Colloques en ligne

Fabienne Bercegol

La poésie adressée de Marceline Desbordes-Valmore :
le cas des interrogations dans Les Pleurs

Marceline Desbordes-Valmore’s adressed poems :
interrogative sentences in Les Pleurs

1Dans l’essai suivi d’une anthologie qu’il consacre à l’histoire de l’élégie, Jean-Michel Maulpoix constate que ce genre « est le lieu par excellence de la question lyrique ». Il l’explique par la place faite à la voix, à la mise en scène de la personne du poète qui n’hésite pas à intervenir pour blâmer, louer, moraliser, exhorter ou se plaindre1. C’est dire que l’interrogation joue un rôle majeur dans le dispositif énonciatif privilégié dans l’élégie, où l’on entend souvent le sujet qui s’exprime s’adresser à un interlocuteur fictif, qui peut être une personne, Dieu, ou une entité abstraite, avec différentes visées. C’est dire encore que l’interrogation se rencontre dans toutes les déclinaisons de l’élégie : elle contribue à la structuration de l’échange amoureux, elle permet également de formuler les réflexions morales, religieuses, voire les commentaires métapoétiques que fait naître la pente méditative du genre.

2Marceline Desbordes-Valmore a sans doute eu recours plus que tout autre poète à l’« animation rhétorique et pathétique2 » que lui fournissaient les phrases interrogatives. On ne peut qu’être surpris par leur nombre et par leur visibilité, due notamment au fait qu’elle n’hésite pas à choisir une question comme titre de ses poèmes. C’est le cas dans Les Pleurs pour les poèmes « IV. Dors-tu ? », « VIII. Toi ! Me hais-tu ? », « XV. Serais-tu seul ? », qui affichent des interrogations directes, totales, brèves, permettant d’interpeller avec vivacité l’amant toujours soupçonné d’être oublieux, ou plus grave, infidèle, et d’espérer agir sur lui par cette prise à partie. De fait, il est d’emblée clair qu’en posant ces questions, la poète ne cherche pas seulement à récolter une information, mais qu’elle attend un démenti qui oriente la réponse et qui confère donc à l’interrogation d’autres valeurs illocutoires. Ces titres nous invitent à pousser plus loin l’enquête sur la finalité pragmatique de ces questions, d’où nait la dimension polyphonique de cette poésie que l’on a souvent relevée. De quelle nature sont ces interrogations ? quelle portée leur donne la poète ? à quoi servent-elles exactement dans le dialogue qu’elles cherchent à engager ? que nous disent-elles du regard que porte la voix qui s’exprime sur le cours de la vie, sur sa condition de femme et de poète, aux prises avec les tourments de l’amour, mais aussi plus généralement, avec l’épreuve du temps qui passe, du deuil, de la misère sociale ? Le pari fait ici est que, peut-être plus encore que l’exclamation à laquelle on a tendance à réduire le lyrisme effusif de l’époque romantique, l’interrogation est une entrée féconde dans la poésie toujours adressée que pratique Desbordes-Valmore, pour prendre la mesure de l’inquiétude parfois poussée jusqu’à l’indignation qui la nourrit, derrière une apparence de trop docile et de trop pieuse résignation.

