Atelier



Antoine Compagnon, Université Paris IV-Sorbonne, Columbia University



L'ACI «L'histoire littéraire des écrivains» a réuni sa première journée d'études le 10 juin 2005, sous le titre «1902-1914, la première guerre des humanités modernes». Pour commencer, quelques mots s'imposaient sur le projet de recherche lui-même, puis sur le thème choisi pour la première réunion, avant d'examiner la position des écrivains, et notamment de Barrès, dans les débats de l'avant-guerre sur le latin et le français.

L'histoire littéraire des écrivains

Le but de ce programme de recherche pour les années 2004-2007 est d'étudier l'histoire littéraire des écrivains au xxe siècle, c'est-à-dire d'observer les relations qui ont pu exister entre l'histoire créatrice de la littérature et l'histoire professionnelle de la littérature. Deux traditions littéraires coexistent en effet: la littérature est transmise par la littérature, et la littérature est transmise par l'Université, au sens large ou napoléonien du terme, allant du primaire au supérieur. On se propose d'observer la manière dont les écrivains – par exemple Gide dans son Journal, ou Barrès et Valéry dans leurs Cahiers – conçoivent leur intervention dans le champ littéraire à travers le récit qu'ils se font de l'histoire de la littérature, pensent le mouvement des Lettres dans une construction qui entre en relation de concurrence et de complémentarité avec l'histoire littéraire savante ou institutionnelle, celle des professeurs. On centrera la réflexion sur le jeu de l'histoire ou de la mémoire littéraire des écrivains et de l'histoire littéraire savante à l'âge de son empire scolaire, sur la perception de l'histoire et sur la construction de la périodisation par les écrivains. S'intéresser à l'histoire des écrivains permettra d'observer les différentes temporalités de la vie littéraire et les façons diverses dont la littérature moderne a été racontée par ses acteurs. Cela introduira aussi une réflexion sur la mémoire de la littérature dans la littérature, par exemple dans la Recherche du temps perdu de Proust, mais aussi dans bien d'autres œuvres.

La réforme de 1902

Pourquoi commencer par l'année 1902? Il s'agit d'un moment crucial, d'un tournant dans l'histoire de l'école en France et, du coup, dans l'histoire de la France littéraire, avec l'institution de l'égalité de sanction entre les humanités modernes et les humanités classiques dans le secondaire. Dès lors, l'entrée dans les facultés de droit, de médecine et des lettres est autorisée aux titulaires d'un baccalauréat moderne. La réforme de 1902 annonce en quelque sorte la fin de la littérature française réalisée par des écrivains familiers du latin, ce qui a toujours été le cas jusque-là, à de rares exceptions près.

Que 1902 ait été un tournant, c'est une idée fixe d'Albert Thibaudet, qui notait par exemple en 1927: «Si on me demandait quand a commencé le xxe siècle, j'en placerais les débuts dans les cinq ans qui vont de 1902 à 1907 et qui sont marqués, orientés par un fait pédagogique: la réforme universitaire de 1902; un fait politique: la chute de Delcassé après l'accord franco-anglais; un fait intellectuel, le bergsonisme devenu “philosophie nouvelle”[i]

Cette thèse est reprise dans son Histoire de la littérature française posthume, où elle devient un principe d'explication de la littérature contemporaine: «En 1902, l'enseignement secondaire, tel qu'il s'était transmis des Jésuites à l'Université du xviiie siècle et de celle-ci à l'Université du xixe siècle, change de caractère. Le latin et surtout le grec sont plus ou moins déclassés, et les langues anciennes, la formation humaniste ne constituent plus la marque nécessaire et éminente de la culture. La démocratie coule à pleins bords dans les cadres pédagogiques. L'expression d'humanités modernes entre en faveur[ii]

Le surréalisme a été le premier mouvement littéraire issu du moderne, et c'est sans doute une des raisons pour lesquelles il n'enthousiasmait guère Thibaudet. André Breton, né en 1896, entré en 1907 au collège Chaptal dans une section sans latin, avec allemand première langue et anglais deuxième langue, est devenu étudiant à la faculté de médecine en 1913 (PCN), ce qui eût été impossible avant 1902. Aucun auteur latin ne figurera parmi les précurseurs du surréalisme dans le Manifeste en 1924. Aragon, né en 1897, élève au lycée Carnot, a passé, lui, le bac latin-sciences, avant de rejoindre la faculté de médecine. Mais plusieurs écrivains marquants de l'entre-deux-guerres ne sont plus passés par les humanités classiques, de Malraux à Céline.

La réforme de 1902 succédait à une série de réformes du secondaire plus ou moins durables et réussies depuis le second Empire. La première avait été la «bifurcation» instaurée par Fortoul en avril 1852. Ministre de l'Instruction publique du 3 décembre 1851 au 7 juillet 1856, il créa une section scientifique distincte de la section littéraire à partir de la classe de quatrième, sans latin, avec langue vivante. Mais cette innovation, honnie par les professeurs, fut vite abandonnée.

Victor Duruy créa en 1865 l'«enseignement spécial», de type appliqué, mais qui ne se terminait par aucune sanction ouvrant à d'autres études (Ernest Lavisse rappellera l'histoire de l'enseignement spécial dans sa déposition devant la commission Ribot en 1899).

Jules Ferry instaura le baccalauréat spécial (décrets des 4 août 1881 et 28 juillet 1882), qui donnait le droit de se présenter aux examens de la licences ès sciences, et autorisait l'accès aux grandes écoles. Devenu le baccalauréat moderne en 1886 – par opposition au baccalauréat classique –, il n'ouvrait toutefois pas aux professions libérales, puisqu'il ne permettait pas d'entrer dans les facultés de droit, de lettres et de médecine.

Léon Bourgeois, ministre de l'Instruction publique de mars 1890 à décembre 1892 dans le cabinet Freycinet, puis de juin à novembre 1898 dans le cabinet Brisson, créa l'enseignement moderne par le décret du 4 juin 1891, qui transformait l'enseignement spécial en «enseignement secondaire moderne». La suppression de la division en deux cycles de trois années chacun de l'enseignement spécial faisait du nouvel enseignement moderne un tout, à l'instar de l'enseignement classique; mais cet enseignement moderne avait une année de moins que l'enseignement classique menant au bac ès lettres, qui exigeait sept années de scolarité: le bac moderne était donc par définition un bac dévalorisé.

Bourgeois, défendant son enseignement moderne en 1899, lors de la préparation à la Chambre de la réforme de 1902, l'appela «un enseignement vraiment libéral, sans lettres anciennes[iii]», et le justifia en ces termes: «On peut être un homme distingué dans ce pays, comme on l'est dans beaucoup d'autres, sans posséder particulièrement la littérature d'Athènes et de Rome[iv].» Ou encore: «Nous n'avons pas cru qu'on pût toujours considérer comme faisant seuls partie de l'aristocratie intellectuelle les esprits préparés par l'étude de l'antiquité[v].» L'hostilité à l'égard des humanités classiques n'était de fait pas absente chez Bourgeois: «La vertu de l'enseignement classique est très grande; je la définis ainsi: il nous donne des idées toutes faites dans des formules parfaites: voilà sa force[vi].» Mais l'ancien ministre ne semblait pas convaincu que ces idées-là s'accordassent toujours à la civilisation actuelle. En tout cas, précisait-il, «la crainte d'une diminution du patrimoine intellectuel de la France par la diminution du nombre des élèves classiques m'a toujours semblé tout à fait chimérique. / À mon avis, le patrimoine de la France est assez riche pour que notre race puise en elle-même des raisons de persévérer dans les voies glorieuses de son génie[vii]

Il semble donc assez clair que l'inventeur de l'enseignement moderne, bientôt un des fondateurs du parti radical, n'était pas un partisan des lettres anciennes ni des études gréco-latines: «Pour moi, j'avoue sincèrement que c'est à la Comédie-Française que j'ai entièrement compris la tragique grandeur d'Œdipe-Roi. Et cependant nous avons les uns et les autres fait ce qu'on appelle de bonnes études classiques[viii]

Mais les familles ne suivirent pas. Elles résistaient notamment à l'obligation des deux langues vivantes (anglais et allemand en principe), et l'enseignement moderne suivant Bourgeois ne fut pas un succès. D'autre part, l'enseignement primaire supérieur n'avait pas non plus remplacé l'enseignement spécial dans sa vocation appliquée. La réforme de Bourgeois s'était donc soldée par une hausse des effectifs de l'enseignement libre, qui s'était adapté à la demande des familles, tandis que les chiffres stagnaient, ou même baissaient, dans l'enseignement public. Ce fut cette tendance qui inquiéta les républicains, radicaux et modérés, et qui motiva le projet de réforme du ministère et l'enquête parlementaire de 1899.

