Ramuz et l’écriture de la Ressemblance dans La Beauté sur la terre
1La comparaison est sans doute la figure de style, avec la répétition, qui frappe le plus le lecteur de Ramuz. La critique1, dès la première œuvre, y a été sensible et y a lu un trait spécifique de l’écriture ramuzienne, son goût pour l’image.
2Robert de Traz, par exemple2, souligne que l’originalité de l’écrivain dans Aline (1905)
« ne réside pas dans la structure des phrases […] mais dans l’emploi de l’image […] le charme de ces images est de survenir ici et là, d’amuser, d’étonner, d’émouvoir au passage […]. Mobiles, infiniment variées, elles augmentent la puissance suggestive du style ; les choses ordinaires en sont relevées, les choses supérieures en sont rendues plus familières ; et au fait exposé s’ajoute le monde nouveau que la comparaison évoque ».
3Benjamin Grivel, dans une étude minutieuse3, relève que Ramuz remplace l’analyse « forcément un peu sèche, par la description concrète, par l’appel à des images, à des comparaisons susceptibles de transposer dans l’ordre sensible des faits spirituels, des états d’âme ». Mais il émet quelque réserve sur « une prédominance trop marquée » de ce procédé : « Excellente à l’occasion, pour résumer une situation ou pour ouvrir une perspective, la comparaison, employée par système, sera insuffisante, étant de nature simpliste et inadéquate. » La comparaison lui paraît parfois « forcée, ou obscure, ou un peu falote ». Son jugement demeure cependant positif et a le mérite d’attirer l’attention sur une autre figure particulièrement intéressante, la personnification : « Ce style […] est rehaussé de-ci, de-là par de hardies personnifications, de vives images, qui le transposent pour un instant en un ton poétique […]. »
4Quelques décennies plus tard, Michel Dentan et Philippe Renaud, qui ont renouvelé la recherche critique, n’ont pas manqué d’être attentifs aux métaphores et aux comparaisons. Dans C. F. Ramuz, L’espace de la création (1974), Michel Dentan montre combien elles participent à mettre en avant le travail de l’écrivain et contribuent à « artificialiser le monde naturel4 ». « Les comparaisons et métaphores superposent et substituent sans cesse aux choses, aux objets naturels, les images d’objets fabriqués. »
5Puis, Philippe Renaud, en 1986, dans Passage du poète souligne l’importance des comparaisons, leur prédominance par rapport à la métaphore et note que la comparaison peut avoir une « valeur narrative », qu’elle est « un moyen de montrer sans expliquer » ; « lente, redondante, elle s’élabore selon le temps et l’espace vécu des protagonistes5 » .
6Ces réflexions critiques signalent combien la comparaison est un trait caractéristique de l’écriture de Ramuz, éclairent certaines fonctions de la comparaison, mais elles ne rendent compte ni de l’immense système analogique qui se déploie dans le récit, ni de sa raison profonde. Métaphores, comparaisons, personnifications, abondent qui établissent tout un réseau de « correspondances6», de rapprochements, de ressemblances, voire d’identifications.
7Dans La Beauté sur la terre, c’est un ensemble de près de 400 occurrences comparatives qui forme le tissu analogique. Si les comparaisons avec « comme » ‒ ce mot » « le plus exaltant » dont nous disposions selon André Breton7 ! ‒ sont très largement majoritaires (plus de 200), on trouve une cinquantaine de métaphores et autant de personnifications, quelques rares périphrases et quelques verbes et tournures verbales ou adjectifs (à la manière de, une espèce de, quelque chose comme, une sorte de ; les verbes sembler, ressembler à, avoir dit, faire des espèces de, faire comme, être comme, l’adjectif pareil à…).
II. Le domaine de la comparaison
8 Le récit rustique traditionnel est friand de comparaisons8 se rapportant aux plantes ou aux animaux, rarement aux objets ; il comporte souvent des comparaisons localisées ou individualisées renvoyant à des villages, des sites précis, des fêtes, des personnages ou des animaux réputés ou légendaires. Le but étant d’assurer au récit une évocation précise et plausible du milieu rural et de ses particularités. Ramuz, sur ce point, comme sur tant d’autres, se distingue de cet usage de la comparaison en lui donnant, associé aux personnifications9, une autre ampleur et une tout autre résonance. Il s’interdit un ancrage local ou folklorique qui serait totalement contraire à son esthétique.
9Les comparants appartenant aux règnes animal et végétal sont rares : une quinzaine d’animaux et presque autant d’occurrences du monde végétal. Les animaux sont des plus courants : chèvre, poulain, jument, serpent, chevaux, papillon, oiseau, éponge, coq, chien, chat, souris, canard, mouche, chardonneret, fauvette, mésange, pinson, poisson (indirectement : écailles). L’exemple des poissons est révélateur : là où un écrivain rustique aurait plaisir à décrire les différentes espèces qui peuplent le lac, Ramuz se contente du terme générique.
