Colloques en ligne

Louise Moulin

Plein le dos, la rue contre le mépris

Plein le dos, the street against contempt

1Le mouvement social dont le gilet jaune va devenir le symbole fait irruption dans le paysage socio-politique fin 2018 et c’est en rejoignant les cortèges que l’on peut remarquer les inscriptions au dos des gilets. Face à la représentation visuelle insultante diffusée de concert par les médias dominants, s’impose l’idée de constituer un archivage national des photographies de dos, guidée par l’intention de produire une contre-propagande dont le but est de bousculer l’hégémonie culturelle. Considérant les messages manuscrits et dessinés comme une forme d’art populaire, Plein le dos se positionne comme une initiative artistique et politique. L’idée fédère une poignée de camarades parisiens qui constituent le premier cercle du collectif. Inspiré par les pratiques autonomes dont sont coutumiers celles et ceux qui se trouvent éloignés des formes d’organisations institutionnelles, Plein le dos s’appuie alors sur les outils à sa portée pour se médiatiser. Puis quand ce qui n’était qu’archive se transforme en média papier (feuille jaune), le collectif s’élargit pour devenir national. La diffusion à prix libre des feuilles jaunes générant des gains, le collectif manifeste sa solidarité aux mutilés du mouvement. N’ayant de cesse d’affirmer sa transversalité, Plein le dos donne aujourd’hui à voir les messages de dos de gilets jaunes dans divers lieux et auprès de différents publics qui s’étaient tenus éloignés des manifestations. En permettant une parole engagée, la présente carte blanche participe aussi de la mémoire de Plein le dos et des gilets jaunes, ce qui lui permet d’approcher son intention première. Enfin, la question se pose de confier les archives à une institution qui restera fidèle, autant que faire se peut, aux principes politiques qui ont guidé cette initiative.

Irruption spontanée

2Pour commencer, il convient de replacer le mouvement des gilets jaunes dans le cycle des mobilisations qui, depuis une dizaine d’années, profitent largement de l’usage des réseaux sociaux en général et de Facebook en particulier. Puis, sans revenir sur le contexte de libéralisation initiée au début des années quatre-vingt, il est utile de situer la séquence politique qui, fin novembre 2018, a provoqué en France, la naissance du mouvement des gilets jaunes et de voir comment un vulgaire objet est devenu le « must have » d’une classe. Il s’agit enfin de montrer combien ce qu’on voit en rejoignant les cortèges diffère de ce qu’on entend dire à propos des gilets jaunes dans les médias dominants et d’expliquer le raisonnement logique qui conduit à l’idée de Plein le dos.

Révolution 2.0

3En mars 2016, Nuit Debout a vu le jour en s’appuyant sur la mobilisation consécutive à l’appel « On vaut mieux que ça » lancé par un collectif de vidéastes mobilisés contre la « Loi El Khomri » et dont le succès avait très largement bénéficié des relais faits sur Facebook. Le sociologue Laurent Jeanpierre note que « pour mieux comprendre le succès de Facebook auprès des gilets jaunes, il faut ajouter qu’il est un média dont l’usage s’est rapidement développé dans les “familles modestes” » (Jeanpierre 2019, p. 69). J’ai en effet pu remarquer autour de moi que les personnes affectées par la crise sociale et rencontrées dans le mouvement ont développé des communautés sur Facebook et qu’elles sont absentes de Twitter. Par ailleurs, la fonctionnalité « événement » de Facebook qui offre une pratique décentralisée par l’auto-organisation 2.0 hors des traditionnels organes syndicaux, n’a aucun équivalent sur une autre plateforme. L’usage de cet outil fait sens pour les gilets jaunes car les secteurs du soin et de la livraison, très représentés au sein du mouvement, sont marqués par l’absence de structure syndicale puissante (Bonin et Liochon 2020).

4En mai 2017, présenté comme le seul rempart contre le Rassemblement National et loué par les médias français et internationaux comme l’incarnation du Nouveau monde, Emmanuel Macron, président fraîchement élu, diminue l’aide personnalisée au logement (APL), supprime l’impôt sur la fortune (ISF), tout en poursuivant méthodiquement la destruction du droit du travail et le démantèlement des services publics. Il n’a de cesse de multiplier les « macronades », ces petites phrases injurieuses auxquelles répondront bientôt les inscriptions sur les dos des gilets. Ainsi ose-t-il à propos des français, « dans une gare, on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien » (juin 2017), « je ne céderai rien aux fainéants » (septembre 2017), les « Gaulois réfractaires au changement » (août 2018), « Je traverse la rue et je vous trouve un travail » (septembre 2018), etc. Dans une intervention de mai 2021 à propos de la séquence gilets jaunes, l’ex-premier ministre Édouard Philippe reconnaît qu’« on ne sait jamais quelle goutte sera la dernière » bien que l’on sache que « le vase est bientôt plein ».