La Commission de l'enseignement de la Chambre des députés fut chargée le 12 décembre 1898 d'une enquête sur la crise de l'enseignement secondaire. Elle était présidée par Alexandre Ribot (1842-1923), avocat et magistrat qui avait entamé une carrière politique en 1878. Député du Pas-de-Calais, ancien et futur président du Conseil, il était un des chefs du parti républicain modéré et un poids lourd du régime[ix].

Le ministre de l'Instruction publique était Georges Leygues, successeur de Léon Bourgeois dans les cabinets Charles Dupuy et Waldeck-Rousseau (1er novembre 1898–7 juin 1902), après avoir déjà détenu ce portefeuille en 1894–1895. C'était lui aussi un avocat, maire de Villeneuve-sur-Lot depuis 1882, député du Lot-et-Garonne depuis 1885, franc-maçon, opposé à toute tentative de politisation de l'enseignement.

La réforme du secondaire n'était sans doute pas un enjeu capital de la vie politique du tournant des siècles, mais elle se déroula dans un climat qui préludait à la séparation, et on peut sans doute aussi la considérer comme une moyen, de la part de modérés comme Ribot, d'éviter de remettre en cause de la loi Falloux comme le réclamaient les radicaux.

La commission Ribot accomplit un travail remarquable. Plutôt centriste, attachée à l'enseignement public, mais sans intransigeance, elle se réunit du 17 janvier au 27 mars 1899 et enregistra cent quatre-vingt-seize dépositions au cours de trente-huit séances. Sept anciens ministres furent entendus, une vingtaine d'académiciens et de professeurs au Collège de France, des agents de l'Instruction publique de tous niveaux, tandis que les conseils généraux et les chambres de commerce étaient consultés par écrit. Tous les phares de l'Université et de l'Académie comparurent: Octave Gréard, Marcelin Berthelot, Ernest Lavisse, Henri Wallon, Gaston Paris, Gaston Boissier, Michel Bréal, Jules Lemaitre, Ferdinand Brunetière, Alphonse Aulard, plus Charles Seignobos, Ferdinand Buisson, ainsi que des philosophes et des hommes politiques, tels Émile Combes, Léon Bourgeois, Raymond Poincaré, René Goblet, Gabriel Hanotaux… Les écrivains furent toutefois moins présents que les publicistes, représentes par Brunetière, Lemaitre, René Doumic, Henry Bérenger. L'ensemble des dépositions, accompagnées de statistiques et de rapports, fut publié dans six fort volumes in-4o et plus de 3500 pages.

La crise du secondaire semblait donc liée à l'échec de l'enseignement moderne, alors que les congrégations avaient récupéré la clientèle de l'ancien enseignement spécial. De nombreux professeurs du secondaire, qui avaient résisté à la réforme de 1891, demandaient la suppression du moderne: «Ils voient dans l'abandon du latin le commencement d'une décadence de l'esprit français», notait Ribot[x]. Les professeurs de l'enseignement supérieur étaient plus divisés, de même que les chambres de commerce et les conseils généraux.

Ribot, lui, était partisan de la liberté locale, l'administration «se réserv[ant] le droit de contrôler, d'approuver ou de redresser les propositions qui lui seraient faites». Ses propos révèlent en lui un adepte précoce de la décentralisation de l'éducation nationale: «Ne craignez pas que l'anarchie s'introduise dans les études. La tendance à l'uniformité sera toujours trop forte dans notre pays pour qu'on puisse s'inquiéter de voir dégénérer en confusion cette variété des programmes qui commence à s'imposer, en dépit de la centralisation et des règlements[xi]

Il était d'ailleurs favorable à l'égalité des sanctions, le moderne ayant déjà forcé les portes de Polytechnique et de Saint-Cyr: «Pourquoi l'enseignement moderne n'ouvrirait-il pas, comme l'enseignement classique, les professions libérales, la médecine et le droit[xii]?» La commission, par une seule voix de majorité de ses trente-trois membres, devait toutefois proposer de maintenir l'exigence des langues anciennes pour l'entrée aux facultés de droit et de médecine[xiii].

Parmi les témoins, Lavisse se déclara pour le classique moderne et contesta l'argument de ses adversaires, suivant lesquels il était impossible de bien savoir le français si on n'avait pas étudié le latin: «Quantité de personnes ont étudié le latin, qui écrivent mal le français. D'autre part, il suffit que des écrivains qui n'ont jamais appris le latin écrivent bien le français pour que l'argument soit réfuté. Or, parmi les écrivains contemporains, on en peut citer qui n'ont pas fait d'études latines, comme George Sand et Alexandre Dumas fils. […] Dans notre grande période classique, La Rochefoucauld ne savait pas le latin[xiv].» Il faudra revenir sur ce point, central dans le débat entre partisans du latin et du français du point de vue de la littérature, mais on peut déjà noter que Lavisse n'avait pas beaucoup d'exemples d'écrivains sans latin à citer.

Les avis, dont voici quelques-uns, allèrent en tous sens. Poincaré, progressiste, qui avait été ministre de l'Instruction publique en 1893 et en 1895, n'était pas lui non plus hostile au moderne: «J'accorderais donc volontiers à l'enseignement moderne l'égalité des sanctions[xv].» Mais Paul Leroy-Beaulieu, économiste libéral, qui soutenait que «[l]a grande question qui domine tout, en matière d'instruction, c'est la question du latin[xvi]», s'éleva contre un projet qui visait à «américaniser la France» (la femme de Ribot, cela vaut probablement d'être noté, était américaine).

Brunetière donna un argument laïque et assez sinueux, surprenant de la part de ce défenseur du Vatican, en faveur des lettres anciennes: «[…] ce qui n'est pas tout à fait indifférent dans les temps où nous sommes», les textes classiques, «étant en général antérieurs au christianisme, ont ce grand avantage de n'être pas confessionnels[xvii]». Il se montra en revanche peu disert sur le moderne, qu'il dit ne pas connaître, mais sans se prononcer contre lui. Sa déposition, le 28 janvier 1899, fut suivie de celle de Lemaitre, sur laquelle je reviendrai, parce qu'elle fut une des plus originales.

Victor Bérard, helléniste et radical, milita pour le classique moderne, car, dit-il fermement, l'enseignement classique gréco-latin «est un fossile qui n'est plus de ce monde: il date de l'ancien régime et il a cessé de vivre depuis plus de trente ans»[xix]. Le linguiste Ferdinand Brunot partageait évidemment cet avis: «Il faut laisser mourir ce qui meurt, et l'enseignement gréco-latin tel qu'il existe est fini[xviii].» Gaston Paris, Jaurès, tous des humanistes, non des barbares, étaient prêts au «parricide», comme l'écrivit Charles-Maurice Couyba, député radical et secrétaire de la commission .

L'énorme rapport général de la commission Ribot fut déposé le 16 novembre 1899 sur le bureau de l'Assemblée, puis distribué à tous les députés, mais il chemina ensuite lentement jusqu'à la fin de la législature. Leygues prépara un projet de décret, qu'il soumit au Conseil supérieur de l'Instruction publique. Les choses se précipitèrent alors, et il n'y eut pas le temps d'une discussion au Sénat avant la signature du décret, en raison de l'imminence des élections législatives du printemps de 1902 – le premier tour eut lieu le 27 avril –, où Combes et les radicaux avaient pour programme la suppression de la loi Falloux. Les élections se soldèrent par la victoire de 339 républicains contre 251 candidats pour la droite (avec seulement 200000 voix d'écart sur 11 millions de votants, soit 2 % de l'électorat). Combes, comme on sait, devait aussitôt appliquer durement aux congrégations la loi de 1901 sur les associations et établir le contrôle de l'État sur l'enseignement privé. Dès le 27 juin 1902, par décret, il allait fermer cent vingt-cinq établissements scolaires fondés depuis 1901 par des congrégations autorisées. Le mois suivant, par circulaire, il allait fermer les établissements fondés avant la loi de 1910 par des congrégations autorisées et qui n'avaient pas sollicité d'autorisation.