10Le règne végétal est encore un peu moins présent et moins précis : sapins, feuilles de peupliers, herbes, vignes, roussaille, trèfle, mousse, pré, nid, plante, arbres, chaumes, rave, fruits...
11L’attention est davantage portée sur le climat et ses phénomènes10 : brume, brouillard, pluie, nuages, orage, vent, soleil servent à la fois de comparés et de comparants. Ainsi, le filet de pêche est-il comparé à une « légère brume » (604), à « un petit brouillard » (619), les averses ressemblent à des « draps de lit » (651) ou à des « rideaux » (697). Dans ce récit du lac, on ne s’étonne pas qu’il soit (son eau, ses vagues) l’objet de multiples comparaisons concernant leur aspect, leurs mouvements.
12Mais, majoritairement, massivement, c’est le monde des objets qui sert de comparant (plus d’une centaine) ; objets familiers de la maison (tasses de faïence, bols, marmite, vaisselle, assiettes, bouteilles de verre, luminaire...) tissus (toile, soie, gants, draps, rideaux, cordeaux, dentelle, tapis…) matériaux, éléments de construction (poutre, carrelage, moellons, fenêtre, lucarne…).
13C’est une nature connue de tous et un univers familier que dessine l’écrivain.
14La comparaison peut s’établir entre même règne (roseaux/vignes) ; d’objet à un autre objet (brouette/tambour) ou entre règnes différents : poissons/fruits ; mât du bateau/serpent. Parfois selon une stricte règle de réciprocité : si les racines (625) et la mousse (672) ressemblent à de la barbe et à des cheveux, la réciprocité est avérée : Décosterd a le cou « moisi » de barbe (646) et la moustache de Rouge évoque une « broussaille » (619). Même loi d’inversion, en quelques lignes, concernant le rapport objet/nature : le torrent « fait un bruit de train qui passe sur un pont » et, dans la même page, « le train qui passe sur le viaduc » est comparé à « un grand bruit de vent qui se lève » (568).
15C’est essentiellement par le truchement de deux sens : la vue et l’ouïe (dont il faut redire l’importance) (trois occurrences du sens du toucher) que se compose cet univers de la Ressemblance, sensuel, familier et si humanisé, bien éloigné d’une rusticité militante.
III. La forme de la comparaison11
16La forme brève est rare. L’ellipse de l’outil grammatical exceptionnel ; exemple unique : « il faut entendre le détaillé des notes hautes : le chardonneret ne fait pas mieux » (554). L’on trouve seulement quelques exemples du simple groupe nominal annoncé par le verbe : « L’Afrique qui ressemblait à une grosse rave » (543), « un bateau qui coule comme une passoire » (598) ; ou annoncé par l’adjectif : la gravière aux « agglomérations pareilles à des éponges » (598).
17Le simple complément du nom ou de l’adjectif n’est guère fréquent non plus : « les éclats de bois devenus gris comme de la pierre (573), « un tout petit bruit de souris » (583), « couleur de nacre » (658) ...
18 Rares également les exemples de métaphore seule : ‒ par un simple nom : « pots pleins de crème12» (pour du lait de chaux) (604), par un groupe nominal : à son arrivée, Juliette n’est « qu’une pauvre petite chose grise » (545).
19 Dans la plupart des cas, la comparaison ou métaphore est développée au moins par une relative ou une subordonnée : « on voyait la bise tomber plus loin sur le lac faisant mille petits plis, qui fuyaient rapidement vers le large » (551), « le filet bien tendu transparent qui est comme un petit brouillard qui monterait tout droit du sol » (569).
20La forme développée et complexe est privilégiée. Généralement, comparaisons et métaphores sont largement développées et peuvent s’enchaîner.
21 Même dans la simple comparaison par le complément du nom, Ramuz ne peut s’empêcher de préciser, développer : « beau jaune couleur de beurre d’herbe (quand les vaches sont nourries à l’herbe, ce qui donne au beurre une couleur plus foncée » ! (603)
22 La métaphore peut être « filée » comme dans cet exemple du filet de pêche : « Ils tiraient sur ce palissage et cet espalier à mailles qui venait avec ses fruits qu’ils cueillaient [...] Ils allaient avec leurs mains roses, allant à ces fruits qu’ils laissaient tomber ensuite entre leurs pieds » (618). Ou encore, une première et longue comparaison complétée par une seconde : les branches des platanes sur la terrasse de Milliquet,
« encore à nu et tout à fait pareilles à de grosses poutres usées par l’âge et que la chaleur à la longue aurait fait gauchir, aurait tordues dans tous les sens, avec des renflements, des trous noirs, des fissures. Elles faisaient au-dessus de vous avec leurs fourches et leurs entrecroisements une espèce de quadrillage encadrant des losanges de ciel ; le quadrillage était noir, les losanges bleus. » (550-551)
23 Parfois comparaison ou métaphore peuvent être complétées sur le paragraphe suivant : « Les petites vagues venaient, l’une après l’autre, se coucher à ses pieds comme quand le chien reconnaît son maître. » (592). Au paragraphe qui suit reprise de l’image13 : « [...] il est demeuré là, pendant que devant lui et entre ses pieds les petites vagues s’allongeaient, les pattes en avant, et leurs griffes blanches s’ouvraient sur le sable. »
24Le soir qui tombe par une belle journée est rendu par une série de métaphores et de subordonnées : « le jour où une cendre grise venait se mettre sur toute cette braise rose qu’elle éteint, qu’elle cache et éteint de plus en plus » (632).