5Or, en septembre 2018, le gouvernement annonce, sous couvert de raison écologique, l’augmentation du prix des carburants automobiles via la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Fin octobre 2018, excédé, le technicien de maintenance narbonnais Ghislain Coutard lance l’invitation suivante dans une vidéo filmée à bord de sa camionnette : « On a tous un gilet jaune dans la bagnole. Foutez-le en évidence sur le tableau de bord ! ». La vidéo devient virale et le gilet jaune se révèle le symbole d’une lutte sociale (Boidy 2021). Les appels à manifester sont diffusés via les réseaux sociaux et notamment Facebook. Ainsi s’amorce un soulèvement qui, acte après acte va occuper les ronds-points, construire des cabanes, organiser des opérations « péage gratuit » sur les axes autoroutiers et défiler les samedis à Paris et dans de nombreuses villes de France1. Comme l’affichera plus tard un dos de gilet de jaune, l’annonce du gouvernement Philippe est donc la « goutte d’essence qui fait déborder la tasse à café déjà trop pleine » (vu à Evreux, acte 11).

Le gilet jaune, « must have » de classe

6Deux semaines suffisent pour que la bienveillance condescendante se mue en mépris de classe général, les grands médias choisissant de ne montrer que ce qui peut nuire à la réputation du mouvement naissant. Le sociologue Jérémie Moualek montre que « l’image des gilets jaunes est associée à la violence, bien davantage qu’à ses revendications ou à la nature inédite de son organisation » et que « la façon dont la violence a été visuellement représentée est aussi révélatrice d’un ethnocentrisme de classe » (Moualek 2022). C’est justement parce que le discours dominant est unanime dans sa condamnation, qu’avec quelques camarades rencontrés lors de luttes précédentes, nous partons à la rencontre des gilets dans les beaux quartiers de Paris début décembre 2018. Nous débarquons sur les Champs-Elysées à la nuit tombée. L’ambiance est dystopique, les carcasses de berlines flambent tandis que les guirlandes de Noël illuminent les kakémonos rouges Chanel suspendus aux platanes.

7Nous déambulons au milieu de groupes d’hommes et de femmes armés de leurs drapeaux régionaux dont certains entonnent en cœur La Marseillaise et non l’Internationale. Au-delà de la vision surprenante du paradis du shopping mondialisé saccagé et de ce qui bouleverse nos habitudes militantes, notre attention se porte sur les messages inscrits au dos des gilets jaunes. Rappelons qu’en octobre 2008, Karl Lagerfeld, ex-directeur artistique de Chanel mode, avait prêté son image à une campagne de prévention routière annonçant la possession obligatoire d’un gilet de visibilité dans chaque véhicule. Non sans humour, à côté de l’icône affublée d’un gilet jaune, un slogan affirmait alors : « c’est jaune, c’est moche, ça ne va avec rien, mais ça peut sauver des vies ».

8Difficile de dire quel esprit futé a eu l’idée de personnaliser son dos de gilet et d’en faire, du même coup, un porte étendard. Difficile aussi d’estimer le pourcentage de manifestants ayant écrit sur leur gilet, mais on peut supposer qu’une minorité seulement a osé ainsi afficher publiquement un message. Dès novembre 2018, des manifestants se saisissent d’un stylo pour apposer, sur ce gilet de toile synthétique jaune fluo, une inscription manuscrite à l’attention de qui la verra. Le gilet devient alors support de doléances, de traits d’esprits, d’exaspérations. Certains affichent leur métier en regard de leur salaire, on lit des messages d’espoir et de colère, des citations révolutionnaires autant que des références issues de la culture populaire (Bosshard, Dupeyrat, Huz et Martin 2022). Répliquant à l’icône de la mode et au monde qu’il représente, un manifestant inscrit : « C’est jaune, c’est moche, ça va avec rien, mais ça va habiller la révolte » (vu à Besançon, acte 19).

Les gilets jaunes sont des artistes

9Dans le même temps, les éditorialistes de chaînes d’information en continu poursuivent leur entreprise de disqualification du mouvement.

La représentation visuelle dans les médias, quatrième pouvoir, participe à la délégitimation du mouvement — les médias traditionnels demeurent les principaux pourvoyeurs d’images iconiques, celles qui « font l’histoire » et marquent durablement les représentations sociales. (Moualek, 2022)

10Les gilets jaunes répliquent sur leurs dos mais leurs messages pèsent peu face à la violence politique et médiatique qui s’abat sur eux. Un manifestant trace « RIEN » en grandes lettres majuscules au dos de son gilet jaune en réponse à la petite phrase d’Emmanuel Macron à propos des « gens qui ne sont rien ». Quand en septembre 2018, le Président ose « je traverse la rue et je vous trouve un travail », un gilet répond « Manu prépare toi à traverser la rue, tu vas trouver du chom-du ». Alors que le gouvernement assène que les gilets jaunes ne savent pas ce qu’ils veulent et tandis que le président prépare le Grand Débat National, on lit « Grand dégât national » au dos d’un gilet. Et encore, quand Emmanuel Macron ironise fin janvier 2019, à propos de « Jojo le gilet jaune », un impertinent rétorque « Jojo est arrivé, tu vas sauter »2.