Nature, portée, place des interrogations

3Les nombreuses questions que l’on trouve dans Les Pleurs sont rarement inscrites dans un dialogue au discours direct qui donne l’impression de mettre en présence un locuteur et son interlocuteur. Cette situation se trouve dans « Le Retour du marin » (GF, p. 184-186), poème construit selon une structure amébée qui fait alterner la voix questionneuse de la fiancée ayant eu en rêve le pressentiment du retour de celui qu’elle attend et la réponse des enfants qui vont confirmer la justesse de sa vision, mais pour lui annoncer la mort de son bien-aimé, qu’elle décide finalement de rejoindre à son tour dans la mort. Les questions réitérées de la fiancée enclenchent le déroulement de la scène de reconnaissance et de sauvetage que reproduit le poème, mais en trahissant par leur redondance son angoisse : dans sa douloureuse lucidité, elle a compris que ses « yeux » ne reverraient plus « qu’aux cieux » (v. 25-26, p. 185) celui qu’elle aimait. Desbordes-Valmore brode ici sur le motif de la Liebestod en célébrant le bonheur de deux amants fidèles qui, désormais « Oublieux de leurs mauvais jours » (v. 39, p. 186), peuvent trouver dans le mariage posthume la condition d’une union qui a pour elle la sérénité et l’éternité. La même situation énonciative revient au début de « La Fiancée polonaise » (GF, p. 189), mais le deuil individuel s’inscrit ici dans un cadre insurrectionnel, celui du soulèvement de la Pologne, dont il s’agit de prendre la défense. Ces questions qui animent un dialogue au discours direct se retrouvent dans un tout autre contexte, celui, beaucoup plus léger et détendu, des scènes familières de la petite enfance. Elles scandent la conversation affectueusement grondeuse de la mère qui se fâche parce que son tout-petit ne veut pas aller au lit dans « Le Coucher d’un petit garçon » (GF, p. 225-226). Dans cet univers du conte où le merveilleux est permis, la mère peut chercher à convaincre le petit rebelle en appelant à sa rescousse la lune personnifiée et elle aussi courroucée par un tel caprice : la voilà « qui s’enfuit, toute pâle et fâchée » et qui « Dit : “Quel est cet enfant qui ne dort pas encor ?” » (v. 21-22, p. 226). La prosopopée fonctionne ici comme un acte de langage indirect dans la mesure où l’injonction l’emporte sur l’interrogation3 : les paroles de la lune sont reproduites pour formuler en réalité un ordre qui vient soutenir les efforts de la mère pour se faire obéir. Dans son désarroi dû à son impuissance, celle-ci s’écrie : « Où sommes-nous ? mon Dieu ! donnez-nous patience ; » (v. 9, p. 226). Sa question s’entend comme une exclamation et pourrait paraître une simple marque de contrariété sans conséquence, mais la suite se fait plus grave en se changeant en prière : la mère appelle Dieu à l’indulgence en lui rappelant l’innocence des petits enfants qui n’ont pas encore l’expérience de la vie. La formulation, curieuse, audacieuse, « Et surtout soyez Dieu ! soyez lent à punir » (v. 10, p. 226), revient à demander à Dieu d’être pleinement lui-même par l’exercice de sa miséricorde. Jusque dans ce poème en apparence si superficiel pointe donc la question lancinante de la culpabilité, du châtiment divin, contrebalancée par la confiance en la bonté de Dieu, en son amour des plus petits enseigné par le Christ. On note en outre que ces poèmes sur l’enfance font place au spectacle de la misère sociale, auquel il s’agit de rendre l’enfant sensible : en témoigne « le petit mendiant » (v. 25, p. 226) cité en exemple dans l’avant-dernière strophe pour fléchir Paul en jouant sur sa pitié et sur sa honte.

4Ce mélange de légèreté et de gravité est encore plus présent dans le poème à vocation didactique « Le Petit Rieur » (GF, p. 217-221), qui reproduit le dialogue entre une mère et son fils obligé d’avouer qu’il s’est moqué d’un camarade bossu. La mère choisit de passer par un jeu de questions dirigées et de réponses qui retrouve le fonctionnement du dialogue socratique pour amener l’enfant à comprendre qu’il a mal agi et pour le détourner désormais du plaisir de la raillerie. Le poème fait certes place à des énoncés assertifs qui imposent une vérité générale : c’est le cas de l’épigraphe qui reprend la deuxième béatitude selon saint Matthieu, de la maxime « Tout ce qui pleure est beau » (v. 41, p. 219) ou de la parole divine rapportée en conclusion : « Dieu dit : “Tu souffriras ce que tu fais souffrir.” » (v. 75, p. 221). Mais à l’exception de l’épigraphe, ces énoncés sont intégrés dans un cheminement qui ancre la leçon donnée dans une situation familière, ce qui la rend plus accessible, et qui en fait peu à peu découvrir la légitimité. La poète trouve ainsi le moyen de ne pas assener un enseignement moral, et même spirituel, mais de le présenter sous une forme plus dynamique et ludique qui joue de la logique inductive pour faire prendre conscience de la faute et donner l’envie de la corriger. Le poème illustre le goût de Desbordes-Valmore pour le genre de la fable (Ésope est cité v. 26, p. 219) qu’elle sait approprié pour l’apprentissage des valeurs morales, notamment du côté des enfants4. Sous des dehors anodins, et malgré cet habillage amusant, il cible le projet esthétique et moral du recueil : c’est le cas notamment dans la maxime « Tout ce qui pleure est beau », qui peut s’entendre comme une défense de la dignité esthétique de ces vers inspirés par la douleur et comme un appel à la compassion, valeur clé de la pensée morale et sociale de Desbordes-Valmore.

5On retrouve de tels poèmes faisant écho à un dialogue tiré de la vie ordinaire dans le contexte de l’échange amoureux. La formule retenue dans « Adieu ! » (GF, p. 69-70) est toutefois différente, puisque le poème ne reproduit pas au discours direct l’intégralité de la conversation entre l’amant qui s’apprête à rejoindre son père et celle qui s’émeut de son départ. Seules les paroles « Je vais partir ! » (v. 2, p. 69) sont citées dans ces vers qui ont pour mission d’en mesurer le retentissement émotionnel chez celle qui les reçoit. Mais les exclamations qui saturent ces vers et les quelques questions reprises : « Sais-tu… », « Tu pars donc ? » (v. 3 et 7, p. 69), suffisent à recréer une situation d’interlocution dont seules les répercussions importent sur celle qui les prononce. Ainsi construit, avec ces questions restées en suspens et d’autres, plus pressantes, ce poème illustre l’impression que veut donner la poète de donner à écouter une voix qui parle sans apprêt, dans l’urgence d’une situation ressentie comme douloureuse. Tout se passe comme si le poème s’inscrivait dans la continuité d’une conversation dont nous n’avons que des bribes : il en ressort un effet d’immédiateté et de naturel, de simplicité également, qui donne l’illusion d’être en prise directe avec la vie de tous les jours.