Dans ce contexte, on conçoit mieux que la réforme de 1902, promulguée in extremis après la victoire des radicaux et radicaux-socialiste, ait pu servir, dans l'intention de ses promoteurs, à prévenir des mesures plus extrêmes. Le ministre Georges Leygues était à l'écoute de hauts fonctionnaires modérés comme Liard et Lavisse. Alors que les dépositions étaient allées dans tous les sens et n'interdisaient aucune décision, le décret fut conforme aux vœux exprimés devant la commission par les grands conseillers de l'Instruction publique. À la Chambre, les débats eurent lieu le 12, 13 et 14 février 1902 et furent assez brefs. Le socialiste Viviani, avocat, s'éleva contre un projet qui abaissait ou détruisait la culture classique, tandis que l'agrégé Jaurès s'était déjà déclaré pour le moderne dans La Petite République du 4 février 1902. Le décret fut promulgué le 31 mai 1902, au dernier jour du cabinet Waldeck-Rousseau, et l'interpellation n'eut lieu au Sénat que le 10 juillet 1902, après le changement de gouvernement, avec Joseph Chaumié à l'Instruction publique, et la réforme y fut alors approuvée par 212 voix contre 51, sur 263 votants.

L'essentiel du décret du 31 mai 1902, arrêté réformant l'enseignement secondaire, fut un nouveau plan d'études de sept années – la même durée des deux côtés, classique et moderne –, divisées en deux cycles, un premier cycle réparti en deux sections, avec ou sans latin, puis un second cycle réparti en quatre groupements: A, latin-grec, B, latin-langues vivantes, C, latin-sciences, D, langues vivantes-sciences.

Leygues, recherchant le consensus, avait évité d'opposer le classique et le moderne: «La destruction de l'enseignement classique serait un crime contre la patrie elle-même, […] Ce sont les humanités qui ont formé notre génie. […] Les humanités seules créent cette atmosphère de moralité supérieure, cette haute probité morale, ces pures vertus civiques dont parle le philosophe et sans lesquelles les démocraties se ruent vers la démagogie, l'anarchie et la mort», s'écriait-il dans un discours prononcé au Sénat le 15 mars 1900[xx].

Il écrivit encore à Ribot, une fois le projet de décret approuvé par le Conseil supérieur de l'Instruction publique: «L'étude de l'antiquité grecque et latine a donné au génie français une mesure, une clarté et une élégance incomparables. C'est par elle que notre philosophie, nos lettres et nos arts ont brillé d'un si vif éclat; c'est par elle que notre influence morale s'est exercée en souveraine dans le monde. Les humanités doivent être protégées contre toute atteinte et fortifiées. Elles font partie du patrimoine national. / L'esprit classique n'est pas, comme quelques-uns l'affirment, incompatible avec l'esprit moderne. Il est de tout temps parce qu'il est le culte de la raison claire et libre, la recherche de la beauté harmonieuse et simple dans toutes les manifestations de la pensée. […] / Mais, depuis l'époque où les études classiques furent organisées dans notre pays, depuis le xviie siècle où elles régnaient sans partage, le monde a marché. […] “On ne peut, sans danger, a dit Descartes, rester étranger aux choses de son temps.” / Jamais le mot du philosophe n'a été plus vrai[xxi]

L'égalité des sanctions entre l'enseignement classique et l'enseignement moderne n'était pas expressément mentionnée dans le décret, alors que la proposition: «Il n'y a qu'un baccalauréat» figurait dans la proposition de Leygues[xxii]. Mais elle allait de soi dès lors que les deux baccalauréats étaient obtenus après le même nombre d'années d'études, et son principe était nettement énoncé dans la lettre de Leygues à Ribot de janvier 1902: «[…] la raison la plus grave qui subsistait de refuser au baccalauréat de l'enseignement moderne les sanctions du baccalauréat classique, disparaît[xxiii].» Leygues niait que les conséquences de cette égalité pussent être nuisibles aux humanités: «Il est clair, d'ailleurs, que certaines études supérieures resteront interdites à certains bacheliers, à raison même de leur genre d'études secondaires. Celui qui n'a pas étudié le grec ne s'inscrira pas comme candidat à la licence de lettres.»

La précision sur l'égalité des sanctions fut introduite par le successeur de Leygues, Joseph Chaumié (1849-1919), lui aussi avocat, maire d'Agen et sénateur du Lot-et-Garonne, détenteur du portefeuille de l'Instruction publique du 7 juin 1902 au 23 janvier 1905, dans les cabinets Combes et Rouvier (c'est lui qui allait mettre en place la réforme de 1904 qui interdit aux congrégations religieuses d'enseigner, suivant la loi du 7 juillet 1904). Après le débat au Sénat de juillet 1902, un décret du 22 juillet 1902 stipula que le baccalauréat «est admis, quelle que soit la mention inscrite sur le diplôme, pour l'inscription dans les Facultés et Écoles d'enseignement supérieur, en vue des grade ou titres conférés par l'État». L'intégration totale de la section moderne dans l'enseignement secondaire était ainsi réalisée, suivant un plan d'études qui ne devait pas beaucoup évoluer jusqu'aux réformes Berthoin et Fouchet de 1959 et 1963, étape suivante de la démocratisation de l'école.

L'alliance des ministres et des grands professeurs de la Sorbonne en faveur du moderne, tandis que les professeurs du secondaire y résistaient, pourrait faire penser que la décision fut dictée par des considérations de classe. L'élite de la République se déclarait pour des sections modernes, mais pour les autres, non pour eux-mêmes et leurs enfants. Pourtant, Ribot, Leygues, Chaumié étaient tous des avocats – ce n'était pas encore La République des professeurs, si cela l'a jamais été –, formés aux humanités classiques, mais partisans du baccalauréat moderne. Or l'un des enjeux les plus passionnés de la réforme était la définition des conditions d'accès à leur propre profession. Leur engagement moderne était donc d'autant plus hardi qu'il les touchait de près.

C'est pourquoi la réforme de 1902 se comprend mieux comme une manœuvre pour éviter la mise en cause de la loi Falloux. Si ce fut une de ses motivations, l'échec fut patent, car, sous Combes, les attaques contre l'enseignement libre reprirent aussitôt de plus belle. Ribot sera hostile à l'article de loi défendant d'enseigner aux membres des congrégations non autorisées; il interpellera à ce sujet le gouvernement, mais sans succès. Il prit ensuite une part considérable à la discussion de la loi de séparation des Églises et de l'État, estimant que le moment était inopportun pour dénoncer le Concordat. Il réussit, par ses fréquentes interventions, à apporter au projet une série de modifications. Mais il vota contre la loi.

Les écrivains et les humanités modernes

Peu d'écrivains déposèrent devant la commission Ribot. D'autres urgences les pressaient sans doute durant l'hiver 1899, mais elles s'imposaient à tous et n'empêchèrent pas la commission Ribot de remplir sa mission. Son mandat coïncida en effet, entre décembre 1898 et mars 1899, avec un sommet de l'affaire Dreyfus et une saison parmi les plus agitées de la vie politique en France: la Ligue de la patrie française fut fondée le 1er janvier 1899, où les académiciens étaient légion, souvent les mêmes que la commission Ribot entendit[xxiv]; l'«Appel à l'union» de Lavisse fut lancé le 23 janvier[xxv]; Barrès donna sa fameuse conférence sur «La terre et les morts» à la Ligue de la patrie française le 10 mars. Entre-temps, Félix Faure était mort le 16 février; Émile Loubet avait été élu président de la République le 18; Déroulède avait tenté un coup d'État le 23, jour des obsèques de Félix Faure. Tout cela en attendant la constitution du cabinet Waldeck-Rousseau le 26 juin, qui devait donner un peu de stabilité au régime. La sérénité de la commission Ribot durant cette série d'événements est remarquable, et les points de vue sur le latin et le français ne semblent pas toujours cohérents avec les prises de position des uns et des autres sur la révision, ou avec leurs convictions politiques. La question du latin divise aussi bien la droite que la gauche, et quelques divergences sont notables, comme le divorce entre Jaurès et Viviani, le professeur et l'avocat.

Tous les écrivains ne se sentent pas concernés par la réforme. Proust, par exemple, ne mentionne jamais Ribot, Leygues et Chaumié dans sa correspondance de ces années-là, alors qu'ils sont sur le devant de la scène. Une seule allusion à Ribot figurera dans une lettre de 1906 à Mme Catusse, et elle porte sur la religion de Ribot: «On me demande (je suppose qu'il s'agit d'un projet de mariage, mais je n'en sais rien), si M. Ribot, le fils du Ministre académicien […] est catholique, et si son père (le ministre) est également catholique[xxvi].» Nombreux étaient les protestants parmi les notables de la République, et Ribot comptait en effet parmi eux. Proust ne pouvait pas ignorer qu'il venait d'être un des députés les plus opposés à la séparation et à l'abolition du concordat.

