Atelier



Lecture contrauctoriale: "Le Retour du contre-auteur", par Oana Panaïté.
Séminaire "en résidence" organisé par l'équipe Fabula du 7 au 11 septembre 2009, à Carqueiranne (83), en partenariat avec le projet HERMÈS (Histoires et théories de l'interprétation).



Le Retour du contre-auteur
(notes de la communication et débat)

La littérature contrauctoriale hésite entre les trois rubriques contrauctoriales définies en introduction par Sophie Rabau: d'ouvert à masqué pour tomber dans le pseudo contrauctorial. Par exemple:
- Chamoiseau: contre Saint-John Perse ouvert
- Jean Rouaud: masqué sur Claude Simon
- Pseudo contrauctoriale: Pierre Michon sur la vulgate.

La problématique de la contemporanéité se pose à partir du « tournant » des années 80: retour des problématiques intramondaines dans l'écriture essayistique et romanesque. Retour du sujet au sujet dont l'auteur serait une instance, de l'histoire à l'histoire, d'où la réinscription de la littérature dans une problématique à la fois historique et historienne.

Mais ce retour doit nécessairement se faire autrement et dans un rapport critique à l'illusion d'un enchaînement du sujet au texte. D'où la situation de l'auteur dans la littérature contemporaine: place centrale mais en même temps la place de l'auteur devient très diffuse, ce qui est requis par une sorte d'exigence d'invention esthétique et de différence. D'où mon intérêt pour d'une part la question de la situation de l'auteur dans le système de l'histoire littéraire: « Auteur introuvable », ce qui mènera dans un deuxième temps les écrivains contemporains à entretenir un rapport de « frontalité oblique » aux auteurs qui l'ont précédé, avec critique même de la notion même d'auteur. Proposition: Michon entretient une sorte d'« empathie contrauctoriale ».


I Barthes du Sur Racine: auteur comme obstacle, renoncer à l'individu Racine. Est-ce que cette redistribution peut entraîner des redistributions comme celles que l'on trouve dans la vie imaginaire: instituer le régime mineur comme clef herméneutique. Examine les deux postulations de la littérature: d'une part dégagé de la servitude biographique, l'histoire littéraire doit fournir des informations sur ce qui de «l'auteur n'est pas l'auteur lui-même» (Barthes). L. Jenny 20 ans plus tard examine les impasses du structuralisme: en tant qu'elle prétend être une science des discours, la poétique cherche en vain l'essence la littérature, car elle est sans hypothèse sur le telos de la critique littéraire. Luc Fraisse espère alors remotiver la «reconstruction biographique» (ainsi que la critique des sources).

Lanson: nécessité d'une méthode dans l'histoire de la littérature: contre la critique impressionniste, mais aussi contre Sainte Beuve, Taine et Brunetière. Mais conscience du caractère paradoxal de son objet: faits généraux et représentatifs mais à travers un style et par sympathie, et conscience de la distance avec le passé. Son acteur principal, le grand écrivain, est à la fois témoin de son époque et exception. L'individuel littéraire résiste à l'approche scientifique. Le but de l'histoire littéraire n'est-il pas individuel? Lanson = pacte idéologique: il n'y a de science que du général, mais de connaissance que du particulier. Appel à la faculté discriminante du chercheur. L'élimination du subjectif n'est ni souhaitable ni possible: «ne pas confondre savoir et sentir».

Mais idée de «résidus inexplicables» liés à l'individu: l'histoire ne suffit plus.

La question de l'auteur est une question professionnelle: le nom de l'auteur est le moyen le plus simple d'inscrire l'œuvre dans une histoire, mais doublé d'une autre formule qui dit quelque chose d'un désir de l'homme. (Michel Charles). L'histoire est une herméneutique comme les autres. (Charles). Cf. Polémique Lanson/Salomon (Introduction à l'histoire des textes). Naissance de la critique contemporaine aggrave le phénomène dit Charles, après avoir analysé la naissance de la critique professionnelle vu par Lanson.

Notion d'actualité: ce qui opère un décentrement et appartient au présent. La littérature en prise directe sur l'actualité cède place à l'idée d'une littérature à projet.

Littérature contemporaine: stratégies narratives pour réaffirmes la présence du sujet dans l'œuvre de fiction.

Contrauteur: nouvelle figure matricielle: «jeune plumitif», scène primitive de la modernité littéraire revisité avec ironie (cf Rimbaud le fils de Michon par exemple). Soit selon le modèle de l'écriture de soi, soit selon le modèle du roman mémoriel.

Question commune: comment se dire soi-même comme interface entre le texte et le monde?


II. Le raz de marée égotique auquel on assiste à cette époque réévalue la singularité, met l'accent sur l'individuel longtemps écrasé sous le poids des grands systèmes historico-théoriques et semble avoir raison de maint penseur et critique qui « hulule à la mort de l'auteur »[1]. De Robbe-Grillet à Hervé Guibert et d'Annie Ernaux à Nina Bouraoui, les écrivains déploient des stratégies narratives et explorent des territoires imaginaires qui réaffirment la présence du sujet dans le texte de fiction autant que le regain d'intérêt pour les formes les plus diverses de l'écriture de soi. Le premier fournit l'exemple le plus choquant lorsqu'il lève l'interdit dans Le Miroir qui revient: «Je n'ai jamais parlé d'autre chose que de moi» écrit-il «Comme c'était de l'intérieur, on ne s'en est guère aperçu. Heureusement. Car je viens là, en deux lignes, de prononcer trois termes suspects, honteux, déplorables, sur lesquels j'ai largement concouru à jeter le discredit et qui suffiront, demain encore, à me faire condamner par plusieurs de mes pairs etla plupart de mes descendants: ‘moi', ‘intérieur', ‘parler de'[2].» Dans Les Brouillons de soi, Ph. Lejeune revisite d'ailleurs la célèbre définition de l'autobiographie: «récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité[3]» (cernée par ses quatre contraintes formelle, thématique, énonciative, narrative), en déplaçant l'accent sur sa dimension énonciative voire subjective: «l'auteur s'engage à tenir sur lui-même un discours véridique. Un autobiographe, ce n'est pas quelqu'un qui dit la vérité sur lui-même, mais quelqu'un qui dit qu'il la dit[4]».

Concept hybride renvoyant tantôt au sujet écrivant tantôt au sujet écrit sans exclure «toute appartenance à un moi personnel »[5], ou encore à « la force d'énonciation »[6] qui met en branle le processus fictionnel[7]: on a affaire à une entité qui, d'être ressuscitée des cendres textuels, reste pourtant mal définie. Dans l'introduction aux actes du colloque « L'écriture et son sujet», organisé en 1999 à Cerisy-la-Salle, on lit ceci : « Il n'a pas une identité fixe ni même stable, il n'est ni l'individu, ni la personne, ni le moi, ni même le "je" ; ce n'est pas l'auteur (personne existant hors de l'œuvre), ni le narrateur, mais cette présence qui fait advenir le texte et qui advient par lui et en lui [...] »[8]. Certains critiques voient une dichotomie entre l'écriture du Moi et celle du Je, renvoyant à deux conceptions de la subjectivité: « La littérature aura fait du je l'anti-héros de ce méga-récit, l'anti-sujet de cette épopée du Moi conçu comme maître de ses pensées et de ses perceptions[9]. » Dépouillé des attributs de rationalité, souveraineté et complétude qui délimitent la sphère du Moi, le Je change la donne en ouvrant le sujet aux intrusions de l'inconscient et aux ingérences d'un monde ni tout à fait extérieur ni entièrement imaginaire : « La pensée et la perception ne sont plus attribuées au seul sujet, qui en serait l'unique agent, mais "s'élèvent" au-dessus de leurs contingences matérielles pour prendre leur relative autonomie, c'est-à-dire agir, comme agissent sur nous nos idées et nos percepts, en véritables héros de nos micro-récits de la conscience, de la mémoire ou de l'imagination[10].» Ceci est confirmé par la pratique postmoderne de la métafiction qui consiste à exhiber des structures narratives faussement accessibles (polars, récits d'amour, d'apprentissage ou d'aventures) lesquelles n'installent le moi au centre du récit que pour mieux le déconstruire «par l'ironie et le doute», pour l'égarer dans le labyrinthe des hypothèses et des projections d'où il sortira «démultiplié», diminué, équivoque[11].