6La plupart du temps néanmoins, le lecteur est confronté à des questions adressées par la poète à elle-même dans des poèmes écrits pour accompagner un retour sur soi, une réflexion sur la relation amoureuse dans laquelle elle se trouve engagée, voire un véritable examen de conscience. Dans le poème « Dors-tu ? » (GF, p. 50), elle se sert d’une interrogation alternative (v. 4) et d’une série d’interrogations totales pour sonder le sommeil de son bien-aimé : elle se demande avec perplexité si elle disparaît alors de sa conscience ou si elle continue d’habiter ses rêves, s’il reste occupé par la pensée de leur amour. Là encore, les questions qu’elle se pose cachent mal un appel à ne jamais l’oublier, à se plier aux rituels courtois (l’agenouillement, le langage des fleurs) qui seront autant d’actes de soumission : l’amant est prié de se comporter comme elle qui, dans le poème suivant, « Amour » (GF, p. 51-52), s’avoue toujours hantée par l’image de celui qu’elle aime. Du reste, après avoir pris acte de son erreur (« Non ! c’est du soir la vague mélodie ; », « Dors-tu ? » ; v. 11, GF, p. 50), elle conclut par des ordres donnés à l’impératif qui invitent l’amant à s’abandonner à un amour chéri jusque dans la souffrance qu’il provoque : on retrouve sans surprise la rime intérieure « toujours / amour » et la caractérisation oxymorique d’un sentiment alliant la douceur à la douleur. On note que dans ces poèmes reproduisant un questionnement intérieur, une réponse est souvent donnée par la poète elle-même, pour dissiper des illusions qui faisaient croire à une complicité amoureuse (« Dors-tu ? », « Solitude » p. 94-95), plus rarement pour se convaincre de la plénitude d’une union en laquelle se réalise le mythe de l’androgyne (« Amour »).

7Il peut arriver qu’une seule question vienne relancer la dynamique narrative et accroître l’intensité émotionnelle d’un poème : dans l’atmosphère angoissante de « Minuit », une voix s’élève pour alerter l’amant insouciant des dangers qu’il court et le rendre sensible à la présence de l’ombre qui chemine à ses côtés (« Minuit », v. 18-20, GF, p. 67). Mais l’inquiétude qui étreint la plupart du temps la poète trouve plutôt à s’exprimer dans des séries de phrases interrogatives. « Oppressée, elle presse de questions5 », écrit Jean-Michel Maulpoix à propos de l’élégie. C’est particulièrement vrai des poèmes qui sont tout entiers construits à partir d’une succession de questions, comme « Ne viens pas trop tard ! » (GF, p. 77-78) : le harcèlement y trahit le tourment de celle qui ne peut trouver le repos en l’absence de l’être aimé et qui reprend vie lorsqu’il revient vers elle. Cette alternance d’agitation et de réconfort se retrouve dans le refrain qui, par son retour, mime l’oscillation caractéristique de l’élégie, toujours partagée entre la déploration du malheur et la joie que réserve malgré tout l’amour. Ce fond d’anxiété rend également compte du fait que les questions se bousculent souvent à l’attaque du poème, qui donne ainsi l’impression de correspondre à un pic d’agitation intérieure et de reproduire un état de crise. Cette construction déjà rencontrée dans « Dors-tu ? » et « Amour » est encore celle du poème « Pitié ! » (GF, p. 99) : les questions rhétoriques qui s’enchaînent dans les premiers vers constituent un dispositif de « pseudo-interrogation6 » qui permet de communiquer avec force le désarroi de la locutrice et surtout d’en appeler aux destinataires du poème comme à un jury, censé répondre à ces questions qui sont autant de mises en accusation d’un amant volage, devenu indifférent. La situation est un peu moins tendue dans « Écrivez-moi ! » (GF, p. 167-168) : le poème s’ouvre par une interrogation alternative qui prend gentiment à partie l’« amie » négligente accusée de trop tarder à donner des nouvelles. Il ne s’agit pourtant pas seulement d’obtenir des informations : les deux questions initiales servent en réalité à introduire le retournement que va opérer le poème en jetant le discrédit sur la vie terrestre – on retrouve les motifs bibliques de la « vallée » de larmes et de l’exil (v. 9-12, p. 167), et en exprimant l’impatience d’une mort représentée par euphémisme sous les traits d’un doux rêve7.