De manière inattendue, Jules Lemaitre, normalien démissionnaire de l'enseignement, académicien antidreyfusard, fondateur de la Ligue de la patrie française, hostile à Loubet et allié de Déroulède, exprima, de toutes les personnalités consultées par la commission Ribot, les idées les plus radicales. Il s'était déjà prononcé contre les études classiques dans une conférence à la Sorbonne le 5 juin 1898, puis dans des articles du Figaro. Il s'était alors déclaré partisan d'un enseignement moderne court, de quatre années pour tous, suivi d'un enseignement classique pour quelques-uns seulement.

Devant la commission Ribot, il fut le plus libre de sa parole[xxvii], le plus distrayant, et il développa son programme révolutionnaire: tous passeraient d'abord par une enseignement de type moderne ou primaire supérieur, durant quatre années, jusqu'à quinze ou seize ans, avec des sciences, du français (la littérature française classique serait à l'honneur) et des langues vivantes; puis certains seraient accueillis dans un second cycle d'humanités classiques ou de mathématiques élémentaires. En somme, Lemaitre rêvait déjà du collège unique des années 1970, ce qu'il appelle un «grand enseignement national unique» pour tous les Français jusqu'à quinze ou seize ans.

On apprendrait, suggérait-il, autant de latin en six mois si on en commençait l'étude à seize ans, qu'en trois ans en commençant plus tôt. Comme dans les séminaires, ajoutait-il. Les membres de la commission, à qui cette comparaison n'était pas pour plaire, se montrèrent sceptiques.

Interrogé sur le baccalauréat, Lemaitre, toujours caustique, observa qu'il avait rencontré plus d'esprits originaux parmi ceux qui n'avaient reçu que l'enseignement primaire, ou primaire supérieur, ou même qui étaient autodidactes, que parmi les bacheliers. Bref, il tournait le dos à l'Université, dialoguant ainsi avec le président Ribot: «À votre avis, il faudrait laisse reposer la cervelle française pendant quelque temps? – Je le crois.» Il était d'ailleurs pour la suppression du bac, ou, à défaut, pour l'équivalence des deux enseignements classique et moderne à l'entrée des facultés, et, en fait, à la place du bac, pour des examens à l'entrée de chaque carrière, sans craindre que ces examens disciplinaires sacrifient la culture générale du bac. Sur ce dernier point, sa réponse était sans appel: «Cette culture générale est surtout une culture nulle», déclarait-il à la commission médusée, avant d'ajouter: «Je ne crois pas d'ailleurs qu'on fasse jamais ce que je propose; je n'en suis que plus libre pour dire ce que je pense.»

Lemaitre faisait preuve en matière d'instruction d'un libéralisme toujours inimaginable en France: «J'avoue que je suis partisan d'une liberté complète pour l'élève et le professeur et d'une absence presque totale de programmes.» Cet éloge d'une Université résolument libérée fut bien entendu sans aucune influence sur la commission, qu'il dut distraire: Couyba, son secrétaire, ne devait pas citer un mot de la déposition de Lemaitre dans son rapport sur les plans d'études.

Remy de Gourmont avait déjà répondu dans ses «Épilogues» du Mercure de France aux propositions de Lemaitre en matière d'enseignement secondaire. Derrière la question de la superfluité du latin pour tous, se profilait celle de l'apprentissage des langues vivantes pour rivaliser avec l'Angleterre dans la conquête d'un empire colonial: «Voilà la question du latin, telle que le comprend M. Jules Lemaître : des gens qui ont à faire valoir un si gros héritage [les colonies] n'ont plus le temps de bâiller sur les Géorgiques. / Je serais volontiers de cet avis, si l'on me démontrait qu'il est au contraire profitable de dormir sur Hermann et Dorothée ou sur le Paradis perdu. M. Jules Lemaître oppose les classiques étrangers aux classiques anciens, sans se douter qu'à une culture, vaine peut-être, mais inoffensive, il substitue une culture peut-être vaine, et certainement dangereuse[xxviii]

L'opinion de Gourmont était elle-même difficilement déchiffrable en raison de son ironie constante: «[…] pour lutter dans le monde contre l'influence anglaise, la France doit-elle se faire anglaise, de mœurs et de langue ? Cette solution qui est, sous une forme claire et brutale, celle de M. Jules Lemaître, n'a vraiment rien qui puisse séduire même un cosmopolite. […] Voilà pourquoi, si l'on doit cesser d'enseigner les littératures anciennes, il faut avoir soin de ne les remplacer par rien. On peut fort bien laisser au milieu social le rôle d'éducateur et donner pour principe à un plan d'études la vie elle-même et ses nécessités immédiates. Un enfant qui aurait fait son éducation en lisant de 1830 à 1840 les livres nouveaux, bons ou mauvais, pêle-mêle, et en ne lisant que cela, en n'étudiant que cela, qu'elle eût donc été son infériorité relativement au milieu réel, si différent du milieu factice créé par la permanence, dans l'enseignement universitaire, des idées mortes ? Le présent peut suffire au présent, et le milieu au milieu ; si l'on ne demande plus aux études que d'être utiles, il n'y a pas d'inconvénient à les supprimer radicalement et à les remplacer par un enseignement pratique.» L'argumentation, qui commence par condamner ce que Leroy-Beaulieu appelait l'américanisation, se fait vite si extrême, voire absurde, qu'il devient difficile de la prendre au sérieux. Gourmont ne joue-t-il pas ici à la politique du pire?

«Pour moi, je le répète, j'accepterais encore cela, si l'on voulait bien donner au français seul, et encore avec précaution, la place que laisserait le latin. Naturellement l'ancien français serait également abandonné, son utilité pratique étant nulle et sa connaissance devenant fort difficile si l'on ne peut se servir du latin comme mesure commune entre toutes les formes différentes d'un même mot. Le xvie siècle ne serait pas pour un ignorant des lettres latines d'un abord plus aisé ; à peine pourrait-on prendre pied au xviie siècle et encore faudrait-il se résigner à ne guère comprendre et à ne guère goûter. Le xviiie siècle, à partir des encyclopédistes, commencerait à pouvoir être senti ; il faudrait négliger les poètes, ce qui serait agréable et, en somme, ferait commencer les véritables études littéraires à l'époque romantique. La suppression du latin supprime donc à peu près toutes les œuvres françaises antérieures à Victor Hugo et à Lamartine : cela serait assez conforme aux tendances présentes des quelques hommes qui lisent encore parfois un livre qui ne vient pas de paraître.»

On reconnaît ici un argument courant contre l'abandon du latin, qui signifierait la perte d'une bonne partie de la littérature française, mais Gourmont, à la différence de ceux, comme Brunetière, qui le soulèvent d'habitude, n'a pas l'air de s'en inquiéter. Il se montre en revanche nettement plus réservé que Lemaitre (ou que Lavisse) au sujet de la qualité de la langue française des écrivains français qui n'ont pas su le latin: «M. Jules Lemaître, pour avoir l'air d'aller même au-delà de son paradoxe, a voulu citer deux écrivains qui n'avaient pas “fait leurs classes”. Il a trouvé George Sand et Louis Veuillot ; mais Veuillot avait, avec une belle ténacité, reconquis seul le terrain que lui enlevait l'ignorance ; et quant à Mme Sand, qu'elle fût illettrée, hélas ! cela se voit et nul ne le voudrait contester : elle ne semble pas même avoir toujours compris ce qu'elle écrivait sous l'influence et sous le doigté des hommes.» À la différence de Lavisse, qui tirait parti du cas Sand pour défendre les humanités modernes, Gourmont paraît plus hésitant, et certainement misogyne.

