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«Qu'est-ce qu'une politique de la littérature? Éléments pour une histoire culturelle des théories de l'engagement», par Jean-François Hamel

Paru dans Politiques de la littérature. Une traversée du XXe siècle français, sous la direction de Laurence Côté-Fournier, Élyse Guay et Jean-François Hamel, Montréal, Presses de l'Université du Québec, coll.«Figura», 2014 p.9-30.

Article reproduit dans l'Atelier de théorie littéraire avec l'aimable autorisation de l'auteur et des Presses de l'Université du Québec.

Dossiers: Politique, Engagement.





Qu'est-ce qu'une politique de la littérature?
Éléments pour une histoire culturelle des théories de l'engagement.



Pour qui s'intéresse aux relations de la littérature et de la politique au cours du xxe siècle français, la notion de «littérature engagée», telle que Jean-Paul Sartre l'a définie au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, apparaît comme l'arbre proverbial qui cache la forêt [1]. Même dans l'œuvre de Sartre, les thèses de Qu'est-ce que la littérature? n'éclairent que très imparfaitement les écritures politiques postérieures au cycle romanesque des Chemins de la liberté, que l'on pense aux Séquestrés d'Altona, dont le dispositif emprunte aux dramaturgies d'avant-garde, ou à l'autobiographie des Mots, fortement ancrée dans la tradition communiste de l'autocritique. Non seulement la pratique littéraire de Sartre s'aventure-t-elle bien au-delà de la doctrine de la littérature engagée défendue à la Libération, mais sa pensée critique ne cesse de s'en éloigner. On le constate déjà dans les biographies existentielles de Stéphane Mallarmé et de Jean Genet, au début des années 50, qui reconnaissent expressément la possibilité d'un engagement poétique, au-delà de la seule «politique de la prose [2]», contredisant les énoncés aussi célèbres que contestés qui ouvraient Qu'est-ce que la littérature? Marquant une rupture plus profonde, Questions de méthode procède à une complète réinvention de la notion d'engagement en attribuant l'action politique de la littérature non seulement à l'écrivain, mais à ses lecteurs, mettant en lumière «cet événement neuf et collectif qu'est la transformation d'un livre par la lecture [3]». Brûlant une fois de plus ses vaisseaux, dans la préface d'Aden Arabie de Paul Nizan, en pleine Guerre d'Algérie, Sartre abandonne sa défense d'une rhétorique démocratique pour célébrer l'anarchisme encoléré des avant-gardes, qu'il avait pourtant condamné lors de la fondation des Temps modernes comme une maladie infantile de l'engagement. En vingt ans, la théorie de la littérature engagée est mise sens dessus dessous, Sartre demeurant fidèle, ici comme ailleurs, au «beau mandat d'être infidèle à tout [4]».

À vrai dire, c'est sur l'ensemble du siècle que s'étend l'ombre portée de Qu'est-ce que la littérature?, provoquant des confusions bien au-delà de l'œuvre de Sartre. Deux exemples suffisent à le démontrer. Si l'on sait que le terme d'engagement était d'un usage relativement fréquent dans les revues de la gauche de l'entre-deux-guerres, notamment dans Europe et Esprit, on oublie trop souvent qu'il ne s'appliquait pas aux œuvres elles-mêmes, mais à leurs auteurs, qui étaient considérés comme des intellectuels suivant le modèle d'Émile Zola dans l'affaire Dreyfus. On débattait volontiers de l'engagement des écrivains, tel qu'il se manifeste par des pétitions, des déclarations, des interventions dans l'espace public, mais on n'abordait que rarement, sinon dans les cercles communistes, la question d'une littérature engagée selon la formule sartrienne qui inscrit la politique à même les œuvres [5]. Ainsi, suivant Gide, qui s'élève contre les abus du colonialisme et se fait compagnon de route du Parti communiste, le véritable écrivain peut à bon droit engager sa personne, mais jamais son œuvre, qui doit s'abstraire des contingences de l'histoire. Il souligne d'ailleurs que «les Souvenirs de Cour d'Assises, non plus que la campagne contre les Grandes compagnies concessionnaires du Congo ou que le Retour de l'URSS, n'ont presque aucun rapport avec la littérature [6].» Un autre malentendu concerne le refus de la doctrine des Temps modernes au cours des années 60. Dans Pour un Nouveau Roman, Alain Robbe-Grillet jugeait que l'engagement était une «notion périmée» et qu'il fallait «cesser de craindre “l'art pour l'art” comme le pire des maux». Seul importait pour l'écrivain «la pleine conscience des problèmes de son langage [7]». Mais l'affirmation de l'intransitivité de la littérature n'était pas contradictoire avec la reconnaissance de son efficacité politique. Pour Jean Ricardou, qui concevait le Nouveau Roman comme une «aventure de l'écriture», la lecture des œuvres autoréférentielles était une propédeutique à la critique de l'idéologie: «tout lecteur rompu au décryptage des signes langagiers saura désormais, en toute occasion, démasquer les langages falsifiés que la société lui impose [8].» De même, dans les revues Tel Quel ou Change, la récusation de la littérature engagée allait de pair avec la tentative de concilier la linguistique saussurienne, qui détache le signe du référent, et la critique marxiste de l'idéologie, qui démystifie la domination bourgeoise.

Comme le suggèrent ces exemples, la notion d'engagement est d'un usage hasardeux pour l'historien tant elle demeure tributaire de la querelle sur la responsabilité des écrivains qui anime les milieux littéraires et intellectuels à la Libération [9]. Au cours du dernier siècle, les formes de l'«engagement» furent si nombreuses et si hétérogènes que la théorisation sartrienne, ancrée dans la conceptualité de l'existentialisme, ne permet guère d'en saisir la diversité, ni d'en exposer le devenir. En plus de favoriser des interprétations anachroniques, l'emploi de la terminologie sartrienne tend à créer des amalgames et des contresens, ne serait-ce qu'en invitant à mesurer tout nouage de la littérature et de la politique à l'aune de Qu'est-ce que la littérature? Du reste, la forte polarisation que provoque toujours la figure de Sartre dans le champ intellectuel rend risqué tout emprunt à sa théorie de la littérature. Même si plusieurs historiens et théoriciens de la littérature continuent à s'y référer, on privilégiera une notion plus neutre que celles d'engagement et de littérature engagée [10]. Pour désigner les conceptions politiques de la littérature qui se sont affrontées depuis l'affaire Dreyfus et souligner leur pluralité, on déclinera au pluriel les «politiques de la littérature».


