« La poésie doit être faite par tous », écrit en 1870 Isidore Ducasse, comte de Lautréamont. Un demi-siècle plus tard, les surréalistes érigent cette phrase en devise d’un « communisme du génie » dont ils se veulent les fers de lance. Depuis, des avant-gardes du XXe siècle aux pratiques numériques contemporaines en passant par la culture do it yourself, la formule n’a cessé de servir d’étendard à des entreprises littéraires, artistiques et politiques qui, malgré leurs divergences, se reconnaissent dans une visée fondamentale : faire de la poésie le lieu d’une communion, d’une communication et d’une communauté partagées. Ainsi émerge une utopie dont cet ouvrage entreprend l’histoire critique et explore les possibilités esthétiques : l’utopie d’une démocratie de la poésie, capable de changer la vie, de transformer le monde et de refonder la littérature.
La première partie analyse la manière dont la formule de Lautréamont a pu devenir, des années 1920 aux années 1970, un mot d’ordre âprement disputé par les avant-gardes. Surréalisme, communisme, situationnisme, Oulipo, Tel Quel, chacun de ces courants a en effet tenté de se réapproprier l’idée d’une poésie collective, désacralisée et démocratisée. Cette poésie collective, la seconde partie s’efforce d’en établir la poétique, en rassemblant des œuvres et des démarches ouvertes à la pluralité des discours ou à la participation des individus, comme l’automatisme surréaliste, le détournement situationniste, les contraintes partageables de l’Oulipo, les animations interactives de la poésie numérique, la scène de slam ou l’atelier d’écriture. La poésie faite par tous engage enfin un projet politique, puisqu’elle suppose d’élargir la communauté des poètes à l’ensemble du corps social. Dans cette perspective, la dernière partie examine comment certaines revues du XXe siècle ont accueilli des voix étrangères au champ littéraire, issues de différents milieux professionnels, de la jeunesse ou de la marginalité sociale, pour essayer non seulement de changer le visage de la poésie, mais de la penser comme un droit à la parole.
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Sommaire
Prologue. Le poète & le braconnier
Première partie. Itinéraires d’une formule
- Chapitre 1. Une phrase à double sens
- Chapitre 2. L’appropriation surréaliste : poésie & révolution
- Chapitre 3. Communistes contre surréalistes : la lutte Ducasse
- Chapitre 4. Un lieu commun des avant-gardes
Deuxième partie. Poétiques du collectif
- Chapitre 1. Dispositions
- Chapitre 2. Dispositifs
Troisième partie. À la recherche du premier venu
- Chapitre 1. La NRF & le « Tableau de la poésie »
- Chapitre 2. Les Lettres françaises & la relève des jeunes poètes
- Chapitre 3. Dans le sillage du surréalisme : une poésie primitive
Épilogue. Les poètes braconniers
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Olivier Belin est professeur de littérature française du XXe siècle à l’Université de Rouen-Normandie. Spécialiste des avant-gardes poétiques (René Char et le surréalisme, Garnier, 2011), il travaille sur la littérature francophone moderne et contemporaine (Bauchau, Bonnefoy, Char, Cocteau, Éluard, des Forêts, Gaspar, Larbaud, Luca, Segalen) et développe une recherche sur l’écriture poétique en amateur (Le Coin des Poètes, Pippa, 2014).
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On peut lire sur laviedesidees.fr un article sur cet ouvrage :
"Territoires de la poésie", par Céline Pardo (en ligne le 8 décembre)
À partir d’une formule de Lautréamont (« La poésie doit être faite par tous. Non par un ») et de ses réappropriations au cours du XXe siècle, Olivier Belin pose de manière neuve la question de la démocratie en poésie.