11Amatrice d’art urbain, d’art brut et d’art populaire, convaincue que « tous les humains sont des artistes » en puissance comme le disait le plasticien allemand Joseph Beuys, sensible aux images du fait de ma formation et de mon métier de graphiste, je suis touchée par le fait que les messages se trouvent non pas manufacturés, mais manuscrits ou dessinés sur les gilets. En effet, au-delà du fond politique, la forme est étonnante. À l’heure de la production visuelle numérique de masse, avec ses images aseptisées et désincarnées, examiner un gilet jaune personnalisé permet de percevoir dans les aspérités, l’humanité du sujet. On voit le manque d’assurance du geste, les ratures, les lignes tracées pour écrire droit, ou au contraire, le trait juste et déterminé. En outre, contrairement aux photographies de tags posés sur des surfaces urbaines inertes (murs et vitrines) tels ceux archivés par le blog La rue ou rien (https://larueourien.tumblr.com/), les photographies de dos de gilets donnent à voir des inscriptions photographiées sur des personnes. Cela concourt à la puissance des images de dos de gilets.

12Ainsi, début 2019, partout les gilets jaunes défilent avec des messages inscrits sur leurs dos et d’autres les photographient. Puisque certains partagent ces images sur leurs propres pages Facebook ou sur les réseaux sociaux de groupes locaux, alors qu’exposées ensemble elles pourraient constituer un riche corpus, il faut proposer une initiative collective et pour ce faire, lancer un appel à contributions. Il faut archiver ces objets politiques et sensibles produits par les gilets jaunes dans le temps du mouvement et qui disent tout : le besoin de dignité, la reconnaissance de métiers essentiels dévalorisés, le désir d’un futur désirable pour les enfants et de retraites correctes pour les anciens, l’aspiration à un monde juste, la dénonciation des inégalités, de la violence, du mépris, sans jamais manquer d’humour. « Il faut » dit la nécessité qui s’affirme alors : plutôt que de laisser ces images éparpillées, elles doivent être rassemblées dans une galerie nationale et montrées le plus largement possible pour contrer le discours médiatique dominant, répondre au mépris, aux calomnies, faire écho aux messages émancipateurs et tenter de rendre un tant soit peu de dignité aux gilets jaunes.

Méthode de mise en œuvre

13Séduisant un petit cercle de proches, l’idée se dote d’une identité et d’un slogan. L’archivage en ligne nécessite un travail important, qui se réalise avec de petits moyens, mais sur la base de principes partagés et d’idéaux communs. Dès le début, l’intention se pense et se présente comme une riposte à l’hégémonie culturelle. Face au succès de sa proposition d’archivage contributif, Plein le dos devient un média papier (les feuilles jaunes) en tirant profit de compétences en stratégie de communication et en conception graphique ; les outils à disposition sont utilisés pour faire connaître et pour communiquer sur les actions. La diffusion des feuilles jaunes fédère un collectif national animé par des principes d’autogestion qui, au passage, nous montrent leur puissance (i.e. leur capacité à produire des effets).

Archivage numérique

14Le 10 janvier 2019, un mois et demi après le début du mouvement, j’adresse ce message à quelques camarades sur Télégram : « J’ai dans l’idée de me coller à la création d’une page visuelle, un mur de belles photos de dos de gilets aux messages sélectionnés selon la ligne politique que nous partageons. (...) Qu’en pensez-vous ? ». Logiquement l’idée fédère. Il faut créer une identité graphique, trouver un nom et le « logotyper », lui adjoindre un slogan pour communiquer sur les réseaux sociaux, en premier lieu Facebook où les gilets jaunes sont présents, puis Twitter et enfin Instagram, pour toucher d’autres cercles. Philippe propose le nom « Plein le dos » qui dit l’essentiel. Pour le slogan, après quelques discussions animées — faut-il ou non parler de mépris de classe — cela sera simplement « La rue contre le mépris, pour une mémoire populaire », Enfin, une idée se partage mieux avec une maquette présentable : réalisée avec Tumblr (https://pleinledos.tumblr.com/), la première galerie Plein le dos est en ligne le 16 janvier 2019.