Les politiques de la littérature: objets et définitions

La littérature et la politique sont des «concepts essentiellement contestés [11]» dont l'usage donne lieu à des disputes en raison de l'impossibilité d'en fournir une définition qui vaille en tous lieux et en tous temps. Notions ouvertes, empiriquement et logiquement, en extension et en intension, la littérature et la politique ne se laissent saisir qu'en regard d'une tradition qui se prête elle-même à des interprétations, appropriations et appréciations, selon des axiologies variables, toujours tributaires d'un contexte spécifique. Les consensus qui se forment à propos de ces notions, dont la définition entrelace jugements de fait et jugements de valeur, sont locaux et ponctuels. Dans Les règles de l'art, Pierre Bourdieu a d'ailleurs mis en lumière les «conflits de définition [12]» qui animent le champ littéraire, ainsi que les rivalités entre acteurs dont l'objet est la légitimité littéraire, c'est-à-dire le pouvoir de définir ce qu'est la littérature et d'établir le système de règles et de valeurs qui orientent aussi bien sa production que sa réception. Pour comprendre les relations de la littérature à la politique, il est donc nécessaire de reconstituer les représentations à travers lesquelles les acteurs du champ littéraire définissent ce qu'est la littérature et ce qu'est la politique, mais encore les conditions et modalités de leur nouage, c'est-à-dire les moyens et les fins de l'«engagement». C'est pour désigner les représentations croisées de la littérature et de la politique que Benoît Denis a avancé la notion de «politique de la littérature».

J'entends par là un phénomène à double face. La première se déduit d'un constat: celui de la coexistence concrète de plusieurs conceptions de la chose littéraire, conceptions qui peuvent apparaître non seulement comme profondément divergentes, mais même comme incompatibles, mutuellement exclusives et antagonistes. La littérature (ou le champ littéraire) est ainsi un espace de lutte entre plusieurs visions de la littérature, ou, plus précisément encore, entre plusieurs idéologies opposées de la littérature. Parler de politiques de la littérature, c'est désigner ce fond de luttes et d'affrontement à l'intérieur duquel, à partir du xixe siècle, se développe la chose littéraire. D'autre part, la préservation de l'autonomie du littéraire passe toujours pour lui par une politique de présence dans le monde social, en vue précisément de faire reconnaître publiquement cette autonomie et les prestiges qui lui sont associés. Une politique de la littérature consiste donc en l'explicitation des fonctions spécifiques de la littérature, la défense de ses valeurs et de ses intérêts propres, l'affirmation de l'autorité sociale dont elle jouit ou prétend jouir; en résumé: la dimension publique d'une politique de la littérature tient à la construction d'un discours mettant en scène la manière singulière dont la littérature prétend agir dans la sphère sociale (la valorisation de l'inutile, la contestation, le scandale, le ludisme, le didactisme, l'édification morale). On voit donc ici que nous sommes très proches de la notion d'engagement [13].

Ne se réduisant ni à l'engagement des écrivains en tant qu'intellectuels, ni à la thématique politique des textes dans le sillage du roman engagé, une politique de la littérature désigne un système de représentations, plus ou moins largement partagé, élaboré par les acteurs du champ littéraire, qui, en réponse à un impératif de justification, contribue à établir la grandeur de la littérature dans le monde social. Dans une visée agonistique, tributaire des tensions et rivalités qui structurent le champ littéraire, les politiques de la littérature s'affrontent pour identifier l'être de la littérature et mesurer à la fois sa présence et sa puissance dans l'espace public. Dans une perspective éthique et politique, elles apportent des réponses contrastées, souvent contradictoires, aux deux questions qui ont reçu de Sartre une formulation définitive: qu'est-ce que la littérature? et que peut la littérature? [14] Ces systèmes de représentations, qui soutiennent des discours et des pratiques, qui engendrent des alliances et des inimitiés, sont constitués de références communes, de cadres axiologiques, de schèmes perceptifs qui s'organisent autour des notions fondamentales d'auteur, de lecteur, de langage et de réalité, dont l'articulation permet de définir la fonction sociale de la littérature selon le sens commun [15]. C'est pourquoi les divergences entre les politiques de la littérature portent tour à tour sur l'autorité de l'écrivain, le statut du lecteur, les propriétés du langage, la nature de la référence, ainsi que sur la relation que la littérature peut ou doit entretenir à la société et à l'histoire, conformément aux représentations politiques des acteurs. Ces disputes, on l'aura compris, ne peuvent être dissociées des rapports de force et des stratégies de reconnaissance qui mobilisent le champ littéraire et définissent le positionnement des uns et des autres.

Sans être absentes des œuvres littéraires, où elles se traduisent en stratégies formelles et thématiques, les politiques de la littérature s'expriment principalement dans la prose d'idées non fictionnelle, à travers un large spectre de genres, qui va de la lettre ouverte au manifeste, du pamphlet à la satire, de l'essai philosophique à la monographie érudite, et non seulement dans ce qu'il est convenu d'appeler la littérature de combat. Elles s'explicitent aussi dans les documents nombreux qu'on regroupe sous les catégories du péritexte et de l'épitexte, qui accueillent le commentaire des écrivains sur leur pratique, enregistrent leurs prises de position esthétiques et témoignent de leurs orientations idéologiques. À ce titre, les entretiens, les préfaces, les conférences, les hommages, les notes de lecture, les essais critiques, sans oublier les journaux et la correspondance, constituent la fabrique et l'archive des politiques de la littérature, tout au moins de celles qui sont défendues par les écrivains eux-mêmes. Car les critiques et les théoriciens, dont les interventions prescrivent un certain usage des œuvres et établissent les modalités de leur interprétation, participent aussi à la production et à la diffusion de ces conceptions politiques de la littérature. Plus que de simples médiateurs, ils déterminent le sens et la valeur des textes à travers des gestes d'appropriation et d'appréciation, qui possèdent une dimension normative. Mais ces systèmes de représentations n'émanent pas seulement des acteurs «individuels» du champ littéraire, comme les écrivains, les critiques, les théoriciens, mais aussi des acteurs «collectifs», comme les maisons d'édition, les revues, les journaux, qui défendent des lignes de pensée, promeuvent des valeurs esthétiques, accueillent des interventions politiques. De même, en marge des institutions littéraires et des groupes autoproclamés, les réseaux informels, les sociabilités diffuses, les amitiés intellectuelles et les solidarités professionnelles contribuent à leur gestation et à leur diffusion à travers la circulation de textes et l'échange d'opinions. Il est par ailleurs remarquable que les politiques de la littérature, inséparables des conflits qui agitent l'espace public, tendent à se multiplier et à se polariser à l'occasion des crises sociales, surtout en France, où, selon la belle formule de Julien Gracq, «littérature et politique ne manquent guère, à chaque fois que reviennent des moments de fièvre, de se tenir étroitement la main [16]