Si le retour du sujet à l'état pur est constamment remis en cause par la réalité des textes, on est dès lors en droit de se demander qu'est-ce qui rapproche ou éloigne les textes contemporains des poétiques du sujet repérables chez leur précurseurs. Dans un retournement vertigineux de la thèse autoréférentielle, Michel Foucault avance en 1966 que «Le "sujet" de la littérature (ce qui parle en elle et ce dont elle parle), ce ne serait pas tellement le langage en sa positivité, que le vide où il trouve son espace quand il s'énonce dans la nudité du "je parle".»[12]. On pense ici au récit monologué de Sartre qui, à la recherche d'un réalisme de la subjectivité, relie la clarté de l'énoncé romanesque au désordre du discours intérieur[13], au monologue-portrait ou monologue-récit de Nathalie Sarraute qui s'efforce de capter les processus préréflexifs, les « tropismes intérieurs », à l'écriture «blanche» de Robbe-Grillet dans laquelle le monde objectal s'érige devant le fantasme d'un sujet en rétroaction sur lui-même, aux romans de Claude Simon où la mémoire de l'Histoire n'a de signification que d'être incorporée au ressouvenir individuel. Ou à d'autres écrivains — Gracq, Yourcenar, Quignard — qui coulent dans les formes artificieusement classiques du récit de la conscience la matière d'une subjectivité tiraillée par l'écartèlement libidinal du moi, sa dépossession onirique et sa déliquescence temporelle. Dans le passage au dehors «où disparaît le sujet qui parle», par lequel «le langage échappe [...] à la dynastie de la représentation», la littérature s'éloigne du rêve autotélique du «langage se rapprochant de soi jusqu'au point de sa brûlante manifestation» et se révèle, à l'opposé, en tant que «langage se mettant au plus loin de lui-même». Le passage «hors de soi» ne décrit, ontologiquement, ni l'aliénation, ni la perte de soi, mais, heuristiquement, permet à la pensée de se tenir d'une part, «hors de toute subjectivité pour en faire surgir comme de l'extérieur les limites», et, de l'autre, «au seuil de toute positivité, non pas tant pour en saisir le fondement ou la justification, mais pour retrouver l'espace où elle se déploie, le vide qui lui sert de lieu, la distance dans laquelle elle se constitue et où s'esquivent dès qu'on y porte le regard ses certitudes immédiates[14].» Quoiqu'il emprunte les apparences d'un cheminement négatif, d'une soustraction du sujet, le passage privatif renvoie plutôt à un nécessaire décentrement, une délocalisation du sujet qui n'adopte une position liminaire que «pour se retrouver finalement, s'envelopper et se recueillir dans l'intériorité éblouissante d'une pensée qui est de plein droit Être et Parole, Discours donc, même si elle est, au-delà de tout langage, silence, au-delà de tout être, néant» (17). L'émergence récente de la sphère du sujet dans l'écriture actuelle thématise le passage «hors de soi»: au seuil de la fiction, on est accueilli plus d'une fois par un quidam vide d'affect ou d'inspiration, épigone ou poète déchu, victime tragique ou pantin.

Bruno Blanckeman appelle «paradoxal» le phénomène de relance qui s'expliquerait par la conjonction de deux crises, l'une esthétique, l'autre, culturelle. Lorsque un parallélisme s'installe à la fin des années 1970 entre, d'un côté, «les impasses des principaux genres littéraires» et, de l'autre, «les urgences d'un univers qui se transforme», alors la «littérature en perte de vitesse est comme rappelée à ses fondamentaux par une civilisation en recherche de cadres»[15]. Double clôture donc - du discours social verrouillé par la trame narrative des grands récits historiques et idéologiques mis à mal par une réalité changeante et contradictoire, du discours littéraire prisonnier du carcan critique en conflit croissant avec le principe vital d'«immersion dans le monde»[16]. Les signes du renouveau narratif sont repérables non seulement dans la préférence accordée par les jeunes auteurs à l'inspiration historique, ethnologique ou biographique mais encore dans «le goût du roman» que retrouvent les écrivains consacrés. L'effet conjugué de ces deux phénomènes autorise à dire que l'on n'assiste pas simplement à un changement éphémère dû à l'arrivée d'une nouvelle génération mais véritablement à l'éclosion d'«nouvelle période esthétique» aux effets profonds, entraînant avec elle une «nouvelle ère littéraire»[17].

Pour prendre la mesure des changements qui autorisent à parler d'une nouvelle littérature, il est éclairant de comparer les phénomènes de rupture et de continuité, des effets de reprise et de renouvellement. Sur ce point, on ne saurait souscrire à l'idée que « [...] l'histoire des formes littéraires enregistre moins de percées depuis les années quatre-vingt»[18]. Pour prendre l'exemple d'un écrivain comme Pascal Quignard, connu pour son refus de tout embrigadement: avant le tournant des années 1980, il se fait connaître grâce à ses essais philosophiques et érudits, qu'il continue de cultiver assidûment, notamment avec la série des Petits traités[19]. Cependant, la parution du Salon du Wurtemberg chez Gallimard en 1986, marque, de l'aveu de son auteur, un geste palinodique marquant la rupture définitive avec les tendances expérimentalistes qui, réfutant la fiction et son idéologie mensongère, l'avaient forcé à «[s]'adonner aux exercices d'arpège les plus saugrenus»[20].

À cette vérité consensuelle sur l'effet délétère du formalisme critique - «retrouver le monde»[21] étant devenu une expression stéréotype des commentaires sur la littérature contemporaine - s'ajoute une autre, celle sur le danger comparable de l'enrégimentation et l'asservissement idéologique de l'écriture. Si, dans l'ordre historique métropolitain, la littérature comme espace d'expérimentation formelle et langagière naît de la résistance à l'engagement sartrien entendu comme un réductionnisme, dans les autres aires de la littérature d'expression française elle confine l'écrivain dans le rôle de «greffier du ‘passé'», tant et si bien que rares sont ceux qui entreprennent d'écrire le présent ou d'inventer l'avenir, comme le remarque Alain Mabanckou[22]. Le romancier congolais souligne que pour l'écrivain africain «l'itinéraire individuel n'a souvent pas de place, cela est vu comme un reniement. Cet auteur n'écrit donc que par mandat, par délégation. Il doit en quelque sorte rendre compte à la communauté, et dans la plupart des cas la communauté décrète que son action est incomplète, insuffisante»[23]. Le propos présente une similarité frappante avec le Syndrome de la Méduse que décrit K. A. Appiah lorsqu'il examine les contraintes de la politique identitaire; le recours à la catégorie de l'individualité relie les arguments du philosophe et de l'écrivain sous la bannière du choix personnel sur le plan éthique aussi bien qu'esthétique. La revendication de ce droit ne suppose nécessairement ni le rejet des liens sociaux ni l'oubli du rôle historique joué par l'appartenance identitaire à une catégorie raciale, sexuelle ou nationale dans la conquête des droits politiques pour les individus associés à ces catégories; aussi le choix personnel ne veut-il dire «wholly unscripted or innocent of social meanings; it means rather that something is not too tightly scripted, not too resistant to our individual vagaries. Even though my race and my sexuality may be elements of my individuality, someone who demands that I organize my life around these things is not an ally of individuality. Because identities are constructed in part by social conceptions and treatment-as, in the realm of identity there is no bright line between recognition and imposition[24]