Dans un autre de ses «Épilogues», dix ans plus tard, il semble cette fois rejoindre les modernes, non sans réserves d'ailleurs: «[…] de nos jours, tout le monde sait qu'il y eut et qu'il y a des écrivains sans lettres latines, des femmes, des hommes aussi, fort supérieurs en talent et en expression du talent à tels docteurs et agrégés de l'Université. Alors, quoique latinisant (oh! fort modéré), quoique adhérent à l'une des ligues “pour le latin”, je demeure perplexe[xxix]

Quant à Anatole France, dreyfusard déterminé, penchant de plus en plus vers le socialisme de Jaurès, et non convié par la commission Ribot malgré tous les titres qu'il aurait eu à y déposer – fut-ce son révisionnisme qui fit qu'on ne l'invita pas? –, il devint, quant à lui, un des défenseurs les plus ardents du latin. Barrès, qui, on le verra, campe sur des positions plus modérées, cite ses déclarations à l'emporte-pièce dans ses Cahiers: «Quand on n'enseignera plus le latin, dit Anatole France, la langue française périra. Un certain idiome sous le même nom subsistera sans doute, mais perdra bien vite tout rapport avec la langue que Rabelais et Montaigne ont formée et que Pascal a su porter au plus haut point de perfection[xxx].» Il sera encore plus tranchant en 1912 dans une publication de la Ligue des amis du latin: «La fin des humanités serait la mort du génie français[xxxi]

Chez Péguy, on ne trouve rien sur la réforme, ni en 1899 ni en 1902, mais, en 1904, «L'enseignement intégral et les humanités scientifiques», par Alexis Bertrand, professeur de philosophie à l'université de Lyon, est publié dans les Cahiers de la quinzaine[xxxii]. C'est sa déposition devant la commission Ribot en 1899, où il se déclare partisan d'humanités scientifiques couronnées par une année de sociologie, sans latin ni grec, programme qui n'a pas l'air d'effaroucher Péguy. L'idée d'un lycée de quatre années, en liaison avec le primaire supérieur, défendue par Bertrand, rappelle en fait le collège unique de Lemaitre.

Péguy s'élève alors contre ce que Bertrand appelle la «réforme Leygues», d'une part contre la spécialisation précoce – «j'ai un fils qui a été obligé d'opter (à treize ans!) entre les lettres et les sciences et un autre qui attend son tour», lui a écrit Bertrand –, d'autre part et surtout contre les atteintes du ministre aux libertés du corps enseignant[xxxiii]. En 1911, il vante pour la Ligue pour la culture française de Richepin, «cette Ligue excellente que M. Richepin vient de fonder pour la culture française, pour la défense du français, du latin, et du grec[xxxiv]».

Barrès

Barrès n'a pas participé au débat sur le secondaire en 1899, à l'époque de la Ligue de la patrie française, de «La terre et les morts», puis du deuxième procès de Dreyfus à Rennes en août 1899. Aucune prise de position de sa part ne semble exister jusqu'en 1902. Mais le procès des lycées, de l'internat et des études classiques avait déjà été instruit dans Les Déracinés (1897), en particulier dans le célèbre premier chapitre du roman sur Bouteiller-Burdeau au lycée de Nancy: «Depuis 1870, une caractéristique des jeunes gens, c'est qu'ils font de médiocre rhétorique et d'excellente philosophie[xxxv]», écrivait alors Barrès, sévère pour les humanités classiques. Quand Bouteiller lit à ses élèves l'Hymne à la Terre, Gallant de Saint-Phlin objecte: «à la campagne, je comprenais mieux les Géorgiques», réflexion «où l'on sent l'influence d'un ecclésiastique médiocre et cultivé[xxxvi]».

Barrès n'a pas de sympathie pour les langues anciennes ni pour la formation classique. Il rappelle souvent sa propre expérience malheureuse d'interne et de latiniste, expérience dont le début avait été différé à cause de la guerre: «C'est en huitième que commençait alors l'étude du latin dont je ne savais pas le premier mot. Mais tenant compte de l'empêchement absolu qu'avait été la guerre on m'admettait en sixième où étaient les enfants de mon âge. C'est une décision pleine de bon sens et de bonne grâce, mais quelle stupeur pour moi d'entendre ces récitations de rosa, la rose, de amo, amas, amavi, amatis, dont je ne comprenais en aucune manière le sens et qui sonnaient à mes oreilles comme des mélopées énigmatiques, affolantes. Ces longues rapsodies de la dixième année ont amassé pour moi derrière toute rose une rumeur, un fond de désespoir qui amplifie ses parfums et sa beauté. Comme (on) embête l'innocence dans le monde[xxxvii]!» Le malheur du lycée sera un leitmotiv des Cahiers: «Collège-caserne. Une seule classe. À Nancy, je ne savais rien. On m'a mis avec des enfants qui savaient le latin. Je savais ce qu'était un prussien[xxxviii]

L'Université mobilisa peu Barrès avant qu'il ne redevînt député en 1906, mais il intervint ensuite, à sa manière indépendante – et sur le primaire ainsi que sur le supérieur, plus que sur le secondaire. Il donna une conférence sur «Les mauvais instituteurs» à la Salle Wagram, le 16 mars 1907. Des extraits en furent aussitôt donnés dans la presse: «Maître Aliboron», dans Le Gaulois du 17 mars 1907, et «Aliboron le destructeur», dans L'Écho de Paris du 22 mars 1907, avant sa publication intégrale par la Ligue de la patrie française[xxxix] (1907). Son «Discours sur l'enseignement primaire», prononcé à la Chambre des députés le 18 janvier 1910, fut publié dans une plaquette de L'Écho de Paris.

Dans la conférence de 1907, Barrès dénonçait les vexations que les instituteurs anticléricaux faisaient subir à leurs élèves qui allaient à la messe, mais il s'exprimait sans trop d'acrimonie contre la personne de l'instituteur, car «le pauvre homme est la victime de ses maîtres, comme ses élèves le seront de lui-même». L'écrivain fixait une tout autre mission à l'instituteur: «C'est le rôle des maîtres de justifier les habitudes et les préjugés qui sont ceux de la France[xl].» Barrès, définissant le but de l'école, songe à Pascal, un de ses maîtres, et à l'ordre du cœur, lorsqu'il affirme que «nous ne recevons la vérité que de notre cœur ému, lentement, au cours de la vie».

L'article de 1907 dans L'Écho de Paris, «Aliboron le destructeur», est tout aussi prudent. Barrès précise qu'il s'en prend aux seuls mauvais instituteurs, non à l'école primaire en général. Aliboron, l'âne de La Fontaine, est «l'instituteur malfaisant, l'anti-français[xli]», mais c'est aussi un frère pour qui Barrès a de la compassion: «Inexprimable stupidité d'Aliboron, tu me fascines». L'étonnement de Barrès tient au fait que l'Aliboron détruise de vieux sentiments au lieu de construire sur eux.

Henri Massis lui écrit à la fin de 1908: «Avez-vous remarqué, mon cher Maître, les articles de François-Albert sur l'enseignement supérieur qui ont paru, il y a quelques mois dans L'Opinion? Ils pourraient vous être utiles pour votre interpellation à la Chambre. Je me permets de vous signaler aussi une étude de Pierre Lasserre, publiée dans le dernier numéro du Mercure de France[xlii].» Ces articles étaient assurément contradictoires: François-Albert (1877-1933), normalien, agrégé des lettres, journaliste et collaborateur de Clemenceau, deviendra sénateur, député, et ministre de l'Instruction publique du Cartel des gauches en 1924, tandis que Pierre Lasserre (1867-1930) est le meilleur critique de l'Action française avant 1914, avec sa thèse sur Le Romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au xixe siècle (Paris, Mercure de France, 1907), puis son pamphlet sur La Doctrine officielle de l'université. Critique du haut enseignement de l'État, défense et théorie des humanités classiques (Paris, Mercure de France, 1912).

Barrès répondit à Massis: «Je n'ai pas lu les articles de François-Albert dans L'Opinion. Oui, je vous serais reconnaissant de me les procurer. Aulard nie que les considérations politiques existent entre maîtres et élèves pour les examens. Comment cela pourrait-il s'établir[xliii]?» Alphonse Aulard (1849-1928), normalien, agrégé des lettres, titulaire de la chaire d'histoire de la Révolution française à la Sorbonne, sympathisant radical et type de l'intellectuel républicain, fut une des principales cibles des attaques contre la «Nouvelle Sorbonne» avant 1914. Barrès semblait vouloir contester son impartialité. Dans Les Idées de Charles Maurras, Thibaudet louait toutefois sa neutralité pédagogique: il rappelait qu'Aulard, du temps où Thibaudet était étudiant, avait reproché à un étudiant qui avait fait une leçon sur la congrégation sous Charles X de ne pas l'avoir comparée à la maçonnerie. Thibaudet en tirait cette leçon: «M. Aulard parlant à des étudiants dépouillait ainsi complètement l'ordre d'idées et le vêtement politique dans lequel il s'enfourne pour écrire à la Dépêche et au Pays[xliv].» Barrès citera les attaques d'Aulard contre la neutralité scolaire le 18 janvier 1910, dans son discours à la Chambre, mais sans contester directement son impartialité[xlv].

