Étant donné l’hostilité ouverte, constante, déterminée, et même violente que Nietzsche a manifestée contre la démocratie, le socialisme, le progrès social, l’égalité – y compris, soit dit en passant, l’égalité entre les hommes et les femmes –, il n’aurait jamais dû, semble-t-il, y avoir un Nietzsche de gauche. Et pourtant il y en a bel et bien eu un, et c’est même celui-là qui a occupé dans la période récente le devant de la scène et est devenu plus ou moins le Nietzsche officiel. Il n’en demeure pas moins qu’entre ceux qui ont cherché à faire de lui un penseur nazi et ceux qui ont considéré comme allant au contraire à peu près de soi qu’il était un penseur de gauche, on se demande réellement à qui il faut décerner la palme dans l’art de ne pas lire un auteur.
Depuis des décennies, Nietzsche est en France l’objet d’une double méprise : l’invention absurde mais tenace d’un Nietzsche de gauche (Deleuze) et son enrôlement dans une vaste entreprise de reformatage du concept de vérité (Foucault) que toute sa philosophie contredit. Lecteur assidu, resté longtemps discret, Jacques Bouveresse n’a jamais cru à ces fables. Poursuivant la réflexion engagée dans Nietzsche contre Foucault (Agone, 2016) et au terme d’une longue plongée dans les Fragments posthumes, dont il a tiré un trésor de citations, retraduites puis agencées avec soin, il offre ici un double portrait du philosophe : Nietzsche en chercheur de vérité, moraliste ironiste, lucide et passionné ; Nietzsche en penseur politique, défenseur d’un radicalisme aristocratique selon lequel la masse du peuple doit obéir, travailler et être asservie pour que l’élite puisse être libre, commander et créer.
Préface de Jean-Jacques Rosat
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On peut lire sur nonfiction.fr un article sur cet ouvrage…
Lire aussi sur en-attendant-nadeau.fr :
"Prendre Nietzsche au sérieux", par Marc Lebiez (en ligne le 15 décembre 2021).
Jacques Bouveresse, mort en mai dernier, prenait au sérieux les auteurs auxquels il s’intéressait. Cela lui a valu l’inimitié, voire le dédain, des marchands de papier qui ont compris que le manque de sérieux payait. Nietzsche aura été une victime de choix de cet esprit de superficialité dans lequel d’aucuns voient, à tort espérons-le, un trait typique de la culture française. Lorsque Bouveresse lit Nietzsche, celui-ci retrouve de vives couleurs.