15La galerie en ligne version bêta se construit essentiellement avec les images des quelques photographes professionnels qui documentent habituellement les mouvements sociaux. La ligne éditoriale se définit comme solidaire et émancipatrice ; elle cherche aussi à donner à voir la beauté du mouvement. Je dépose mes clichés ainsi que ceux de certains camarades, comme moi photographes amateurs depuis l’essor des smartphones. Dès lors, la publication de ce mur d’exposition virtuel rend visible l’initiative en construction. Cela permet de la montrer sur les réseaux sociaux de Plein le dos créés pour l’occasion et d’inviter plus de contributeurs à y participer. La plateforme a été fondée au moment de l’acte 12, mais il s’agit aussi de récupérer des photos des actes précédents. Montrer des tableaux de collecte — construits par actes et par villes —, permet de donner à voir la mobilisation selon les actes — quelles villes, quels départements ont participé. Publiée sur la page Facebook de Plein le dos le 22 janvier 2019, une vidéo montre le déroulement vers le bas de la galerie Tumblr sur un écran d’ordinateur, donnant ainsi à voir la juxtaposition des messages de dos tandis que la voix off explique l’idée. En parallèle de la communication sur les réseaux sociaux, un court tract présentant Plein le dos est diffusé fin janvier dans les manifestations parisiennes.

16Pour exister, Plein le dos a fait le pari qu’un nombre conséquent de personnes allait accepter de jouer le jeu du pot commun des images. Le pari est gagné : semaine après semaine, les contributeurs sont de plus en plus nombreux. Début février 2019, Tumblr se révèle inapproprié pour le nombre conséquent de contenus à publier. Suite à un appel à l’entraide partagé sur Facebook, Thomas se porte volontaire pour construire un modèle d’architecture sérieux avec Word Press pour le site et ses galeries. Déjà présent sur la version bêta, un avertissement est reposé sur le site afin de prévenir tout risque de détournement :

Ce projet, son nom et ses contenus photo appartiennent aux gilets jaunes contributeurs. Quiconque en ferait un usage commercial insulterait gravement les auteurs et prendrait le risque de s’exposer à la vindicte populaire.

Publié sur le site le 19 mars 2019, un article affiche ce qui motive Plein le dos :

Plein le dos est avant tout un projet militant, qui se propose de contredire la désinformation médiatique en montrant ce que qu’on voit, ce qu’on lit sur les dos, ce que les Gilets Jaunes ont sur le cœur : y’a pas à dire, ils en ont gros ! (https://pleinledos.org/point-etape/)

17On se partage les tâches : réceptionner les e-mails ; trier les photos par acte, par ville, par contributeur ; renommer chacune avec une nomenclature permettant que chaque fichier image soit attaché à ses informations ; répondre aux questions ou questionner, si le lieu ou la date de prise de vue n’ont pas été précisés ; animer les réseaux sociaux avec des photos, des diaporamas et tout contenu pertinent (Facebook, Twitter et Instagram) afin de toucher une diversité de publics ; publier les images reçues sur le site, en mettant à jour chacun des actes, semaine après semaine ; rejoindre les cortèges du samedi, prendre des photos de dos, parler de la galerie etc.

La feuille jaune

18Alors que le premier cercle du collectif commence à imaginer la publication ultérieure d’un livre, Raul affirme qu’il serait dommage d’attendre pour exposer les matériaux déjà accumulés. Forte de cette remarque, et puisqu’en tant que graphiste indépendante, je dispose du temps et des compétences, je m’attelle à la composition d’une sorte de journal-affiche recto/verso tel les posters des magazines jeunesse, qui ne montre que la juxtaposition de photos de dos, simplement légendées « vu à, suivi du numéro de l’acte ». La sélection des dos doit aussi tenir compte de la provenance des photos, afin de ne pas paraître parigo-centré avec une surreprésentation de gilets « vus à Paris », alors que le mouvement n’y est pas né. Le florilège est imprimé en noir (pour raisons économiques) sur un support papier jaune, justement recommandé par Sébastien. La sélection est resserrée car il faut produire un objet intégrant une diversité de thématiques intergénérationnelles, à l’image de ce que Plein le dos archive sur son site ; inégalités, dignité, salaire, démocratie, femmes, futur, écologie, violences policières, etc. Par ailleurs, sans s’inscrire dans une performance artistique, l’objet doit être graphiquement impeccable afin de produire un impact visuel conséquent. C’est pourquoi le choix des images, permettant de bien équilibrer les dessins et les graphies, et leur composition sont importants. Enfin l’objet doit être pratique : de format A2, la feuille jaune est pensée pour être pliée en quatre (format A4) afin d’en faciliter le stockage ainsi que le transport.