La résistance à la synthèse nonobstant, la pensée du sujet colonial procède à une déplacement capital des frontières de l'Autre offrant un modèle vivant de stratégie subversive[25] qui s'insurge contre l'ordre auquel elle semble obéir. C'est un pouvoir qui opère dans les marges et à l'encontre des formes pré-données de l'autorité et de l'identité et qui entrave la fixité nationale, politique, subjective. Cela met les historiens en demeure de définir le sujet dominé, entreprise par excellence positiviste se donnant pour but de résoudre le paradoxe du moi colonial: si l'approche cognitive postule la conscience comme fondation du sujet ou fondement du moi, la conscience du moi colonial n'est pas conscience-en-général, mais une espèce politique historicisée, assujettie, la conscience dominée étant investie, conçue, théorisée par l'élite et ses discours et, en tant que telle, restant irréductible. Le modèle manichéen réapparaît dans la lecture de Spivak, mais appliqué cette fois-ci à la généralisation historiographique du sujet subalterne. En tant qu'émanation du discours élitaire, celui-ci ne saurait être ‘originaire' ni primordial, bien au contraire: «la trace instituée de l'origine» est inscrite dans son concept même. Alors que la pensée historique s'ingénie à récupérer (retrieve) la conscience dominée, elle crée en réalité «l'effet du sujet dominé»[26].

Il est envisageable d'élargir le sens que Viart et Vercier donnent aux relances contemporaines de la création. Le passage d'une littérature «régulière», en situation d'ascèse autotélique et d'assujettissement formel, à une littérature «séculière», retrouvant sa faculté à «mettre en œuvre les expériences individuelles et les questions collectives» peut et doit inclure une autre dimension, qui élargit la sphère sémantique des deux termes: passage d'une littérature soumise à la règle de la responsabilité communautaire (parmi ses nombreuses formulations, celle de Mongo Beti est peut-être la plus frappante: «pour nous, l'écriture peut servir à quelque chose, donc doit servir à quelque chose»[27]) à une pluralité d'écritures singulières«dans lequel on retrouve également les écrivains français –, d'espaces dont la langue française serait le dénominateur commun, les univers ne servant qu'à façonner nos tempéraments et à souligner nos expériences en tant qu'individus[28]


III. Une figure matricielle de la nouvelle écriture égotique est la posture stéréotypée du jeune plumitif dont l'accès rituel à l'autorité passe, paradoxalement, par l'imitation hagiographique; les textes contemporains revisitent ainsi, avec une ironie décapante, la scène primitive de la modernité littéraire dans laquelle se conjuguent la croyance au caractère transcendant de l'art et le désir de «la corrélation perpétuelle de ce qu'on appelle l'âme avec ce qu'on appelle le corps ». (Baudelaire, Le peintre de la vie moderne). Il en est ainsi du symbolisme à la fois pathétique et cocasse de la «petite bouture» dans Rimbaud le fils de Michon ou de cet aveu de Boris Diop: «Je dois avouer par honnêteté qu'il fut un temps où je ne croyais en rien d'autre qu'à la littérature. Il me semble d'ailleurs, je dois l'avouer à ma grande honte, que j'imitais dans ma vie réelle les biographies des auteurs que j'admirais. Me figurant qu'un écrivain débutant se devait d'être fantasque et de tourmenter son entourage, je faisais alterner les moments de violente colère et ceux de brillante gaîté[29]. » Quand bien même elles ne sauraient gommer les différences entre les poétiques d'écrivains, ces formulations analogues à l'égard de l'épuisement d'une certaine mythologie fantasmatique de la modernité littéraire, indiquent pourtant la possibilité d'un espace de partage, d'un ethos contemporain pour lequel le retour sur le passé prend une double signification: reconnaître sa dette envers les modèles littéraires et abolir cette même dette, érigée par la «Vulgate moderne» en véritable interdit d'écrire, en se plongeant dans l'épaisseur du vécu, familial, communautaire ou social.

Conçue telle une investigation de ce que Pierre Michon appelle «la genèse de mes prétentions», la fiction du sujet se façonne tantôt selon le modèle de l'écriture de soi, tantôt selon le mode du roman mémoriel[30]. Elle ne saurait ni se réduire à un seul modèle narratif ni se disséminer en une multitude de formes singulières, incomparables et solitaires. On assisterait plutôt à des configurations narratives qui émergent telles des solutions narratives à une commune question: «Comment se dire soi-même en racontant le monde?» Par conséquent, dans les analyses qui suivent «on ne raisonnera donc pas en termes strictes d'histoire des genres mais en termes de typologie des textes», pour emprunter une formule de Gilles Philippe. Ses propositions sur le statut argumentatif des textes romanesques nous semblent particulièrement porteuses lorsqu'il s'agit de fiction contemporaine dans laquelle le mélange d'«exemplarité narrative» et de «digression doctrinale» présente des cas surprenants autant du point de vue de leur assemblage que de leur usage[31]. De surcroît, le «métissage de l'autobiographique et du romanesque» marque l'écriture contemporaine d'un sujet tourmenté par le travail de l'inconscient, les processus de conscience et les élaborations de l'esprit, d'un côté, comme par le face-à-face implacable avec ses semblables et le monde objectif, de l'autre. Son intégrité menacée par la lame de fond des pulsions et des affects, sa visibilité toujours obscurcie par les ombres du passé, ce sujet ne saurait se livrer que par la médiation ou l'intercession de l'altérité. Tout en reconnaissant la puissance fictionnelle de l'écriture autobiographique, informée par les «matrices narratives et schèmes figuratifs» du roman, Bruno Blanckman propose une typologie quintuple qui repose néanmoins sur la charge romanesque des textes: l'autofiction (sous le mode phénoménologique chez Hervé Guibert ou Philippe Sollers ou épiphanique chez René Des Forêts ou Marguerite Duras), la forme généalogique (Pierre Bergounioux, Richard Millet, Jean Rouaud, Pascal Quignard), la forme «littérariste » (douce: Renaud Camus, Marie Redonnet ou programmatique: Georges Perec), la forme dialoguale (recherche de paternité chez Pierre Pachet et Linda Lê, ou en polydysphonie pour Nathalie Sarraute ou Christine Angot) et enfin la forme ethnographique (Annie Ernaux ou le Perec des «Lieux d'une fugue»[32]). À cette liste on pourrait ajouter la forme facétieuse, où la fiction romanesque prétend emprunter la forme autobiographique pour mieux invalider les illusions fondatrices du genre et obliquer vers d'autres horizons romanesques. La forme facétieuse est présente chez Abdourahmane Waberi, Marie Ndiaye ou Éric Chevillard dont le héros anonyme lance cette belle plaidoirie à la défense du genre autobiographique: «moi qui craignais de voir s'essoufler rapidement ce récit, voilà qu'un second volume va être nécessaire (à paraître), puis beaucoup d'autres encore pour ne rien omettre de notre passé personnel commun, une somme, une œuvre universelle qui récupérera toutes les autobiographies et nous dispensera de leur lecture répétitive, évoquant au fil des pages le préau, le grenier, la punition, le champignon, la lettre, la rencontre, le mensonge, l'accident, la chanson, le baiser, l'incendie, l'examen, la fracture, la rupture, la tempête, également les plus modestes événements de cette vie inévitable»[33].