Interrogations accusatrices

8Il n’est guère surprenant que la plupart des poèmes que nous avons cités jusqu’ici relèvent de l’échange amoureux. C’est en effet dans ce contexte que les interrogations peuvent être les plus utiles pour trahir une vive émotion et pour confronter l’amant à ses fautes. Rares sont en effet les poèmes où les questions servent finalement à le dédouaner. C’est le cas dans « Pitié ! » où, après avoir instruit son procès, la pseudo-interrogation revient dans les derniers vers, mais cette fois-ci plutôt pour consolider la défense de l’amant (GF, p. 100, v. 21-23), dont la culpabilité se dissout dans celle, plus générale, plus abstraite, de l’amour qu’il a inspiré (ibid., v. 17 : « Et puis, ce n’est pas lui, c’est l’amour qui me tue »). De même, dans « L’Étonnement » (GF, p. 118-119), la perplexité quelque peu agacée que l’on entend dans la question initiale, réitérée dans l’avant-dernier vers de la strophe, « D’où sait-il que je l’aime encore ? », laisse place à la fin à un jeu de questions. Loin de mettre en doute, elles fonctionnent comme une assertion renforcée qui contraint la locutrice à reconnaître qu’en dépit de l’inconstance de son amant, elle était restée sous sa domination : « Dieu ! sera-t-il encor mon maître ? / Mais, absent, ne l’était-il pas ? » (v. 31-32, p. 119). Pour le reste, force est de constater que les questions virent vite à l’interrogatoire censé accabler celui qui a trahi et le confondre. Elles prolongent la dénonciation de l’amant au comportement mystificateur formulée dès l’entame du poème dans « Les Ailes d’ange » (p. 83-84) : elles servent à lui reprocher de n’avoir pas mesuré le retentissement fatal de ses paroles mensongères (v. 17-20, p. 83), puis à exprimer le désespoir de celle qui n’a pas su résister à la compassion et à la séduction des promesses (v. 21-22, p. 84). Le ton est d’autant plus véhément ici que la poète prend conscience de l’instrument de tromperie que peuvent devenir ces « pleurs », cette « voix plaintive » (v. 2 et 17, p. 83), qu’elle-même revendique comme un gage d’authenticité. En visant probablement Henri de Latouche, lui aussi poète élégiaque, Desbordes-Valmore se retrouve obligée de faire le procès du genre qu’elle a choisi pour la caution de sincérité qu’il pouvait donner. De même dans « Solitude » (GF, p. 94-95), les questions auxquelles la poète apporte une réponse négative sont le moyen de faire apparaître par ce démenti l’indifférence d’un amant qui s’en est allé vers d’autres amours. C’est encore sa fidélité qui est remise en cause dans « Jamais adieu » : question et réponse s’enchaînent (GF, p. 183, v. 13-14) pour placer l’amant en position d’être jugé et condamné pour sa légèreté.

9Dans tous ces cas, les phrases interrogatives sont là pour faire en sorte que l’amant, face à ses défaillances, ne puisse ni répliquer ni s’excuser, ou du moins pour qu’il soit obligé d’acquiescer. Ainsi que l’avait remarqué Pierre Fontanier, une « singularité frappante, c’est qu’avec la négation elle [l’interrogation figurée] affirme, et que sans négation elle nie8 » : de fait, l’amant n’a pas d’autre choix que de répondre par la négative lorsque la question est affirmative, et inversement. Même si les auteurs du théâtre classique sont peu cités en épigraphe, sans doute a-t-on là un héritage des pièces, et notamment des tragédies, que Desbordes-Valmore a pu jouer et où elle a trouvé de semblables recours à des séries de questions pour exprimer les élans de la passion amoureuse et pour s’en prendre à ceux qui trahissent. On remarque du reste que c’est dans le répertoire racinien que Pierre Fontanier choisit ses exemples pour illustrer l’« interrogation figurée » et pour rendre compte de l’énergie qu’elle confère aux reproches9.

Interrogations mélancoliques

10Si la rhétorique du procès domine dans l’échange amoureux, c’est à rendre plus poignante la mélancolie et à la faire partager aux lecteurs que servent les phrases interrogatives insérées dans les poèmes sur l’enfance. Au début du « Convoi d’un ange » (GF, p. 232), elles disent l’émotion déchirante de la locutrice qui se met à l’écoute de son cœur et qui y retrouve la mémoire sonore de l’enfance : l’émerveillement suscité par la restitution de ces voix, que la poète se donnera pour mission de faire de nouveau entendre10, s’y mêle à la douleur née du savoir de leur irrémédiable disparition. Très représentative d’un siècle qui accorde de plus en plus d’importance au récit d’enfance, Desbordes-Valmore y découvre le charme particulier de ces souvenirs intimes qui bouleversent en dépit de leur ténuité (« Dieu ! Quel écho profond pour de si faibles voix ! », v. 7, p. 232) et de ce qu’ils peuvent avoir souvent d’anodin. Dans « Ma fille » (GF, p. 144-145), les questions portant sur l’identité d’Ondine sont à prendre comme autant d’assertions déguisées servant à la poète à se rassurer, à se convaincre de la nature angélique de son enfant encore préservée du Mal (v. 3, p. 144), en laquelle elle a plaisir à se reconnaître et à rejouer sa propre enfance. C’est encore à la « candeur » d’une « jeune fille » qu’elle juge bon de s’en remettre lorsqu’en une question qui a tout d’une prière pressante et qui relève donc d’un trope illocutoire, elle l’invite à venir fleurir sa tombe (« LII. L’Enfant au rameau », v. 26-30, GF, p. 188).

