“En ce qui nous concerne, nous consommateurs, nous sommes en premier lieu, bien que nous soyons richement servis, serviteurs : ou plutôt justement parce que nous le sommes si richement. Ceci signifie qu’il nous est attribué une tâche spéciale, celle de faire disparaître tous les produits par notre ‘travail de consommation’, afin de rendre nécessaire, par ce faire-disparaître, la production des prochains produits. Lorsque vous savourez votre Coca-Cola ou votre Chesterfield, vous remplissez votre devoir d’employé et vous le savourez pour la production ; ou plus exactement : le fait que vous le savourez, la firme le savoure, elle consomme avec jouissance votre jouissance de consommateur ; et c’est seulement parce qu’elle le savoure que vous devez le savourer.” En 1960, Francis Gary Powers, pilote américain, est arrêté en mission en URSS en pleine Guerre froide. Günther Anders, inquiet des conséquences de cette arrestation et du risque de guerre nucléaire, écrit au pilote incarcéré. Sa Lettre sur l’ignorance reste sans réponse. Il en écrit alors une seconde : Le Rêve des machines, restée inédite en français comme en allemand. Le volume publié par les éditions Allia rassemble ces deux lettres qui éclairent l’évolution de la pensée d’Anders et ses thèmes de prédilection : risque nucléaire, machinisation du monde, suprématie de la consommation... Fabula vous invite à lire un extrait de l'ouvrage…
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De Günther Anders, les éditions Fario nous avaient offert sous le titre L'homme sans monde un volume d'Écrits sur l'art et la littérature. Dans les œuvres littéraires ou artistiques de son temps, le théoricien cherchait la vista qui les anime plus ou moins secrètement, la façon dont elles disent ou révèlent l'époque : elles en sont à la fois le creuset et le fruit. Les décennies traversées, à Berlin ou dans les exils parisiens et américains, depuis la fin de la guerre de 14-18 jusqu'à l'ère de nucléarisation du monde, sont, par sa lecture ou ses analyses, en quelque sorte mises à nu. Derrière l'abondance de la production de biens tant matériels que symboliques, apparaît la condition misérable des hommes de ce temps : privés de ce qui avait donné, depuis des siècles, à ce qui ne s'appelait pas encore la "culture", une indiscutable légitimité, une inébranlable assise : un monde, un monde à eux.
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On peut lire dans Acta fabula le compte rendu par Laude Ngadi Maïssa d'une récente livraison de la revue Europe consacrée à G. Anders. Rappelons encore la récente parution du volume Günther Anders et la fin des mondes (Classiques Garnier), sous la direction de Ninon Grangé, Pierre-François Moreau et Frédéric Ramel.