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Diffusion du premier numéro le 2 mars 2019 (acte 16) à Paris

19Tiré à deux mille exemplaires, le numéro 1 de Plein le dos, en tant que feuille jaune, est diffusé le 2 mars 2019 au départ de l’acte 16 sur les Champs-Élysées. Chaque nouveau numéro est composé quarante-huit heures maximum avant son impression afin de pouvoir choisir dans les images qui, entretemps, ont été réceptionnées, triées, renommées et qui sont — si possible — déjà publiées dans la galerie de l’acte correspondant sur le site. Pour chaque nouveau numéro, il faut en effet ne pas risquer de passer à côté d’un gilet qui répond à l’actualité des dernières semaines. Christophe Dettinger, dit « le Gitan de Massy », devient rapidement un héros du mouvement3 ; le premier numéro de Plein le dos lui rend honneur avec un gilet jaune présentant son portrait en boxeur (vu à Paris, acte 14).

20En réponse au président qui souhaite à Geneviève Legay, âgée de soixante-treize ans et gravement blessée à Nice le 23 mars 2019, qu’elle parvienne à « une forme de sagesse », l’inscription « 69 ans, fragile et toujours pas sage » (vu à Paris, acte 20) s’affiche crânement au dos du gilet d’une femme âgée dont la photo est publiée dans le numéro 4 (début avril 2019). Suite à l’incendie de Notre-Dame mi-avril 2019, le gilet jaune « les gens sont plus importants que les bâtiments » (vu à Paris acte 27) figure dans le numéro 6 (début mai 2019). Le 29 juillet 2019, la découverte dans la Loire du corps de Steve Maia Caniço, porté disparu à Nantes dans la nuit du 21 au 22 juin 2019 au moment de l’intervention des forces de l’ordre, inspire le gilet « Je suis Steeve » (vu Toulouse acte 38), qui sera publié dans le numéro 7 (septembre 2019) etc. Chaque numéro est amendé par le collectif.

21Pour convoyer chaque nouveau numéro depuis l’imprimeur, il faut trouver un véhicule. Puis stocker les feuilles à Paris avant de les dispatcher : la logistique est conséquente. Dans les manifestations, les feuilles jaunes sont proposées à prix libre. C’est une pratique inspirée des lieux autogérés qui permet à chacun d’accéder à l’objet selon ses moyens en donnant ce qu’il veut, ou de l’obtenir gratuitement s’il n’a rien, voire de troquer une banane, un badge ou un briquet. Sur le terrain, ce modèle économique alternatif provoque de nombreuses discussions. Les différents publics sont peu habitués à ce modèle et certains s’étonnent parfois que les feuilles ne soient pas gratuites. Il leur est répondu que Plein le dos n’a pas de mécène et n’est pas la propriété d’un milliardaire, et n’est en cela pas comparable au journal 20 minutes (ce quotidien d’information générale distribué gratuitement en France, en Espagne et en Suisse, fondé par un conglomérat norvégien du secteur des médias). Car si les membres du collectif consacrent beaucoup de leur temps au succès des feuilles jaunes, le papier et le travail d’impression se payent en argent comptant. La publication d’articles sur le site et leur partage sur les réseaux sociaux permettent d’apporter des réponses à ce type de questions et de communiquer des éléments de langage aux membres du collectif.

Puissance de l’organisation collective

22Au cours de son aventure, Plein le dos a rassemblé près de cinq cents contributeurs, qui ont permis d’archiver plus de quinze mille photos de dos de gilets jaunes, vus partout en France, avec des contributions régulières en Haute-Garonne, en Hautes-Pyrénées, dans le Nord, en Gironde, dans les Bouches-du-Rhône, en Loire Atlantique et bien entendu à Paris où il est nécessaire de trier les doublons à cause d’un plus grand nombre de photographes. Au-delà de son premier cercle, Plein le dos n’a pu se déployer que parce que l’initiative a séduit des personnes qui, sans se connaître, s’y sont reconnues au point de partager le désir d’y participer. Mais c’est autour de la diffusion des feuilles jaunes, une fois l’idée matérialisée sous la forme d’un objet, que le collectif a gagné de nouveaux membres. Après le premier numéro, quatre ont suivi à quinze jours d’intervalle et l’annonce de leur arrivée a reçu chaque fois un accueil enthousiaste. Plein le dos a bonne réputation, ses feuilles sont attendues. Celles et ceux qui rejoignent le collectif sont ainsi fiers de diffuser les feuilles jaunes et de représenter ainsi Plein le dos dans la rue.