25Les vignerons qui viennent de sulfater leurs vignes sont décrits par une succession de comparaisons que la structure anaphorique des brèves indépendantes contribue à renforcer : « Ils ont la moustache comme des morceaux de mur pas encore secs. Ils ont la poitrine comme une maçonnerie. Ils ont des pantalons comme des tuyaux de ciment » (635).
26Mais, l’un des traits caractéristiques, spécifique, du système analogique de Ramuz dans ses récits, c’est l’abondance des comparatives « temporelles » et « hypothétiques ». On en relève une bonne centaine dans La Beauté sur la terre : « comme quand... » ou « comme […] quand... », « comme si... ». Le rapprochement entre deux situations, deux actions, est mis en valeur, d’autant que Ramuz n’hésite pas à multiplier les comparants ou à les développer.
27Dans cet exemple longuement développé : « À peine si, ce jour-là, la vue portait sur l’eau à plus de trois cents mètres ; c’était ensuite comme quand un rideau pend à sa tringle avec des plis », la comparaison « temporelle », va être reprise sous la forme d’une métaphore complétée par une nouvelle longue comparaison « hypothétique » et une personnification ! « Milliquet regardait à travers le vitrage ces rideaux de brouillard pas amusants qui venaient sur le fond du lac l’un après l’autre, comme si une main les amenait, puis cette main les emmenait, les faisant glisser sur la tringle [...] » (546-547).
28Les répercussions sonores successives d’une détonation sont minutieusement décomposées par trois comparaisons temporelles : « ... ce qu’on entend, c’est un premier écho dans le ravin faire son bruit comme quand une pièce de toile se tend, comme quand le vent entre brusquement dans la grande voile. Et le bruit du second écho. Puis du troisième. Comme quand la toile s’est mouillée ou comme quand le vent a faibli » (692).
29L’intensité de la chaleur et du soleil rendue particulièrement vivante par l’accumulation d’une hypothétique et d’une temporelle : « Au sortir de la maison, on recevait la brûlure du soleil comme si on vous approchait de la figure un fer rouge, comme quand le maréchal-ferrant par plaisanterie, ou pour se débarrasser des gamins qui l’entourent, tend brusquement vers eux le fer qu’il vient de retirer du feu » (686).
30À la fin du récit, dans le déchaînement des éléments digne d’une fin du monde, la nuit prend des proportions inquiétantes : « Ils glissent, ils tombent en avant, butant à la nuit qui est revenue en travers du chemin comme s’il y avait eu un éboulement de la colline » (697). Tout au contraire, la comparaison fait ressortir avec bonheur la délicatesse avec laquelle le bossu s’empare de son instrument : « On le voit qui, tout doucement […] amène à lui l’accordéon […], le pose en travers de ses genoux. Il a été comme quand une mère déshabille son enfant, tellement il allait doux avec les doigts dans les boutons de l’étui. » (643).
Répétitions, variations, multiplications…
31Le monde des ressemblances tissé par l’écrivain tient également sa force par deux autres procédés, la répétition d’une même image, soit à l’identique, soit sous forme de légères variations, et par la multiplicité de comparants pour un même comparé.
32Le bruit du jeu de quilles est noté ainsi lors de la première occurrence : « Les quilles dégringolaient comme quand on éclate de rire » (551) ; la seconde fois : « Le grand éclat de rire des quilles lui fait tourner la tête vers les deux petites fenêtres » (554) la troisième occurrence : « le roulement de la boule sur la planche […] puis vint encore l’éclatement des quilles » (555) ; enfin pour la dernière l’écrivain complète la notation sonore par l’effet produit sur le personnage qu’il évoque et dont il adopte le point de vue, la petite Émilie délaissée par celui qu’elle aime : « on entend les quilles, en dégringolant les unes sur les autres, faire un bruit par moments comme quand on éclate de rire et ça vous fait mal dans le cœur » (603).
33Les nuages selon leur apparence peuvent être comparés à des « petites voiles […] gonflées de bise » (550) ou à du « gros papier d’emballage » (647), image reprise et précisée quelques pages plus loin en « gros papier d’emballage brun noir […] et tout froissé » (650) ; ou encore en une comparaison filée : « Les nuages avaient été longtemps sur le ciel comme une couche de glace sale ; tout à coup ils s’étaient crevassés en tout sens » (558-9) ; enfin, par mauvais temps, ils sont décrits plus longuement et en mouvement : « les nuages comme des quartiers de roc, noirs ou couleur d’ardoise, bruns et veinés de gris, s’avancer l’un par-dessus l’autre, puis crouler ensemble contre la montagne comme quand il y a un éboulement. » (652).
