Christophe Bident
La vie versée dans les récits (vers le nom de Blanchot)
On aime souvent croire que Blanchot opposa la littérature à la vie, maintint l’œuvre dans la limite des jeux formels, méprisa l’anecdote et priva l’écrivain, à commencer par lui-même, du moindre trait biographique. Cela n’a jamais été vraiment le cas. Si Blanchot affirma que « sa vie est entièrement vouée à la littérature et au silence qui lui est propre », cela signifie aussi que la vie, à commencer par la sienne, est entièrement versée dans la littérature. Ce livre mesure les enjeux intimes, psychologiques, historiques, politiques, esthétiques et littéraires d’une telle conception. Il s’écrit comme une fiction documentée, qui propose l’histoire d’une écriture accueillant la vie tout en disposant d’elle, chez Blanchot, même chez Blanchot, et au-delà.
Christophe Bident a tenté, en 1998, le pari d’un « essai biographique » consacré à Maurice Blanchot. Aujourd’hui, il s’attache aux romans et aux récits de l’écrivain, dont il entend montrer qu’ils tiennent à un fil autobiographique aussi singulier et secret que résolu.
Christophe Bident montre comment la vie, à commencer par celle de Blanchot, est entièrement versée dans la littérature. Il revient sur un dialogue constant avec les contemporains de Blanchot (Bataille, Levinas, bien sûr, mais aussi Giraudoux ou Leiris, par exemple) et rappelle comment l’auteur élabora peu à peu ses objectifs et ses ambitions. Il mesure les enjeux intimes, psychologiques, historiques, politiques, esthétiques et littéraires d’une telle conception. Il n’est pas loin d’affirmer que le Blanchot critique n’est qu’un double du Blanchot romancier. Il n’est pas loin de prétendre que l’œuvre rassemblée sous le nom de son auteur peut être désunie. Il écrit ainsi une fiction documentée, qui propose l’histoire d’une écriture accueillant la vie tout en disposant d’elle, chez Blanchot, même chez Blanchot, et au-delà. C’est dire aussi que, loin de toute prétention d’anti-destin, la littérature offre la garantie d’une liberté sauvage qui donne à chaque texte singulier une autonomie hasardeuse et potentiellement inconciliable sous un nom.
Extrait :
Cet enfermement dans un langage solitaire (car il faut rappeler que la correspondance est, déjà, une abstraction) trouve son paroxysme et sa limite dans L’attente l’oubli, qui signe la fin de la tétralogie. La prose s’enroule dans des leitmotivs presque lyriques, à tel point que les mots des fragments servent souvent de motifs de scansion. Les personnages se scrutent et semblent de plus en plus déréalisés. Les liens entre les sexes et entre les âges sont une préoccupation première dont l’auteur ne fait apparaître que les étonnements et les résonances. Verser la vie dans les récits sera encore possible mais ponctuellement, et autrement. Les phrases se font miroir, les mots se versent et se reversent les uns dans les autres, le langage semble finir par parler seul. L’écrivain a multiplié les voix et désintégré le récit, mais il s’est enfermé.
Christophe Bident, professeur des universités à Amiens, est l’auteur de plusieurs livres consacrés notamment à Maurice Blanchot, Roland Barthes, Bernard-Marie Koltès. Sur Blanchot, il a cosigné un film avec Hugo Santiago. De Blanchot, il a édité deux volumes de textes critiques aux éditions Gallimard.