11Mais c’est incontestablement dans « Tristesse » (GF, p. 103-108) que les questions rhétoriques placées au début du poème et reprises à la fin traduisent avec le plus d’efficacité l’attachement mélancolique, à la fois redouté et recherché, à la mémoire des premières années. Tout est fait ici pour mettre en valeur cette succession de questions : leur position, bien sûr, qui construit le poème en boucle pour mimer le retour lancinant, impossible à stopper, du souvenir d’enfance et de l’envie qu’il donne de pouvoir retourner vers ce passé ; les reprises anaphoriques (« N’irai-je plus », « D’où vient ») qui insistent également sur la persistance de ce questionnement empreint de tristesse ; la régularité et la fluidité de ces vers qui déploient sans la moindre coupe ces questions sur toute la longueur de l'alexandrin. Ce qui s’y dit est d’abord, par le moyen des interrogatives totales (v. 1 et 2, p. 103), le constat désolé de l’impossibilité de rebrousser chemin et de redevenir l’enfant joueur que l’on a été. Ces questions fonctionnent en réalité comme de fausses interrogations : la locutrice fait semblant de mettre en doute une vérité sinistre, l’irréversibilité du temps, dont elle a bien conscience mais à laquelle elle peine à s’accoutumer. Elles sont comme des affirmations suspendues, qu’une résistance intérieure empêche d’énoncer de manière assertive, parce que ce serait trop douloureux. Il faut noter qu’elle les reprend à la fin mais en modifiant quelque peu la première. Désormais introduit par la locution adverbiale « Du moins », qui marque une restriction, et privé du verbe « courir », le premier vers (v. 106, p. 108) prend acte de l’impossibilité de ce qui avait d’abord été demandé et réduit le souhait exprimé au désir de revenir sur le sol natal.

12Ces questions sont donc là pour intensifier la charge pathétique d’un poème qui propose aussi un retour réflexif sur la mémoire et sur les réactions émotionnelles contradictoires qu’elle provoque. Il revient en effet aux trois interrogatives partielles (v. 3-5, p. 103-104) – formulation rare dans ce recueil, de poser des questions cette fois-ci ouvertes sur le paradoxe de souvenirs qui conjuguent bonheur et amertume, et qui continuent de procurer du plaisir en dépit de leur fugacité et de l’émotion suscitée par leur mise en mots. Il leur revient surtout d’impliquer rhétoriquement le lecteur dans cette réflexion qui vise grâce à elles une portée universelle, en dépit du retour de la première personne du singulier dans le dernier vers (« ma voix », v. 5, p. 104). C’est un procédé que l’on retrouve souvent dans le recueil. Desbordes-Valmore utilise volontiers la question oratoire pour dépasser le cadre de l’adresse personnelle et faire de ses lecteurs des témoins, voire des complices à qui elle se plaît à prêter les mêmes expériences affectives et morales. Ainsi en va-t-il, dans « Tristesse », de la strophe rythmée par l’anaphore du pronom interrogatif « Qui » (v. 16-20, p. 104), ou dans « Ma fille » de la question incluant le pronom impersonnel « on » (« Dit-on au passereau de haïr, d’avoir peur ? », GF, p. 145, v. 30), ou encore au début d’« Agar », de celle faisant appel au comportement commun à toutes les mères (« Quelle mère… », GF, p. 158, v. 1-4). Notons que l’exclamation est souvent proche d’une interrogation lorsqu’elle a pour but d’interpeller un destinataire11. C’est le cas dans « L’Impossible », où l’exclamation initiale (« Qui me rendra… », p. 175) est une façon d’impliquer le lecteur dans l’expression de la douleur liée à l’évocation de ce passé heureux mais désormais irrémédiablement révolu.