34Ramuz n’hésite pas à combiner personnification, comparaisons et métaphores animales multiples et répétées pour mettre en évidence la puissance agressive des voitures :
« [...] la grande route où passaient toujours les automobiles, roulant avec leurs capots qui jetaient des feux et leurs brise-bise qui vous tiraient dessus comme quand la flamme sort du canon d’une carabine. Elles aboyaient, elles toussaient, elles hurlaient longuement comme quand un chien de garde s’ennuie. Elles roulaient sur la route grasse sans faire aucune poussière, toussaient, sifflaient, aboyaient, se croisant ou bien se doublant […] » (585).
Les personnifications
35Les personnifications, sous la forme de métaphores ou de comparaisons, jouent également un grand rôle pour donner vie à de nombreuses ressemblances.
36La plupart des éléments naturels et des objets peuvent être, à l’occasion, « personnifiés », et l’être, souvent, par les caractéristiques considérées comme les plus représentatives de l’homme comme le sentiment ( « joie » de la montagne, 613), amour du soleil pour Juliette (618), ennui des écriteaux, (595,…) ; la parole ( le vin « parle » 646), le torrent a une voix, la saison « appelle » (650) ; le rire (les quilles, 554, l’accordéon, par métonymie, rit, et la musique et les oiseaux (657, 658) ou encore, le travail ( les arbres, 556).
37La personnification est parfois longuement filée, comme dans cet exemple des effets de l’orage sur les eaux du lac :
« On avait vu toute la cavalerie des vagues sauter en selle. On avait vu venir ces cavaliers qui avaient des panaches blancs. L’orage pendait en arrière des montagnes de Savoie par une sorte de rideau ; […] la cavalerie a pris le galop […] on la voyait passer au large par longues files bien alignées et vues en profondeur sous les panaches blancs qu’elle a ; par rangs profonds que l’éclair creuse [...] » (679).
38Parfois brève : par exemple, par métonymie : il n’y a pas beaucoup de bateaux sur le lac, il fait mauvais temps : les voiles (des bateaux) sont rares : les voiles sont alors qualifiées de « frileuses » (544).
39Faut-il s’en étonner ? c’est la musique qui est l’objet de l’anthropomorphisation la plus poussée14. Véritable actant de la diégèse, son pouvoir révélateur et libérateur réveille Juliette considérée alors « comme morte », ce qui va déclencher le drame. De nombreuses occurrences présentent la musique, ou les notes, comme un être animé, mais c’est au chapitre XI, lors de la rencontre entre Juliette et le Bossu, qu’elle joue le rôle d’un véritable langage qui permet la communication et l’entente entre les deux personnages. La langue du Bossu est difficile à comprendre « mais on pouvait facilement l’entendre à cause de la musique qui est venue avant et vient pendant et vient après, parce qu’elle rit cette musique, ou bien elle gronde, ou bien elle s’impatiente ou bien soupire, ou dit “Tant pis” ; et est contente ou pas contente, ou encore se moque ou s’étonne » ; la musique illustre le propos de l’accordéoniste : « il a fait venir un grand accord pour mieux affirmer et marquer la chose » ou bien sert de parole : « Notre place à nous, est-ce que ce sera ici ? La musique dit que non. Ce sera également plus loin, beaucoup plus loin, comme dit la musique, qui va toujours plus loin en une ligne non finie. » (657).
40L’autre passage très important – tout le chapitre XII ‒ concerne le moment exceptionnel où Juliette un beau dimanche rame seule, pour son plaisir : la nature tout entière s’anime pour lui rendre hommage :
« […] tout s’est fait beau pour elle encore une fois, et c’est pour lui dire adieu […] (2). Lentement, encore une fois, elle a élevé son corps, elle l’a développé dans l’espace : c’était comme s’il donnait un sens à tout. Il semble que les choses aient eu tout à coup leur couronnement, par quoi elles se sont expliquées et tout à coup elles s’expriment […] » (666).
41 Bien d’autres éléments anthropomorphes se rencontrent dans le récit et la brièveté peut aussi se révéler très suggestive. Quelques brèves notations, par exemple, suffisent à donner dynamisme aux jeux de la lumière : « le jour lui a dansé dans ses cheveux » (609) ; plus développée : « les ustensiles en cuivre rouge ou en cuivre jaune vous lançaient selon vos déplacements l’un après l’autre dans la figure une barre de lumière, à cause du soleil qui entrait par la porte » (595).
Un univers animé
42 Le réseau des comparaisons construit un univers animé, vivant.
43Les éléments naturels sont présentés en action, en mouvement. Un exemple remarquable est celui, très fréquent, du verbe venir et du verbe faire, dans des emplois surprenants concernant les choses où leur valeur dynamique est conservée, renforcée par la présence d’images d’actions (humaine ou animale).