L'analyse est ainsi ramenée à une discussion, certes enrichissante grâce aux nombreuses catégories mobilisées - pragmatiques, phénoménologiques, énonciatives, reposant en fin de compte sur le degré d'éloignement/de rapprochement entre la matière narrative et un hypothétique niveau zéro de réalité. Qu'elle soit une émanation subjective ou historiquement vérifiable, qu'elle relève d'une stratégie textuelle ou d'une intentionnalité testimoniale, une typologie fondée sur le degré de fictionnalité diminue la complexité d'une écriture toujours liminaire et relevant simultanément de plusieurs régimes d'écriture et de vraisemblance. C'est dire qu'au lieu d'étudier le rapport binaire du dedans et du dehors, d'une vérité intime et d'un imaginaire public, d'un intime et d'un extime, on privilégiera les lignes de fracture et de partage entre ces différents gestes instituants de la subjectivité littéraire.

Aussi l'absence de légitimité réelle - qu'elle soit relative à la situation du fils bâtard, orphelin ou rebelle n'enlève rien à la conviction intime d'illégitimité - se traduit fictivement par une surenchère de légitimité posturale. Faisant sienne la tâche d'«écrire des vies», chaque narrateur s'autorise en même temps à réinventer la fable originaire dont il comble les lacunes et réaménage les faits. Dans la citation du texte de P. Michon on aura remarqué par exemple la condition ambivalente du narrateur telle que son récit la fait paraître: il est d'une part le laissé-pour-compte de la famille, le mal loti – Antoine Peluchet ne serait-il disparu dans l'obscurité du continent africain, «je serais enterré n'importe où, au hasard de ma mort», dit-il –, et il jouit, d'autre part, d'une place d'exception, « fin de race, moi le dernier à me souvenir de lui, je serai gisant», ce qui fait de lui un enfant-roi (le gisant), la finalité ultime de son lignage et le fin mot de l'histoire. Sous l'humble masque du scribe, figure quasi-omniprésente de cette écriture mémorielle (Pierre Michon, Richard Millet, Gérard Macé, Pierre Bergounioux, Linda Lê), se cache un fils rêvant de devenir auteur du père en le ramenant au présent avec une puissance d'évocation proche de la «résurrection de la vie intégrale» que Michelet rêve de donner à l'écriture historique. Dans la prose narrative, cela arrive lorsque où le récit aoriste, après s'être longtemps tenu à la frontière du souvenir figé dans le passé et de la remémoration ancrée dans un présent qui «tire le passé à soi» (Éric Méchoulan), abandonne la manière indirecte ou allusive et bascule dans l'immédiateté d'un présent intemporel. Dans les Champs d'honneur ce glissement intervient à la fin de la troisième partie, dans la grande scène d'Ypres ayant pour protagoniste un Joseph, annonciateur du père, dont la mort inaugurale marque «une borne, un point zéro qui détermine l'avant et l'après » (Pour vos cadeaux, 12).

Ces proses cultivent une relation intermittente avec la vérité historique, ce qui perclut leur interprétation sous l'angle du réalisme social, de la fiction historique ou du roman d'archives. Aussi pour cette écriture comme pour celle de Sartre dans L'Idiot de la famille, «l'écriture narrative s'incarne dans un donné documentaire qui la configure de façon asymptotique à la vérité: elle tend à la rejoindre»[34]. Quoiqu'ils soient profondément ancrées dans « l'histoire dont on a encore la mémoire vive soit que le narrateur en ait été témoin, soit qu'il en tienne le récit d'un témoin direct », les romans mémoriels de Boris Diop et de Rouaud montrent une parfaite «indifférence à l'exactitude référentielle»[35] des faits racontés, ainsi que le souligne Sylviane Coyault-Dublanchet. Parlant du travail préparatoire à son roman, Boris Diop offre une illustration éloquente: «J'ai conçu ce roman en disant : ‘Je vais créer un personnage qui se nomme Fadel et qui va se souvenir d'évènements qu'il n'a peut-être pas vécus.' C'est ça l'histoire : se souvenir d'évènements qu'on n'a peut-être pas vécus[36].» Toujours pluriel, il se démultiplie diaboliquement, sous les apparences du désir d'être autre que ses proches, de s'affranchir de leur héritage qui affuble de ridicule le portrait de jeune révolté (l'histoire « infime » des grands-parents Eugène et Clara est racontée avec, en toile de fond, des images-clichés de mai 1968), et, comble de la folie, d'être Auteur. La majuscule apparente le narrateur aux artistes, et surtout aux écrivains qui sont ses « phares » et son poison, eux-mêmes hypostases factices de Dieu — Grand Auteur et Lecteur à la fois, autosuffisant, pointe de la pyramide qui autrefois prodiguait la Grâce de l'Écrit, « la petite bouture » de Rimbaud le fils. À commencer par l'hypothèse d'une tentative autobiographique ou, à défaut, biographique, l'intention épique des Vies minuscules est sérieusement mise en échec, tandis que les nombreuses ambiguïtés narratives et stylistiques soulèvent des obstacles considérables à une lecture purement

Le sarcasme auquel le narrateur voue chacun de ses portraits en jeune créateur met également à mal le genre de l'autoportrait, souvent associé au gré des hypostases du moi aux différentes postures d'acteur, de narrateur ou bien de scripteur. Il s'accompagne presque toujours chez Michon d'une technique de la défiguration, du bain acide. Dès l' incipit interrogatif et jusqu'au grand finale du récit, lorsque la clôture de la narration s'accomplit dans le même temps que la réconciliation ultime avec la tâche aveugle du narrateur devenue horizon futur de l'écriture, Vies minuscules ne cesse guère de figurer l'aporie de la représentation. « Écrire des vies, c'est inventer l'existence des gens qui ont existé pourtant, qui ont eu un état-civil, c'est redoubler l'illusion réaliste, l'effet de réel — c'est renforcer ce que la critique appelle le pacte référentiel[37]. » Cette poétique de l'entre-deux se réclame de l'invention fictive pour autant que celle-ci demeure au cœur de l'écriture du réel — car le redoublement de l'effet de réel ne saurait mener à une restitution réaliste du monde dans la littérature (projet impossible s'il en est), mais plutôt à une perversion du pacte référentiel, résultat d'une technique déviante qui procède à une substitution littérale de l'écriture par des objets empruntés à la réalité, eux-mêmes inventés.

Réelle, fictive ou simplement fantasmée, la substance du récit semble issue de l'alliage inextricable des faits véridiques, hypothèses vraisemblables et idées reçues dont le narrateur-scripteur se porte seul garant et responsable. Il n'en est pas pour autant le seul auteur, loin s'en faut. Ce rôle, éclaté d'entrée de jeu, met à nu la narration alors même qu'elle ouvre la lecture à une infinité de suppositions, privant le récit du recours à quelque instance unificatrice que ce soit. Pierre Michon explique ainsi dans un entretien les raisons intimes de sa démarche dans Vies minuscules :

« Ce n'est pas ce que furent ces vies, mais peut-être le son de la voix de mes grands-parents quand j'étais enfant, cette imprégnation affective, qui m'a fait raconter des vies que ma grand-mère racontait. Le ton endeuillé que pouvait avoir ma grand-mère dans ces moments[38]. »

Écrire des vies c'est s'emparer des voix conteuses qui ont bercé une enfance dont la mémoire ne requiert de contenu autre qu'une « imprégnation affective».

Plusieurs registres de la voix se partagent le récit, chacun appartenant à un étage différent de la construction fictionnelle. Au seul générateur du texte, situé au niveau énonciatif du « je » et associé au présent de l'écriture, correspondent plusieurs générateurs du récit, lesquels fournissent tant l'information que l'échafaudage narratifs. Ce n'est que comme fiction secondaire, redoublée — ce « redoublement de l'illusion réaliste » revendiqué par la poétique michonienne — que survient l'écriture, laquelle commence par la répétition, par le redoublement de paroles et, par là même, de présence. Des marques stylistiques et rhétoriques — temps verbaux contrastés, hypotypose — viennent dénoncer le clivage qui sépare les instances génératrices de la fiction. En outre, il recoupe une autre série de dissonances entre les strates diégétique et réflexive du texte, entre l'histoire et le commentaire.