23Parce que les manifestations du samedi à Paris rassemblent des gilets venus de toute la France, Plein le dos quitte la capitale. Le réseau de diffusion et, donc, le collectif deviennent nationaux. « On cherche un complice qui fera un Paris-Saint-Brieuc d’ici la fin de la semaine » : une fois le contact pris, les feuilles sont acheminées par celui ou celle qui a répondu à l’appel diffusé via les réseaux sociaux. On trouve alors Plein le dos à Avignon, à Bordeaux, à Lamballe, à Lille, à Marseille, à Rennes, à Toulouse, à Strasbourg ainsi qu’en Belgique4 (pour les réseaux de diffusion identifiés). Chaque groupe local est autonome, décide de ses actions et tisse ses alliances de terrain en fonction de ses membres et des ressources militantes présentes. Par exemple, du fait de son ancrage local, c’est la partie marseillaise du collectif qui propose la création du hors-série « Fières et déters, femmes précaires, femmes en guerre » pour la marche du 8 mars 2020. Au total, la publication des neuf numéros, des trois hors-série ainsi que des deux numéros spéciaux s’espace sur presque deux ans, avec une dernière publication en janvier 20215.

24En raison de la centralité de la partie parisienne du collectif, il est nécessaire de fluidifier les échanges et, autant que faire se peut, de partager les pouvoirs, l’éloignement compliquant notoirement les choses à cet égard. Cependant, le partage des codes d’administration des réseaux sociaux permet de contrer la centralisation parisienne — la communication est aussi un pouvoir politique. Le partage des comptes permet ainsi l’autonomie et la spontanéité qui conviennent au mouvement et qui n’auraient pas pu se réaliser avec un modèle d’organisation plus vertical. En partageant l’administration de sa page, les membres du collectif national peuvent publier des photos qui illustrent leurs actions. Par exemple, en février 2020, une photographie montre les membres de la section Côtes-d’Armor portant les feuilles jaunes devant la fresque en hommage à Steve Maia Caniço à Nantes. Au moment de la mise en vente du livre, une photographie montrant le livre lu par un gilet jaune en fauteuil roulant sur un barrage autoroutier de Moselle est publiée sur les réseaux sociaux. Et encore, au cours de l’été 2021, le compte Facebook publie la photographie d’une feuille jaune dans les mains de zapatistes de passage en Occitanie. Force est de reconnaître que la confiance tacite entre les membres du collectif a été essentielle pour le fonctionnement et ainsi que pour le rayonnement de Plein le dos.

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Le 21 décembre 2019 (acte 58) à Carling, Moselle

Idée subversive

25En se diffusant sous la forme des feuilles jaunes, le collectif Plein le dos doit déterminer quoi faire de l’excédent d’argent cagnotté. Ni archivage strictement scientifique, ni œuvre visant à intégrer le marché de l’art contemporain, plus proche d’un fanzine que d’un journal, l’initiative est atypique et intéresse différents cercles scientifiques : études visuelles contemporaines, littérature et histoire contemporaines, sciences sociales, archivisme. Les feuilles jaunes sont désormais invitées à s’exposer dans des lieux et auprès de publics qui étaient le plus souvent restés à distance des cortèges. Arrive aussi l’heure de chercher à confier les archives à une institution qui saura respecter son positionnement particulier.

Modèle économique alternatif

26Au départ le prix libre vise à rembourser les frais d’impression, mais des gains excédentaires sont très vite réalisés. L’initiative n’ayant pas à gagner d’argent sur le dos des gilets jaunes, elle se doit de reverser ces fonds, d’autant plus que les contributeurs photos ont cédés leurs droits d’auteurs pour un usage solidaire. Ainsi début avril 2019, de premiers dons sont réalisés au profit de mutilés du mouvement. Pour ce faire, Plein le dos se rapproche du Collectif Désarmons-les6 qui est en lien avec les premiers mutilés gilets jaunes, afin de bénéficier de contacts et de conseils. Pour ne pas seulement verser de l’argent, mais pour informer les blessés de l’existence d’un mouvement de solidarité en leur faveur, des membres du collectif Plein le dos se chargent de contacter chacun des bénéficiaires des dons. L’échange est l’occasion de demander un message manuscrit qui peut être publié sur la partie blog du site afin de permettre à Plein le dos de partager son éthique solidaire et d’asseoir sa crédibilité. A ce propos, Sébastien Gaillot note : « [...] l’économie de ce système fonctionne de manière autonome. Les manifestants sont à la fois les producteurs et les destinataires de la valeur produite par les détournements et décorations des gilets » (Gaillot, 2020).

27Plein le dos est aussi sollicité par des médias pour fournir des images servant à illustrer des articles. Dans le cas de revues commerciales, le versement d’un don est demandé dont le montant est laissé à la discrétion de l’éditeur. Ainsi, Plein le dos ne se retrouve pas à devoir « vendre » une image, ce qui irait à l’encontre de ses principes ; celui qui la publie est invité à contribuer à la solidarité. Enfin, en avril 2019, Plein le dos est contacté par la maison d’édition indépendante Les éditions du bout de la ville. Une première discussion permet de valider que nos modèles économiques sont compatibles. Construit sur la base des sélections déjà réalisées pour l’édition des feuilles jaunes, le livre rassemble des photos réalisées par plus d’une centaine de photographes amateurs et professionnels qui acceptent de céder leurs droits d’auteurs. Avec l’aide d’Hélène, traductrice d’anglais de métier qui coordonne les traductions, le livre bilingue parait à la fin 2019 et bénéficie largement de l’aide du collectif national pour sa promotion et sa vente.