Questions de méthode: pratiques, médiations, grammaires

«L'histoire de la littérature ne consiste pas seulement dans l'histoire des formes, mais aussi dans l'histoire des idées formulées et agissantes [17]», écrivait Albert Thibaudet dans son Histoire de la littérature française. Le critique de la Nouvelle Revue française illustrait cet énoncé de méthode en soulignant l'influence de la pensée de Germaine de Staël et du groupe de Coppet sur la pratique des écrivains des premières décennies du xixe siècle. Plus récemment, Laurent Jenny, en ouverture d'un essai consacré aux mouvements d'avant-garde, rappelait que «ce que nous appelons “littérature” ne se conçoit guère sans un corps d'idées, qui pour partie la constitue et pour partie l'interprète et lui donne sens [18].» Sans rejeter l'étude des caractéristiques formelles des textes littéraires et des déterminations qui circonscrivent à chaque époque l'espace des possibles duquel émergent les œuvres, il faut en effet admettre que l'histoire de la littérature demeure incomplète sans ce que Roland Barthes nommait dans ses Essais critiques «une histoire de l'idée de littérature [19]». Or ces «idées formulées et agissantes», l'histoire culturelle et la sociologie pragmatique nous invitent à les penser en termes de représentations et de pratiques. Pour inscrire l'histoire des politiques de la littérature dans le cadre plus large d'une «histoire sociale des représentations [20]», il est nécessaire de les étudier dans une double perspective: d'une part, on les situera dans l'histoire de la littérature dont elles sont héritières; d'autre part, on établira leurs liens avec des systèmes de pratiques et de représentations qui leur sont contemporains. Pour mener à bien cette étude à la fois diachronique et synchronique, il conviendra de porter une attention particulière aux pratiques de lecture par lesquelles les politiques de la littérature se matérialisent, aux médiations qui en déterminent la visibilité dans l'espace public, enfin aux grammaires politiques qui y font l'objet d'une appropriation et d'une transposition.

Les politiques de la littérature s'énoncent et se justifient sur la base d'une interprétation et d'une appréciation d'un ensemble de textes jugés exemplaires. En retour, ces systèmes de représentations prescrivent des manières de lire et d'interpréter à travers lesquelles se produit et se reproduit la signification politique de textes. Pour approcher ces pratiques de lecture, l'histoire culturelle nous invite à considérer que «les textes n'ont pas eux-mêmes de signification stable et univoque» et que «les réceptions sont toujours des appropriations qui transforment, reformulent, excèdent ce qu'elles reçoivent [21]». Le cas de Stéphane Mallarmé, dont l'œuvre fait l'objet d'une intense politisation des décennies après sa mort, est à cet égard exemplaire. En 1943, Les Lettres françaises clandestines, principal organe de la résistance littéraire, publient un article anonyme, «Mallarmé, professeur de morale». Michel Leiris, qui en est l'auteur, y radicalise une interprétation éthique de Mallarmé, déjà perceptible sous l'Occupation dans la préface d'Henri Mondor à Vie de Mallarmé, ainsi que dans les hommages publiés à l'occasion du centenaire de sa naissance, dont «Saint Mallarmé l'ésotérique» qu'André Gide fait paraître dans Le Figaro, installé en zone libre. S'amorce alors une longue séquence d'appropriations politiques, qui invente de toutes pièces la figure du «camarade Mallarmé», selon le titre d'un article de Jean-Pierre Faye paru dans le quotidien communiste L'Humanité en 1969 [22]. Cette tradition interprétative montre bien que la lecture est une «production de sens [23]», qui s'effectue à l'intérieur de «communautés interprétatives [24]», qui partagent des procédures de sélection, de combinaison et d'interprétation des textes. On peut aussi penser aux débats communistes de la fin des années 20, avant que ne s'impose le dogme du réalisme socialiste, qui visent à identifier les précurseurs d'une littérature prolétarienne. Ces débats sont révélateurs des nouages de la littérature et de la politique en concurrence dans le champ littéraire de l'époque [25]. Autrement dit, à chaque politique de la littérature, son panthéon des grands écrivains et son canon des œuvres augustes, appropriées et actualisées à partir d'un répertoire de stratégies herméneutiques et de tactiques de légitimation. Une histoire culturelle des politiques de la littérature ne peut faire l'impasse sur la constante «invention de la tradition» accomplie par les gestes critiques, qui redéfinissent la physionomie du passé littéraire selon les besoins politiques du présent [26].