Les détours de l'écriture projettent au-delà du texte des modèles aptes à fournir à la fiction son horizon lointain. Il en va ainsi des passages où l'incertitude ou tout bonnement l'ignorance des faits réellement advenus dans laquelle se trouvent le conteur ou la conteuse (Toussaint Peluchet, Elise, mais aussi des entités sans nom, les «aïeux» ou la communauté anonyme des «on») ainsi que l'absence de témoin qui pourraient entériner ou rejeter la version perpétrée par eux, créent une béance qui attend d'être comblée par un récit compensatoire. De prononcer: « Rien ne nous apprendra comment il souffrit, dans quelles circonstances il fut ridicule, le nom du café où il s'enivra » (VM, 14), le narrateur semble vouloir faire sienne la tâche de pourvoir à l'enrichissement de cette relation collective trop indigente. Or, ce sont précisément ces passages qui font surgir l'écart incommensurable entre, d'une part, le pacte de lecture postulant un devoir de mémoire et, de l'autre, le dispositif de mise en fiction. Celui-ci, se livrant à l'exploration des formes littéraires multiples allant de l'écriture de soi à l'écriture objective, met graduellement en échec les attentes de celui-là.

Il importe d'indiquer la distinction entre la relation que Pierre Michon, personnage public et écrivain, peut avoir avec la « Vulgate » rimbaldienne, et les résonances de celle-ci dans son écriture. Rimbaud est tout d'abord le prédécesseur dont la présence matérielle et symbolique massive s'avère tout à la fois initiatique et castratrice pour l'écrivain contemporain. Sa proximité est accablante et frappe d'interdit toute initiative du jeune artiste. Si, pour Michon, Faulkner est le père du texte, celui qui met en marche la machine littérature, Rimbaud en est le fantasme, à la fois idéal et repoussoir. Le devoir qui incombe à l'épigone séditieux est de s'attacher à la tradition afin de mieux la dépasser en mettant à nu ses origines profondes — libidinales, biographiques, historiques. Selon le mot de François Bon : « Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles, pour ramasser encore dans la lettre de Rimbaud[39]. »

L'«anxiété de l'influence» incitant les véritables créateurs à une « mauvaise lecture » (misreading) des œuvres antérieures, canoniques. Le critique américain appelle cette lecture critique qui pulvérise le texte « originaire », une lecture forte par laquelle le jeune aspirant « se fait poète » : « Le poème tardif s'ouvre à ce que, chez son précurseur, il prend pour une puissance qui n'appartient pas au père lui-même, mais à une catégorie de l'être qui transcende le précurseur[40]. » Ce Rimbaud imaginaire qui troque l'idéal de la révolte pour la reconnaissance artistique est également représentatif de la déchirure du sujet artiste qu'interpelle la prose de Pierre Michon :

Et la suite de sa vie, ou notre dévotion, nous enseigne que sous cette apparence l'étendue vraie de sa colère était considérable : pas seulement contre le brassard et le képi, mais contre le brassard et le képi aussi. Car sous ces défroques, à ce qu'on dit, il y avait l'ombre du Capitaine et la vivante créature de refus et de désastre, du refus au nom de Dieu, qui lui fustigeait l'âme pour qu'il devînt Rimbaud : non pas eux en personne, mais leur fabuleuse effigie de part et d'autre du pupitre ; et peut-être de toutes ses forces les haïssant l'un et l'autre, haïssant donc les vers dans quoi patenôtres et clairons s'épousaient, il aimait d'amour la mission qu'ils exigeaient de lui. (RF, 15)

Rimbaud exemplifie ainsi la modernité et ses insurmontables contradictions. Il est le personnage d'une légende dorée que Michon n'évoque comme appui à ses spéculations pseudo-biographisantes que pour mieux la parodier, tout en parodiant son propre récit fautif et insignifiant parce que tardif, crépusculaire, imaginé par un être mélancolique et sans grâce. Pierre Bergounioux situe Michon lui-même dans la descendance qui traverse l'illusoire histoire de la littérature: « Racine avait les tragiques grecs et Delille Racine, Lamartine Delille, Hugo Racine et Rimbaud Hugo. L'angle était ouvert. En 1872, il y a Rimbaud et après plus rien. Michon le sait. L'angle est fermé. C'est un triangle[41]. »

La fin du lignage condamne le monde littéraire à l'atomisation et livre les écrivains à une communauté de l'isolement. Rimbaud devient alors l'effigie d'une contemporanéité élective. Convoqués par un discours qui interroge leur présence ensemble à l'intérieur de la Vulgate littéraire, il arrive ainsi à Rimbaud comme à Balzac de côtoyer des gens de leur temps qui ne soient pas pour autant leurs contemporains. La force disruptive du phénomène Rimbaud transforme ses rencontres avec un Izambard ou Banville, Carjat ou Verlaine en autant de points aveugles, « puits » ou « gouffres » de la contemporanéité artistique. Certes, la Vulgate ne tarde pas à dompter le fils de Vitalie Cuif le rangeant parmi les « phares » dont voici la liste que dresse Michon : Homère, Virgile, Malherbe, Racine, Hugo, Baudelaire et «le petit Banville » qui finira par s'y faire supplanter par la « très précise ambition furibonde au fin fond des Ardennes », « le nœud byzantin » ou encore le casseur de tringle, de cet «instrument héréditaire [...] qu'on se passe de main en main de Villon à Coppée ».

La poésie « personnellement » reste, chez Michon, suspendue entre le « on » de la Vulgate, le « nous » — « vous » des poètes annotateurs de cette Vulgate et le «il» fantasmé du Gilles-Rimbaud de qui on peut admirer l'auréole farineuse tel un «habit de lumière». En-deça de cette série pronominale fictionnelle, il y a le « je » sans nom, apparenté tour à tour à chacun de ces groupes, au-delà, un « ils » collectif qui fait écran aux noms propres soudés en liste et aux métaphores qui les remplacent. Dans Rimbaud le fils comme ailleurs le nom propre est le véritable moteur de la réflexion critique, tandis que la fiction s'appuie sur une désignation oblique des êtres. Il en est ainsi d'Izambard « un second couteau, même pas Jean-Baptiste, même pas Joseph le charpentier, mais peut-être le premier ouvrier de l'atelier de Joseph, celui qui apprit au fils à tenir la varlope et dont les Évangiles ne parlent même pas» (RF, 26), comme de Verlaine chosifié en « un chapeau derby ». Quant au groupe qui se rend chez Carjat : « ils sont quatre ou cinq à monter la pente, jeunes, tous fils indécrottables, ni moines ni capitaines quoique tous drapés dans un froc invisible, simplement fils, des poètes comme on disait » (RF, 84). Ce glissement figural semble vouloir colmater la brèche entre, d'une part, la fictionalisation irréfléchie dont se nourrit la Vulgate littéraire, et, de l'autre, le travail d'analyse critique inhérent à l'écriture de Michon.