44Ainsi concernant le sens de l’ouïe :
« [...] le cri des oiseaux venait avec des explosions, comme quand on tire le mortier, faisant trembler les vitres dans leur ciment. Le grand bruit venait de la terre, au lieu qu’il n’y avait sur l’eau que du silence, quand seulement une petite vague à ourlet brillant, puis avec une partie arrondie, vient de temps en temps sur la rive et s’y étire en montrant ses griffes. » (565).
45De même pour le sens de la vue : la perspective est renversée. Ce sont les choses, en l’occurrence l’eau et la lumière, qui semblent se déplacer ! Bolomey s’est caché dans la pente, dans les broussailles et les sapins, pour surveiller la maison de Rouge :
« Là, l’eau vient à votre rencontre par les battements qu’elle fait le long des troncs et ses feux blancs au-dessus de vous dans ses branches, comme quand on lève le pic, on l’abat, on lève le pic et on l’abat. […] il reçoit la lumière de l’eau en pleine figure. Elle vous arrive contre, se promenant sur vous comme quand on ouvre et on ferme une croisée dans le soleil. » (661). La description visuelle se poursuit : « on voit venir la maison ».
46 Ramuz semble jouer sur l’emploi du verbe en l’utilisant soit quasiment comme une métaphore, soit dans son sens ordinaire. L’effet est saisissant dans l’exemple suivant : Émilie monte rejoindre son père et ses frères qui sulfatent la vigne : « Elle voit venir la vigne où les trois hommes doivent l’attendre. La vigne vient derrière son mur. […] Elle voit venir son père et ses deux frères sous la hotte […]. »
47Autre élément naturel, le vent présenté personnifié et en action : « Ici, le vent vous vient contre la figure et le corps par grosses bouffées molles, par espèces de boules d’air qu’il pousse devant lui des deux mains » (652).
48 Les bruits, ceux des notes de musique, sont également présentés de manière active : « Les petites notes de l’accordéon étaient venues. Elles passaient derrière les carreaux qu’elles faisaient tinter faiblement et elles les rayaient en passant comme l’oiseau du bout de l’aile » (561).
49 Le verbe faire est employé également à la forme pronominale15 pour des choses, les rendant vivantes dans une anthropomorphisation toute féminine : « Tout se faisait beau, tout se faisait plus beau encore, comme dans une rivalité. Toutes les choses qui se font belles, toujours plus belles, l’eau, la montagne, le ciel […] » (614).
Les clichés
50Dans la même optique dynamique, Ramuz redonne vie à certaines images devenues des clichés16.
51Un magnifique exemple est celui du lever du jour longuement développé. L’image traditionnelle du coq dressé sur ses ergots est totalement renouvelée dans toute sa dimension poétique :
« […] là où sont les grandes montagnes ; il y avait, entre deux pointes, une échancrure qui faisait comme un nid ; c’est là que le soleil venait de se montrer. On aurait dit qu’il battait des ailes. Une espèce de duvet rose, beaucoup de tout petits nuages roses se sont mis à monter dans les airs au-dessus de lui. Comme quand le coq se dresse sur ses ergots, ouvrant ses ailes qu’il fait briller, puis il les ramène à soi, alors toutes sortes de petites plumes s’envolent, ‒ qui étaient roses et en grand nombre, glissant mollement dans le ciel... », phrase et paragraphe se terminant sur une nouvelle comparaison : « pendant que sur les derniers champs de neige la lumière s’est allumée comme sur ces feuilles de papier d’étain que les enfants lissent du doigt. » (593).
52 De même, l’expression « coup de balai », par une anthropomorphisation minutieuse, redevient un acte concret : le changement de temps sur les montagnes, sur les pâturages, les gorges, le ciel est indiqué comme « complètement nettoyé » : « On a pris de gros balai de bouleau, le gros dur balai de biolle qu’on emploie dans les écuries ; ensuite on vient avec le balai en paille de riz, la brosse plate » (549).
53Le cliché du « bruit qui court » retrouve force en étant développé dans ses effets : « Les premiers mots qui avaient couru dans l’air l’avaient peinte [Juliette] autrement et avec de belles couleurs ; ils servaient encore. Ils continuaient à agir au loin et à appeler » (556). Celui du « flot de paroles » de Mme Milliquet est réactivé par l’image concrète du robinet contenue dans une subordonnée comparative temporelle, la « voix […] intarissable, comme quand on a tourné un robinet » (587).
54Le cri « perçant » : « Le grand bruit avait beau durer sur la terrasse, les petites notes claires le perçaient de partout. » (583).
55Une autre image qui a perdu toute qualité retrouve par contiguïté toute sa force : pour réparer le bateau, « La Coquette », on la « couche » sur des chevalets… Il est dit plus loin que le bois, les restes de peinture enlevés, le bateau est « déshabillé » ! (600).