Barrès écrivit au ministre de l'Instruction publique, alors Gaston Doumergue, le 9 juin 1909, puis lui adressa une question à la Chambre le 21 juin, à propos du jeune Armand Nény, âgé de quatorze ans, élève de troisième, boursier et fils d'instituteur, qui s'était tué au lycée Blaise-Pascal, à Clermont-Ferrand, en pleine classe, d'un coup de revolver, le 25 mai 1909, au cours d'un thème latin. «Il y a là une indication évidente que l'état moral du lycée de Clermont n'est pas ce qu'il devrait être, et l'on en est à se demander s'il s'agit de ce seul lycée[xlvi].» Comparant l'Université d'aujourd'hui à celle d'autrefois – «sous l'Empire», suivant l'interruption d'un député – Barrès s'en prenait aux jeunes professeurs qui ne croyaient plus à la morale et au «cadre social actuel[xlvii]». Il opposait aux jeunes instituteurs les générations précédentes, par exemple celle de Jaurès: «[…] ici parmi nous tels des plus audacieux révolutionnaires portent encore sur le front les signes éclatants d'une formation traditionnelle. Toutes les idées que leurs bouches nient demeurent en eux des principes d'action[xlviii].» Puis il accumulait les reproches pêle-mêle– le concours général avait été supprimé (en 1903), le nom de Fragonard, «grand artiste libertin», avait été donné à un lycée[xlix] –, avant de dénoncer l'influence sur les jeunes têtes du professeur qui vient de Paris, à la manière de Bouteiller. Doumergue devait nier qu'aucun établissement s'appelât Fragonard (il était question de Grasse), mais un lycée s'appelait bien Charles Baudelaire, ce qui n'était guère mieux.

L'angle d'attaque de Barrès était toujours celui de l'absence d'éducation morale à l'école: «Encore une fois, je ne viens donc pas vous dire que l'université est une école de suicide. Entendez-moi bien, je vous fais constater qu'elle est une école de déséquilibre. Le drame affreux et collectif de Clermont est le symptôme trop accusé, trop éclatant d'une situation trop réelle, d'un état général qui existe dans votre université[l].» L'Université a renoncé à inculquer une morale; elle a condamné la morale ancienne, mais n'a rien à lui substituer.

Le 18 janvier 1910, à la Chambre, Barrès se livra à une «interpellation sur l'état d'esprit de quelques-uns de nos instituteurs et sur le moyen d'y remédier[li]». Il taxa cette fois de niaiserie les manuels qui rayaient le mot Dieu. Doumergue lui répondit encore, ministre de l'Instruction publique de janvier 1908 à novembre 1910 dans les cabinets Clemenceau et Briand. Les griefs d'absence de «nouvelle morale» et de manque de neutralité à l'école se rejoignaient.

Puis ce fut la campagne contre la Sorbonne: Massis annonça à Barrès en octobre 1910 la publication, sous le pseudonyme d'Agathon, du livre qu'il avait rédigé avec Alfred de Tarde, L'Esprit de la Nouvelle Sorbonne. La crise de la culture classique. La crise du français. Le noyau en était une série d'articles parus dans L'Opinion en juillet et août 1910, suivis de diverses réponses et annexes. Massis espérait son soutien actif: «[…] vous vous êtes intéressé à cette campagne; c'est une sympathie qui nous est précieuse infiniment. Au reste, je souhaiterais de connaître là-dessus vos critiques. Dans le moment où nous mettons au point nos études, vous pourriez nous suggérer des réflexions précieuses. […] / Un dernier article paraîtra dans L'Opinion, samedi prochain; nous y parlerons de la domination primaire et de la situation faite à l'enseignement secondaire. C'est toute la question de la culture et de la démocratie que nous abordons là. Vous y trouverez quelques jolis discours de nos “Aliborons” supérieurs[lii]

Or Barrès lui répondit avec circonspection: «[…] le Discours dit de l'Aliboron et le Discours dit de la Tentation de l'Instituteur, c'est à la page 5 de la brochure de L'Écho de Paris […]. J'y montre dans un tableau la “position pathétique de l'instituteur isolé dans sa maison, seul au milieu, etc.” et je montre qu' “il n'est pas un des systèmes de nos grands professeurs de Sorbonne qui n'aille se joindre à nos programmes d'homme politique pour l'assaillir.” / Si vous citez la conférence sur les Mauvais instituteurs, dite de “l'Aliboron”, il est juste de bien préciser – et ce peut être l'objet d'une note intéressante – que je n'ai nullement, comme on le dit parfois, traité les instituteurs d'“Aliborons” et, pour ce, vous pourrez citer le texte de la page 14, tel que je l'encadre[liii]

Son attitude face à la campagne de droite contre la Nouvelle Sorbonne à partir de 1910 resta prudente réservée, à la manière de Lemaitre, qui refusa de s'engager pour le latin, et à la différence de France, homme de gauche. Sa réserve dut décevoir Massis: «Je suis partisan du maintien des études classiques. Je rêve toutefois d'un enseignement qui superposerait les sciences et les lettres comme deux éducations nécessaires de l'esprit. Il faut maintenir les lettres, mais y faire pénétrer la science. Pensons au dix-septième siècle: il n'est pas seulement un grand siècle littéraire, mais le père des sciences[liv]

Alain, maître vénéré de Massis au lycée Condorcet, mais philosophe du radicalisme, lui donna en l'occurrence plus de satisfaction, lui qui s'en prenait dès 1908 à la nouvelle Sorbonne où, au dire d'un étudiant, triomphait «la vermine historique»: «Maintenant, on n'explique plus; on se contente de comparer les différentes éditions d'un même ouvrage, et on nous montre les variantes comme on nous montrerait une collection de papillons[lv].» À cet étudiant de l'âge de Massis, il donnait alors ce conseil, suivi peu après par Massis: «[D]onnez du tintamarre à tous ces historiens-là. Réclamez des idées, sur l'air des lampions.» Il devint encore plus traditionaliste, ou conservateur, au fur et à mesure des années: «Il n'y a point d'Humanités modernes, par la même raison qui fait que coopération n'est pas société[lvi].» Ou: «Le pire que j'aperçois dans cette culture sans latin, c'est que l'on ne saura point lire. La version et le thème ont ce pouvoir de nous tenir devant un rectangle imprimé, comme sont les amateurs devant une belle gravure[lvii]

Maurras, quant à lui, était évidemment tout prêt à adhérer à la croisade contre la Sorbonne et au pamphlet d'Agathon, lui qui jugeait dès 1900 que «nos facultés des Lettres sont le séminaire de l'anarchisme ou celui du dilettantisme[lviii]». Georges Sorel, de son côté, s'opposa à Agathon[lix].

Ainsi, alors que Massis espérait que Barrès serait sensible à «la plainte de tant de jeunes gens qui, dans la Sorbonne d'aujourd'hui, sont rebutés par la sécheresse, par le défaut d'enthousiasme, par un enseignement qui ne fait jamais appel ni à l'imagination, ni à l'émotion intérieure[lx]», Barrès refusa de les suivre. Il nota alors dans ses Carnets: «La Sorbonne. – manque d'idéal. Lequel? L'état d'énervement (dans lequel se trouve la Sorbonne) s'explique par d'autres causes que celles posées par Massis. Ce malaise tient à des causes plus profondes que celles qu'indique Massis[lxi].» Et il répondit à Massis et de Tarde: «On ne parle pas d'hommes, tels que les maîtres de la Sorbonne, pour dénigrer en bloc leurs méthodes. J'y vois du bon et de l'excellent; j'apprécie vivement leur souci de l'exactitude, de la précision à laquelle nous avaient peu habitués certains maîtres de l'ancienne Sorbonne, trop oratoire. Ah! si vous aviez vu les défauts des nôtres! Je n'ai pas un regret pour le tour d'esprit des Prévost-Paradol et des Edmond About[lxii]!» Sans doute, sauf qu'About et Prévost-Paradol, normaliens des promotions 1848 et 1849, n'étaient pas devenus professeurs, mais journalistes – et romancier dans le cas d'About.