Interrogations méditatives

13 Les questions ayant trait à l’enfance nous montrent déjà que Desbordes-Valmore passe volontiers par la tournure interrogative pour donner à la plainte personnelle l’ampleur d’une méditation générale sur la condition humaine, saisie dans sa précarité, ce qui est le propre de l’élégie. Rien ne montre mieux la gravité à laquelle peut atteindre ce genre, lorsqu’il aborde des problématiques universelles, que les interrogations sur le mystère de l’origine de la vie puis de la mort qui scandent « Le Mal du pays » : « D’où vient-on quand on frappe aux portes de la terre ? », « Où va-t-on quand, lassé d’un chemin sans bonheur, / On tourne vers le ciel un regard chargé d’ombre ? » (GF, p. 112-113, v. 17 et 21-22), ou dans « Les Mots tristes », les questions désolées qui résonnent comme une supplique implorant que l’on puisse « lentement respirer le bonheur » et « Vivre sans éveiller le temps et le malheur » (GF, p. 57, v. 23-24). Ces questions prouvent que, si Desbordes-Valmore ne s’est pas engagée dans l’élégie métaphysique telle que la pratique Lamartine, elle n’a pas pour autant renoncé à la réflexion sur les grands sujets de la philosophie, mais elle les aborde toujours à partir de situations familières, qui ancrent la pensée dans une expérience affective qu’elle considère partagée par ses lecteurs, appelés à prolonger la méditation à laquelle les invitent ces interrogations sans réponse.

14 La teneur des questions que nous venons de citer explique que la poète en vienne souvent à s’adresser à Dieu, pour tenter de trouver réponse et réconfort face aux épreuves infligées par la vie et aux mystères qui l’entourent12. Ces questions reflètent parfois la confusion de l’amour profane et de l’amour divin, fréquente dans ce recueil, que les critiques contemporains ont du reste souvent reprochée à la poète. Dans « Malheur à moi ! », la voix amoureuse que l’on entend a effectivement l’audace de corréler sa foi à la présence à ses côtés de celui qu’elle aime. La question qu’elle pose, « Sans lui, mon Dieu ! comment vivrai-je en toi ? » (GF, p. 72, v. 21), affirme sans faire place au moindre doute son impuissance désormais à dissocier Dieu de son amant (ibid., v. 23). Malgré toutes les épreuves endurées, individuelles et collectives, malgré la conscience de la cruauté de la condition humaine, les poèmes des Pleurs ne remettent pas en cause la confiance en ce Dieu bon, protecteur des amants. Ainsi dans « Pardon ! » (GF, p. 81-82), les questions initiales adressées à l’amant émettent l’hypothèse d’un « ciel inexorable » (v. 1, p. 81), qui pourrait châtier celle qui a trop aimé, au point d’oublier Dieu pour lui. La poète envisage que l’amour soit un « crime » (v. 6, p. 81) qui pourrait entraîner leur perdition à tous les deux. Mais cet examen de conscience dont elle est coutumière13 écarte cette pensée en faisant retomber sur l’homme la calomnie de l’amour et il se conclut par des paroles d’espérance qui réaffirment la miséricorde de Dieu pour sa créature. De même dans « La Crainte » (GF, p. 114-115), la poète commence par dire par des questions sa peur de ne plus être écoutée de Dieu, de ne plus savoir gagner sa pitié (v. 9-10, p. 114), d’être repoussée par lui (v. 20, p. 115), mais un renversement s’opère dans ce poème de la déréliction dans la mesure où la dernière strophe mise sur la fécondité de la souffrance et sur la possibilité de faire des larmes une offrande qui viendra soulager « quelque malheureux ! » (v. 28, p. 115) Les questions qui exprimaient le doute laissent alors place à des impératifs qui rendent la ferveur de la prière adressée à un Dieu que l’on devine accessible à de telles suppliques.

15Le poème dédié à Béranger montre quant à lui que la poète ne tient pas Dieu pour responsable des injustices et des violences qui déchirent la société contemporaine, voire qu’elle le dissocie de son Église trop inféodée à la monarchie. Elle semble en effet noter avec joie que les chansons de Béranger, quoique souvent anticléricales, font aimer Dieu, mais c’est pour enchaîner par cette question pleine de sous-entendus accusateurs qui vise les détenteurs du pouvoir politique : « mais aime-t-on les rois ? » (« LV. Béranger », v. 28, GF, p. 196). L’exclamation qui met en exergue l’hommage à Dieu fait d’autant plus ressortir l’indifférence, voire le ressentiment, la haine, que suggère la construction antithétique du vers. Comme à son habitude, Desbordes-Valmore ne tient pas un discours militant, mais elle trouve néanmoins le moyen de formuler par cette question qui appelle une réponse négative ses préventions à l’encontre du pouvoir royal et de toutes les institutions qui le soutiennent – dont le clergé, dans ce poème qui cible ouvertement la politique répressive à l’encontre des opposants et qui constate l’efficacité contestataire de la chanson.

