Le livre papier va-t-il disparaître ? Cette question, aujourd'hui si banale, s'est posée dès le XIXe siècle. L'industrialisation de l'imprimerie, le développement de la presse et l'accroissement de la production (livres, affiches, revues, brochures, etc.) conduisent les contemporains à s'interroger sur l'avenir de l'imprimé alors que d'autres supports apparaissent (photographie, phonographie, téléphonie, radiophonie, télévision).
Certains annoncent, regrettent ou s'enthousiasment de la disparition de l'objet-livre tandis que d'autres imaginent des possibilités de lecture à distance (préfigurant le Web), l'utilisation d'une encre volatile, la production de contenus littéraires à la chaine... ce qui conduirait la galaxie Gutenberg à être supplantée par de nouvelles technologies. Comme aujourd'hui ?
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"Régulièrement, la mort du livre est annoncée. Cette prédiction funèbre n’est pas nouvelle. Avant Internet et le Web, c’était la télévision qui allait le faire mourir. Avant la télévision, c’était la radio. Avant la radio, c’était le cinéma. Avant le cinéma, c’était le phonographe. Et avant le phonographe, c’était le journal.
Dès 1841, Charles Nodier prédisait la disparition de « L’amateur de livres ». Sans amateur, quel peut être l’avenir du livre ? D’autant plus que, déjà, Nodier s’alarme de la production foisonnante d’ouvrages et du désintérêt d’une partie de ses contemporains pour la lecture.
Octave Uzanne et Albert Robida nous offrent « La fin des livres ». Ce texte présenté comme ayant paru d’abord en anglais dans le second numéro de Scribner’s Magazine daté du mois d’août 1894 puis repris dans le beau volume Contes pour les bibliophiles, éditions Ancienne maison Quanti, 1895, avec un achevé d’imprimé du 27 novembre 1894, a en fait été publié dans Le Supplément littéraire du Figarodu dimanche 18 août 1894 sous la seule signature d’Octave Uzanne, sans les illustrations d’Albert Robida. C’est cette version que nous proposons. Octave Uzanne envisage que le livre sera supplanté par les médias émergents de son époque : le phonographe et les images animées se substituent au livre. Octave Uzanne ironise sur le livre : « Nos yeux sont faits pour voir et refléter les beautés de la nature et non pas pour s’user à la lecture des textes » et pronostique que « le phonographe tuera l’imprimerie ». Il envisage aussi la mise en réseau des contenus livresques sous forme de phonographothèques partout présentes.
Pour certains auteurs c’est le support du livre qui va changer. Ainsi, en 1894, une chronique scientifique signée Somsoc envisage l’utilisation de feuilles d’or extrêmement fines permettant de ne plus manipuler de lourds volumes.
L’humoriste Alphonse Allais, toujours sensible à l’évolution de son temps, propose de remédier à la crise de la librairie — déjà en 1900… —, en imprimant les livres avec de l’encre volatile. Le prêt ou la relecture deviendrait impossible, le lecteur devant se procurer de nouveau le livre. En somme, un forme ancienne de chronodégradabilité que connaissent aujourd’hui certains abonnés de bibliothèques pour les ouvrages numériques.
Deux ans plus tard, Alphonse Allais promet l’agonie du papier et annonce : « Un journal sans papier ! Une revue sans papier ! Un roman sans papier ! ». Le support de l’imprimerie doit disparaître pour être remplacé par de la pellicule permettant de projeter les contenus sur un écran.
Une autre forme de remise en cause du livre est l’industrialisation de la production de contenus. Pierre Berthelot et Albert Coutheau imaginent pour cela « L’usine à poésie » (1920). La production littéraire est devenue une activité manufacturière comme les autres et l’on produit à la chaîne, grâce à des machines sophistiquées, tous les genres de livres. Anticipation farfelue ? Toujours est-il qu’aujourd’hui une partie du contenu journalistique du web est produite par des algorithmes au moyen de logiciels de génération automatique de textes (GAT) et quelques éditeurs ont expérimenté la GAT pour des productions littéraires…
En 1930, Roger Dieudonné se projette un siècle plus tard pour nous livrer le discours du secrétaire perpétuel de l’Académie française qui célèbre le bicentenaire du romantisme. En 2030, les livres ne sont plus lus mais… écoutés ! et les contemporains s’étonnent des mœurs si étranges du siècle précédent…
Enfin Charles Torquet nous décrit le « dictionnaire mécanique » d’un inventeur pour le moins méconnu. Non seulement cet appareil livre la définition du mot mais le prononce à haute voix !
Toutes les questions soulevées par ces textes restent pleinement actuelles. L’industrialisation de l’imprimerie, le développement de la presse et l’accroissement de la production des imprimés (livres, affiches, revues, brochure, etc.) conduisent déjà au XIXe siècle et dans la première partie du XXe siècle à s’interroger de diverses manières sur l’avenir des supports imprimés alors que d’autres supports médiatiques apparaissaient (photographie, phonographie, téléphonie, radiophonie, télévision).
Certains annoncent, regrettent ou s’enthousiasment de la disparition de l’objet-livre, remplacé par d’autres supports médiatiques comme le feuilleton dans la presse ou par des appareils de diffusion sonore ou télévisuelle, alors que d’autres imaginent des possibilités de lecture à distance (préfigurant le Web) et d’audiolecture, et parfois même montrent l’effacement des auteurs remplacés par des machines, ce qui conduirait la galaxie Gutenberg à être supplantée par les nouveaux médias." — Philippe Éthuin