
"Il faut beaucoup d’artifice pour faire passer une parcelle de vérité", écrivait Robert Antelme, confronté à la difficulté de donner à imaginer ce qu'a eu d'inimaginable l'expérience concentrationnaire. Pour que l’indéchiffrable monde des camps échappe, si partiellement que ce soit, à l’incommunicable, pour que quelque chose existe qui relève de la transmission, les rescapés ont dû explorer l’envers du langage, et approfondir la "réalité rêvée de l’écriture" (Semprun) : c’est à "la vérité de la littérature" (Perec) qu’il revient de préserver la vérité de la vie. Un volume de la Bibliothèque de la Pléiade réunit enfin, à l'initiative de Dominique Moncond'huy, Michele Rosellini et Henri Scepi les plus bouleversants des textes écrits entre 1946 et 1994 par des survivants des camps nazis : ceux de R. Antelme, J. Cayrol, Ch. Delbo, David Rousset, P. Rawicz, F. Le Lionnais, E. Wiesel, J. Semprun. Les regarder comme des chefs-d’œuvre de la littérature du second XXe siècle ne les rend pas inférieurs à la fonction que leur ont assignée leurs auteurs : témoigner d’“une catastrophe qui a ébranlé les fondements mêmes de notre conscience” (Cayrol). Car "c’est bien à la littérature comme instrument de la vérité que ces survivants, ces écrivains, ont confié le soin de dérober au silence et à l’oubli une part de leur expérience et une pensée de ce que furent les camps, non pas simple moment de l’Histoire, mais entreprise sans précédent de négation de l’homme".