16 Mais il faut aussi prêter attention aux moments où, sans jamais aller jusqu’à la révolte, cette voix qui parie sur l’efficace de la prière et qui garde confiance en un Dieu resté proche de ceux qui souffrent laisse entendre quelque inquiétude, voire se désole de la dureté de l’existence humaine telle que Dieu l’a faite. Ainsi dans « Tristesse », alors que revient le souvenir de l’âge d’or de l’enfance qui est celui de l’évidence de Dieu (« Et ne jamais revoir ce mur où la lumière / Dessinait Dieu visible à ma jeune raison ! », GF, p. 107, v. 76-77), un vers interroge sur la réception des prières prononcées dans l’église de sa ville natale : « Mon frêle et doux Ave, ne l’écoutiez-vous pas ? » (ibid., v. 75). La forme négative appelle certes une réponse positive de nature à la rassurer et à maintenir la mémoire heureuse d’une relation privilégiée entre l’enfant et Dieu. Mais toute dirigée qu’elle est, la question rhétorique trahit néanmoins le besoin d’être confortée dans cette croyance de la part d’une adulte qui sait avoir perdu cette piété fervente que rien ne venait jamais assombrir. Le poème dédié à Lamartine laisse ainsi entendre une plainte qui n’est pas dénuée d’accents accusateurs. La poète y brosse un tableau pathétique du sort qui attend ses enfants lorsqu’ils seront devenus orphelins : elle « ose » y déclarer « barbare / Le destin mobile et bizarre / Qui fit [s]es enfants pour souffrir ! » (« XXXVIII. À Monsieur Alphonse de Lamartine », v. 23-25, GF, p. 135-136,) et se demande qui prendra soin d’eux quand elle ne sera plus (v. 26-30, p. 136). Dieu n’est pas nommé, mais dans la vision chrétienne du monde qui est celle de Desbordes-Valmore, il n’est pas étranger aux épreuves qui s’abattent sur les siens, ce qui ne peut que relancer la réflexion sur son action providentielle et sur la finalité de la souffrance, surtout lorsqu’elle est le lot de l’innocent.

17On note du reste que c’est à propos des enfants que s’élève le plus souvent cette plainte imprégnée de perplexité et peut-être habitée d’un sourd reproche. Dans « Les Mots tristes », la poète a beau revenir à l’idée que mieux vaudrait « mourir enfant » (p. 61, v. 107) pour s’en aller sans avoir connu le malheur, elle ne peut s’empêcher de se demander ce que dit « dieu » lorsqu’il voit les « ailes » de ces petits, ici métaphorisés en oiseaux, « humides de nos larmes » (ibid., v. 123-124). Il faut souligner qu’elle ne s’adresse pas directement à Dieu, ce qui ôte toute véhémence à ses propos. Reste néanmoins cette question sans réponse sur la réaction de Dieu face à la souffrance de ceux à qui il « reprend » ces tout-petits (ibid.). L’émotion ici exprimée est à la mesure des deuils que Desbordes-Valmore a déjà connus : elle est plus généralement représentative d’une époque au cours de laquelle la mort des proches, et notamment des enfants, est de plus en plus vécue comme une épreuve à la limite du supportable, qui peut ébranler par sa charge affective la foi en apparence la plus solide14.

L’affirmation d’une voix

18C’est enfin le statut de femme et de poète que les questions insérées dans Les Pleurs permettent de cerner, souvent d’une façon qui paraît détournée, timide, humble, mais qui n’en permet pas moins une prise de conscience pouvant aboutir à une affirmation de soi, voire à une révolte. Ainsi la question qui conclut « Le Premier Chagrin d’un enfant » (GF, p. 224) peut sembler au premier abord ranimer la mélancolie née de l’impossibilité de verser désormais les mêmes larmes que dans l’enfance. Mais derrière la déploration de la bonté naïve perdue, on peut aussi entendre plus généralement dans cette question, « Qui donc me le défend ? » (v. 44, p. 224), une réaction de la poète qui se reprend et qui se dresse contre tout ce qui la contraint, notamment en tant que femme soumise à de nombreuses interdictions15. Comme la plupart des écrivaines de son temps, Desbordes-Valmore n’a pas laissé de texte théorique explicitant sa conception de la poésie, mais les poèmes des Pleurs dédiés à des consœurs dessinent ce qu’est à ses yeux le meilleur de la production féminine du passé et du présent. Ils lui offrent des modèles par rapport auxquels situer sa propre inspiration et faire apparaître une solidarité féminine qu’elle souhaite active. Les questions qui scandent le poème dédié à Louise Labé disent d’abord l’étonnement de la poète qui s’était fait une autre image de la ville, Lyon, où a grandi la « poétique Louise » (« XLII. Louise Labé », v. 1, GF, p. 153) : elles lui donnent l’occasion de réfléchir aux circonstances qui accompagnent la formation d’un talent, à l’énergie qu’il faut pour faire face aux épreuves et pour parvenir enfin à sortir du silence, à écrire la beauté du monde. La question finale adressée à Louise, « Tout ce que tu voyais de beau dans l’univers, / N’est-ce pas ? comme au fond de quelque glace pure, / Coulait dans ta mémoire et s’y gravait en vers ? » est suivie d’une réponse affirmative, enthousiaste, « Oui ! l’âme poétique est une chambre obscure / Où s’enferme le monde et ses aspects divers ! » (v. 96-100, p. 157), qui prouve qu’à travers ce modèle, la poète a trouvé son projet esthétique et est désormais capable de définir, au-delà de son propre cas, ce qu’est la poésie.