28La diffusion de cinquante-six mille feuilles jaunes à prix libre, les publications de photos dans des revues et la vente du livre Plein le dos, ont permis de donner plus de quarante mille euros aux membres du collectif Les mutilé.e.s pour l’exemple, à des caisses locales de défense collective, à des gilets jaunes incarcérés pour leur permettre de « cantiner », ainsi qu’à des caisses de grèves au moment des manifestations contre la réforme des retraites (janvier 2020). Sébastien Gaillot écrit à ce sujet : « La mise en circulation d’un feuillet et les contraintes inhérentes liées à la diffusion d’un document imprimé ont transformé ce qui était à la base une entreprise de conservation et d’archivage, en réseau d’action militante contre les violences policières » (Gaillot, 2020). Par ailleurs, la gestion des sommes cagnottées et le versement des dons ont nécessité en septembre 2019, la création de l’association Comité vertigo, qui héberge à ce jour Plein le dos, ainsi que d’autres initiatives ou collectifs informels solidaires.

Positionnement atypique

29Devenu archive-fanzine-politico-artistico-solidaire, Plein le dos assume sa subversivité. Pied de nez aux méprisants, les feuilles jaunes ne sont accessibles qu’aux manifestants présents dans les cortèges. Rapidement épuisés, les numéros 1 et 2, respectivement imprimés à deux mille et trois mille exemplaires, ont droit à un second tirage sur papier blanc : seuls les gilets jaunes ont pu avoir les numéros originaux sur papier jaune. Malgré sa diffusion relativement marginale, Plein le dos est informé dans un courrier de l’obligation de déposer ses publications à la Bibliothèque Nationale de France. Dans le même temps, la feuille jaune est invitée à figurer parmi la sélection présentée lors de la neuvième édition parisienne du Fanzines ! Festival 2019. Plein le dos fait ainsi le grand écart entre les marges et les institutions.

30Le pédagogue brésilien Paulo Freire a exposé sa conception de la posture d’éducation populaire : « Personne n’éduque personne, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde. » Le premier billet publié sur le site Plein le dos, le 28 février 2019, affirmait vouloir « rendre aux gilets jaunes ce qu’ils ont créé ». En cela, Plein le dos est aussi un outil déducation populaire qui loin de « parler à la place de », « fait écho à ». Hyper accessible, une feuille jaune ne présente que des « images à lire ». Par ailleurs, des membres du collectif parisien ont rapporté que diffuser Plein le dos leur a permis d’engager des conversations avec les gilets jaunes qui, dépliant la feuille, cherchent à y trouver leur gilet au milieu des autres, et ce faisant, prennent connaissance de la multiplicité des messages écrits et dessinés. Rien ne permet cependant de dire que telle personne portant tel message sur son gilet est d’accord pour que son message soit publié à côté de tel autre — sinon que personne ne s’est jamais plaint.

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Sur un rond-point, le 11 mai 2019 (acte 26) à Gingamp, Bretagne

31Qui plus est, force est de reconnaître que la juxtaposition d’une sélection d’écrits sauvages de la contestation compose un corpus dans lequel nombre des manifestants se reconnaissent, ce qui permet d’envisager Plein le dos comme un album photo de famille. Non partisane, l’intention était et reste volontairement politique : il était nécessaire de faire avancer des idéaux émancipateurs pour contrer les idées réactionnaires, dont il n’a jamais été question de nier la présence au sein du mouvement des gilets jaunes. Participant au rapport de force inhérent aux luttes sociales et politiques, Plein le dos est ainsi devenu un média des gilets jaunes, outil de contre-propagande, en se servant de façon opportune des messages inscrits sur les dos pour construire un message politique plus grand que la somme de ses parties. Le positionnement est explicite dès le lancement de l’initiative, ce qu’a relevé un article du Figaro publié quelques jours seulement après la mise en ligne du site Plein le dos (version bêta) :

Ce recueil ne se veut pas neutre : le choix des images mises en ligne résulte d’une « sélection », précise le court texte de présentation présent sur le site. Cette sélection est guidée par la volonté « de donner à voir une multitude de messages solidaires et émancipateurs »7.