Comme tout phénomène symbolique, les politiques de la littérature ne circulent dans la chaîne des représentations d'une société qu'à travers une série de médiations, qui les dotent d'une visibilité et d'une matérialité. Les maisons d'édition, les revues littéraires et les périodiques culturels ne font pas que transmettre des représentations produites par les écrivains, critiques et théoriciens: ils en produisent la signification. Par exemple, la querelle d'après-guerre sur la responsabilité de l'écrivain ne peut se comprendre sans la rivalité entre des revues littéraires émergentes, qu'accentue au demeurant une crise éditoriale: ce sont Les Temps modernes, fondés en 1945 et accueillis par les éditions Gallimard, dont La Nouvelle Revue française venait d'être interdite pour collaborationnisme, qui servent de tribune à Sartre; c'est Critique, revue mise sur pied par Georges Bataille en 1946 aux éditions du Chêne, brièvement reprise par Calmann-Lévy avant de passer aux éditions de Minuit, qui accueille la réplique violente de Maurice Blanchot à la doctrine de la littérature engagée; c'est La Table Ronde, créée en 1948, qui fait paraître, en plus de «Jean-Paul Sartre et le suicide de la littérature» de Thierry Maulnier, le pamphlet Paul et Jean-Paul de Jacques Laurent, réédité aussitôt par les éditions Grasset, qui avaient été mises en cause dans les procès de l'épuration. Les stratégies des éditeurs et les effets de la concurrence dans le champ des revues doivent être pris en compte en ce qu'ils déterminent la signification des textes. Ainsi, avant même de signer le Manifeste des 121 en septembre 1960, les écrivains du Nouveau Roman bénéficient de la réputation politique des éditions de Minuit, apparues pendant l'Occupation nazie, qui publient des essais et témoignages dénonçant la torture en Algérie, dont plusieurs sont saisis par la justice française. Grâce à la double ligne éditoriale de son principal éditeur, la modernité esthétique du Nouveau Roman se trouve associée à une entreprise de subversion politique, sans que ne soit pourtant reconduit le modèle sartrien de l'écrivain engagé [27]. Quelques années plus tard, les travaux des Formalistes russes se chargent d'une dimension politique à travers deux médiations principales: d'une part, la revue Tel Quel, qui amorce à ce moment un rapprochement avec le Parti communiste français, accueille l'anthologie préparée par Tzvetan Todorov dans sa collection aux éditions du Seuil; d'autre part, l'anthologie fait l'objet d'une réception enthousiaste dans des périodiques communistes comme Les Lettres françaises et La Nouvelle Critique, qui, à la veille du Congrès d'Argenteuil, y trouvent le moyen de s'éloigner du jdanovisme sans rompre avec la tradition intellectuelle de l'URSS [28]. Rendre raison de l'existence sociale des politiques de la littérature exige de s'appuyer sur la sociologie historique de l'édition et de la presse [29].

Si les politiques de la littérature émanent du champ littéraire, elles supposent aussi l'appropriation de certaines représentations qui circulent dans l'espace social et qui structurent l'imaginaire politique. Pour définir ces systèmes exogènes qui font l'objet d'une transposition dans le domaine littéraire, on parlera de «grammaires politiques», en entendant par là un ensemble de règles qui organisent la convergence des représentations, des pratiques et des expériences des acteurs politiques [30]. Ainsi, que l'on prenne comme modèle de l'écrivain engagé le militant bolchévique qui se veut la conscience éclairée des masses ouvrières (comme Henri Barbusse à la fin des années 20), le résistant français à l'occupation allemande qui se porte à la défense de la liberté de ses compatriotes (à l'instar de Jean-Paul Sartre à la Libération), le jeune casseur qui trouble les défilés syndicaux et provoque les forces de l'ordre (à l'exemple de Christophe Hanna aujourd'hui), la fonction politique de la littérature sera conçue tout autrement, de même que les moyens esthétiques assurant l'efficacité de son intervention dans l'espace public. Les acteurs du champ littéraire importent et adaptent des logiques d'action, des formes de rationalité et des principes de justice pour exposer et justifier en termes politiques leur conception de la littérature et les modalités de son intervention publique. Aussi, pour comprendre l'émergence des politiques de la littérature dites textualistes au sein des revues Tel Quel ou Change, il ne suffit pas de constater la perte d'influence du modèle sartrien de la littérature engagée après la Guerre d'Algérie ni d'évoquer la montée en puissance du paradigme structuraliste dans les milieux intellectuels. Il importe de les situer en regard d'une «grammaire de la contestation» qui se cristallise au cours des années 60 et que consolident les années 70, marquée par le passage d'une critique de l'exploitation à une critique de l'aliénation engendrée par les sociétés capitalistes [31]. La formule célèbre de Michel de Certeau selon laquelle, en Mai 68, «on a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789» confirme la primauté accordée à l'ordre symbolique dans la critique de la société capitaliste. Les politiques de la littérature de Tel Quel et Change assimilent cette nouvelle grammaire de la contestation, qui déroge à l'orthodoxie communiste en subordonnant la transformation de l'ordre économique à la remise en cause de l'ordre symbolique, et y trouvent la justification d'un travail textuel dont la dimension critique vise moins à dévoiler les injustices qui caractérisent le monde social qu'à mettre au jour les formes linguistiques de l'assujettissement et de l'oppression. L'historicité des politiques de la littérature s'enracine donc dans l'historicité des grammaires politiques. Et c'est en empruntant aux grammaires politiques que les politiques de la littérature parviennent à articuler le «régime de singularité» de l'art, qui exalte l'individualité, l'originalité, l'exceptionnalité, et le «régime de communauté» de la politique, qui privilégie la collectivité, la conformité, le nombre [32].


Depuis l'affaire Dreyfus: les moments d'une histoire

Une histoire culturelle des politiques de la littérature, telle qu'on vient d'en esquisser le programme, ne peut faire l'économie d'une opération d'organisation et de découpage afin d'établir une périodisation qui tienne compte des événements, des conjonctures et des structures. Cependant, dans une telle histoire, la périodisation ne peut être entièrement «endogène», puisque les changements dont elle porte trace ne sont pas tous spécifiques à la littérature pas plus qu'ils ne se déroulent dans le seul champ littéraire [33]. Par ailleurs, pour éviter de succomber à la tentation de l'essentialisme, on cherchera à en identifier les «moments» plutôt que les «époques». Ces moments, qui se chevauchent plus souvent qu'ils ne se succèdent, se définissent moins par un ensemble de caractères homogènes, à l'instar d'un Zeitgeist, que par une série de problèmes à partir desquels peuvent être repérées des positions différentes [34]. Ce qui donne à ces moments leur physionomie est un faisceau de questionnements et d'interrogations partagés par les acteurs du champ littéraire, face auxquels sont expérimentés des réponses et des répliques multiples, souvent divergentes. Pour chaque moment, la tâche de l'historien consiste à expliciter les politiques de la littérature en présence, mais encore et surtout à dégager les problèmes communs, à la fois esthétiques et politiques, à partir desquels elles promeuvent des représentations concurrentes de la fonction de la littérature dans l'espace public et dans le monde social. De manière schématique, on peut identifier quatre moments distincts dans cette histoire, à condition de reconnaître qu'une telle périodisation est sujette à révision [35].