IV. Une signification esthétique et éthique
Effets esthétiques
Ressemblance et points de vue
56 Le choix du point de vue est un autre élément qui contribue à renforcer l’intérêt de certaines descriptions ; Ramuz use rarement d’un narrateur omniscient, l’instance narratrice se présente généralement sous la forme d’un témoin. Sans doute ce choix limite-t-il la donnée d’informations, mais cette réduction est compensée par l’expressivité d’un témoignage subjectif. Et ce, d’autant plus que, souvent, l’utilisation de l’indéfini « on » et des marques de la deuxième personne ouvrent au lecteur la possibilité de s’imaginer, lui aussi, en témoin.
57Dans ce passage, Juliette, à bord du bateau, regarde dans la profondeur de l’eau :
« Là, des poissons longs comme le bras étaient posés à plat dans l’immobilité de l’eau ; on les voyait ouvrir la bouche. Par moments ils bougeaient un peu, ils tournaient un peu, comme sur un axe ; on les voyait ensuite ouvrir la bouche et une belle grappe de bulles d’air comme gommées montait à travers l’épaisseur, d’étage en étage, vers vous17. Comme si un marchand lâchait ses ballons, seulement ils n’étaient pas rouges, ‒ comme elle se disait […]. » (598-9).
58Nous voyons par le regard de Juliette et, comme avec elle, en savourons la fraîcheur d’un souvenir d’enfance.
59Certains emplois de la comparative « temporelle » ou « hypothétique », certaines métaphores expriment la volonté constante de Ramuz d’éviter les abstractions et les notations psychologiques. On suit ainsi l’effort d’interprétation d’un narrateur témoin éloigné de la scène ou ses hypothèses : « On l’a vue qui parlait à Rouge ; elle devait lui demander quelque chose. […] elle hoche la tête à plusieurs reprises comme quand on insiste. Finalement Rouge avait dû dire oui. » Autre exemple lorsque Maurice Busset sur les hauteurs surveille Juliette : « Il ne l’avait pas reconnue tout de suite : il faut qu’elle s’avance jusqu’à l’eau : là, elle se retourne comme si elle parlait à quelqu’un. » (611). La description d’un geste narrateur remplace une analyse : « il […] lève la tête comme quand on réfléchit » (643). Une métaphore verbale servira à souligner la force d’un sentiment : ainsi, pour marquer combien le personnage de Rouge est satisfait, « Le contentement lui ruisselle des yeux sur la figure » (566). La comparative peut illustrer concrètement une donnée abstraite ; lors de son arrivée chez Milliquet, Juliette connaît à son réveil quelque confusion mentale : « Les nuits et les jours s’emmêlent, comme quand on met les doigts d’une main entre les doigts de l’autre main18 » (553) ...
Ressemblance, diégèse et thématique
60 Point de vue et résonance avec la diégèse peuvent être associés. Au début du récit, au chapitre II, Milliquet et Rouge consultent un atlas pour situer Santiago de Cuba d’où provient le courrier annonçant la venue éventuelle de l’orpheline ; ils finissent par trouver la bonne page : « C’était au fond d’un golfe, dans une île […] ça se recourbe, ça vient vers nous comme un bras qui se tend » (542). L’image naïve résume avec force, dans sa brièveté, les derniers instants du mourant qui en appelle à son frère pour recueillir sa fille.
61 Au chapitre III, une image surprenante semble une annonce de la diégèse ; au moment clef où se multiplient les signes d’un changement radical du temps, avant que Juliette fasse son apparition et descende de sa chambre, le narrateur-témoin rapporte une réflexion des villageois et une notation climatique : « On disait dans le village : “Elle ne fait pas beaucoup de bruit, la demoiselle” ; en même temps, une échelle de soleil a été déroulée par un trou, comme quand d’un navire on jette une corde à des naufragés » (549). La contiguïté des deux constats fait de Juliette solaire une messagère du beau temps, voire sa cause ; rappel discret aussi de son arrivée en bateau. Quant aux naufragés ? S’agit-il de Rouge et de Décosterd qui s’abîmaient dans leur vieillesse et leur routine ? Leur présence est discrètement rappelée, comme est soulignée l’harmonie entre le ciel et le lac par une analogie minutieusement établie :
« Plus rien que quelques petits nuages, vite poussés vers le sud par-dessus la chaîne, quelques toutes petites voiles là-haut gonflées de bise qui s’en allaient avec un penchement, tandis qu’en bas, sur l’eau, il y avait aussi cette petite voile, et, elle, elle semblait un de ces nuages, un de ces tout petits nuages resté en arrière et tombé : c’était Rouge qui avait profité des airs pour faire un tour avec Décosterd... » (549-550).
62Pour souligner que la salle à boire de Milliquet est désertée Ramuz use de cette métaphore anthropomorphe : « Les écriteaux […] s’ennuyaient sur le papier du mur dans leur cadre » (595). La tristesse, l’angoisse de Rouge quand Juliette a disparu est notée par le paysage devenu à ses yeux sombre et gris : « il fait mouillé, noir, dans l’air, il fait noir sur la falaise » (630).
