Questions de société
La haine en procès. Entretien avec Amina Damerdji, par Sarah Al-Matary (laviedesidees.fr)

La haine en procès. Entretien avec Amina Damerdji, par Sarah Al-Matary (laviedesidees.fr)

Publié le par Marc Escola

La haine en procès. Entretien avec Amina Damerdji
 
 par Sarah Al-Matary, mis en ligne sur laviedesidees.fr le 14 janvier

Comment prendre la mesure de discours de haine dont on dit, de manière un peu incantatoire, qu’ils ont augmenté et se sont durcis ces trente dernières années ? Amina Damerdji montre que le droit, la sociologie et les études littéraires offrent des outils indispensables à la vigilance démocratique.

Amina Damerdji, universitaire et écrivain, membre de la rédaction de Tracés, est actuellement chargée de recherche au FNRS. Après une thèse sur la trajectoire des premiers poètes officiels de la Révolution cubaine (1966-2002) entre La Havane et Madrid, qui associait déjà les méthodes de la sociologie à celles des études littéraires, elle s’intéresse à la réception des discours de haine, en particulier quand ils se présentent comme « littéraires ». Pour ce faire, elle couple à l’étude des œuvres un double travail d’archives et de terrain (entretiens, assistance aux procès…).

La Vie des idées : Vous avez une formation en études littéraires et en sociologie. Comment ce double ancrage vous permet-il de déceler les marques formelles auxquelles on reconnaît un discours de haine ?

 Amina Damerdji : Le terme de haine fait aujourd’hui consensus, en pratique, dans les domaines juridiques, institutionnels et académiques, pour désigner un ensemble de phénomènes liés au racisme, au sexisme, à l’homophobie, la transphobie et au validisme. Il n’est cependant pas parfait, notamment parce qu’il peut laisser entendre qu’il ne s’agit que d’affects et de ce fait occulter les constructions historiques, sociales et politiques de ces haines spécifiques. Bien sûr, la haine et le ressentiment sont en jeu dans ces discours ! La philosophe Cynthia Fleury en parle de façon très éclairante dans Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment (Gallimard, 2020). Mais il ne faudrait ni réduire ces discours de haine à une expression affective, ni cantonner tout type de haine (non pas au sens juridique mais commun et affectif, ici) à ces manifestations dangereuses pour nos démocraties. La juriste espagnole Enara Garro Carrera alerte par exemple sur un dévoiement de l’infraction de haine

, censée protéger les minorités et les populations vulnérables, mais devenant un alibi pour justifier les restrictions et censures des discours critiques à l’égard du gouvernement ou des institutions. Aussi, le fait que certaines décisions juridiques espagnoles aient considéré la Monarchie espagnole comme un groupe à protéger va à l’encontre de l’esprit de ces lois contre la haine.

Ces discours de haine sont en réalité des « discours de stigmatisation ». C’est ainsi que Gisèle Sapiro les désigne dans Des mots qui tuent (Seuil, 2020) parce qu’ils « exercent un véritable pouvoir performatif, puisqu’ils légitiment la mise au ban d’individus du fait de leur origine, de leur religion, de leurs convictions. » Une étude des discours de haine s’inscrit donc dans le droit fil de la sociologie du stigmate, initiée par Erving Goffman. […]

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