Au regard de l'objet qui est le nôtre, on ne peut contester que le xxe siècle français s'ouvre avec l'affaire Dreyfus. Certes, la décennie précédente a été un laboratoire exceptionnel, notamment durant l'ère des attentats anarchistes, où de nombreux symbolistes, dont Mallarmé, se sont portés à la défense des poseurs de bombes, expérimentant une alliance jusqu'alors inédite entre radicalité esthétique et radicalité politique, qui sera réactualisée par les avant-gardes des années 20 et 30, notamment dans les rangs du surréalisme. Mais c'est bel et bien l'affaire Dreyfus qui donne naissance à la figure de l'intellectuel en la personne d'Émile Zola. Dénonçant dans L'Aurore l'injustice commise à l'endroit du capitaine Dreyfus, allant jusqu'à prendre à partie le chef de l'État et l'ensemble de la classe politique, le romancier des Rougon-Macquart appuie son intervention polémique dans les affaires de la cité sur l'autorité acquise dans un autre domaine d'activité, en l'occurrence la littérature [36]. Le principal idéologue des antidreyfusards, Maurice Barrès, qui considère Zola et les intellectuels comme des déracinés, fonde lui aussi ses interventions politiques sur sa notoriété littéraire. C'est que l'affaire Dreyfus est l'occasion d'un nouveau «sacre de l'écrivain», rendu possible par l'idéologie de la Troisième République, qui situe la littérature au cœur des représentations de la nation. Grâce à la démocratisation de l'enseignement de la littérature, l'école républicaine a réintroduit les écrivains dans l'élite nationale et augmenté d'autant leur autorité dans l'espace public. Si l'affaire Dreyfus est un événement fondateur dans l'histoire des politiques de la littérature, c'est qu'elle manifeste le pouvoir sur l'opinion qui est désormais attribué aux écrivains dans une «nation littéraire» comme la France. Tous les moments ultérieurs de l'histoire des politiques de la littérature porteront d'ailleurs l'empreinte de cette conception républicaine qui assigne à la littérature la fonction d'incarner et de défendre les valeurs fondatrices de la communauté. Toutefois, la nature de ces valeurs restera controversée tout au long du siècle, tout comme l'identité de cette communauté. C'est ce qu'illustre déjà lors de l'affaire l'antagonisme entre les idéaux universalistes de Zola (vérité, justice, raison) et les valeurs particularistes (ordre, instinct, tradition) que Barrès associe à la voix des ancêtres et aux leçons de la terre, antagonisme qui structurera sous une autre forme La Trahison des clercs de Julien Benda en 1927, qui accuse les intellectuels d'avoir trahi leur mission spirituelle au profit d'engagements partisans. Mais que l'écrivain et ses œuvres puissent agir sur le destin de leur communauté, les clercs n'en douteront plus jusqu'à la fin du siècle.

Dans l'histoire des politiques de la littérature, l'héritage de l'affaire Dreyfus est paradoxal: provoquant une politisation durable du statut d'écrivain, elle favorise néanmoins l'autonomie du champ littéraire. Car c'est bien l'indépendance des écrivains face aux pouvoirs politiques, économiques et religieux qui assure leur libre intervention comme intellectuels. L'itinéraire d'André Gide est exemplaire à cet égard, qui respecte scrupuleusement la règle énoncée par Jacques Rivière au lendemain de la Grande Guerre: pour éviter la «contamination» des «opinions littéraires» et des «croyances politiques», les intellectuels doivent être «à la fois des écrivains sans politique et des citoyens sans littérature [37]». La figure de l'intellectuel permet en effet de considérer la littérature et la politique comme des activités séparées. Si cette représentation de l'écrivain convient à nombre d'écrivains de gauche pendant l'entre-deux-guerres, elle ne parvient pas à s'imposer dans les milieux de la droite conservatrice, par exemple à L'Action française, où l'on considère que la littérature doit se refuser à la tour d'ivoire et que les œuvres doivent être mises au service d'une grandeur nationale blessée par la défaite de 1870 et fragilisée par le premier conflit mondial. Cette représentation sera aussi récusée par les communistes dès la fin des années 20. Mort de la pensée bourgeoise d'Emmanuel Berl et Les chiens de garde de Paul Nizan s'en prennent aux intellectuels dont les prétentions universalistes reconduisent les valeurs de la bourgeoisie et légitiment sa domination. Au même moment, le débat sur la littérature prolétarienne, auquel prennent part des écrivains aussi différents qu'André Malraux et Henry Poulaille, André Breton et Henri Barbusse, vise à déterminer si l'écrivain en faveur d'une révolution sociale peut se contenter de n'engager que sa personne ou s'il doit engager aussi son œuvre, c'est-à-dire soumettre les produits de son activité esthétique à des impératifs politiques [38]. L'autonomie de la littérature se trouve ainsi menacée aussi bien dans le camp de la droite nationaliste, qui se porte à la défense d'un ordre moral traditionnaliste, que dans celui de la gauche communiste, qui attend une régénération de la société. L'avant-garde surréaliste, qui réclame la plus complète liberté de l'art en même temps qu'elle affirme sa solidarité avec le prolétariat, ne parvient à échapper à cette polarisation idéologique, que renforcent la «montée des périls» et l'affrontement des anticommunistes et des antifascistes au cours des années 30, qu'en renouant avec l'anarchisme libertaire de ses débuts [39]. Si l'affaire Dreyfus manifestait le droit des écrivains à se mêler de politique, c'est le droit de la politique à légiférer en matière de littérature qui occupe l'essentiel des débats de l'entre-deux-guerres.