Dans Trois auteurs, le récit qui s'intitule « Le Temps est un grand maigre » apparie Balzac à la communauté de ses personnages reprenant en sous-texte le thème de l'Œuvre ogresse. Si le geste de Rimbaud fut de « refermer sur nous la chiourme moderne », en « appuyant plus fort sur la chanterelle » celui de Balzac est de «s'activer derrière » la prose, avec son « gros corps solitaire », afin d'en cacher « le peu de réel ». Il n'y est plus question de Vulgate, mais de l'univers autonome de La Comédie humaine ; celle-ci contient l'auteur Balzac, ses contemporains et sa postérité. Les quelques scènes fantasmées pourraient se fondre dans « la louange perpétuelle » sauf la présence obstinée de la voix fictionnante qui, d'entrée de jeu, relève l'essence farcesque de la pose et de la prose balzaciennes. La rencontre nocturne avec Georges Sand fait signe vers ceux pour qui « reste la Grâce » et qui savent, obscurément, que «ce n'était rien, la littérature ». La romancière ne saurait être contemporaine de Rimbaud, et ce non pas à cause d'une présumée innocence de son œuvre et de sa posture artistique, mais à cause de la discrétion anachronique qui lui fait passer sous silence l'essentiel, la haine de la littérature : « Ce qu'ils ne disent pas, car l'époque romantique avait de ces délicatesses d'augure, c'est qu'ils médirent de la littérature, la foulèrent aux pieds, la jetèrent dans le feu, se refilèrent des feintes romanesques comme deux usuriers se refilent un taux, firent fond sur l'éternelle crédulité du lecteur qu'on appelle aussi postérité [...] » (TA, 26). Alors que Rimbaud le fils interroge le vécu sans partage de la poésie personnellement, la méditation autour de la figure balzacienne s'attache à retracer le caractère multiple et épiphanique du « roman de la littérature en personne, en toutes ses personnes depuis Homère».

D'un texte à l'autre, le contemporain par excellence c'est Baudelaire. Il est le grand absent, à côté de Hugo, de Rimbaud le fils, évoqué métonymiquement à travers l'image du gilet noir, guère associé à la fiction même. Dans Le Temps est un grand maigre, cette image scande la rencontre de Balzac avec Baudelaire, « une petite épiphanie en miroir de la littérature personnellement ». (TA, 40) Figure du partage et du passage, Baudelaire est associé tantôt à Banville, par le minuscule de l'histoire personnelle, tantôt à Rimbaud, à qui il apprend que « l'imposture, la niaiserie poétique c'est aussi du courage », tantôt à Balzac, en qui littérature « apparaît » mêmement. Il est surtout associé au temps et à la mort, à l'instant de la mort que Michon appelle « le grand maigre, le vrai, pas Baudelaire ». Peut-être l'auteur des Fleurs du mal n'est-il dans ces textes qu'un fantasme qui échappe à la Vulgate, car celle-ci ne saurait dire la mort. C'est bien là la tâche du récit : « Le récit n'est écrit que pour les mettre à mort. » (TA, 12)

Rimbaud, que, dans le sillage de Mallarmé, Michon appelle « le passant considérable sans qui tout se serait passé autrement », n'est contemporain de personne, si ce n'est de tout écrivain aspirant. « Parmi ceux qui pénètrent dans les appartements privés, certains comprennent sur-le-champ qu'ils n'existent pas: Rimbaud. » (TA, 30) Qu'elle précède l'Œuvre ou qu'elle lui soit ultérieure, cette compréhension est issue de la proximité et de l'affrontement de l'absolu romantique et de la pensée critique que professa, dans le sillage de Duchamp, une certaine modernité démythifiante.

« On fait dire à Baudelaire, on fait dire à Rimbaud, sur la modernité, ce qu'ils n'ont pas dit»[42], s'insurge Henri Meschonnic. Ces essais fictionnels tomberaient-ils sous le coup de ce constat ? Y a-t-il confusion, chez Michon, entre la littérature et l'histoire de la littérature, et dès lors, un risque de dérapage vers une lecture historiciste ou psychanalytique ? La lecture que Jacques Rancière au sujet de Rimbaud le fils semble aller dans ce sens : « C'est là une solution : identifier le mécanisme de la production des coups et faire de la construction de cette identité non pas un discours sur la poésie de Rimbaud, mais un autre poème[43]. » Cagibi intérieur ou collier au cou du poète, les métaphores de l'assujettissement indiquent que le thème maternel est une émanation de la thématique plus vaste de la création : « Le moment doit venir où le poète s'arrache aux bras de sa mère et court. […] mais Arthur Rimbaud s'enfuyait encore et toujours; il courait avec un collier scellé à son cou et c'est en courant qu'il créait ses poèmes[44]. »

D'avoir pris le parti d'une interprétation contextuelle de la littérature qui ferait l'impasse sur les œuvres et s'attacherait à expliquer l'exception discursive par sa cause matérielle ou, tout aussi pernicieusement, par sa cause efficiente, l'entreprise michonienne semble vouée à l'enfer de ceux que Rancière appelle «les Fantastiqueurs». De cette prose problématique, qui tire son origine d'une réflexion, d'une hypothèse, d'une question, la visée est pourtant toute autre. La fiction reprend le questionnement, mais à l'envers, car, plutôt que d'en être l'exemplification édifiante, elle le subvertit. Ainsi, de Rimbaud le fils à Trois auteurs, le dispositif fictionnel s'attache à déniaiser le discours hagiographique en même temps qu'il contribue à la déthéorisation du discours critique.

Seul exemple de brouillage de la sphère élargie du « on / nous / vous » et celle, restreinte et isolée, du « il », ce fragment qui clôt Rimbaud le fils est un embrayeur post-factum de la fiction: « Ah c'est peut-être de t'avoir enfin rejointe et te tenir embrassée, mère qui ne me lis pas, qui dors à poings fermés dans le puits de ta chambre, mère, pour qui j'invente cette langue de bois au plus près de ton deuil ineffable, de ta clôture sans issue. C'est que j'enfle ma voix pour te parler de très loin, père qui ne me parleras jamais. » (RF, 110) Conçu comme un discours indirect libre, bifide, qui regarde d'un côté vers le «moi» fictionnant, l'annotateur de la Vulgate, « poète » tardif et « calote de soie », de l'autre, vers le «moi» fictionné, un être dissimulé derrière le creux du nom propre et le trop-plein d'un tradition fantasmatique, ce passage enclenche sur une question: « Qu'est-ce qui relance sans fin la littérature? Qu'est-ce qui fait écrire les hommes? Les autres hommes, leur mère, les étoiles, ou les vieilles choses énormes, Dieu, la langue? » (RF, 110). Le Temps est un grand maigre se réapproprie ce questionnement; il s'agit à présent de cerner les assises de l'écriture, son sujet légitime; métacritique, le discours fuit vers la fiction ; métafictionnel, il jette un regard scrutateur sur son artifice:

De quoi parlent ces lignes? De Balzac? De la littérature? Du monde? De mon impossibilité à les dire? De notre impossibilité à dire? Quand on lui demande de montrer la lune, le moderne garde sa main dans sa poche. La lune est trop manifeste, à quoi bon la montrer. Si je montre la lune, l'imbécile me dit que l'imbécile regardera mon doigt. D'ailleurs il y a des nuages. (TA, 43)

La fiction comble un manque d'essence et une absence de personne. Le continu factice de la biographie rimbaldienne ainsi qu'elle est présentée dans la Pléiade est dépecé sur le motif. C'est dire que les parties en sont redistribuées pour former une succession de noyaux narratifs qui retracent l'ascension de la comète-Rimbaud. Cet agencement préserve toute entière l'ambivalence du commentaire mallarméen : non point constellation, mais étoile filante, l'apparition Rimbaud est révélatrice du néant des autres. Elle excède l'ordre de la relation qui fait tenir ensemble sujet et objet, et marque ces vies d'une impossible empreinte: celle de la béance. Elle repose sur des images de rien : l'air, l'or, le plomb. La béance — autrement dit le continu ou la poésie — fait face à la fiction, qui demeure dans le peu de réel, soit le discontinu de la prose. « Saint Balzac » ou « Capitaine Balzac » : quelle que soit le masque derrière lequel le farceur tente de cacher son jeu, il est associé à ce « pauvre enfant timide » qu'est Lucien de Rubempré devant la société parisienne ou à ce naïf déchu à l'état d'enfance qu'est César Birotteau :

Qu'était-il dans ce monde d'ambitions? Un enfant qui courait après les plaisirs et les jouissances de la vanité, leur sacrifiant tout; un poète, sans réflexion profonde, allant de lumière en lumière comme un papillon, sans plan fixe, l'esclave de circonstance, pensant bien et agissant mal[45].

