Agenda
Événements & colloques
Recycler les mots (Séminaire de doctorant.e.s, Sorbonne nouvelle) - séance 3

Recycler les mots (Séminaire de doctorant.e.s, Sorbonne nouvelle) - séance 3

Publié le par Marc Escola (Source : Maéva Boris, Luca Penge)

Séance mensuelle du séminaire de doctorant.e.s "Recycler les mots",

organisée avec le soutien du CERC, de l'ED 120 et de la revue TRANS-. 

le Jeudi 21 avril 2022 à la Maison de la recherche (4, rue des Irlandais, 75005), Salle Mezzanine, de 17h à 19h. 
Il est également possible d' y assister à distance, au lien suivant :  https://meet.google.com/djh-oaja-kbi

Nous accueillerons ce jour Marie de Toledo et Anne-Charlotte Wallyn-Duguet, toutes deux doctorantes à Sorbonne Université.


Marie de Toledo, Le recyclage métapoétique de la matière poétique : l’ivoire chez Homère, Virgile et leurs commentateurs anciens.

Dans un célèbre passage de l’Odyssée, Pénélope décrit à Ulysse les deux portes des songes : celle d’ivoire laisse passer des songes trompeurs, celle de corne est traversée par des rêves prémonitoires. À la fin de la descente aux enfers racontée au chant 6 de l’Énéide, Virgile reprend cette double opposition matérielle et conceptuelle, et fait sortir Énée par la porte d’ivoire.
Comment expliquer, d’une part, l’association de l’ivoire et de la tromperie, et d’autre part, le fait que le héros national romain emprunte la porte des songes faux pour quitter les enfers ? Ces deux questions fascinent respectivement les commentateurs d’Homère et de Virgile depuis l’Antiquité. Plutôt que de chercher à apporter de nouvelles réponses à ces problèmes herméneutiques, il s’agit d’étudier le traitement de l’ivoire, ou plutôt des mots grecs et latins relatifs à cette matière, dans la perspective d’une théorie du recyclage lexical, à partir d’un corpus incluant non seulement le passage de l’Odyssée et sa réécriture par Virgile, mais aussi, précisément, leurs commentaires anciens : les scholies homériques et le commentaire de Servius au chant 6 de l’Énéide.
Sur quelles opérations le recyclage du substantif ἐλέφας (« ivoire » en grec) depuis le domaine concret vers le domaine abstrait repose-t-il chez Homère ? Comment ses premiers commentateurs procèdent-ils pour motiver l’association d’une matière et d’une propriété aléthique ? Quelles sont les conséquences du passage du grec au latin sur ce recyclage lexical dans la réécriture du motif par Virgile ? Dans quelle mesure Servius reprend-il et dépasse-t-il les explications de l’exégèse homérique ? L’examen successif des textes de ce corpus à la fois poétique et critique permettra d’envisager plusieurs figures – paronomase, métonymie – et enjeux – translinguistiques, métapoétiques – du recyclage lexical en littérature.


Anne-Charlotte Wallyn-Duguet, Coup de foudre à Isma : quand Crébillon change le sens.

Le XVIIIe siècle marque la spécialisation de l’expression coup de foudre, suivant un processus à plusieurs facettes, qui aboutira à notre usage contemporain. Notons d’emblée que l’étiquette « coup de foudre » existait depuis longtemps, pour désigner un coup du sort, un événement imprévu qui venait contrarier, anéantir, ses projets. L’expression, déjà lexicalisée, possédait donc un emploi spécifique. En parallèle, les comparaisons entre un événement soudain et la chute de la foudre apparaissent régulièrement, entre autre pour évoquer le moment de la rencontre amoureuse. Cette communication se propose donc de cerner le moment de la transition, où l’étiquette se voit réattribuer un sens neuf. Nous interrogerons également l’existence d’un doublet, « coup de sympathie », qui correspondait bien à la pensée du XVIIIe siècle, mais qui fera l’objet d’un tri sélectif radical : sa disparition dit quelque chose d’une époque et, nous émettons l’hypothèse avec prudence, de la quête romantique d’un certain panache des sentiments au XIXe siècle. Cette disparition interroge les conditions d’apparition du nouveau contenu dans le siècle précédent. Si Crébillon est à l’origine de ce geste de recyclage, il s’appuie, nous l’avons vu, sur des réseaux sémantiques préexistants qui n’expliquent pas à eux-seuls le changement sémantique. L’empreinte de l’auteur se révèle ainsi particulièrement importante : c’est son créateur même qui videra la locution de son potentiel néfaste, grâce à un jeu avec les découvertes scientifiques des années 1750, auxquelles il dénie leur pouvoir explicatif, pour repositionner la question de l’amour de première vue dans le domaine de la morale.