63Diégèse et thématique du récit se mêlent dans certaines comparaisons ou métaphores ; l’activité des protagonistes, dans cet exemple, semble se poursuivre dans le ciel : « Une étoile était parue et là tout doucement montait, redescendait comme quand on a jeté la ligne, et le bouchon reste à flotter » (633). Dans ce récit du lac, d’une Vénus19 venue des Caraïbes et débarquant par temps de pluie, tout un réseau d’images spécifiques, parfois surprenantes, renvoie à la thématique de l’eau. La pluie, à l’arrivée de Juliette ‒ dont il est dit qu’elle sait nager ‒ « semblait moins tomber du ciel que flotter en tout sens dans l’air20 ». (545). Plus étonnante la reprise du même verbe pour qualifier la poussière du beau temps qui « flott[e] partout à l’horizon » (600), ou le même verbe repris encore pour la lumière : « une lumière très pâle qui flottait entre deux bandes de nuages » (646) ; une autre occurrence concernant la liquidité de la lumière : « On voyait un filet [!] de lumière suinter au bas de la seconde porte » (563) ...
64La musique a un « cours d’eau » (561) que Juliette « remont[e] » pour localiser le musicien. Le souffle de l’accordéon est comparé à un « torrent » (615), les gammes à « un jet d’eau » (615), les petites notes du Bossu « coul[ent] entre ses doigts » (644).
65 Au moyen de métaphores et de comparaisons, Juliette qui n’est jamais décrite est esquissée, associée à son élément : l’air qu’elle respire « est comme de l’eau fraîche » (594), la grâce de ses mouvements fait penser aux vagues : « un grand beau mouvement a couru encore le long d’elle comme quand les vagues se lèvent et se poussent l’une l’autre » (665) ; sa souplesse, à un chat (562), rare comparant animal dans la Beauté. Or ce comparant chat n’est utilisé que deux fois : pour Juliette et, ce n’est pas un hasard, pour les vagues, et ce, dans un contexte la mettant en jeu : « Une dernière vague se tend vers elle avant de se laisser tomber en avant sur les pattes, comme un chat » (594).
66Le nombre considérable des comparaisons dans leur forme généralement lourde, s’il met en valeur la présence de l’écrivain, son travail sur la langue, il tisse, en même temps, un univers vivant, émouvant, qui fait appel au lecteur, le touche. La comparaison n’est pas un simple ornement, une allusion rustique. Le renvoi par les subordonnées comparatives « temporelles » ou « hypothétiques » à des situations familières déjà vécues dans le temps, ou pouvant l’être, sollicite la mémoire et l’imagination du lecteur, « fait penser ». Ramuz utilise deux fois cette tournure qui pourrait qualifier ces lourdes subordonnées21 ! Ces formes spécifiques sont révélatrices de l’évolution de l’écriture de Ramuz.
67Sur ce point, la confrontation avec Aline se révèle particulièrement éclairante. Si le nombre de comparaisons y est considérable, relativement aussi important que dans Derborence, leur nature et leur fonction diffèrent. Dans Aline, les comparaisons sont grammaticalement simples, généralement, il s’agit du groupe nominal introduit par comme, parfois complété par une subordonnée relative22. Leur emploi relève encore souvent de la tradition, même si certaines images sont audacieuses et si nombre de ces comparaisons renvoient à des objets plus qu’à des éléments du règne animal ou végétal et permettent d’éviter des notations psychologiques. Elles assurent l’ancrage rustique de ce premier récit d’un réalisme poétique.
68La nature animée, anthropomorphisée, contribue à effacer la distance entre le premier plan de la diégèse, de la dynamique des personnages et de leurs actions, et le décor d’un arrière-plan qui serait formé par un cadre naturel statique. De même, L’effet de ralenti23 que le développement de la comparaison pourrait entraîner par rapport à la diégèse est annihilé par la présence des verbes. Ramuz avait bien noté, en 1901, que « le verbe fait […] les objets agissants, vivants, les prolonge dans le passé et l’avenir, en fait des êtres24 ». Parfaitement intégrées à l’histoire ou à la thématique profonde, porteuses souvent d’une dimension narrative, elles contribuent à la continuité du récit.
69 Par le rapprochement qu’il établit entre deux éléments du monde, par l’image, cet « arc-en-ciel », l’écrivain donne une dimension poétique, une « exaltation des choses connues et approfondissement des choses éprouvées ; qui étaient éparses, qui se trouvent soudain reliées entre elles, et reliées encore toutes ensemble à quelque chose de plus grand25 ». Pour Ramuz, la question de la Ressemblance est une question « essentielle26 » car elle touche au problème même de l’expression. Des pages capitales de Remarques intitulées « Problème de la ressemblance » abordent, « en tremblant27 » ce sujet, la Ressemblance étant prise dans son sens le plus profond de « besoin mystérieux que l’homme placé dans la nature a connu dès ses origines et qui était d’en tirer une image où elle pût être reconnue et où il se reconnût lui-même ». Homme par excellence de ce « besoin mystérieux », le poète « marie en tout sens les êtres et les choses », crée de nouvelles images. Image que l’écrivain a définie dans Questions comme un « rapport établi entre deux objets, qui ne semblaient en avoir aucun », ce nouveau rapport leur conférant « une dignité, une vie nouvelle ».
