciblées, des propositions portant sur des corpus d’envergure assez large, avec potentiellement, mais pas nécessairement, une dimension comparative (voire comparatiste) et transhistorique.

Pour contribuer au numéro :

Les propositions – deux pages rédigées, suivies d'une courte ébauche de plan de l’article projeté et d’une bibliographie sélective – devront être adressées avant le 2 mai 2023 à romain.bionda@fabula.org.

Ce faisant, merci de :

  • préciser l’intitulé du numéro de Fabula-LhT concerné dans l’objet du message ;
  • transmettre votre proposition dans un format éditable (par exemple .doc ou .docx, mais pas au format .pdf) ;
  • ne pas mettre les directeurs du numéro en copie du message, afin de garantir votre anonymat.

Les propositions seront en effet évaluées de manière anonyme, en double aveugle (peer review), conformément aux usages de la revue. Les auteurs et autrices seront informées des résultats le 1er juin 2023.

Les premières versions des articles seront à rendre le 1er novembre 2023 au plus tard. Avant la reddition des articles dans leur version finale, fixée au 2 mai 2024, plusieurs navettes sont à prévoir avec les directeurs de ce numéro (Alain Corbellari et Augustin Voegele). À l’issue de ce processus, les textes respectant nos consignes de rédaction et répondant aux critères de qualité de la revue paraîtront à l’automne 2024.

Travaux cités dans cet appel

DZIUB Nikol, « La musique réduite au silence : Chopin chez deux écrivains ukrainiens (Lessia Oukraïnka, Maxime Rylski) », dans Peter Schnyder et Augustin Voegele (dir.), Écrire avec Chopin. Frédéric Chopin dans la littérature, Paris, Honoré Champion, 2020, p. 111-122.

JAKOBSON Roman, « Fragments de “La nouvelle poésie russe”. Esquisse première : Vélimir Khlebnikov » (1921), trad. Tzvetan Todorov, Huit questions de poétique, Paris, Seuil, 1977, p. 11-29.

JAKOBSON Roman, « Notes marginales sur la prose du poète Pasternak » (1934), trad. Michèle Lacoste et André Combes, Huit questions de poétique, Paris, Seuil, 1977, p. 51-75.

LÉVI-STRAUSS Claude, Mythologiques, t. 4 : L’Homme nu, Paris, Plon, 1971.

MARTIN Marie-Pauline, « L’Essai sur l’origine des langues : positionner l’art musical », Juger des arts en musicien. Un aspect de la pensée artistique de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2011, p. 21-40. Disponible en ligne : http://books.openedition.org/editionsmsh/8571.

OTABLE Tanehissa, « Le jeu autoréflexif du langage et l’âme du monde : éléments de théorie musicale chez Novalis », dans Horizons philosophiques, vol. 16, no 1, Raisonner la musique, dir. Ghyslaine Guertin et Roch Duval, 2005, p. 24–37. Disponible en ligne : https://id.erudit.org/iderudit/801303ar. DOI : https://doi.org/10.7202/801303ar.

VINCENT-ARNAUD Nathalie et SOUNAC Frédéric, « Figures du musicien : corps, gestes, instruments en texte (Avant-Propos) », dans N. Vincent-Arnaud et Fr. Sounac (dir.), Corps, gestes, instruments en texte, Fabula / Les Colloques, en ligne, 2016. URL : http://www.fabula.org/colloques/document3866.php.