L'incompréhension de Barrès pour la révolte d'Agathon contre la «germanisation» des études a donc été sensible: «Si je vous comprends bien, vous n'êtes pas content de vos professeurs. Nous étions tous ainsi à votre âge[lxiii]!» Massis ne se laissa pas faire: «C'est que la Sorbonne, les grands universitaires, ne laissaient pas de lui en imposer. Il aurait cru faire besogne anarchique en les attaquant. À la vérité, il connaissait mal la nouvelle Sorbonne, et même pas du tout. Cette tentative contre la culture, contre l'intelligence, il ne la voyait pas, ou s'il l'a vue, ce ne fut que plus tard[lxiv]

Massis n'eut pas plus de chance en 1911, lors de la création de la Ligue pour la culture française de Jean Richepin, étape suivante, après la séparation, de la réaction des écrivains à la réforme de l'école. Cette ligue réunit Maurras, Péguy et Gide à son comité directeur, Rivière et Schlumberger à son comité d'action, et, à un titre ou à un autre, Alain-Fournier, Giraudoux, Henriot, Mauriac, les Tharaud en firent partie. Le manifeste parut le 3 juin 1911 dans Le Figaro, signé par Barrès, Bergson, Régnier, Henri Poincaré, etc. Trente-six académiciens étaient au comité d'honneur, beaucoup des mêmes noms qu'à la Ligue de la patrie française en 1899[lxv]. La ligue consacra ses interventions «à la question des humanités et à la réforme de 1902 qui risquait de les détruire[lxvi]»; elle s'éleva, dans un nouveau manifeste du 25 août 1911 publié dans le Matin, contre «la spécialisation prématurée, le modernisme à outrance, la culture prétendue utilitaire[lxvii]».

Pour la contrer, Brunot fonda les «Amis du français et de la culture moderne», qui rassembla des professeurs de la Sorbonne, tels Lanson, Aulard, Seignobos et Croiset, et des inspecteurs primaires. Brunot se situait ouvertement sur un terrain politique: «Le rétablissement des humanités, tel qu'on le désire, favorisera vingt-cinq mille individus, une élite tout à fait spéciale, ce que j'estime absolument incompatible avec le progrès de l'idée démocratique[lxviii]

Le débat de 1902 fut à nouveau ouvert au Sénat: Eugène Lintilhac, ancien chef de cabinet de Leygues, Ribot, à présent sénateur, Gustave de Lamarzelle y intervinrent; le ministre Jules Steeg leur répondit, avant que le Sénat s'inclinât: «Le Sénat, considérant qu'un des principaux objets de la réforme de 1902 a été de sauvegarder la culture gréco-latine en la réservant à ceux qui sont les plus aptes à la recevoir et à en tirer parti, approuve les déclarations du ministre[lxix].» Le formulation pouvait sembler ambiguë: elle louait les lettres gréco-latines, mais elle ne condamnait pas les programmes de 1902.

Quant à Thibaudet, qui devait voir en la réforme de 1902 le début du xxe siècle du point de vue de la culture française, quel fut son comportement durant ces années-là? Charles Du Bos lui rappela bien plus tard, dans une lettre de 1927, qu'il avait fait sa connaissance chez Gide, en juin 1911, à la villa Montmorency, et que la conversation avait justement roulé sur Agathon[lxx].

Gide avait eu l'idée de lui demander un article sur le pamphlet d'Agathon pour la NRF. Il rapporta à Schlumberger, le 27 mars 1911, qu'il avait envoyé «un mot à Thibaudet, pour le chauffer, car 1° le livre d'Agathon me paraît important, et 2° Agathon lui-même [rencontré chez Anna de Noailles], une excellente recrue possible pour la NRF[lxxi]». Mais Thibaudet ne partagea pas la bonne opinion de Gide et lui répondit le 30 mars 1911: «J'écrirai très volontiers l'article: malheureusement, j'ai un scrupule; je ne suis guère de l'avis d'Agathon[lxxii].» Gide, embarrassé, s'expliqua alors à Schlumberger, le 31 mars: «Comme je le pressentais, c'est une exécution, mais intéressante; et si le livre d'Agathon m'avait d'abord convaincu, cette réfutation ne laisse pas d'ébranler ma conviction. Pourtant, je voudrais bien que nous ne nous aliénions pas Agathon, car il me paraît que la NRF est plus près de lui que de Thibaudet. Et voici ce que je propose: publier en article les pages de Thibaudet (l'importance de la discussion le mérite) et reparler du livre d'Agathon dans une note, ou du moins en faire, dans une note, d'assez importantes citations, avec quelques lignes introductives.» Tout l'esprit NRF est ici résumé. On publia l'article commandé à Thibaudet, mais aussi, plus loin dans le même numéro de mai 1911, des extraits d'Agathon introduits par une note sympathique de Michel Arnauld (Marcel Drouin).

Thibaudet s'en était tiré en distinguant le livre de son succès: «Ce que je ne puis pardonner au livre d'Agathon c'est le pullulement de sottises qu'il a provoqué dans la presse quotidienne[lxxiii].» La position de Thibaudet était au fond assez voisine de celle de Barrès: la nouvelle Sorbonne a sans doute ses défauts, ses excès et ses ridicules, mais elle «réagit contre une vieille Sorbonne médiocre et vermoulue, et de celle-là la littérature peut se plaindre à meilleur droit que de l'actuelle[lxxiv]». En passant, Thibaudet, alors professeur d'histoire et de géographie dans le secondaire, laisse entendre que la réforme de 1902 ne l'a pas beaucoup inquiété: «Au fond il y a là un antagonisme nécessaire et intéressant entre l'enseignement secondaire, demeuré humaniste, et dont c'est le rôle, – et l'enseignement supérieur spécialisé[lxxv]

En 1911, aux yeux de Thibaudet, l'enseignement secondaire était donc demeuré humaniste, et c'était son rôle. Ainsi la réforme de 1902 n'avait-elle encore rien changé au secondaire, ou bien Thibaudet n'avait-il pas encore perçu ses effets. Il adhéra d'ailleurs aux «Amis du français et de la culture moderne» de Brunot.

Avant 1914, il ne faisait pas encore de 1902 la rupture majeure dans la culture française qu'il y verra en 1927, dans La République des professeurs. Dans l'entre-temps, Thibaudet avait quitté le camp des humanités modernes et il n'avait pas plus approuvé la campagne redoublée de Brunot contre le latin, lorsque Léon Bérard, ministre de l'instruction publique de 1921 à 1924, avait voulu en rendre de nouveau obligatoire l'étude dans le secondaire[lxxvi]. Mais c'est une autre histoire, ou bien la même et pourtant une autre.




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Documents parlementaires, Microfiche m-35137, IIIe République, 7e législature, 1er juin 1898-31 mai 1902, fiches 0021-0040 [p. 1001-1449, fiches 0024-0028], Annexe no 866, Enquête sur l'enseignement secondaire, procès-verbaux des dépositions, Ribot, président, Isambert et Aynard vice-presidents.

--, fiches 0041-0060 [p. 415-506, fiches 0046-0047], Annexe no 1196, Rapport général fait au nom de la commission de l'enseignement. [chap. VII, Plans d'études, par M. Couyba, manque].

--, fiches 0081-0100 [p. 000, fiche 000]. Annexe no 2595.

Débats à la Chambre, Microfiche m-35134, 12, 13, 14 février 1902.



[i] Thibaudet, «La critique des philosophes», NRF, 1er juin 1927, repris dans Réflexions sur la littérature II, Paris, Gallimard, 1941, p. 188. Voir aussi «États généraux», NRF, janvier 1927, pp. 106-107; «Pour l'histoire du Parti intellectuel», NRF, 1er août 1932, p. 271; «Vingtième Siècle», NRF, 1er février 1933, p. 304; «Le Maurassisme», 1er février 1933, p. 310, où Thibaudet parle de la «date cruciale de 1902» (p. 314).

[ii] Id., Histoire de la littérature française, Paris, Stock, 1936, p. 516.

[iii] Ribot, La Réforme de l'enseignement secondaire, Paris, Colin, 1900, p. 285.

[iv] Ibid., p. 286.

[v] Ibid., p. 288.

[vi] Ibid., p. 289.

[vii] Ibid., p. 296.

[viii] Ibid., p. 297.

[ix] Sa nomination comme ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Freycinet en 1890 avait marqué le début d'une longue carrière ministérielle. Encore aux Affaires étrangères dans le cabinet Loubet (1892-1893), principal artisan de l'alliance franco-russe, il accéda en janvier 1893 à la présidence du Conseil, en se réservant le ministère de l'Intérieur, mais le scandale de Panama le contraignit à démissionner. De nouveau président du Conseil en 1895, élu à l'Académie française en 1906, il passa au Sénat en 1909, après avoir été un des participants les plus actifs aux débats sur la loi de séparation, contre laquelle il vota finalement. Pendant la Première Guerre mondiale, il devait encore exercer les fonctions de ministre des Finances dans les cabinets Viviani et Briand (d'août 1914 à mars 1917), de président du Conseil et de ministre des Affaires étrangères (de mars à septembre 1917), et de ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Painlevé (de septembre à novembre 1917).