Au lendemain de la défaite de 1940 éclate la «querelle des mauvais maîtres [40]», qui témoigne du prestige symbolique dont bénéficient toujours les écrivains en regard du destin de la nation. Acquis à la révolution conservatrice prônée par le régime de Vichy, des écrivains et des critiques identifient les coupables de la débâcle française chez les défenseurs de la «littérature pure» de l'entre-deux-guerres, qui auraient perverti la jeunesse. Camille Mauclair en appelle à un «assainissement littéraire» qui seul permettra de rompre avec une «mentalité de vaincus [41]». Or le troisième moment de l'histoire des politiques de la littérature du xxe siècle français advient à la Libération, quand se répète cette «querelle des mauvais maîtres» à l'autre extrémité de l'échiquier politique. Les écrivains et critiques engagés de près ou de loin dans la résistance littéraire mettront en cause aussi bien les défenseurs de l'art pour l'art, notamment au sein de La Nouvelle Revue française, que les porte-parole de la droite nationaliste, qu'ils se soient compromis ou non avec l'occupant. Bien au-delà de l'épuration littéraire, le thème de la responsabilité des écrivains agite le champ littéraire, comme l'illustrent La France byzantine de Julien Benda ou Babel de Roger Caillois. Mais c'est Sartre qui parviendra à dépasser l'antinomie, héritée de l'entre-deux-guerres, entre la responsabilité et la liberté de l'écrivain, c'est-à-dire entre son engagement au service de la cité et son indépendance à l'égard des pouvoirs et des partis. La responsabilité éthique et politique de la littérature, soutiendra Sartre, est de rendre manifeste la liberté des hommes. Les détracteurs de la doctrine des Temps modernes, du moins à gauche, respecteront pour l'essentiel les termes de l'équation. En 1947 et 1948, dans «Le règne animal de l'esprit» et «La littérature et le droit à la mort», Maurice Blanchot, sous influence hégélienne, réitère la convergence de la responsabilité et de la liberté, mais en en l'exemplifiant dans la Terreur révolutionnaire de 1793 plutôt que dans la résistance à l'occupation nazie. Au cours des années 50, Le degré zéro de l'écriture de Roland Barthes et La littérature et le mal de Georges Bataille s'approprient eux aussi les termes de l'équation sartrienne et promeuvent respectivement une «responsabilité de la forme», qui seule assure la liberté de la littérature, et une «hypermorale» de la littérature, fondée sur la transgression et la dépense. Seuls les écrivains de droite, comme les Hussards, se portent à la défense de l'art pour l'art et récusent l'alliance de la liberté esthétique et de la responsabilité historique scellée depuis la Libération. Ceux qui restent fidèles aux positions de l'entre-deux-guerres sont rares: Jean Paulhan, figure de proue de la résistance littéraire, exige toujours que l'on distingue l'engagement de l'écrivain, dont son propre itinéraire est exemplaire, et l'engagement de la littérature, qui dénature les œuvres d'art en les asservissant à des finalités politiques.

S'il est vrai que l'affaire Dreyfus a provoqué une politisation durable du champ littéraire français dont les effets se sont exercés sur tout le siècle, que la Grande Guerre et la Révolution d'Octobre ont structuré les débats sur les rapports de la politique et de la littérature pendant les années 20 et 30, et que l'Occupation et la Résistance ont imposé le thème de la responsabilité de l'écrivain, il est légitime de croire que les «années 68», en amont et en aval des événements de Mai, inaugurent un quatrième moment dans l'histoire des politiques de la littérature du xxe siècle français. Sous l'effet de la modernisation intellectuelle induite par le développement des sciences humaines, des écrivains, critiques et théoriciens réactivent peu à peu les valeurs de radicalité et d'expérimentation qui caractérisaient les avant-gardes du début du siècle et les soumettent à un idéal d'émancipation fondée sur la résistance à l'assujettissement idéologique. Au lieu de concevoir la littérature comme un «appel démocratique à l'ensemble de la communauté [42]», on la définira comme un lieu de déconstruction des langages qui saturent l'espace social. La portée politique des œuvres, des Mythologies de Roland Barthes à La révolution du langage poétique de Julia Kristeva, de Pour un Nouveau Roman d'Alain Robbe-Grillet à Mille Plateaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari, sera mesurée à la capacité de contourner et de détourner les réseaux de signes, d'images et de représentations qui inscrivent le pouvoir dans la vie quotidienne. Pour les uns, comme c'est le cas pour les théoriciens de Tel Quel, l'œuvre littéraire sera d'autant plus critique des idéologies qu'elle sera close sur elle-même, repliée comme un hérisson, autotélique et autoréférentielle. Pour les autres, notamment autour de la revue Change, sa puissance viendra de sa capacité à faire événement dans le corps social, à produire des agencements collectifs d'énonciation qui manifestent la puissance créatrice des formes symboliques, à monter des machines de guerre qui ouvrent aux sujets aliénés de nouveaux devenirs. Dans sa Leçon au Collège de France, Roland Barthes résume le principe commun de ces politiques de la littérature de l'après-Mai: «“Changer la langue”, mot mallarméen, est concomitant de “Changer le monde”, mot marxien [43].» C'est le travail sur le langage, indissociable des formes de vie et des processus de subjectivation, qui fonde désormais la puissance politique de la littérature. Pendant encore deux, voire trois décennies, des philosophes comme Gilles Deleuze, Jean-Luc Nancy ou Jacques Rancière attribueront à la littérature le pouvoir de désigner le «peuple à venir», la «communauté désœuvrée» ou la «communauté des sans-part», s'inscrivant à la fois dans la continuité des esthétiques idéalistes nées du romantisme allemand et dans le sillage des politiques de la littérature apparues au cours des «années 68».


En guise de conclusion, il n'est pas inutile de synthétiser les définitions proposées et les hypothèses avancées. Les politiques de la littérature sont des systèmes de représentations à travers lesquels les acteurs du champ littéraire négocient, selon différentes opérations symboliques et imaginaires, les rapports de distance et de proximité qui définissent la relation de la littérature à l'espace public et au monde social. Ancrées dans les tensions et rivalités qui traversent un champ littéraire doté d'une relative autonomie, n'existant qu'en relation les unes avec les autres, elles se caractérisent par des désaccords sur les notions d'auteur, de lecteur, de langage et de réalité, ainsi que sur le rapport de la littérature à la société et à l'histoire. En tant que véhicules d'échelles de grandeur, de catégories de perception et de schèmes d'action, les politiques de la littérature structurent non seulement des discours et des pratiques, mais déterminent des lieux de mémoire, soutiennent des entreprises de légitimation, organisent des horizons d'attentes. Elles se matérialisent à travers des pratiques de lecture qui ne cessent de redéfinir le patrimoine des œuvres, se rendent visibles socialement à travers des médiations plurielles et s'arriment à des grammaires politiques dont elles offrent une transposition littéraire. Pour qui adopte une perspective d'histoire culturelle, les politiques de la littérature appartiennent de plein droit à ce vaste ensemble de «représentations, contradictoires et affrontées, par lesquelles les individus et les groupes donnent sens au monde qui est le leur [44]».



Jean-François Hamel




[1] Rappelons-en les principales formulations: «La littérature, cette liberté» [1944], Les Lettres françaises, no15, avril 1944; repris dans Situations, I, éd. A. Elkaïm-Sartre, Paris, Gallimard, 2010 [1947], p.267-269; «Présentation», Les Temps modernes, no1, octobre 1945, repris dans Situations, II, Paris, Gallimard, 1999 [1948], p.7-29; «La nationalisation de la littérature», Les Temps modernes, no2, novembre 1945, repris dans Situations, II, op. cit., p.31-51; «Qu'est-ce que la littérature?», Les Temps modernes, no17, février 1947, no18, mars 1947, no19, avril 1947, no20 mai 1947, no21, juin 1947, no22, juillet 1947, repris dans Situations, II, op. cit., p.53-309; «Écrire pour son époque» [1946], Les Temps modernes, no33, juin 1948, repris dans Michel Contat et Michel Rybalka, Les Écrits de Sartre, Paris, Gallimard, 1970, p.670-676.