Après avoir déposé son bilan, un commerçant ne devrait plus s'occuper que de trouver une oasis en France ou à l'étranger pour y vivre sans se mêler de rien, comme un enfant qu'il est : la Loi le déclare mineur et incapable de tout acte légal, civil et civique[46].

À défaut de devenir « grand politique », ce dont rêvait Lucien, Balzac emprunte, lui, la voie de la littérature. Dans le discontinu de la prose, il élabore un régime romanesque de l'illusion fondé sur le statut médiateur de l'écriture. La représentation sert alors de garde-fou à une écriture qui, voulant agir sur le réel, rejoint la violence à l'œuvre de la poésie rimbaldienne.

Mais il y a encore un autre aspect de cette construction mentale appelée Rimbaud qui préoccupe la fiction michonienne, à savoir l'enjeu social, institutionnel avec lequel il faut compter à chaque fois que s'accomplit le miracle de la révélation poétique. Le monde de l'art assiste alors à des mutations impressionnantes, et l'échelle des valeurs artistiques connaît un bouleversement, ne serait-ce que dans la longue durée des époques littéraires. Le scandale Rimbaud est aussi important pour une définition de l'art en tant qu'ensemble de conventions socialement et historiquement déterminables, qu'il l'est pour la définition, complémentaire, de l'art en tant que système clos, avec une histoire propre qui intéragit avec l'Histoire de façon exclusivement exogène[47]. Arthur Rimbaud réunit les traits essentiels de la figure de l'auteurmoderne: icône d'une modernité foncière dont le geste révolutionnaire entérina à jamais la portée politique de la poésie, au sens d'un engagement symbolique dans le tourment de la vie publique ainsi que d'une radicalisation du discours poétique qui aboutit à son démantèlement.

Il s'agissait de montrer le fait que l'auteur comme retour dans la littérature contemporaine est un retour de l'auteur en tant qu'absence, présence vague d'un sujet qui est plutôt une image reconstruite de ce que l'auteur aurait pu être, de ce qu'il devrait être, n'aurait pas dû être, en ce sens on peut parler de «contrauteur».


Oana Panaïté


Débat sur l'intervention d'Oana Panaïté


Marc Escola: on ne demande jamais aux auteurs contre qui ils écrivent (et même rarement ce qu'ils lisent). La question de savoir qui l'on ne veut pas être n'est pas posée.

Oana Panaïté: Michon a tendance à fuir les questions sur son œuvre. Il parle des œuvres des autres auteurs, pour fantasmer sur la littérature.

Laure Depretto: Chevillard ne se gêne pas pour dire qui il n'aime pas.

Laurent Zimmerman: il a écrit pour démolir Jardin.

Sophie Rabau: Il faudrait prévoir une nouvelle case: un auteur écrivant contre un auteur, contre l'auteur qu'il ne veut pas être?
Quel est le statut de ce contrauteur: celui qu'on ne veut pas être, qu'on ne peut plus être?

OP: tout cela mais plutôt celui que l'on ne peut plus être, qu'on aurait pu être. Celui que je ne veux pas être car ce qui me rend auteur est la différence avec celui-là.

ME: Quid du travail de Michon sur photos de Beckett ou Faulkner?

OP: il s'agit plus de le tuer en effigie, un geste beaucoup plus violent qui ne brode plus autour de la possibilité de cet auteur.

ME: et il parle davantage en lecteur qu'en auteur que dans les pages cités par toi. Ici le visage de l'auteur s'inscrit en filigrane dans les pages et c'est de cette expérience qu'il est question.

ME: Et Chamoiseau a écrit sur Saint-John Perse?

OP: oui dans Texaco et aussi des essais: SJP fondateur d'une littérature antillaise à son insu qui se refuse au geste de fondation, lecture militante.

SR: Il se dessine l'idée d'une poétique contrauctoriale où un auteur en prend un autre comme bête noire (en faire une archéologie). Mais dans la production contemporaine? quel est le rôle de la fiction dans cette poétique?

OP: Cela peut être pour parler d'autre chose? Rouaud convoque ces écrivains, mais en fait c'est pour parler «de ma mère», de souvenirs familiaux: permet de mettre les classiques au service d'une écriture personnelle, du devoir familial: minoration de l'importance de l'auteur.


Retour à la page Lecture contrauctoriale communications. Retour au sommaire du dossier Lecture contrauctoriale.
Autre page de l'atelier associée: Contemporain.


[1]William Gass, cité par Maurice Couturier, La Figure de l'auteur, Paris, Seuil, 1995, p. 17-18.

[2] Paris, Minuit, 1983.

[3] Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975, nouv. éd. 1996,, «Points», p. 14.

[4] Philippe Lejeune, Les Brouillons de soi, Paris, Seuil, 1998, p. 125.

[5] Louis-René des Forêts, Voies et détours de la fiction, Fata Morgana, 1985, p. 14.

[6] Jean Bellemin-Noël, « Réflexions : du sujet de l'écriture à l'écriture de soi », Voix, Traces, Avènement. L'écriture et son sujet, op. cit., p. 201.

[7] En réfutant non seulement les approches biographique et psychanalytique, mais encore la critique thématique, le même critique insiste à dissocier l'écrivain du sujet de l'écriture, la « fable » biographique de la création littéraire : « L'écrivain, dans la mesure où il ce n'est jamais tout à fait lui, ni seulement lui, qui parle à travers ce qu'il écrit étant donné qu'il doit faire sa place à l'autre — les Anciens appelaient cela l'inspiration —, on peut dire en effet que le nom avec lequel il signe un ouvrage, ce nom fût-il celui de son état civil, est toujours déjà un pseudonyme : pour écrire et en écrivant, il a fallu qu'il s'annule comme homme, comme fils de ses parents, pour devenir à la fois le père et le fils de sa création. Je tire comme leçon de cette subversion, quant à moi, que les difficultés de la filiation sont une affaire entre lui et lui, qui ne nous concerne pas lorsque nous lisons ce qu'il a mis à sa place, ce qu'il nous a laissé, légué à sa place, le texte que voici. » Cette attitude dont on ne saurait minimiser les effets bénéfiques doit pourtant être remise en question devant des textes qui entreprennent de thématiser la fable biographique tout en restant dans la sphère de l'écriture esthétique.

[8] Introduction d'Alain Goulet à l'ouvrage publié sous sa direction, Voix, Traces, Avènement. L'écriture et son sujet, actes du colloque de Cerisy-la-Salle (2-5 octobre 1997), Caen, Presses Universitaires de Caen, 1999, p. 8.

[9] Pierre Ouellet, Poétique du regard. Littérature, perception, identité, Québec, Septentrion, PULIM, 2000, p. 16.

[10] idem.

[11] V. Sophie Bertho, « L'Attente postmoderne. À propos de la littérature contemporaine en France », RHLF, n° 4-5, 1991, p. 738.

[12] «L'événement qui a fait naître ce qu'au sens strict on entend par la littérature n'est de l'ordre de l'intériorisation que pour un regard de surface; il s'agit plutôt d'un passage au "dehors"». Michel Foucault, La Pensée du dehors, Fata Morgana, 1986, p.13. Texte publié pour la première fois en 1966 dans le numéro 229 de la revue Critique, consacré à Maurice Blanchot.