19Ainsi dans Les Pleurs, la poète ne se contente pas de vouloir susciter la compassion en affichant, par exemple à l’aide du « rossignol aveugle » auquel elle s’identifie, les souffrances que son chant exhale : « Un cœur d’oiseau sait-il tant de notes plaintives ? » (« XXXVI. Le Rossignol aveugle », v. 23, GF, p. 128.) Une telle question dénonce certes le sort injuste qu’elle subit, appelle l’apitoiement en attirant l’attention sur les malheurs sans nombre dont les vers se font l’écho, mais elle invite aussi à découvrir dans cette douleur intense ce qui fait le prix de ses poèmes, ce qui les rend dignes du renouvellement lyrique en cours, fondé sur l’expression authentique d’une intériorité souvent tourmentée. À plusieurs reprises, la poète en profite comme ici pour poser sa voix et définir ce qu’elle veut être, avec fermeté, sous une apparente modestie. Elle ne manque pas par exemple d’interpeller Lamartine dans le poème qu’elle lui adresse en réponse aux vers qu’il avait cru devoir lui dédier. Elle réagit au mot « gloire » qu’il a prononcé (« Oh ! n’as-tu pas dit le mot gloire ? », p. 138, v. 79), et elle saisit cette occasion pour définir son ethos de poète, en insistant en apparence sur son infériorité, sur son ignorance, sur son humilité, mais en osant ce faisant affirmer la singularité d’une voix qui se révèle capable de conférer une dignité poétique à ce qui a été négligé (« Je suis l’indigente glaneuse / Qui d’un peu d’épis oubliés / A paré sa gerbe épineuse », ibid., v. 91-93). La fin du poème continue de faire porter l’accent sur le manque de renommée de la poète qui est reconnaissante à Lamartine de s’être soucié d’elle : « Oui ! toi seul auras dit : – Vit-elle ? – » (v. 96, p. 139), mais la dernière strophe, tournée en forme de question directe adressée à Lamartine, opère un renversement puisque la poète suggère que cette « gloire […] entière » (ibid., v. 101) est impuissante à retenir des pleurs. Il s’agit ici pour elle, en guise de chute, de rétablir entre eux une forme d’égalité en obligeant Lamartine à reconnaître que ses succès ne le mettent pas davantage à l’abri de la souffrance. On mesure l’audace de cette strophe si l’on se souvient que Pierre Fontanier définit ce type d’interrogation, qu’il appelle « interrogation figurée », comme un moyen « pour indiquer […] la plus grande persuasion, et défier ceux à qui l’on parle de pouvoir nier ou même répondre16 ». La poète choisit donc le tour le plus efficace pour réduire Lamartine au silence ou du moins l’amener à lui donner raison, lorsqu’elle met en avant la vanité de toute gloire.

Conclusion

20Forte de son expérience d’actrice, Desbordes-Valmore a incontestablement trouvé dans les nombreuses questions insérées dans ses poèmes, souvent pour les ouvrir, le moyen de faire entendre l’élan d’une voix animée par les tourments de l’amour ou affligée par le savoir mélancolique de l’impossible retour vers le temps heureux de l’enfance. La fonction émotive domine dans ces questions qui, le plus souvent, sont adressées à elle-même, dans un moment d’introspection qui vaut comme retour réflexif sur l’expérience amoureuse, sur la fugacité du bonheur, sur l’irréversibilité du temps, voire comme examen de conscience lorsque la poète se place face à Dieu et fait acte de contrition. Ces interrogations qui sont totales, à de rares exceptions près, portent la marque de l’ébranlement intérieur et trahissent un fond d’inquiétude difficile à résorber. Elles nous rappellent que, « sinueux, les chemins de l’élégie circulent entre le métaphysique et le sentimental, et relient les intermittences du cœur aux incertitudes cruelles de la destinée17 ». Rhétoriques pour l’essentiel, elles disent la volonté de Desbordes-Valmore de dépasser les limites du « je » pour écrire une poésie du partage, qui implique le lecteur dans la même émotion et qui l’invite à prolonger la méditation sur les sujets concernant la condition humaine. Elles contribuent en cela à faire ressortir l’ancrage romantique de sa poésie : selon Yves Vadé, le renouveau poétique de ces années-là passe aussi par le « rapport de familiarité, voire de complicité » qui s’établit entre le sujet lyrique et son lecteur, conscients « d’appartenir à une même époque, trouble et incertaine », et plus généralement, de relever « d’une nature humaine commune, impliquant les mêmes aspirations, les mêmes espoirs, les mêmes angoisses, les mêmes vices18 ». Ces questions montrent enfin que, loin de s’en tenir à la déploration, la poète sait réagir et interpeller avec force ceux dont dépendent son bonheur et plus généralement, le sort de l’humanité19.