[2] Denis Hollier, Politique de la prose. Sartre et l'an quarante, Paris, Gallimard, coll. «Le Chemin», 1982.

[3] Jean-Paul Sartre, Questions de méthode [1957], Critique de la raison dialectique, éd. A. Elkaïm-Sartre, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de philosophie», 1985 [1960], p.59.

[4] Jean-Paul Sartre, Les mots [1964], Les mots et autres écrits autobiographiques, éd. J.-F. Louette, Paris, Gallimard, coll. «Pléiade», 2010, p.132.

[5] Hélène Baty-Delalande, «De l'engagement chez les écrivains avant Sartre: essai de généalogie lexicale», Les Temps modernes, novembre-décembre 2005/janvier 2006, nos635-636, p.207-248.

[6] André Gide, 19 janvier 1948, Journal. 1939-1949,

Paris, Gallimard, coll. «Pléiade», 1955, p.322.

[7] Alain Robbe-Grillet, Pour un Nouveau Roman, Paris, Minuit, 1963, p.33-39.

[8] Jean Ricardou, Problèmes du nouveau roman, Paris, Seuil, coll. «Tel Quel», 1967, p.20.

[9] Gisèle Sapiro, «Du rôle de l'écrivain en temps de crise: la Libération», La responsabilité de l'écrivain. Littérature, droit, morale (xixe-xxie siècle), Paris, Seuil, 2011, p.519-688.

[10] Emmanuel Bouju (dir.), L'engagement littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Interférences littéraires», 2005; Jean Kaempfer, Sonya Florey et Jérôme Meizoz (dir.), Formes de l'engagement littéraire (XVe-XXIesiècles), Lausanne, Antipodes, coll. «Littérature, culture, société», 2006.

[11] Walter Bryce Gallie, «Essentially Contested Concepts», Proceedings of the Aristotelian Society, vol. 56, 1956, p.167-198; Richard Shusterman, L'objet de la critique littéraire, traduit par Nicolas Vieillecazes, Marseille, Questions théoriques, coll. «Saggio Casino», 2009 [1984], p.40-55.

[12] Pierre Bourdieu, Les règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, coll. «Points», 1998 [1992], p.365-368.

[13] Benoît Denis, «Engagement et contre-engagement. Des politiques de la littérature», dans Jean Kaempfer, Sonya Florey et Jérôme Meizoz (dir.), Formes de l'engagement littéraire, op. cit., p.107. Notons que l'expression «politique de la littérature» apparaît aussi sous la plume de Julia Kristeva («Politique de la littérature», Polylogue, Paris, Seuil, coll. «Tel Quel», 1977, p.13-20) et de Jacques Rancière (Politique de la littérature, Paris, Galilée, coll. «La philosophie en effet», 2007), mais dans une autre acception. Chez Kristeva, l'expression désigne une conception des rapports entre la littérature et la politique propre au textualisme français du début des années 70 dont le cœur est la notion de «sujet en procès» et qu'illustrent les écritures d'avant-garde (principalement Lautréamont, Mallarmé, Artaud et Bataille). Quant à Rancière, il emploie l'expression pour identifier un nouage de la littérature et de la politique apparu au tournant des xviiie et xixe siècles, qui bouleverse le «partage du sensible», c'est-à-dire la configuration du dicible, du visible et du pensable qui fait consensus dans l'espace social. Ces deux conceptions constituent des objets davantage qu'une méthode pour l'histoire culturelle des politiques de la littérature telle qu'elle est exposée ici.

[14] C'est la question soumise à Sartre et à ses interlocuteurs par l'Union des étudiants communistes lors d'un débat public à la Mutualité en décembre 1964 (Simone de Beauvoir, Yves Berger, Jean-Pierre Faye, Jean Ricardou, Jean-Paul Sartre et Jorge Semprun, Que peut la littérature? Paris, Union générale d'éditions, coll. «10/18», 1965.)

[15] Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil, coll. «Points», 2001 [1998], p.24-28.

[16] Julien Gracq, En lisant en écrivant, Paris, José Corti, 1980, p.214.

[17] Albert Thibaudet, Histoire de la littérature française, Paris, CNRS, 2007 [1936], p.76.

[18] Laurent Jenny, La fin de l'intériorité. Théorie de l'expression et invention esthétique dans les avant-gardes françaises (1885-1935), Paris, Presses universitaires de France, coll. «Perspectives littéraires», 2002, p.7. On notera que les considérations théoriques qui ouvrent l'essai de Jenny prennent la forme d'une discussion critique des propositions de Jacques Rancière sur l'idée de littérature et son évolution depuis deux siècles (La parole muette. Essai sur les contradictions de la littérature, Paris, Hachette, coll. «Littératures», 1998).

[19] Roland Barthes, «Littérature et signification» [1963], Essais critiques [1964], Œuvres complètes, II: 1962-1967, éd. É. Marty, Paris, Seuil, 2002, p.515.

[20] C'est la définition de l'histoire culturelle la plus communément admise: Pascal Ory, «L'histoire culturelle de la France contemporaine. Question et questionnement», Vingtième siècle. Revue d'histoire, vol. 16, no1, 1987, p.68. Pour un bilan historiographique de ce courant, on consultera Philippe Poirrier, Les enjeux de l'histoire culturelle, Paris, Seuil, coll. «Points», 2004.

[21] Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, coll. «Points», 2000 [1990], p.35.

[22] Sur les usages politiques de Mallarmé, je me permets de renvoyer à mon Camarade Mallarmé. Une politique de la lecture, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2014.

[23] Jean-Marie Goulemot, «La lecture comme production de sens», dans Roger Chartier (dir.), Pratiques de la lecture, Paris, Payot, coll. «Petite bibliothèque», 2003 [1985], p.119-131.

[24] Stanley Fish, Quand lire, c'est faire. L'autorité des communautés interprétatives, traduit par É. Dobenesque, Paris, Les Prairies ordinaires, coll. «Penser/croiser», 2007 [1980].