[x] Ribot, La Réforme de l'enseignement secondaire, op. cit., p. 60.

[xi] Ibid., p. 65.

[xii] Ibid., p. 69.

[xiii] Ibid., p. 178.

[xiv] Ibid., pp. 213-214.

[xv] Ibid., p. 254.

[xvi] Documents parlementaires, IIIe République, 7e législature, 1er juin 1898-31 mai 1902, Annexe no 866, Enquête sur l'enseignement secondaire, procès-verbaux des dépositions, p. 1052.

[xvii] Ibid., p. 1064.

[xviii] Ibid., p. 91.

[xix] Charles-Maurice Couyba, Classiques et modernes. La réforme de l'enseignement secondaire, Paris, Flammarion, 1901, p. 91. Couyba (1866-1931), agrégé des lettres, poète-chansonnier à Montmarte sous le pseudonyme de Maurice Boukay, député radical de la Haute-Saône, puis sénateur, appartenant à la gauche démocratique, sera ministre du Commerce (1911-1912) et du Travail (1914).

[xx] Leygues, L'École et la vie, Paris, Calmann-Lévy, 1903, p. 319.

[xxi] Leygues à Ribot, janvier 1902, in Leygues, L'École et la vie, op. cit., pp. 351-354; cité par Henry Vuibert, La Réforme de l'enseignement secondaire expliquée aux familles, Paris, Nony, 1902, pp. 8-9.

[xxii] Leygues, L'École et la vie, op. cit., p. 403.

[xxiii] Leygues à Ribot, janvier 1902, cité par Vuibert, La Réforme de l'enseignement secondaire expliquée aux familles, op. cit., p. 11.

[xxiv] Gaston Boissier, Brunetière, Lemaitre déposent devant la commission Ribot, dont un des membres est Albert de Mun, académicien et signataire de l'appel de la Ligue de la Patrie française.

[xxv] Journal des Débats, 24 janvier 1899.

[xxvi] Proust, Correspondance, éd. Ph. Kolb, Paris, Plon, 1970-1993, 21 vol., t. VI, p. 109.

[xxvii] Documents parlementaires, IIIe République, 7e législature, 1er juin 1898-31 mai 1902, Annexe no 866, Enquête sur l'enseignement secondaire, procès-verbaux des dépositions.

[xxviii] Gourmont, «Épilogues. La Question du latin, nouvelle édition, revue et corrigée par M. Jules Lemaître», Mercure de France, juillet 1898, pp. 214-221; repris dans Épilogues, Paris, Mercure de France, t. I, 1903.

[xxix] Id., «Épilogues. Le culte du latin», Mercure de France, 16 juin 1911, pp. 817-818; repris dans Épilogues, Paris, Mercure de France, t. IV, 1913.

[xxx] Cité par Barrès, Mes cahiers, 1911-1912, Paris, Plon, 1929-1957, 14 vol., t. IX, p. 89.

[xxxi] Préface à Pierre Leguay, Petite histoire parlementaire de la réforme de 1902 suivie d'un projet des modification les plus pressantes à apporter aux programmes de l'enseignement secondaire, Paris, Ligue des amis du latin, [1912], p. 7.

[xxxii] Cahiers de la quinzaine, 2e cahier de la 6e série, 11 octobre 1904.

[xxxiii] Péguy, Œuvres en prose complètes, Paris, Gallimard, coll. «Bibl. de la Pléiade», 1987-1992, 3 vol., t. I, p. 1386.

[xxxiv] Ibid., t. III, p. 518.

[xxxv] Barrès, Les Déracinés, in Romans et voyages, Paris, Laffont, coll. «Bouquins», 1994, 2 vol., t. I, p. 499.

[xxxvi] Ibid., t. I, p. 498.

[xxxvii] Id., Mes cahiers, éd. cit., t. I, pp. 18-19.

[xxxviii] Ibid., t. X, p. 209.

[xxxix] Id., «Les mauvais instituteurs», La Revue hebdomadaire, 30 mars 1907, et Paris, «La Patrie française», 1907.

[xl] Id., «Maître Aliboron», Le Gaulois, 17 mars 1907.

[xli] Id., Mes cahiers, éd. cit., t. VIII, p. 291.

[xlii] Lettre de Massis à Barrès, 30 décembre 1908, in Massis, Barrès et nous, Paris, Plon, 1962, p. 116.

[xliii] Barrès à Massis, 7 janvier 1909, ibid.

[xliv] Thibaudet, Les Idées de Charles Maurras, Paris, Gallimard, 1920, p. 238.

[xlv] Voir à la même époque «Les mauvais maîtres en Sorbonne», L'Écho de Paris, 18 décembre 1908.

[xlvi] Barrès, Mes Cahiers, éd. cit., t. VII, p. 207-231, ici p. 207-208.

[xlvii] Ibid., p. 213.

[xlviii] Ibid., p. 213-214.

[xlix] Ibid., p. 217.

[l] Ibid., p. 224.

[li] Ibid., t. VIII, pp. 34-57.

[lii] Massis à Barrès, mardi [octobre 1910], in Massis, Barrès et nous, op. cit., p. 124.

[liii] Barrès à Massis, ibid., p. 125.

[liv] Barrès, Discours à la Ligue des patriotes, 15 novembre 1911, Mes cahiers, éd. cit., t. IX, p. 208.

[lv] Alain, Propos (1er juin 1908), Paris, Gallimard, «Bibl. de la Pléiade», 1956-1970, 2 vol., t. II, p. 74-75.

[lvi] Id., «Humanités»(14 mai 1923), ibid., t. I, p. 495.

[lvii] Ibid. (15 octobre 1924), t. II, p. 655.

[lviii] Maurras, Enquête sur la monarchie, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1924, p. 177. Agathon avait été un pseudonyme de Maurras dans la Revue encyclopédique.

[lix] Georges Sorel, «Lyripipii Sorbonici Moralisationes», L'Indépendance, 1911, I (4), pp. 111-25; «Un critique des sociologues», L'Indépendance, 1911, II (16), pp. 74-84

[lx] Massis, Barrès et nous, op. cit., p. 124.

[lxi] Barrès, Mes cahiers, éd. cit., t. IV, p. 195.

[lxii] Barrès à Massis, 21 octobre 1910, in Massis, Barrès et nous, op. cit., p. 127. Voir aussi Massis, Évocations, Paris, Plon, 1931, p. 50.

[lxiii] Massis, Évocations, op. cit., p. 49

[lxiv] Ibid., p. 49.

[lxv] Le supplément littéraire du Figaro du 15 juillet 1911 signale les adhésions.

[lxvi] Massis, Évocations, op. cit., p. 128.

[lxvii] Ibid., pp. 128-129.

[lxviii] Ibid., p. 131.

[lxix] Ibid., p. 132.

[lxx] Du Bos à Thibaudet, 9 juin 1927, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Ms 38406; cité par Michel Leymarie, Albert Thibaudet, dossier pour l'HDR préparé sous la direction de Serge Berstein, IEP de Paris, 2002, p. 46.

[lxxi] Cité ibid., p. 47.

[lxxii] Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, alpha 823-3.

[lxxiii] Thibaudet, «La nouvelle Sorbonne», NRF, 1er mai 1911, p. 699.

[lxxiv] Ibid., p. 697.

[lxxv] Ibid., p. 697. Jean Royère, proche de Thibaudet, expose dans La Phalange le même point de vue sur le latin et l'enseignement supérieur: «Quel est en effet l'écrivain, l'artiste, qui pourrait regretter que les professeurs de la Sorbonne ou d'ailleurs cessent enfin de régenter dans un domaine qui n'est pas le leur pour devenir, ce qu'ils doivent être, des érudits modernes et de vrais savants? […] Pour nos Renan futurs, nos Taine, nos Auguste Comte, nos Bergson de demain, que peut la Sorbonne sinon travailler modestement à leur préparer les voies.» «L'Ancienne et la Nouvelle Sorbonne», La Phalange, 20 septembre 1911, p. 283.

[lxxvi] Voir Thibaudet, «Le tournoi du latin», NRF, 1er septembre 1924, repris dans Réflexions sur la littérature I, op. cit. pp. 247-253.



Antoine Compagnon

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Dernière mise à jour de cette page le 17 Octobre 2005 à 14h56.