[13] Pour une analyse des stratégies énonciatives dans l'œuvre romanesque de Jean-Paul Sartre, on consultera avec profit l'ouvrage de Gilles Philippe, Le Discours en soi. La représentation du discours intérieur dans les romans de Sartre, Champion, 1997. Parue en 1978, l'étude narratologique de Dorrit Cohn, La Transparence intérieure. Modes de représentation de la vie psychique dans le roman, trad. Alain Bony, Seuil, 1981, passe en revue les techniques narratives que le roman emploie pour exprimer les états de conscience de ses acteurs.

[14] Michel Foucault, La Pensée du dehors, op. cit, p. 16.

[15] Ces propos appartiennent à Bruno Blanckeman qui signe la troisième partie intitulée «Retours critiques et interrogations postmodernes» de l'Histoire de la littérature française du XXe siècle, op. cit., p. 429.

[16] Dominique Viart, Une mémoire inquiète. « La Route des Flandres » de Claude Simon, Presses Universitaires de France, 1997, p. 226.

[17] «Mais le lecteur sent bien que quelque chose a changé: les œuvres actuelles de ces écrivains connus ne ressemblent pas vraiment à celles que l'on s'était habitué à lire sous leur plume. Parfois même, l'inflexion est très nette, presque surprenante.Aux jeux formels qui s'étaient à peu près imposés dans les années 1960-70 succèdent des livres qui s'intéressent aux existences individuelles, aux histoires de famille, aux conditions sociales, autant de domaines que la littérature semblait avoir abandonnés aux sciences humaines en plein essor depuis trois décennies, ou aux ‘récits de vie' qui connaissent alors un véritable succès.» ibid., p. 5-6.

[18] Mireille Calle-Gruber, Histoire de la littérature française au XXe siècle, op. cit., p. 16.

[19] Publiés de 1981 à 1984 aux éditions Clivages et repris en 1990, tomes I à VIII, chez Maeght.

[20] Le Magazine littéraire, no 232, septembre 1986.

[21] Le Bris retrouver le monde «Non pas pour nous rejouer une variante de l'engagement, ou s'abîmer en ‘nouveau journalisme', et pas plus pour cadenasser une fois encore l'imaginaire au nom du ‘réalisme' (pas de voyage qui vaille sans vision) mais parce que la littérature se trouve toujours en danger de s'affadir en ‘littérature', discours, jeux de langage, si le monde ne vient pas continûment l'interpeller, la réveiller, l'électriser [...]» (29)

[22] Alain Mabanckou, «Le chant de l'oiseau migrateur», in Pour une littérature monde, op. cit, p. 63. Il est en outre intéressant de constater que, lorsqu'il accuse son malaise face à l'esthétique objectale du Nouveau Roman, Jean Rouaud dira lui aussi que l'écrivain s'y voit ramené au rôle de «syndic». «Mort d'une certaine idée», in Pour une littérature-monde, op. cit., p. 19.

[23] Ibid., p. 64. À la page précédente, il cite les propos satiriques de Derek Walcott sur les écrivains qui se contentent de produire une littérature de propagande «comme si un pardon général demandé au nom du passé pouvait se substituer à l'imagination, pouvait les tenir quittes de l'exigence du grand art». Café Martinique, Anatolie Le Rocher, 2004, p. 15-16.

[24] K. A. Appiah, The Ethics of Identity, op. cit., p.110.

[25] À l'instar des femmes algériennes, dont l'usage subversif du voile pendant la guerre d'Algérie transforma cette marque des rôles sexuels en instrument de l'insurgence.

[26] Ibid., p. 204.

[27] Cité dans Kom, 37.

[28] Alain Mabanckou, «Le chant de l'oiseau migrateur», in Pour une littérature monde, op. cit, p. 60.

[29] «Dans l'enquête pour son article 'Boubacar Boris Diop, l'inconsolable de Murambi', Catherine Bédarida mentionne qu'il s'est doté du prénom Boris par lequel l'appellent ses proches à l'âge de vingt ans, s'inspirant du personnage du jeune immigré russe dans Les chemins de la liberté de Jean-Paul Sartre. Ce prénom rappelle ainsi l'âge de la passion pour la culture et surtout pour la philosophie et la littérature pour nourrir son engagement politique et maîtriser son écriture romanesque à venir. [...] En ajoutant ce prénom à son nom d'état civil pour constituer un nom de plume, Boubacar Boris Diop n'a pas voulu seulement faire plaisir aux proches qui ont partagé la même expérience que lui, mais aussi marquer que son œuvre va être à la fois une continuité sur le plan littéraire et une objectivation, un réexamen à froid, en prenant de la distance, de sa vie passé. Ce non de plume peut être considéré aussi comme un dédoublement de la personne de Boubacar Boris Diop: Boubacar Diop, excentrique dans son engagement politique et professionnel d'hier, et Boubacar Boris Diop, écrivain d'avant-garde d'aujourd'hui.» Jean Sob, L'impératif romanesque de Boubacar Boris Diop, Éditions A3/Panafrika, Ivry/Seine, 2007,p. 35-36.

[30] Bruno Blanckeman, «Figures intimes/postures extimes», L'Intime-L'Extime, études réunies par Aline Mura-Brunel et Franc Schuerewegen, Amsterdam, Rodopi, 2002, p. 43 (43-51).

[31] V. l'introduction, «Notes sur le statut argumentatif des textes romanesques» dans Gilles Philippe dir., Récits de la pensée, Paris, SEDES, 2002, p. 13-22.

[32] Dans Je suis né, Paris, Seuil, La Librairie du XXe siècle, 1990, pp. 15-31.

[33] Préhistoire, Minuit, 1994, p. 58-59.

[34] François Noudelmann, «Roman spéculatif et vérité spéculaire», in Gilles Philippe dir., Récits de la pensée, op. cit., p. 26.

[35] Sylviane Coyault-Dublanchet, op. cit., p. 178 et 179.

[36] Lingua Romana, Vol. 2, No 1, 2004, Entrevue avec Boubacar Boris Diop, Dakar, le 3 juin 2003.

[37] Tristan Hordé, « Entretien avec Pierre Michon », Recueil, n° 21, printemps 1992.

[38] « Châtelus, Bénévent, Mégara », propos recueillis par Michel Jourde et Christophe Musitelli, Les Inrockuptibles, n° 46, juin 1993.

[39] François Bon, « Un livre, comme un miracle », La Quinzaine littéraire, n° 532, 6, 1989.

[40] Harold Bloom, The Anxiety of Influence. A Theory of Poetry, Londres, Oxford, New York, Oxford University Press, 1975, p. 15: « The later poem opens himself to what he believes to be a power in the parent-poem that does not belong to the parent proper, but to a range of being just beyond the precursor. »

[41] Pierre Bergounioux, « Ses vues, ses souffle, son corps, son jour », Compagnies de Pierre Michon, op. cit. p. 10.

[42] Henri Meschonnic, Modernité, modernité, Lagrasse, Verdier, 1988, p. 105.

[43] Jacques Rancière, « Rimbaud : les voix et les corps », in La chair des mots. Politiques de l'écriture, Galilée, 1998, p. 63.

[44] Milan Kundera, La Vie est ailleurs, op. cit., p. 241.

[45] Honoré de Balzac, Illusions perdues, La Comédie humaine, op. cit., tome III, p. 538, n. s.

[46] Honoré de Balzac, César Birotteau, ibid., tome IV, p. 271, n. s.

[47] V. George Dickie, « Définir l'art », in Esthétique et Poétique, textes réunis et établis par Gérard Genette, Seuil, 1922, p. 9-32.



Oana Panaïté

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 10 Novembre 2009 à 9h46.