Institutions et patrimonialisation

32En septembre 2019, l’artiste plasticien Baptiste César a exposé les feuilles jaunes lors d’une exposition collective d’art contemporain au 109, à Nice, sous la question : « Quelle sont les limites de l’art ? », rejoignant ainsi le regard initial qui a motivé Plein le dos. Cette première incursion dans un lieu d’art questionnait le monde de l’art contemporain : un objet composé de la juxtaposition de matériaux sensibles et spontanés, conçu avec une intention artistique et politique, dans une démarche financièrement désintéressée, est-elle légitime à se prétendre œuvre d’art ? Depuis, Plein le dos s’est affiché par deux fois dans des espaces dédiés aux arts visuels sous la forme d’un collage mural éphémère, juxtaposant ses douze feuilles recto-verso et plaçant les spectateurs face aux messages de près de six cent cinquante gilets jaunes8. Avec ce début de reconnaissance, Plein le dos prétend au statut d’œuvre d’art populaire contemporaine. Son positionnement transversal lui permet de porter les messages des gilets jaunes dans des espaces éloignés des luttes sociales.

33Par ailleurs, ayant été invitée en novembre 2020 à parler de mon activité professionnelle aux étudiants en fin de cursus de l’École Supérieure d’Art et de Design d’Orléans, j’ai proposé de montrer comment on peut mettre ses compétences au service de causes que l’on soutient. Suite à la présentation, un sondage réalisé par l’équipe pédagogique de l’établissement a révélé qu’une majorité des élèves se sont dits rassurés de voir possible « d’adapter leur futur métier à leurs valeurs ». Enfin, Plein le dos est convié à différents colloques universitaires, les uns s’intéressant au volet spécifique de l’archivage, les autres à ce qu’est une image populaire, ou encore d’autres — comme ce fut le cas pour le colloque Les écrits sauvages de la contestation — à ce qui est considéré comme une forme de littérature marginale. Après cela, arrive le temps de la patrimonialisation afin que l’archive soit confiée à une institution qui pourra la pérenniser.

34Car le maintien d’un site internet en ligne qui se trouve consulté tant par des chercheurs en histoire contemporaine que par des étudiants en sciences sociales, représente un coût annuel important supporté par l’association Comité Vertigo. Aussi, les fichiers natifs ne doivent pas continuer d’être stockés sur un serveur personnel alors que ces archives sont un bien commun et qu’elles constituent une ressource utile à une mémoire populaire. Les feuilles sont archivées par la BNF, le site a été aspiré par une plateforme universitaire d’archives en ligne (https://archive-it.org/) et Plein le dos est devenu un livre bilingue dont l’appareil de notes apporte un éclairage utile aux messages sélectionnés. Comme c’est le cas pour d’autres archives, se pose la question de la transmission du fonds, qui comprend la partie visible de Plein le dos, son site internet, le dossier de photographies, mais aussi la mémoire du collectif. Une discussion est d’ores et déjà engagée avec l’association « La contemporaine » qui semble susceptible de correspondre aux principes de Plein le dos.

35Écrite depuis un point de vue engagé, cette carte blanche, développée consécutivement au Colloque inaugural de l’OLSa, veut montrer ce qu’une initiative telle que Plein le dos, portée par un collectif national spontané et informel au fonctionnement autonome, diffusée dans une forme de marginalité avec les moyens à sa disposition en fonctionnant sur la base d’un modèle économique alternatif, a de puissant. Relativement à Plein le dos, le terme « sauvage » évoque des formes non domesticables, non institutionnalisées et non institutionnalisables. Pour autant, Plein le dos est animé par des prétentions diverses et parfois contradictoires, mais fidèle à son intention de départ, aspire à faire entrer les messages de dos de gilets jaunes dans l’histoire sous la forme d’une mémoire populaire. Dès lors il lui faut bien accepter une forme d’institutionnalisation. Au-delà de la question de la patrimonialisation où le risque de neutralisation du discours politique ou de récupération est grand — personne ne s’étonnerait qu’une entreprise de fast fashion puisse percevoir une opportunité de gains en exploitant les slogans des gilets jaunes —, il me semble plus que nécessaire de continuer de donner de la visibilité aux messages et de ne jamais cesser de lutter contre le mépris, les préjugés, la désinformation et la condescendance. Car nous sommes nombreux à avoir éprouvé notre commune humanité auprès des gilets jaunes, loin des masques sociaux et de la distance usuellement déployés dans nos relations, c’est au contraire une franche simplicité qui nous a rapprochés. En cela le mouvement des gilets jaunes nous a bouleversés. Plein le dos dispose d’un reliquat de près de trois milles feuilles jaunes qu’il serait heureux de déposer dans des bibliothèques, de mettre à disposition de publics de centres sociaux ou dans des centres d’incarcération. Par ailleurs, en tant qu’artiste, j’espère pouvoir un jour réaliser un collage monumental pour tenter de toucher les affects de celles et ceux qui sont passés à côté des gilets jaunes sans les rencontrer. Tout reste à faire, rien n’est impossible et « Nous voulons tout » (comme le dit un message vu à Toulouse, lors de l’acte 16). C’est le temps long de la politique, il n’y a plus qu’à...