[25] Jean-Pierre Morel, «L'Enquête de Monde et ses enjeux», Le roman insupportable. L'Internationale littéraire et la France (1920-1932), Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque des idées», 1985, p.208-240; Marc Angenot, «Révolutionnaires et précurseurs», La critique au service de la révolution, Louvain, Peeters, 2000, p.295-320.

[26] Eric Hobsbawm et Terrence Ranger (dir.), L'invention de la tradition, traduit par Ch. Vivier, Paris, Amsterdam, 2012 [1983]; Judith Schlanger, La mémoire des œuvres, Lagrasse, Verdier, 2008 [1992]; Yves Citton, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi des études littéraires?, Paris, Amsterdam, 2007.

[27] Anne Simonin, «La littérature saisie par l'histoire. Nouveau Roman et Guerre d'Algérie aux éditions de Minuit», Actes de la recherche en sciences sociales, nos111-112, 1996, p.59-75.

[28] Frédérique Matonti, «L'Anneau de Mœbius. La réception en France des formalistes russes», Actes de la recherche en sciences sociales, nos176-179, 2009, p.52-67; «La politisation du structuralisme. Une crise dans la théorie», Raisons politiques, no18, 2005, p.49-71.

[29] À propos des exemples précédemment convoqués, sans prétention d'exhaustivité, voir Roger Chartier et Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l'édition française, IV. Le livre concurrencé, 1900-1950, Paris, Fayard / Le Cercle de la librairie, 1991; Bruno Curatolo et Jacques Poirier, Les revues littéraires au xxe siècle, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, coll. «Le texte et l'édition», 2002; Alban Cerisier, Une histoire de La NRF, Paris, Gallimard, 2009; Anna Boschetti, Sartre et «Les Temps modernes». Une entreprise intellectuelle, Paris, Minuit, coll. «Le Sens commun», 1985; Patrick Louis, La Table Ronde. Une aventure singulière, Paris, La Table Ronde, 1992; Sylvie Patron, Critique, 1946-1996. Une encyclopédie de l'esprit moderne, Paris, Éditions de l'IMEC, 1999; Anne Simonin, Les Éditions de Minuit, 1942-1995. Le devoir d'insoumission, Paris, IMEC, 1994; Philippe Forest, Histoire de Tel Quel (1960-1982), Paris, Seuil, «Fiction & Cie», 1995.

[30] Sur la notion de grammaire en sociologie: Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, coll. «NRF Essais», 1991; Mohamed Nachi, Introduction à la sociologie pragmatique, Paris, Armand Colin, coll. «Cursus», 2006.

[31] Bernard Brillant, «Grammaire de la contestation», Les clercs de 68, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Le Nœud gordien», 2003, p.505-536; Michel Feher, «Mai 68 dans la pensée», dans Jean-Jacques Becker et Gilles Candar (dir.), Histoire des gauches en France. 2. XXesiècle: à l'épreuve de l'histoire, Paris, La Découverte, 2004, p.599-623.

[32] Sur la tension entre ces régimes de valeur antagonistes: Nathalie Heinich, Ce que l'art fait à la sociologie, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 1998.

[33] Emmanuel Bouju, «Achille et la tortue: quelques considérations (intempestives) sur la périodisation de la littérature», dans Francine Dugast et Michèle Touret (dir.), Le temps des lettres: quelles périodisations pour l'histoire de la littérature française du vingtième siècle?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Interférences», 2001, p.45-54.

[34] On doit aux travaux de Frédéric Worms l'élaboration, dans le domaine de l'histoire de la philosophie, de la notion de «moment» («Au-delà de l'histoire et du caractère, l'idée de philosophie française: le moment 1900 et la première guerre mondiale», Revue de métaphysique et de morale, no3, 2001, p.63-82; «Le moment philosophique des années soixante en France. De la structure à la différence», Esprit, no5, 2008, p.115-130; La Philosophie en France au xxe siècle. Moments, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 2009).

[35] La périodisation des politiques de la littérature que je propose doit beaucoup, comme l'ensemble de ma réflexion, à Benoît Denis, Littérature et engagement. De Pascal à Sartre, Paris, Seuil, coll. «Points», 2000. Je renvoie aussi aux diverses contributions de Gisèle Sapiro citées précédemment et surtout à son article «De l'usage des catégories de “droite” et de “gauche” dans le champ littéraire», (Sociétés et représentations, no11, 2001, p.19-53.)

[36] Christophe Charle, «Champ littéraire et champ du pouvoir. Les écrivains et l'affaire Dreyfus», Annales. Économies, sociétés, civilisations, vol. 32, no2, 1977, p.240-264; et Naissance des «intellectuels». 1880-1900, Paris, Minuit, coll. «Le sens commun», 1990. Voir aussi Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, Les intellectuels en France. De l'affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Perrin, coll. «Tempus», 2004 [1986]; Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises. Manifestes et pétitions au xxe siècle, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1996 [1990]; Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Paris, Seuil, coll. «Points», 2006 [1997].

[37] Jacques Rivière, «La Nouvelle Revue française», La Nouvelle Revue française, no69, 1er juin 1919, p.10-11.

[38] Jean-Michel Péru, «Une crise du champ littéraire français. Le débat sur la “littérature prolétarienne” (1925-1935)», Actes de la recherche en sciences sociales, no89, 1991, p.47-65.

[39] Carole Reynaud Paligot, Parcours politique des surréalistes, Paris, CNRS Éditions, 2010 [2001].

[40] André Rousseaux, «C'est la faute à Voltaire ou la querelle des mauvais maîtres», Le Figaro, 8 septembre 1940. Sur cette polémique, voir Wolfgang Babilas, «La querelle des mauvais maîtres», La littérature française sous l'Occupation, Reims, Presses universitaires de Reims, 1989, p.197-226; Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains. 1940-1953, Paris, Fayard, 1999, p.161-207.

[41] Camille Mauclair, «Pour l'assainissement littéraire», La Gerbe, no26, 2 janvier 1941.

[42] Jean-Paul Sartre, Qu'est-ce que la littérature?, op.cit., p.248.

[43] Roland Barthes, Leçon [1978], Œuvres complètes, V. 1977-1980, éd. É. Marty, Paris, Seuil, 2002, p.436.

[44] Roger Chartier, «Le monde comme représentation», Annales. Économies, sociétés, civilisations, vol. 44, no6, novembre-décembre 1989, p.1508.



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Dernière mise à jour de cette page le 30 Juin 2014 à 21h54.