Acta fabula
ISSN 2115-8037

DOSSIER CRITIQUE n°50

2018Mai 2018 (volume 19, numéro 5)
titre du numéro

Anthropologie et poésie

Dir. Amalia Dragani

Les points de convergence entre anthropologie et littérature se situent dans deux domaines : d’un côté, les anthropologues se signalent aux études littéraires comme « producteurs » de littérature, certains ayant été eux‑mêmes poètes et écrivains, comme le numéro 21 de LhT auquel ce dossier fait écho le met en lumière. De l’autre, les anthropologues se proposent comme « reproducteurs » de littérature, en tant que professionnels de l’ethnopoétique, selon le terme popularisé par Jerome Rothenberg, qui désignait ainsi autant l’étude de la poésie des « Autres » que la réflexion touchant sa transcription et sa restitution.

 

Parmi ces savants, nous en pouvons compter qui sont aussi poètes ou romanciers : c’est le cas de la pionnière de l’oral literature britannique, Ruth Finnegan (1933‑) qui signe son premier roman en 2015, Black Inked Pearl. Mais nous avons d’autres exemples d’ethnologues qui, n’étant ni producteurs ni même lecteurs habituels de poésie, ont été néanmoins « convertis » à l’étude des poésies orales, par un hasard de leur expérience de terrain. C’est le cas de Steve Caton qui, parti en Arabie saoudite pour entreprendre une thèse d’anthropologie politique, prit conscience du rôle important que joue la poésie dans le tissu social et culturel local, à la suite d’une série d’épisodes imprévus (il observa le retour du roi Khalid accueilli à l’aéroport par un poète de cour, à la bibliothèque de l’Université de Ryadh il tomba sur des annonces concernant les futures récitations de poésie)… Aussi passa‑t‑il les années suivantes au nord du Yémen, qu’il choisit pour la richesse de ses traditions poétiques orales.

 

C’est sur le Yémen que cette rubrique de recensions s’ouvre, avec une lecture de l’ouvrage que Flagg Miller a consacré à la circulation d’audiocassettes de poésie, thème dont Lila Abu‑Lughod, qui étudia le même phénomène parmi les femmes bédouines d’Égypte, fut pionnière. Mais ce dossier d’Acta fabula propose un tour d’horizon assez vaste en convoquant des ouvrages d’ethnopoétique venus de différents lieux, comme l’Amérique (Rothenberg, Bahr), l’Afrique (Degorce, Rovsing Olsen), le Moyen Orient (C. Boidin) ou — dans une perspective diachronique — venus des mondes anciens (C. Calame). Tantôt les auteurs s’interrogent sur le travail particulièrement ardu de traduction de poèmes oraux (Bahr, Degorce), tantôt ils s’intéressent à la comparaison entre traditions littéraires orales (Casajus). Ces riches lectures, que nous ont livrées B. Beucher, J. Derive, S. O’Neil, T. Roger, P.‑Y. Testenoire et A. Webster montrent le visage pluriel de l’ethnopoétique contemporaine, qui s’inscrit dans des champs et des traditions de recherche diverses et éclectiques.

Amalia Dragani