Portée éthique
70S’esquisse ainsi le projet profond de l’écrivain mis peu à peu en place : par-delà la volonté esthétique et poétique, un dessein éthique.
71Ramuz notait combien nous sommes oublieux de ce qui nous entoure : « Nos sens usent les choses et les exténuent jusqu’à les faire disparaître : il s’agit que l’esprit qui est derrière les sens les restitue à leur intégrité28. » C’est là une des fonctions de l’image à travers laquelle André Breton affirmait que « se joue le plus haut destin de l’esprit29 ». Le poète nous apprend à être attentifs au monde qui nous entoure, à voir, à écouter, à garder un regard d’enfant30. Le poète « a lui-même à redonner sans cesse une enfance au monde entier31 ».
72« La nature, écrivait Ramuz, n’est pas un décor pour moi ; elle est essentiellement le contraire d’un décor. Le décor est quelque chose qui prend place autour d’une action, mais qui reste indépendant d’elle. La nature, au contraire, a toujours été mêlée étroitement à ma vie et y a toujours joué un rôle actif32. » Elle joue, indéniablement, un rôle actif dans le récit ramuzien !
73L’écriture de Ramuz, comme pour nombre de grands écrivains et poètes, est une écriture politique, si l’on veut bien donner à l’adjectif son sens le plus noble et le plus profond. La comparaison occupe une place essentielle dans l’expression d’un rapport privilégié au monde. Présente dès les premiers récits de façon massive, elle avait une fonction d’ancrage rustique et poétique ; elle est devenue au fil de l’évolution de l’écriture et de l’épanouissement de la réflexion politique, et particulièrement dans les grandes œuvres de la maturité, un élément fondamental, participant activement à la diégèse et donnant l’image d’un monde vivant, familier, peuplé d’« amis inconnus », pour reprendre la belle expression de Supervielle. Les êtres et les choses, les hommes et la nature, sont interdépendants et forment une maison commune. Combien l’écrivain voudrait que tous les éléments qui la composent ne soient plus « posés les uns à côté des autres » !
74Par l’expression de la Ressemblance, l’écrivain doit rendre « l’émotion devant une présence, c’est-à-dire l’aveu, par-delà cette présence et par-delà soi-même, d’une origine commune et par conséquent d’une parenté33 ». Ramuz se définissait comme un homme « religieux », ayant mission de dire cette « commune présence ». « Religion : relier ; un homme, écrivait-il, intimement lié dans ses dessous et dans la partie inconsciente de lui-même aux êtres et aux choses, à tous les êtres, à toutes les choses34 ». Mettre en valeur ces valeurs qu’il qualifiait de « paysannes » : « le sentiment de fraternité de l’homme avec tout ce qui l’entoure, choses, plantes et bêtes, minéraux, végétaux, animaux, avec le ciel, avec les astres » et un « certain sentiment d’amitié et de parenté pour tout ce qui existe naturellement35 ».
75 La Beauté sur la terre nous offre un des récits les plus importants où s’expriment cette parenté entre les choses et les hommes et même quelques moments où les choses trouvent leur unité et communiquent entre elles. À trois moments seulement et grâce à Juliette36. Mais ce sont des moments éphémères, et cela ne concerne pas le monde humain37. Les Hommes se révèlent indignes de la beauté, aveuglés qu’ils sont par l’envie, la jalousie, le désir de possession. La fin du récit est tragique. Émilie, sans doute, exprime la pensée désolée de Ramuz : « […] on ne peut pas se comprendre, parce qu’on est seulement posés les uns à côté des autres, parce qu’on ne peut pas communiquer, parce qu’on est un, puis un, puis un […] » (636).
76 Les Essais prolongeront, quelques années plus tard, la mise en scène esthétique en développant la réflexion sur les rapports entre l’homme et la nature, et en condamnant l’homme qui se conduit en prédateur. En 1935, il avertissait que si la nature, apparemment, se laisse faire, elle prépare un « terrible retour de manivelle ». Nous y sommes …
77L’usage que Ramuz fait de la « comparaison » témoigne de son regard sur le monde et de son dessein à la fois poétique et éthique. L’importance de la comparaison, dans la pensée de Ramuz est telle, d’ailleurs, qu’il en use non seulement dans les récits mais encore dans les textes de réflexion, particulièrement dans ses Essais38.
« [...] le style pour l’écrivain, aussi bien que pour le peintre, affirmait Marcel Proust, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde [...]39. »